mardi 30 septembre 2008

Chronique n°6 Banques centrales en Europe et aux Etats-Unis

Comme en 1929, la crise financière partie des Etats-Unis arrive en Europe. Le sérieux du danger est devenu tangible le week-end dernier quand trois banques européennes ont dû être secourues par leurs autorités de tutelle respectives : Bradford & Bingley au Royaume-Uni, Fortis au Bénélux et Hypo Real Estate en Allemagne. Ces trois exemples et particulièrement celui de Fortis illustrent la complexité de répondre à une situation de credit crunch quand la crise frappe des banques qui ont une activité à cheval sur plusieurs Etats. La Banque centrale européenne, à la différence de la Fed, n’est pas un vraie banque fédérale dans toute la plénitude de ses prérogatives. Elle n’ a donc pas tous les instruments pour répondre à une crise de ce type.

Une banque centrale a plusieurs rôles. Sa mission principale est de définir et de mettre en place la politique monétaire. Cela peut vouloir dire la stabilité des prix only, comme pour la BCE, ou deux missions, la stabilité des prix et la croissance, comme la Fed aux Etats-Unis. Le principal instrument à sa disposition est d’avoir le pouvoir de fixer le taux de base directeur, c’est-à-dire le taux d’ intérêt auquel les banques empruntent pour ensuite reprêter. La banque centrale a aussi deux autres rôles : elle doit surveiller le système bancaire et elle sert de prêteur en dernier ressort. Si votre banque fait faillite, vous n’aurez pas perdu l’argent qui était sur votre compte. Cette dernière mission crée les conditions de confiance sans lesquelles à la moindre rumeur, tout le monde courrait retirer son argent, or comme les banques font des prêts à partir d’un multiplicateur de leurs dépôts, le système serait extrêmement fragile.

La Banque centrale européenne est responsable de la monnaie commune et elle a hérité des banques centrales nationales la conduite de la politique monétaire. En revanche, l’établissement de la législation et la surveillance des banques commerciales sont encore largement le domaine, jalousement gardé, des banques centrales nationales. La troisième mission non plus n’a pas été transférée. La Banque centrale européenne n’est pas prêteur en dernier ressort. Elle coordonne simplement les efforts des banques centrales nationales. Elle peut injecter des liquidités comme hier, les 120 milliards d’euros, pour éviter qu’une banque ne soit prise à la gorge, mais cela relève de sa première mission, la politique des taux.

Ce dispositif est aujourd’hui inadapté. Les banques commerciales européennes font de plus en plus d’affaires en dehors de leur pays d’ origine (En 2006, 24% de leurs actifs étaient détenus dans un autre pays de l’ UE, contre 11% en 1997). Sans compter que seuls 15 pays sur 27 font partie de la zone euro.

Le cas du bancassureur Fortis est particulièrement intéressant parce qu’il illustre les nouveaux défis auquel doit faire face le système financier européen.

Fortis est un groupe bancaire dont le capital est détenu principalement par des actionnaires belges et néerlandais, mais aussi luxembourgeois et chinois. Les actifs de Fortis s’élevaient au 30 juin 2008 à 974 milliards d’euros. Pour avoir un ordre de comparaison, la Belgique a un Produit intérieur brut de 331 milliards d’ euros en 2007. Fortis est donc non seulement too big to fail, mais aussi too big pour être secourue par un seul pays de la taille de la Belgique. Cela tombe bien dans la mesure où le Benelux a une longue tradition de coopération politique et que la Belgique et les Pays-Bas ont un traité bilatéral qui prévoit qui fait quoi en cas de faillite d’une banque transnationale.

Ce qui me ramène au rôle de prêteur en dernier ressort. Il ne consiste pas à sauver toutes les banques par principe. En fait, les banques centrales se retranchent derrière une prudente ambigüité qui a pour but de distiller la confiance sans encourager les comportements irresponsables. En clair, une banque centrale éliminera les banques insolvables (comme la Fed a fait pour les caisses d’ épargnes en 1987) mais viendra au secours des banques illiquides (comme la Fed a fait vendredi dernier pour Washington Mutual). Mais l’exemple de la faillite de Lehman Brothers montre que la distinction entre banques insolvables (trop d’ actifs pourris ou dépréciés) et banques illiquides (besoins de liquidités et l’argent existe mais n’est pas immédiatement accessible), n’est pas toujours aussi facile à établir. Lehman Brothers a fait faillite et la semaine suivante la Fed et le Trésor, prenant la mesure de la gravité de la situation, sont intervenus pour sauver Merril Lynch.

A partir de quand une créance cesse-t-elle d’être bonne et commence-t-elle à sentir le pourri ? Il suffit de regarder ce qui est en train de se passer avec des multinationales comme General Electric qui ont été forcées d’emprunter auprès de la Fed pour financer leurs tiroir-caisse (l’équivalent de « vous êtes à découvert jusqu’ à la fin du mois… »). Si le credit crunch ne desserre pas son étau, les gens n’obtiendront plus de prêts, General Electric ne vendra plus ses produits et ne gagnant plus d’argent, l’entreprise ne pourra plus faire face à ses obligations. Les bonnes créances seront devenues mauvaises.

Mais revenons à Fortis. L’année dernière, la banque s’était alliée à la Royal Bank of Scotland et au Banco de Santander pour acquérir ABN Amro pour un prix de 73 milliards d’euros. Avec la combinaison de la crise des subprimes et du credit crunch, sa part, estimée à 24 milliards d’euros, a perdu 71% de sa valeur. Le week-end dernier après que la BNP Paribas et ING Group aient décliné l’offre de reprise, la faillite, faute de liquidité, devenait inévitable. Les banques centrales du Benelux ont donc joué le rôle de prêteur en dernier ressort et ont renfloué Fortis à hauteur de 11,2 milliards d’euros. Elles sont désormais actionnaires et peuvent espérer vendre les actifs quand ils arriveront à maturité, ce qui devrait rapporter, peut-être, des bénéfices aux contribuables des deux pays.

Just for the sake of reasoning... Que se serait-il passé si au lieu de Fortis cela avait été ABN Amro qui s’ était vue prise à la gorge par le credit crunch ?

Si la fonction de prêteur en dernier ressort n’est pas prise en main au niveau européen par la BCE, sur qui retombe la responsabilité de venir au secours des banques défaillantes ? Aurait-ce été aux contribuables espagnol et écossais de faire un chèque pour sauver de lointains actifs, disséminés un peu partout en Hollande? Ouh, l’idée européenne n’avait déjà pas la cote... A la différence du Benelux, les liens entre l’Ecosse et l’ Espagne sont lâches. Lorsque les impôts fédéraux payés en Californie servent à réparer pour la millième fois les fronts de mer bâtis en Floride, le contribuable californien hurle mais il espère bien que le jour où la Faille de San Andreas se réveillera et que le Grand-Tremblement-de-Terre-que-tout-le-monde-attend, dont moi, avec mon kit de survie de la Croix Rouge au pied du lit, dévastera tout, les Floridiens mettront la main à la pâte. La solidarité joue parce que c’ est le même peuple, le même pays et parce qu’il y a un gouvernement fédéral pour opérer les transferts. On voit bien les limites de la comparaison avec l’ Union européenne.

Tandis que la préservation du système financier européen requiert d’adapter la législation de la zone euro à la réalité de firmes de plus en plus transnationales, l’élargissement des missions de la BCE au rôle de gendarme du système bancaire et de prêteur en dernier ressort risque de se heurter à la myopie et à l’égoïsme des agents économiques.

On oublie souvent que ce qui a transformé des Etats unis en Etats-Unis, c’est la défaite militaire des "souverainistes" (le terme est anachronique) lors de la Guerre de Sécession. Notre «union sans cesse plus étroite entre les peuples» est aussi scellée par le sang versé de deux guerres mondiales. Mais le processus n’a pas eu de moment paroxystique. C’est sa chance et sa faiblesse. Les Andalous et les habitants de Bratislava, les sujets de Ses Majestés Britannique et Suédoise se sentent une destinée commune mais assez peu un portefeuille joint.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

lundi 29 septembre 2008

Chronique n°5 "You broke it, you own it"

A l’ heure où je rédige cette chronique, la Bourse de New York enregistre une autre journée destructrice, avec une baisse de 528 points. Depuis dix jours, les agents économiques attendaient le plan de sauvetage du système financier américain négocié par le Trésor, la Fed et le Congrès. On attend, on attend, bon il arrive ?

Le plan est là. Il a une saveur amère pour les milieux d’ affaires et âcre pour les parlementaires qui retournent aux urnes dans trente-huit jours. L’ incertitude plane quant à son adoption. Je revérifie sur mon écran et découvre que le vote de rejet vient de l’ emporter par 228 votes contre 205 (il en fallait 218). Les marchés plongent de 700 points. Petite explication à chaud : que s’ est-il passé ? La semaine dernière, le Monde parlait d’ Union sacrée. Aux Etats-Unis, ils appellent cela le bipartisanship et si vous n’ aimez pas le concept au moins officiellement, vous êtes un égoïste.

Tous s’accordent à juger que la situation est critique et que plus on attend, plus les dégâts des eaux se répandent dans le reste de l’ économie (General Electric a dû emprunter 5 milliards auprès de la Fed parce qu’ elle ne trouvait pas les moyens de financer ses besoins en liquidités) et dans le reste du monde (la Banque centrale européenne vient d’injecter 120 milliards sur les marchés européens).

Pourquoi le plan n’a-t-il pas été adopté ? Dans les pays anglo-saxons, il y a souvent dans les bazars un panonceau qui dit : «You broke it, you own it» (=vous l’ avez cassé, il est à vous). L’économie américaine après huit ans de Bush traverse la crise économique la plus grave depuis 1929. Bush a perdu toute crédibilité pour gouverner aux yeux de son propre camp. Petraeus, le général «victorieux» en Irak maintenant redéployé en Afghanistan a de facto les pleins pouvoirs à l’ extérieur. Paulson, le président du Trésor, s’occupe de gérer la pagaille intérieure. Dans ce contexte, les Démocrates avaient les moyens de faire adopter une loi sans l’accord des Républicains. Mais le plan de sauvetage de Wall Street a un coût de 700 milliards de dollars et le Parti Démocrate n’ a pas l’ intention d’ assumer seul l’ impopularité de la mesure quand ce n’est lui qui a fait un enfant à la bonne.

Avant même que McCain vienne ajouter son grain de sel, la semaine dernière, quand il a déclaré comme Batman qu’il retournait à Washington pour sauver l’économie, les Républicains étaient déjà récalcitrants.

Ils sont fondamentalement en désaccord idéologique avec le contenu du plan : limiter les salaires des dirigeants, interdire les parachutes dorés, reréguler l’économie, donner au juge des faillites le droit de changer les termes des prêts hypothécaires, et à l’Etat des parts dans le capital des entreprises secourues est une hérésie. Comme disait le Sénateur Républicain Shelby, «We are going down the road of France». (“On va bientôt ressembler à la France”).

Il aura aussi manqué des votes démocrates pour faire passer la loi. Ceux qui retournent devant les électeurs dans moins de quarante jours préfèrent être trucidés par Nancy Pelosi, la Présidente de la Chambre des Représentants que de commettre la faute politique de voter une loi certes indispensable mais très impopulaire. L’argent va à l’ argent, hurle la foule en colère.
Voilà, pendant que le renard libre saccage le poulailler, les élus des poules libres ne veulent pas qu’ on leur reproche de faire des cadeaux immérités. Ainsi va le fabliau, les œufs sont piétinés et on joue Brahms.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

mardi 23 septembre 2008

Chronique n°4 Wall Street contre Main Street

Je constate que Le Monde ne parle de la crise financière mondiale que pour invoquer les incantations de Sarkozy à punir la finance malfaisante. Aucun intérêt. Ce qui est en train de se jouer est pourtant fascinant tant d' un point de vue économique que politique. C' est aussi une excellente leçon d' opposition constructive.

Depuis cinq jours, le plan de sauvetage du système financier américain, et par là mondial, est en pleine discussion entre d'une part les républicains Henry Paulson (Treasury Secretary), Ben Bernanke (président de la Fed), Chris Cox (président de la SEC, qui surveille la Bourse) et d'autre part le Parlement américain, à majorité démocrate. Pendant qu' on discute, la mer ne se retire pas, elle avance : hier la Bourse perdait 372,75 points. Le gouvernement Bush dit qu'il faut vite signer, sans chipoter et sans faire de politique politicienne, le chèque de 700 milliards de dollars. Le Parlement américain rétorque : un sauvetage, ok, mais pas n' importe comment.

1) Qui aide-t-on ? Wall Street vs. Main Street

Dans le premier brouillon tel que rédigé ce week end par l' équipe de Paulson, l'opération de sauvetage s' appliquait à tout Wall Street c' est-à-dire à toutes les institutions financières présentes sur le territoire américain sans distinction. La définition d' une institution financière n'est pas qu' une subtilité sémantique. Inclut-on les hedge funds (fonds spéculatifs), dont beaucoup vont commencer à exploser à la fin du mois de septembre quand les dates de lock-up (temps pendant lequel les fonds sont bloqués en échange de la promesse de profits mirifiques) arrivent à maturation et que les investisseurs inquiets retirent leurs fonds ? Inclut-on les "fonds vautours" qui en ce moment rachètent les actifs pourris à raison de 22 centimes pour une valeur nominale d'un dollar et qui demain pourraient les revendre à un cours de 65 centimes au Trésor américain, tout ça royalement payé par le contribuable ?

En écoutant Paulson et Bernanke ce matin répondre devant la commission des finances, il était rassurant de voir que la définition avait évolué pour n'inclure désormais que les institutions financières régulées, c' est-à-dire les banques de dépôt et les caisses d' épargne (il ne reste plus de banques d' affaires aux Etats-Unis, depuis qu' il y a deux jours Goldman Sachs et Morgan Stanley ont changé leurs statuts et se sont transformées en banques de dépôt afin de se recapitaliser). Mais la question de l'effet d' aubaine pour des fonds rapaces n'était pas tranchée (concrètement, il faudrait inclure une clause qui vous interdit de revendre vos actifs au Trésor pour un prix supérieur à celui auquel vous les avez achetés).

A 42 jours des élections présidentielle mais aussi législatives, le Congrès a rappelé au gouvernement que les grands oubliés dans le brouillon de Paulson étaient les gens endettés qui sont en train de perdre leur maison et la population américaine en général (Main Street). Ce à quoi il a d'abord été répondu qu' il fallait gérer l' urgence et que seule Wall Street était en train de s'effondrer et que s'il fallait tomber d'accord sur tout, on ne tomberait d'accord sur rien et que pendant ce temps-là, l'eau ne se retirait pas des terres. On verrait Main Street plus tard (après les élections ?). Donc, signez là. Mais si les parlementaires ont hâte de retourner à la fin de la semaine dans leurs circonscriptions, tous comprennent qu' il serait suicidaire de rentrer sans avoir pris en compte les intérêts de l' électeur/contribuable.

2) Le processus de défaisance

Dans le premier brouillon, Paulson se voyait conférer les pouvoirs extraordinaires d' acheter et de vendre des actifs pour un montant de 700 milliards de dollars, sans aucun contrôle a priori ou a posteriori ni par le Congrès ni par le pouvoir judiciaire. C' était écrit noir sur blanc ; calqué sur ce qui s' était passé après le 11 Septembre en matière de sécurité intérieure.
Outre le montant astronomique du chèque, son ordre était donc laissé en blanc. On allait embaucher des experts pour estimer à leur juste prix ces instruments financiers très complexes et M. Paulson les vendrait à qui bon lui semblerait. Après la débâcle, ç'aurait été la curée ; car qui sont les experts ? Les propres concepteurs de ces produits financiers, bien sûr, qui traversent des moments difficiles et pourraient mettre un peu de beurre dans les épinards en reprenant du service comme consultants externes.

Après les cris de colère du Parlement, pas seulement de la part des démocrates, Paulson et consorts ont accepté le principe d' un contrôle des décisions du Trésor.

Le prix de rachat des actifs reste la pierre de touche de toute la négociation. Trop bas, il ne résoudrait pas la crise actuelle, car les institutions détentrices et éligibles n' auraient aucune incitation à se défaire de leurs actifs dévalués, certes, mais pas à ce point-là. On risquerait alors d' avoir des banques zombies, sous-capitalisées, avec des bilans dépréciés qui continuent d'opérer sans mourir et sans espoir de rétablissement. Cela peut durer dix ans, comme au Japon dans les années 1990. Si le prix est trop élevé, on récompense l' échec. C'est l'effet d' aubaine total. L' économie de casino a pris en otage le système et au nom du too big to fail, elle quitte la table avec sa liasse de billets et la collectivité récupère un château de cartes écornées.

Pour résoudre ce dilemme, le président de la Fed propose un système de ventes aux enchères inversé. Imaginez, vous êtes sur le site d' American Express. On propose une semaine de vacances à Hawaii dans un cinq étoiles pour 10.000 $. A ce prix-là personne n' en veut. On peut trouver la même chose sur Orbitz pour 2500$. Le commissaire-priseur continue de baisser le prix. Quelqu' un veut-il de mes vacances de rêves pour 5000$ ? Pour 4000$ ? Finalement, le séjour part à 2300$.

Dans la crise actuelle, les produits mis en vente sont beaucoup plus techniques et difficiles à comprendre, d' où le recours aux experts pour estimer leur objet et a fortiori leur valeur. Bernanke, ce matin, expliquait que la structure de défaisance aurait le temps et les moyens de conserver les actifs jusqu' à ce qu'ils arrivent à maturation et que donc leur prix serait proche de la valeur nominale car entre temps, les prix de l' immobilier auraient remonté. C'est comme si le gouvernement de la Hollande du 17ème siècle se voyait dire que s'il conservait les bulbes de tulipes assez longtemps, les prix allaient finir par remonter. Oui, mais au bout de combien de siècles ?

Un autre point qui semble technique mais qui est hautement politique : dans le brouillon de Paulson, le Trésor devenait acquéreur des actifs pourris mais pas des entreprises qui détiennent ces actifs. Lors des épisodes précédents de faillite du système, que ce soit dans les années trente, ou après la crise des caisses d' épargne, la structure de défaisance avait pris le contrôle des banques. Cette fois-ci on joue sur les mots en justifiant de ne pas entrer dans le capital des entreprises secourues en vertu du fait qu' elles n'ont pas fait faillite. De son côté, le Congrès américain réclame qu' un système de warrants soit appliqué pour que si l' entreprise se rétablit, on socialise les gains. Cela a été le cas en 1979 quand le gouvernement avait aidé General Motors. Cela vient d' être aussi le cas pour l' assureur AIG. Si l' entreprise s' en sort, l' Etat devenu actionnaire fera des bénéfices.

On est en est là. L' eau continue de monter, moins 158 points aujourd'hui, mais l' accord est proche.

Deux points restent encore en débat : l' instauration d' un salaire plafond pour les PDG des banques secourues (il pourrait être l' équivalent du salaire du Président des EU, soit 400.000 $ par an) et le pouvoir donné aux juges des faillites de changer les termes des emprunts sur les maisons saisies. Soit en ajustant le montant du prêt à la valeur dépréciée de la maison, soit en touchant aux termes ou au taux d’intérêt.

Le renard libre refuse de signer et est en train de saccager le poulailler. Les poules ne seraient plus libres, où va le monde ? Le Congrès lui répond : ce sera le prix à payer pour qu' il y ait encore des poulaillers.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

vendredi 19 septembre 2008

Chronique n°3 Le Crédit Lyonnais précurseur

Vous vous souvenez du Consortium de Réalisation ? Nous l’ avons tant aimée, la facture du Crédit Lyonnais. Nous étions en 1993, en plein marasme économique, avec une croissance négative (-1,3%) et cette crise de l’ immobilier qui n’en finissait pas. Sounds familiar ? Depuis 1991, le Crédit Lyonnais, première banque du pays, a fait des investissements malheureux et pour masquer la gravité de la situation, il fait de la comptabilité créative.

Finalement, le scandale éclate et une décision politique est prise. On ne va pas renflouer la banque (coût de l’opération 50 milliards d’ euros), on ne va pas la vendre par appartements (coût social et politique trop élevé), on va donc étaler les pertes et exciser du bilan les actifs pourris. Une structure de « défaisance », (les banquiers ont des dons de poètes) est chargée de liquider les actifs au fur et à mesure du possible tout en permettant de nettoyer le bilan financier de la banque immédiatement. Le CDR recevra ainsi plus de 28 milliards d’ euros d’actifs douteux et il lui faudra 11 ans pour achever sa mission. (Fin 2006, le CDR n’ avait plus que 50 millions d’actifs, repris par la Caisse des Dépôts.) Juste pour la petite histoire, tous les actifs n’étaient pas à jeter, et Pinault grâce à son entregent en a bien profité pour rafler des diamants rayés qu’ il a fait polir à nouveau et sertir dans sa couronne d’ empereur.

Le choix fait en 1995 n’ était pas absurde. Au total le coût du renflouement du Crédit Lyonnais n’a été que de 16 milliards d’ euros, à comparer aux 50 si on avait agi dans l’ urgence. La Banque Centrale Américaine est en train de faire la même chose avec une différence de taille : la taille de l’ intervention.

Après s’ être portés au secours de quatre des plus grandes institutions financières du pays, Bears Stearn en mars (30 milliards), Freddie Mac et Fanny Mae (potentiellement 200 milliards chacune) puis AIG avec 85 milliards, après avoir injecté 400 milliards de dollars de liquidités qui avaient été immédiatement absorbées, et ne voyant toujours pas la situation s’ améliorer, le Trésor américain, la Fed et le Congrès se sont rendu compte qu’ il ne leur restait plus qu’à sortir l’arme de la structure de défaisance ; comme lors de la crise des Caisses d’ épargne (Savings and Loans) de 1987.

Créée en 1989, la Resolution Trust Corporation avait récupéré et liquidé 400 milliards d’actifs douteux de plus de 700 caisses d’épargne. En 1995, elle fut absorbée avec une autre agence, la Federal Deposit Insurance Corporation, créée après la crise de 1929 pour garantir les dépôts.

Coût de l’ opération de socialisation des pertes : entre mille et trois mille milliards de dollars.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

jeudi 18 septembre 2008

Chronique n°2 Reality Show à Wall Street TV

Chaque matin, je prends mon petit déjeuner en regardant mon reality-show sur Wall Street TV. Il y a du suspens, de la cruauté, beaucoup d’argent en jeu. Le candidat Morgan Stanley va-t-il se faire virer aujourd’hui ? Et demain, sera-ce le tour du premier de la classe, Goldman Sachs, lui qui semblait si indifférent quand les punitions pleuvaient sur ses petits camarades ? Vous gagniez 17.000 dollars de l’ heure ? J’ en suis fort aise. Et bien maintenant pleurez !

Pour parler de la crise financière actuelle, faut-il filer la métaphore du cancer et de ses métastases, celle de la tragédie grecque, de l’ hybris et de ses héros maudits, celle de l’Apocalypse ou comme j’ ai commencé hier à le faire, celle du tsunami financier ? Peu importe, les mots reflètent la gravité de la situation et la peur qui s’en dégage. Nous sommes en train d’ assister à deux phénomènes : J’expliquais hier que Lehman Brothers avait emprunté l’équivalent de 30 fois son capital. Je n’ai pas précisé que pour Morgan Stanley ce ratio était de 27,6 et pour Goldman Sachs de 23,7. Cet effet de levier (leverage) n’ est pas complètement déraisonnable pour le secteur. Pour donner un exemple les hedge funds ont un ratio de 50. Le problème c’ est que quand tout le monde s’ y met cela fait monter les prix des actifs mais l’ effet de richesse est en grande partie fictif. Il n’ y a réellement création de richesse que si la maison qui est au bout de la chaîne de titrisation est vraiment remboursée jusqu’ au dernier centime par son propriétaire. Sinon, l’effet de levier conduit à ériger des châteaux de carte dans les nuages.

Depuis 13 mois, avec pour le moment trois phases (1ère phase en aout 2007, avec l’explosion du problème des subprimes ; deuxième phase : mars 2008, rachat in extremis de la Bear Stearns ; troisième phase depuis une dizaine de jours), nous assistons au long et douloureux phénomène de deleveraging. Il faut désarmer la dette, comme on désarme un fusil, on cloue un canon. Il faut débobiner la dette qui a des nœuds partout dans un système financier, qui ne tient que par quelques fils. Ma foi, ce ne sont pas des travaux de couture.

La crise ne passera pas tant que le processus de désarmement de la dette n’aura pas eu lieu. Ce n’est pas comme à Orly quand ils envoient un petit robot pour faire exploser le sac à dos au pied de la poubelle tandis que l’ armée maintient un cordon de sécurité. Alors, comment fait-on ? Il faut que les institutions financières liquident les actifs douteux qu’elles ont acheté avec l’argent emprunté. Il faut qu’elles remboursent leurs dettes et reconstituent un coussin amortisseur de fonds propres.

Tout ceci est plus facile à dire qu’à faire. D’abord comment vendre des actifs dont le prix a baissé quand tout le monde vend aussi ? Forcément, la loi de l’ offre et de la demande fait plonger le prix de ces actifs déjà dépréciés. On obtient l’ effet inverse de celui recherché avec une sorte de tunnel infernal qui nous mène droit à plus de catastrophes. C’ est précisément cet effet pervers qui a dissuadé pendant des mois beaucoup d’ institutions de se délester en masse de leurs actifs douteux.

A ce problème s’ en ajoute un autre : le credit crunch. Lorsque vous êtes pris à la gorge par vos dettes, si vous ne pouvez pas vendre l’argenterie pour payer le loyer, vous cherchez à emprunter à n’importe quel prix auprès d’un prêteur sur gages ou de la mafia. Ici, ce n’ est pas un film noir, et la banque centrale a bien étudié son histoire économique, donc elle a injecté d’énormes quantités de liquidités. Cela dit, les sommes semblent chaque jour plus vertigineuses, mais comme le désarmement de la dette continue, on dirait que c’est comme si on arrosait le désert avec une pipette d’ eau. Aujourd’hui la Bourse remonte de 417 points mais la terre aura-t-elle absorbé l’embellie demain matin ?Combien de temps cela va durer ? Le temps qu’il faudra ; car la banque centrale a le droit de battre monnaie. Encore et encore et encore.

Au secours, l’inflation revient. Pour l’instant les conséquences d’ un credit crunch sont plus effrayantes que la possibilité d’ un retour de l’inflation. Il faut éviter d’ une part que la panique ne sape la confiance entre institutions financières et d’ autre part que le renchérissement du crédit ne bloque l’économie réelle : les gens n’ achètent plus de maison, plus de voiture, n’envoient plus leurs enfants à la chère université ; les entreprises n’investissent plus car elles ne trouvent pas de bailleur et donc elles licencient. Il y a deux scénarios possibles pour sortir de cette crise : soit on fait une grande catharsis pendant encore quelques jours. Tout le monde a peur, beaucoup ont mal mais on a purgé le système. Soit on continue le désarmement de la dette par à-coups et ça peut durer un cycle de trois à cinq ans de croissance manquée. Dans les deux cas, ça fait mal. Que se passera-t-il demain sur Wall Street TV ? Je n’ en sais rien. Mais je compte bien me lever au milieu de la nuit pour assister au prochain épisode. Il parait que cette fois, Bush lui-même s’occupe de distribuer de l’ aide aux victimes de l’ouragan financier.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

mercredi 17 septembre 2008

Chronique n° 1 Le renard libre dans le poulailler libre

Un de mes amis artiste plasticien me disait au mois de mars dernier, quand la banque d’ investissement Bears Stern, au bord de la faillite, venait d’ être rachetée pour une bouchée de pain – à l’ échelle du capitalisme- par JP Morgan qu’ il n’ avait pas peur de la crise. Son existence d’ « avant la crise » : il gagnait 21.000 dollars par an en travaillant comme manutentionnaire dans une galerie d’ art, partageait un appartement avec 4 autres personnes dans le quartier bon marché de la Mission et la dernière fois qu’ il avait dû se rendre aux urgences après s’être fait agressé par un toxico en manque, il avait préféré marcher plutôt que d’ appeler une ambulance qu’ il n’ aurait pas eu les moyens de payer. « Come on recession ! I’ll take you on » plaisantait-il. (Approche la crise. Viens que je te casse la gueule).

Bien sûr me direz-vous, la vie de Bohème … Fernande Olivier ne racontait-elle pas dans ses mémoires que Picasso et elle étaient tellement pauvres quand ils vivaient au Bateau-Lavoir qu’une fois elle était restée dans la chambre sans sortir pendant six mois car elle n’ avait pas de chaussures ? Mon pote, lui mange au restaurant indien tous les midis. Mais tout le monde n’est pas prêt à payer le prix d’ être pauvre pour devenir artiste. En fait, les classes moyennes aspirent à assurer la sécurité matérielle à leur famille grâce au travail et à l’ épargne. Le tsunami financier les fera-t-elle basculer dans le cauchemar assisté des travailleurs pauvres ?

La Bourse de New York a perdu 500 points il y a deux jours, en a récupéré 140 hier et va en reperdre 450 aujourd’hui. Elle est tombée sous la barre des 11.000 points, en recul de 35% par rapport à octobre 2007. En 1987, lors du lundi noir, la Bourse avait perdu 22,6% en une seule séance. En 1929, entre le jeudi 22 octobre, le jeudi noir et le 13 novembre, elle avait baissé de 39%. Ne polémiquons pas sur le fait que John McCain, le candidat républicain à l’ élection présidentielle de novembre dit que les fondamentaux de l’ économie américaine sont solides. Le plus important est qu’ en dépit de toutes les mesures introduites pour mâtiner la panique, la situation ne semble pas s’ améliorer.

C’ est la fin d’ une époque. L’ économie mondiale, impulsée par les Etats-Unis a connu plusieurs vagues de laissez-faire et d’ interventionnisme depuis la révolution industrielle. La dernière vague avait été initiée par Reagan au début des années 80. L’ idée était de « libérer les forces du marché » des fers de l’ Etat. Les Chicago boys voulaient tout déréguler, des aiguilleurs du ciel au taux d’ usure, à l’ électricité. Passons sur le fait que leur politique budgétaire était keynésienne (répondre à la crise en soutenant la demande avec du déficit budgétaire, notamment un énorme budget militaire). Passons sur le fait que la politique monétariste qui en luttant contre l’ inflation a surtout favorisé le capital. Concentrons-nous sur l’ Etat-arbitre, sur le fait que les lois anti-trust et les autorités de contrôle ont été en grande partie éviscérées de tout pouvoir régulateur. Bonant malant, la même philosophie hayekienne a prévalu chez les deux partis de gouvernement. Dans l’ euphorie de la croissance, elle a conduit à démanteler, sous Bill Clinton, le Glass-Steagall Act en 1999, qui avait été instauré en 1933 pour protéger les épargnants contre une excessive spéculation et qui interdisait aux banques de dépôt d’ être aussi des banques d’affaires.

Le 11 septembre a forcé les idéologues du roll back the state à faire des fonctionnaires des salariés des aéroports. La crise de l’ électricité en Californie au début des années 2000 a aussi montré que le marché ne savait pas d’ autoréguler. Pour apaiser le public après les scandales de Worldcom et d’ Enron, la loi Sabarnes-Oxley a été adoptée pour créer un peu de transparence dans le marché. A l’ époque, les mêmes ont dit que ces lois créaient un désavantage pour la place de New York et que le capitalisme mondial allait se recentrer sur Londres .

La victoire des Démocrates en novembre 2006 qui disposent de la majorité aux deux chambres, puis l’explosion de la crise des subprimes en août 2007 sonnent l’ heure d’un retournement de balancier.

Il n’ est pas sans ironie que ce soient deux Républicains notoires, le président de la Fed, Bernanke et le Secrétaire au Trésor, Paulson qui se retrouvent à nationaliser les compagnies de refinancement de crédits hypothécaires Freddie Mc et Fanny Mae, et AIG, la plus grande compagnie d’ assurance au monde. Ce pragmatisme s’ explique par le fait que toutes ces institutions sont trop grosses pour les laisser tomber (too big to fail) et que leur faillite risquerait de créer un risque systémique c’ est à dire de faire s’ effondrer tout le système financier.
Ce qui me ramène à ce que Keynes appelait l’ économie de casino. Lehman Brothers dont la Barclays est sur le point de racheter les actifs pour une bouchée de brioche avait emprunté l’ équivalent de 30 fois son capital. Tout comme Merril Lynch et Bear Stearns, Lehman Brothers et les autres banques d’ affaires n’ étaient pas sujettes aux mêmes obligations en termes de ratios sur fonds propres que les banques de dépôts. Après 1999 et l’ abolition de la loi Glass-Steagall, certaines banques de dépôt se sont lancées dans le monopoly, telles UBS ou Citigroup. D’ autres, souvent faute de position concurrentielle et non par désir de modérer leurs profits sont restées sur le bord du chemin et ont gagné moins d’ argent dans le secteur hyper-lucratif des nouveaux instruments financiers. Mais c’ est bien le coussin d’ amortissement de leurs fonds propres qui est en train de permettre à ces banques de dépôt historiques, comme Bank of America ou Wells Fargo de mieux s’ en sortir et même de s’ offrir les dépouilles dorées de leurs concurrents moins chanceux.

Toute cette histoire n’ est pas très morale. Alors que le PDG de Morgan Stanley dont les actions viennent de plonger de 25% et de 55% en un an ramènera à la maison plus de 200 millions de dollars cette année, beaucoup d’ épargnants qui ne sont pas boursicoteurs ont perdu les économies de toute une vie. Si l’ on combine le too big to fail et l’ économie de casino, cela donne la formule suivante : tant que tout ca bien on privatise les profits et quand ça va mal on socialise les pertes. Au final, j’ espère que les Démocrates gagneront les élections en novembre et que la loi qui est le seul instrument efficace pour réguler le marché, la loi rétablira un peu de justice. Entre faible et le fort, c’ est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Combien de temps allons-nous continuer à regarder le renard libre manger les poules libres dans le poulailler libre ?

Gabrielle Durana chroniques du tsunami financier all rights reserved