jeudi 30 octobre 2008

Chronique # 30 : les prions de la finance –fin-

30 octobre 2008

Banques de dépôt, banques d’affaire, banques régionales, caisses d´épargne, elles s’étaient toutes levées pour les CDO. Au 31 janvier 2008, soit six mois après l’éclatement de la bulle spéculative des subprimes, les pertes causées par ce type d’instrument financier basé sur les emprunts immobiliers s’élevaient à 265 milliards de $. La note s’annonçait encore plus salée ; il fallait provisionner. Officiellement, tout était sous contrôle. Les pertes ne concernaient que 2% des contrats, grand maximum.

Puis vint mars 2008, la chute de Bear Stearns, rattrapée au vol par JP Morgan Chase grâce à un cadeau fiscal de 29 milliards, (si vous ne comptez pas en milliards, vous n’êtes pas de ce monde) et causée par des pertes sur deux fonds d’investissement. Merrill Lynch (nous sommes tous cousins dans ce business) avait prêté 90% de l’argent pour acheter les CDO. Quand leur valeur commença à décliner, le portable de Ralph Ciolli, le gestionnaire chez Bear Stearns sonna. « Bonjour c’est Merrill Lynch et c’est pour un appel de marge. Il va falloir me donner plus de garanties ou remettre de l’argent ou on liquide tout. » De l’argent, Bear Stearn en chercha dans ses tiroirs, sous le matelas, dans la poche intérieure de tous ses investissements. Pris à la gorge, il alla se pendre sous un pont mais rencontra la Fed en chemin. Ben Bernanke lui dit : « Va plutôt te vendre à JP Morgan Chase ». Les fonds d’investissements furent liquidés en juin 2008. Merrill Lynch toucha le montant de la braderie 3,8 milliards de $ ; ce qui affecta à la baisse la valeur de ses propres CDO.
Bear Stearns n’était pas la seule institution à avoir des soucis. Depuis septembre 2007, AIG la plus grande compagnie d’assurance au monde, 1 trillion de $ à l’actif, 116,000 salariés dans 130 pays perdait de l’argent ; beaucoup d’argent, une hémorragie d’argent dans une branche employant 377 personnes et située en plein Londres. Des gens de PJ Morgan étaient venus voir AIG Financial Products en 2001 et leur avaient proposé un partenariat : avec la réputation d’AIG, il serait facile de percer dans le secteur du CDO et du CDS. JP Morgan concevrait les produits, AIG les financerait et les placerait auprès de sa vaste clientèle. Le chiffre d’affaire de l’unité londonienne quadrupla en 6 ans, passant de 737 millions de $ en 1999 à 3,26 milliards en 2005. En 2002, le bénéfice d’exploitation s’élevait à 44% du chiffre d’affaire. En 2005, il dépassait les 80%. Les rémunérations du casino s´étalaient de 423 millions de $ par an à 616 millions ; l’histoire ne dit pas combien gagnait la secrétaire. Le portefeuille de CDS à lui seul représentait 500 milliards de $ et rapportait en « primes d’assurance » 250 millions par an. C’était de l’argent facilement gagné puisque le risque de défaillance de toutes ces bonnes et solides entreprises était extrêmement faible.
A la fin d’ un trimestre de triste mémoire, le 30 septembre 2007, AIG dut admettre qu’elle avait perdu 352 millions sur les CDO. Ceci entraîna une réaction en chaîne. La note sur la qualité de la dette fut immédiatement abaissée. Tout à coup, cela coutait plus cher d’emprunter et tous les gens qui s’étaient contentés de votre réputation en guise de garantie vous passaient un coup de fil. L’appel de marge en septembre 2007 fut de 15 milliards de $. Le cours de l’action commença à dégringoler. Tandis que la situation dans l’immobilier s’aggravait, AIG perdit 7,8 milliards au premier trimestre 2008 et 5,3 milliards au second. Qu’il était loin le temps des bénéfices trimestriels de 4 milliards ! Au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, et alors que s’approchait la fin du troisième trimestre, la Fed dut proposer aux dirigeants d’ AIG un prêt/nationalisation de 85 milliards, afin d’empêcher la chute d’un deuxième astéroïde ; surtout que la faillite d’AIG aurait causé une perte automatique (à cause du système des contreparties) de 20 milliards de $ chez le cousin Goldman Sachs.
Il n’y eut donc qu’un seul astéroïde à toucher la Terre cette semaine-là. La faillite de Lehman Brothers n´était pas seulement un événement énorme à cause du montant des créances : 150 milliards de $. La défaillance de cette grande banque causait aussi le déclenchement de tous les CDS qui avaient été passés sur sa tête en cas de décès. Il y en avait pour 360 milliards.

Comment pouvait-t-il y avoir plus de CDS que de dettes ? Le CDS n’était-il pas un instrument de couverture contre les risque d’insolvabilité d’ un partenaire commercial ? En fait, dans le marché dérégulé des credit derivatives (=produits financiers dérivés portant sur des prêts), les queues se promènent sans les chiens. C’est l’équivalent de vous pouvez prendre une assurance au cas où c’est votre voisin qui est cambriolé. Dans le cas de Lehman Brothers, 210 milliards de $ de CDS avaient été achetés pour des raisons purement spéculatives.
D’ après la Banque des Règlements Internationaux, en 2007, les produits dérivés représentaient 1.14 quadrillions de $. Un quadrillion c’est entre les trillions et les quintillions, dont vous aviez seulement entendu parler dans la bouche du commandant du Star Trek. Un quadrillion équivaut à mille trillions. Sur les 1,14 quadrillions de $ de produits dérivés, 548 trillions de $ sont cotés sur des marchés établis et régulés et 596 trillions de $ sont des produits échangés over the counter, sans aucune régulation, ni supervision ni même catalogage. Vous trouverez les données du quatrième trimestre de 2007 que je cite ici :

http://www.bis.org/statistics/otcder/dt1920a.pdf

Comment de tels chiffres sont-ils possible ? Quand vous achetez une action, vous avez trois jours pour régler votre opération. Si vous voulez acheter en empruntant, vous avez des règles. Dans les marchés dérégulés, il n’y a pas d’acompte minimum, vous pouvez donc acheter avec très peu ou pas d’argent sur la table. Il n’y a pas non plus de garanties exigées. Par exemple si dans un CDS, vous êtes la contrepartie qui s’engage à payer, personne ne vérifie que vous aurez les reins solides. Personne ne garde trace d’où sont passés les produits dérivés OTC ; les données publiées par la BRI proviennent de déclarations volontaires.

Mais quand même, les chiffres sont tellement astronomiques qu’ils en deviennent absurdes. Plusieurs centaines de fois le PIB de la Terre, est-ce de l’argent fantôme ?
Prenons l’exemple d’un CDS Morgan Stanley.

D’ abord il faut comprendre que comme il n’y a pas de bourse qui centralise les CDS, c’est comme si vous vouliez acheter ou vendre une bague ; il faut que vous alliez la proposer à différents endroits et voir ce qu’on vous en offre. Des entreprises spécialisées, comme Markit Intraday ou Phoenix Partners Group établissent chacune leur index avec des cotes. Au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, un CDS Morgan Stanley à 5 ans coûtait 7,5% du montant assuré. Donc si vous étiez disposé à payer 750.000$ par an pendant 5 ans, si Morgan Stanley faisait faillite, la contrepartie vous rembourserait 10 millions de dollars. (7,5% de 10 millions = 750.000). Il y a trois jours vous pouviez obtenir la même chose pour moins cher : le CDS Morgan Stanley chez Phoenix Partners Group était tombé à 400 points de base soit 4%. Il vous en coûtait donc 400.000 $ par an pendant cinq ans pour assurer 10 millions. Le chiffre de 1.14 quadrillions est le résultat des valeurs nominales (notional value) de tous les contrats. Si Goldman Sachs détient 2 milliards de $ de CDS Morgan Stanley et est la contrepartie à hauteur de 2 autres milliards dans des CDS Morgan Stanley, cela fait 4 milliards de CDS dans la comptabilité des derivatives de la BRI alors qu’en réalité les deux opérations s’annulent.
La Depository Trust and Clearing Corporation (DTCC) est la chambre de compensation par laquelle transitent la plupart des opérations effectuées sur les marchés dérégulés, over the counter. Ce n’est pas une banque parce qu’elle ne prête pas, ne vend rien. Elle se contente de compenser les montants entre différents intermédiaires, comme quand vous déposez un chèque Société Générale sur votre compte à la BNP. Ce n’est pas non plus une bourse car elle ne cote pas les produits financiers.
Au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, la DTCC demanda à tous les titulaires de CDS de les lui présenter. Personne ne savait exactement combien il y en avait, ni s’ils étaient aussi les shortsellers de l’action, mais bon l’histoire n’ est pas morale, vous l’aviez déjà remarqué. Personne n’avait idée de rien.

Après avoir établi le montant de 360 milliards de CDS Lehman Brothers, la DTCC les a compensés pour calculer les montants nets qui devaient changer de mains. Le chiffre était redescendu à 5,2 milliards. Enfin, le juge des faillites avait liquidé les actifs de Lehman Brothers et en avait obtenu 8,2 centimes du dollar. Les détenteurs de CDS seraient donc indemnisés à hauteur 91,8 centimes pour un dollar.

Si vous déteniez une créance de 10 millions contre Lehman Brothers, vous receviez un peu plus de 9 millions grâce l’achat du CDS. Sans lui, vous auriez touché un peu moins d’un million du juge des faillites. Si vous n’aviez pas de créance mais juste le CDS, votre petit investissement de quelques milliers de dollars (cinq ans c’est long et il fut un temps où l’entreprise semblait solide, donc le CDS était donné) venait de vous rapporter 9 millions ; sauf si votre bénéfice se trouvait annulé par des opérations que vous aviez émises dans l’autre sens.

Le prion s’en était donné à cœur joie. Ah, vive la maladie de la finance folle !

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved

mercredi 29 octobre 2008

chronique #29 : les prions de la finance –deuxième partie-

Errata : Le mot « romaine » est un anglicisme. Le vrai nom en français est chicon et c’est effectivement une laitue romaine. Le terme désigne aussi une endive chicorée de la région de Bruxelles.

La Derivatives Oversight Agency dont je parlais hier n’existe que dans mes rêves. L’agence actuelle s’appelle la Commodities Futures Trading Commission et comme son nom l’ indique ne surveille qu’ une partie du marché des produits dérivés : les futures sur les matières premières et les options sur les actions. Elle a son siège à New York avec des antennes à Chicago et à Kansas City.

29 octobre 2008

Laissons rêver le prion qui dort. Je voulais tout de suite le réveiller pour faire monter le suspens, mais sauter dix ans d’incubation pose un problème épidémiologique. On a l’impression que la maladie se déclare un beau jour et tout le monde est très étonné. En fait, Bistro et ses petits frères tombaient tout le temps malade.

J’ ai utilisé jusqu’ à présent la métaphore de la salade. Je vous propose de la remplacer par celle de la lasagne ou du tiramisu ou même de parler comme les banquiers, par tranche :
Les prêts qui servent de référence dans un CDS sont en fait segmentés suivant leur qualité. Soit un joli plat à four en céramique de la marque Le Creuset ; vous n’allez pas attirer le chaland avec un plat en étain. Tout au fond, vous placez la bouillie de vos prêts les moins sûrs. Cette tranche s’ appelle l’ equity layer et elle ne reçoit pas de note parce qu’elle serait mauvaise et donc dissuasive. Puis vous allez poser la couche du milieu, la mezzanine layer, qui contient des prêts de référence notés de AA à BB, eux aussi finement hachés. Enfin, vous aviez réservé la meilleure tranche, la senior layer, qui est liée à des prêts de qualité supérieure, qui ont tous reçu la note AAA. Les concepteurs de Bistro avaient rajouté un glaçage à leur beau gâteau : la super senior layer, qui n’avait que des noms d’entreprise de premier ordre, la crème de la crème, c’est bien le cas de le dire.

Chaque tranche reçoit une rémunération inversement proportionnelle au risque.
Avant de distribuer Bistro auprès des clients, il fallait aller à la pêche aux notes. Ils achèteraient même si ils n’y comprenaient pas grand-chose, à condition que quelqu’un qui s’y connaissait ait donné son aval. Imaginez un laboratoire pharmaceutique qui modifierait les résultats d’expérience jusqu’à ce que les données statistiques confirment les hypothèses. C´était presque la même chose. Standard & Poor’s faisait tourner le produit sur ses ordinateurs et invariablement la modélisation mathématique concluait que Bistro ne valait pas un clou. Il y avait trop de risque. Les forts en maths de chez JP Morgan reprenaient leur copie. Ils revenaient un peu plus tard en ayant changé quelques paramètres. Toujours trop risqué. Ils repartaient faire d’autres ajustements. Puis ce fut bon. Les ordinateurs de Standard & Poor’s se mirent à obéir : les différentes tranches avaient au maximum un risque BB.

Je saute des épisodes mais disons que d’emblée les problèmes éclatèrent dans la tranche mezzanine et dans la tranche du bas. JP Morgan ne pouvait pas l’ignorer puisqu‘ils avaient conservé cette dernière. Même les tranches supérieures donnèrent des nuits sans sommeil à leurs détenteurs.

Bistro II connut plus de pertes encore. Mais, sans peur et sans reproche, JP Morgan se lança dans l’industrie du CDS ; imité par toute la profession.

L’une des raisons pour lesquelles les instruments n’étaient pas aussi mirifiques que prévu résidait dans le droit que les entités émettrices de CDS retenaient de changer les prêts qui servaient de références ; du moment que le nouveau prêt et l’ancien avaient reçu la même note. Avez-vous déjà acheté une voiture d’occasion ? Le vendeur a un avantage sur l’acheteur, comme la banque, il sait ce qu’il y a sous le capot. Cette asymétrie d’information crée un risque moral. Et les banques ne se sont pas gênées pour déverser leur dépotoir dans le plat Le Creuset, avant qu’il cesse de s’appeler triple-A.

Mais comme les forts en gouaille avaient bien fait leur travail de tenir le gouvernement et les agences de régulation à distance, comme les malfaçons ne se révéleraient que dans l’ avenir et comme ces produits n´étaient pas appelés à rester sur les livres de la banque mais au contraire à être vendus le plus vite possible, ce fut un franc succès.

La finance ayant une imagination et une insatiabilité commensurables, en 2003, elle se mit à confectionner des produits dérivés des emprunts immobiliers et à les servir en titres, ce furent les Collateralized Debt Obligations.

Les CDS et les CDO sont tous nés de la même matrice. Bistro était censé vacciner contre les risques en les mutualisant. Au lieu de se rendre compte qu’elle venait d’ inventer une nouvelle maladie, JP Morgan laissa sortir le patient zéro. Les autres banques lui demandèrent un peu de salive et se précipitèrent pour la mettre en culture.

Le milliardaire Warren Buffet, aussi appelé sans rire, « l’oracle d’ Omaha », (un trou perdu dans le Nebraska –j’ espère que je n’ aurais jamais à boire mes paroles), avait prophétisé dans une lettre à ses actionnaires en mars 2002 que les « produits financiers dérivés sont des armes de destruction massive». Il expliquait comment elles semblaient protéger contre le risque au niveau micro-économique et comment elles le transmettaient en le disséminant au niveau macro-économique.

Muriel, dite Mickie Siebert, 76 ans, la première femme trader à avoir travaillé pour elle-même à Wall Street rappelait en décembre 2002, devant la commission d’enquête du Sénat américain constituée pour éclaircir les origines du scandale Enron qu’elle était déjà venue avertir des dangers des produits dérivés en 1988 et en 1998.

Elle citait donc ses propres paroles. En 1988, suite à la crise de 1987, elle disait que les contrats à terme sur actions – communément appelés futures- « étaient devenus la queue qui faisait remuer le chien » (« futures have become the tail wagging the dog »). Et de montrer comment les logiciels de trading automatique sur le marché des futures avaient provoqué l’effondrement du cours des actions de 22,6% en une seule séance. Ces logiciels furent modifiés. En 1989, les autorités de régulation installèrent une série de disjoncteurs qui servent encore de nos jours.

Dix ans plus tard, en 1998, un hedge fund appelé Long Term Capital Management failli faire exploser le système, de nouveau à l’ aide de produits financiers dérivés. Avec de l’ argent emprunté (effet de levier de 1 à 100), le fonds avait misé pour 1 trillion de $ au Forex sur la valeur future des monnaies. La situation ne manquait pas de piquant, si j’ose dire, puisque Robert Merton et Myron Scholes qui avaient reçu le prix Nobel d’Economie l’année d’ avant pour leur contribution théorique aux marchés des produits dérivés siégeaient au conseil d’administration de LTCM.

Puis vint le scandale Enron en 2002 sur le marché totalement dérégulé de l’énergie ; un autre marché Over The Counter. Enron pour faire du chiffre émettait des opérations dans les deux sens. Pendant ce temps, Bush rongeait son frein pour partir libérer le pétrole en l’Irak. Ces opérations dans les deux sens étaient légales sur un marché OTC mais auraient été interdites à la bourse, car libellées ventes fictives (wash sale).

Trois crises, trois types de produits financiers dérivés, trois appels à la régulation dans le désert. Enfin, deux, car en 1987, il y eut de vrais changements visant à préserver le système. On voit bien que même les thuriféraires de la Bourse ne croient pas en l’éthique du capitalisme pour prévenir les abus.

Mais revenons à la lettre de Warren Buffet à ses actionnaires. Il leur expliquait comment à l’ occasion d’un rachat d’entreprise, il s’était retrouvé avec une branche derivatives (=produits dérivés). A cause du système des contreparties (vous vous engagez à couvrir un risque pour quelqu’un d’autre) et parce qu’ il s’ agit d’ opérations dans le futur parfois lointain, la réassurance et les produits financiers dérivés sont comme l’ enfer, il est très facile d’ y entrer et presqu’impossible d’ en sortir.

Warren Buffet voulait se débarrasser de cette unité, coûte que coûte. A son arrivée, General Re Securities était la contrepartie en tant qu’acheteur ou vendeur dans plus de 23.000 opérations. Montant : 1 trillion de $. Une de ses équipes s’attela à la tâche de dénouer les rets de ces produits dérivés qui liaient tant de variables ensemble que les chances que le risque se produise étaient démultipliées. A la fin, en étant extrêmement prudente, l’ équipe avait quand même perdu 200 millions de dollars sur 500 trades. 98% des opérations étaient RAS et 2% létales.

Maintenant prions, car le prion se réveille.

Gabrielle Durana

Chroniques du tsunami financier
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Chronique n°28 Les prions de la finance (première partie)

Quand j'habitais en France, je donnais mon sang trois ou quatre fois par an. Ayant suivi l'affaire du sang contaminé de l'apparition du SIDA jusqu' au procès d'indemnisation des victimes, j'ai toujours voulu rendre service à la collectivité avec mon précieux liquide O négatif. Le Prix Nobel d'économie de 2005 a été attribué à Kahneman (toujours en vie) et Tversky (à titre posthume) pour avoir démontré que l'acte de donner peut être rationnel et qu'il s'explique par le fait que celui qui donne, loin de s'appauvrir accroît son bien-être d'un sentiment de chaud au cœur (warm glow). Inconsciente de mon altruisme impur, un jour je vois un camion de la transfusion sanguine dans les rues de San Francisco. Je frappe à la porte.

On me fait asseoir et on me tend un long questionnaire à remplir. Un quart d'heure plus tard, la dame me propose des petits gâteaux et me dit : « Désolée, on ne peut pas vous prendre ». Mon anticipation du warm glow suspendue à ses lèvres, je la regarde incrédule. «Vous avez vécu en Europe dans les années 80 et avec la maladie de la vache folle, on ne peut pas prendre de risque.» J'essaye de lui expliquer que dans ma jeunesse rebelle, pléonasme, j'étais végétarienne. Rien à faire. Elle me retend des petits gâteaux. Je repars avec mes bons sentiments en bandoulière.

Si seulement le gouvernement américain et les gendarmes de Wall Street et de Chicago (« Washington », comme on dit aux Etats-Unis, en faisant un prix de gros) avaient fait montre d'autant de précautions, la crise de 2007-2008 n'aurait probablement pas eu lieu.

Tenez, allons au bistro.

Au lendemain de la crise asiatique de 1997, la banque JP Morgan prend conscience qu'elle a accordé beaucoup de prêts à des débiteurs médiocres. John Pierpont Morgan, le banquier qui en 1907 avait enfermé une vingtaine de collègues dans sa bibliothèque sur Madison avenue jusqu'à ce qu'ils résolvent la panique financière, s'était endormi sur ses lauriers. En clair, la banque perdait de l'argent avec certains gros clients à qui elle ne pouvait pas dire pour des raisons de fidélité d'aller bancoter ailleurs.

Le problème résidait dans le fait que les prêts restaient sur ses livres pendant des décennies. Tant qu'ils n'étaient pas arrivés à échéance, les fonds propres étaient réservés et elle ne pouvait pas en faire d'autres plus lucratifs. Elle avait aussi accordé des lignes de crédit (c'est-à-dire des promesses de prêts), pour lesquelles elle était rémunérée faiblement mais qui, lors d'une autre crise, pouvaient toutes être activées en même temps et causer de lourdes pertes.

La mission reçut le nom de code «Transformation du Crédit». Elle regroupait des banquiers, des forts en maths et des forts en gouaille. Leur idée fut de combiner deux choses qui ne l'avaient jamais été : la titrisation- l'acide chloridrique- et les produits dérivés de crédit - l'aluminium.

La titrisation, vous vous en souvenez, c'est l'acte de mélanger les différentes sortes de salades et de les déchirer en petits morceaux puis de les servir dans des bols qui ne demandent qu'à circuler. La titrisation (securitization) n'a pas été inventée par JP Morgan. En fait, elle a valu à Robert Merton et à Myron Scholes leur prix Nobel en 1997 pour des recherches publiées en 1966.

Les gens adorent ce genre de bols parce qu'ils garantissent un revenu en étalant le risque sur la laitue, la roquette, la romaine et les épinards. Donc si le cours des épinards monte et que celui de la laitue baisse, grosso modo, ça s'équilibre et vous continuez à gagner sur votre investissement. Le groupage vous donne une certaine sécurité, d'où le nom anglais des titres (securities).

Les produits dérivés existaient aussi. Lors de notre visite à la Chicago Board Of Exchange, nous avions joué avec l'action de Morgan Stanley à coup de calls (option qui me donne le droit, mais pas l'obligation d'acheter) et de puts (option qui me donne le droit, mais pas l'obligation de vendre). Puis dans la queue pour les taxis à l'aéroport de Guarulhos, en route pour la Bovespa, nous avions parlé de la manière dont les entreprises peuvent se protéger contre les risques de change en achètant des puts ou des calls sur les devises dans lesquelles sont libellés leurs contrats. De même, quand on dit que les prix du pétrole remontent ou qu'ils baissent, en réalité on parle de futurs barils dont on prendra possession deux ou trois mois plus tard. C'est la même chose pour le reste des matières premières.

A l'instar des tee-shirts et des figurines des Simpsons qui n'ont de raison d'être que par l'existence télévisuelle du dessin animé, les produits dérivés de la finance sont basés sur un produit financier principal : une action, une devise, une matière première, ou… un prêt.

L'innovation de JP Morgan était à double détente. D'abord, au lieu de mettre un prêt en particulier dans le saladier –mettons le contrat à vingt ans, numéro 9999 signé par General Motors pour construire une usine – JP Morgan y versait une partie de son exposition au risque si General Motors faisait faillite. Mettre le prêt dans le saladier aurait été mettre un produit financier principal; si je mets l'exposition au risque de défaillance du même prêt (a fortiori de l'entreprise tout entière), c'est un produit dérivé du prêt.

La variété spécifique de feuille verte que l'équipe de JP Morgan s'apprêtait à verser, avant de touiller, s'appelle des Credit Default Swaps.

Voici comment marche un CDS : la personne A et la personne B font un pari sur les chances de survie de la personne C. B paye A. A payera B s'il arrive malheur à C. B peut céder son droit d'être payé par A à qui il veut. A peut vendre son obligation de couvrir B à qui il veut aussi. Personne ne garde la moindre trace d' où sont passés les contrats.

On verse dans le mixeur tous les CDS de JP Morgan. Dans chaque verrine, maintenant, vous avez un petit bout de risque si General Motors fait faillite, un petit bout de risque si IBM fait faillite, un petit bout de si Lehman Brothers fait faillite, en tout 300 entreprises. Servez-vous et faites circuler.

Les investisseurs qui ont acheté les petits bols étaient devenus les assureurs de JP Morgan, si n'importe laquelle des 300 entreprises faisait faillite.

Après avoir utilisé les talents des forts en maths, JP Morgan eut recours à ses forts en gouaille pour persuader les autorités de régulation bancaire et les agences de notation que leur invention était géniale et sans risque, puisque précisément on mutualisait le risque. Notez l'absence totale du gendarme de la Bourse; les produits dérivés qui ne sont pas cotés à Chicago ne sont pas régulés par la Dérivative Oversight Agency. (C'est comme si on disait que la police ne s'occupe de la drogue que quand elle est vendue en pharmacie.) Ces contrats dont personne ne garde trace, se vendent de gré à gré (Over The Counter, littéralement en les posant sur le comptoir) exactement comme vous vendriez vos livres chez Gilbert Jeune.

L'opération de vente des CDS portant sur les 300 entreprises au bilan de JP Morgan reçut le nom de Broad Indexed Secured Trust Offering, soit l'acronyme BISTRO. Remarquez bien tous ces termes qui sont là pour vous tranquilliser : secured (garanti), trust (confiance), broad (vaste). Les obligations Bistro furent placées en décembre 1997 auprès des autres banques et des compagnies d'assurances. Elles remportèrent un succès total.

Même si leurs prêts étaient toujours sur les livres, la banque s'était débarrassée de 9,7 milliards de risques liés à des défaillances de ses clients médiocres. Les CDS n'apparaissaient nulle part, sauf dans la comptabilité hors-bilan. Elle avait aussi récupéré du cash en touchant toutes les "primes d'assurance". De fait, JP Morgan a utilisé cet argent pour racheter ses actions en bourse (quand le capital est moins dilué, chaque actionnaire reçoit plus de dividendes ; il est très content donc il garde ses actions).

Deuxième partie de l'innovation (sic) : on arrête de faire de l'artisanat, on se lance dans l'industrie du CDS.

Après le succès de Bistro, JP Morgan se dit qu'il pouvait monter une chaîne de fabrication de CDS et les vendre à grande échelle. Il suffisait pour cela d' une part que le gouvernement et les autorités de régulation boursière, bancaire ou de contrôle des assurances ne se mêlent pas de son business florissant. Et d' autre part de fabriquer des produits par marque. Vous faites des affaires avec IBM, donc vous avez besoin d'un CDS IBM. Si vous avez beaucoup de relations avec Sony, je vais vous concocter un CDS Sony. Etc.

Tout le monde se mit à copier JP Morgan. En 2001, le marché des CDS représentait 900 milliards de $. Les gens achetaient sans bien comprendre, mais comme les autres achetaient aussi. En 2007, ils avaient crû pour atteindre 62 trillions. Oui, oui, 62 trillions.

Maintenant que les CDS touchaient toutes les grandes entreprises de la terre, le prion n'avait plus qu'à se réveiller.

(à suivre)

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lundi 27 octobre 2008

Chronique n° 27 Les banquiers qui ont vu l'ours

La semaine s' achève avec un Dow Jones à 8.378 points, un niveau encore plus bas que le 10 octobre. A 8.451 points il y a dix-sept jours, la Bourse avait cru vivre son Waterloo.

Rétrospectivement, ne s'agissait-il que d'un Trafalgar ? La peur ne part pas; le VIX atteignait 87.3 vendredi, avant de clôturer à presque 80. Et si nous avions tout faux. Et si c' était Stalingrad, 1812, un long et interminable bourbier?

Combien de temps va encore durer le processus de capitulation? Vendredi, la raison affichée pour tant de pessimisme était justement la prise de conscience mondiale que nous étions entrés en récession, c'est-à-dire dans une phase de croissance nulle ou faiblissime. La cause tout aussi réelle de cette chute sans fin est que les acheteurs ont du cash mais sont en grève.

Alors où en sommes-nous? Tout d' abord les pertes des banques européennes sont seulement en train d' être connues. En outre, les Bourses d'Asie encaissent les mauvaises nouvelles d'une demande occidentale atrophiée. Enfin, aux Etats-Unis, le dollar remonte, devise refuge tandis que l'élection présidentielle dans onze jours laisse tout en suspens.

Vous vous souvenez de l' Ours et du Taureau ? Le taureau (=bull) était le symbole du marché haussier (bullish market), de la bourse qui va bien. L' ours (=bear) incarnait un marché baissier(bearish market) ou déprimé. La ménagerie boursière compte une variété d'espèces. Quand le taureau hiberne, suivant les années, trois types d'ours sortent de leur tanière. Aucun n'est en peluche, mais certains peuvent faire plus de peur, d'autres plus de mal.

L' ours cyclique (cyclical bear) est un marché où la variation entre le zénith et le nadir avoisine 20 à 25%. C'est un ours noir, il nous fait très peur mais il n' est pas dangereux.

L'ours séculaire (secular bear) est un marché dans lequel la baisse entre le point culminant et le fond représente une chute de 45 à 50%. Cet ours-là est un redoutable prédateur.

L' ours dévastateur (devastating bear) est le grizzly de la valeur boursière. La chute atteint entre 75% et 90%. L' effondrement des valeurs japonaises dans les années 1990 ou la liquidation actuelle des actions chinoises détenues par les non-résidents (dites « actions A »; celles détenues par les Chinois sont appelées « actions B » et ne se mélangent pas) sont des exemples récents de marchés baissiers dévastateurs. L' autre exemple, inoubliable, est la crise de 1929 à 1933.

La crise actuelle semble relever de la deuxième catégorie avec une nette baisse à -45%. L'histoire économique depuis la Seconde Guerre mondiale nous enseigne qu'on peut toucher le fond de différentes façons. Parfois, on a une capitulation dans un wagon à Rethondes. Parfois, la fin d'un marché oursier (sic) se fait sans fanfare, dans un tarissement lent et peu concluant, comme en décembre 1974.

La crise des « point.com » après l'éclatement de la bulle liée aux valeurs technologiques en avril 2000 relevait d' un processus spéculatif. L'agonie s'est prolongée du fait d'un choc externe, les attaques du 11 Septembre. Donc ce n'est pas un très bon exemple.

Disons que les ours cycliques causent un ralentissement mais que la croissance finit par repartir. Dans le cas des ours séculaires, la trajectoire de la croissance est déviée. Les ours dévastateurs sont des ours séculaires devenus incontrôlables; la croissance est totalement disloquée.

Un ours devient dévastateur quand le gouvernement n'intervient pas, ou trop peu ou trop tard. Nous venons d'assister à un carnage dans les règles sur le marché des actions chinoises de type-A. Un exemple parmi des centaines, China Mobile, la plus grande entreprise de téléphonie portable au monde avec 400 millions d' abonnés, a vu le cours de son action baisser de 75% en un an. Le gouvernement ne s'est senti interpelé qu'après qu'on ait franchi l'abîme des moins 65%.

Lors de la Grande Crise des années 1930 (the Great Depression, comme ils l'appellent aux Etats-Unis), la Banque centrale avait commencé à resserrer la politique monétaire dès 1928-1929. Après le krach, Il y eut un credit crunch. Craignant l' apparition de l' inflation, la Fed, elle, a continué son bonhomme de chemin et encore plus contracté la masse monétaire en relevant les taux.

En général, la métamorphose d' un ours séculaire en ours dévastateur suit une grosse faillite qui met en péril tout le système.

Lors de la Grande Crise, l'astéroïde qui est tombée sur la Bourse s'appelait la faillite de la Bank of United States, le 11 décembre 1930. A l' époque, quand une banque mettait la clef sous la porte, il n' y avait aucune garantie des dépôts. (Le FDIC aux Etats-Unis sera justement créé en juin 1933 pour parer ce genre de catastrophe). 500.000 déposants perdirent tout leur argent.
La suite de l'histoire est triste et douloureuse. La récession devint une dépression. Le gouvernement n'est intervenu qu' en 1933, soit 3 ans et demi après la chute de l'astéroïde. 25% des Américains étaient alors au chômage. La déflation avait ruiné l' économie. En Europe, les Nazis en avaient profité pour conquérir le pouvoir en toute légalité.

La chute de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 est l' équivalent de la faillite de la Bank of the United States. Elle a causé des effets irréparables dans le système. Mais les autorités ont réagi d'une manière très différente par rapport à 1930. La Fed a immédiatement injecté des liquidités. En se mettant à prêter à court terme, aux entreprises et aux banques, son bilan aura triplé de volume en quelques semaines. Pendant la Grande Crise, il s'était contracté de 25%.

Si les Démocrates gagnent, il y aura un plan de relance, évalué entre 150 et 300 milliards de dollars. Le déficit budgétaire pourrait atteindre 1 trillion de dollars pendant deux ans (soit 7% du PIB), pour ne redescendre que lentement. S'il est vrai que Bush avait hérité de Clinton un excédent budgétaire, le déficit des Etats-Unis n'est pas alarmant en soi. Il s'élevait à 162 milliards en 2007; 455 milliards sont prévus en 2008, soit 3,2% du PIB.

La combinaison des deux armes, monétaire et budgétaire, devrait juguler l'ours séculaire et l'empêcher de se métamorphoser en ours dévastateur.

Il faut se rappeler qu' à la fin de la deuxième guerre mondiale, le déficit budgétaire représentait plus de 10% du PIB américain et que le ratio dette/PIB dépassait les 100%. On ne tue pas un grizzli avec des mouches.

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dimanche 26 octobre 2008

Chronique n°26 Tout ce que vous vouliez savoir sur les subprimes sans oser le demander

Si vous avez raté les quinze premières minutes, vous vous demandez pourquoi les personnages sont accrochés à un radeau, ils dérivent loin de la lagune et crient dans une langue inconnue « subprime, subprime ! ». Plutôt que de rembobiner la cassette, je vous invite à manger une salade.

L'entrée du restaurant est flanquée de colonnes doriques. On lit sur le fronton : «Put your mouth where your money was» (=mettez votre bouche là où avant vous mettiez votre argent). Au Ventre du banquier, il faut attendre quand on n'a pas de réservation.

Un banquier avait pris tous ses emprunts immobiliers et les avait déchirés avec les doigts pour en faire une grande salade. Dedans vous aviez de la laitue, de la roquette, de la romaine, des feuilles d'épinards. Quand il eut fini de tout mélanger, les morceaux étaient devenus tellement petits qu' on avait du mal à les reconnaître. Ensuite, il a servi dans des verrines. Les clients ont adoré. Le monde entier en voulait. Il y avait la queue devant son établissement, pire que chez Berthillon sur l'Ile Saint-Louis.

Les autres banquiers se sont dit «Eh, quelle est sa recette? Copions-la!». Toute la finance se mit à faire des grandes salades, à les déchirer en tous petits morceaux et à les servir à la haute populace affamée.

Un jour, une dépêche Reuters tombe : certaines des feuilles sont souillées par un colibacille indétectable et radiorésistant. Vous en mangez, c' est fichu, vous mourez.

Alors tous les banquiers de la terre n'ont plus voulu toucher aux bols de salade. Les champs de laitue, de roquette, de romaine ou d'épinards se mirent à pourrir sur pied. Plus personne ne voulait les récolter; même avec des gants. De toutes les façons, les clients feraient la grève de la salade.

Le colibacille c'est le prêt immobilier subprime, fait à des gens qui clairement ne pouvaient pas rembourser. Le bol de salade c'est le ballot de prêts. Le geste de les déchirer puis de les servir en verrine c'est ce qu' on appelle la titrisation.

La serveuse nous précède. La salle est pavée de marbre multicolore. Les fenêtres ovales ramènent la lumière. Elle se faufile entre les tables et nous désigne celle dans l'angle. Le coffre-fort a été transformé en cuisines. Elle attend pour nous présenter les menus. Tandis que vous me demandez de traduire certains termes, je vous raconte que mes salades, je les tiens de la meilleure émission de la télévision américaine: Charlie Rose sur PBS, tous les jours de minuit à une heure du matin. Cette émission est tellement célèbre qu' elle est reprise dans les films. Un exemple récent: Elegie avec Pénélope Cruz dans une mise en scène d'Isabel Coixet; le professeur, un intellectuel renommé, y est interviewé par un faux Charlie Rose. Jeudi soir, le vrai Charlie Rose avait invité David Smick, l' auteur d' un livre au titre à la noix, The World is curved, qui vient de sortir. C'est la meilleure explication en langage accessible que j' aie entendu sur la genèse de la crise; et si vous parlez anglais, je vous invite à écouter l'entretien intégral:

http://www.charlierose.com/shows/2008/10/23/2/a-conversation-with-david-smick

Mais tandis que nous attaquons la salade, je me mets à vous décortiquer le rêve américain: la maison individuelle manucurée, dans une banlieue sans trottoir que les méchantes langues appellent Suburbia, comme si en sortant de la ville, vous vous rendiez à l'étranger. Les trois garages, la family room, et toutes les autres rooms dont vous n' avez jamais entendu le concept : le den (pièce du père de famille, littéralement la tanière), l'entertainment room (la salle télé), la library (la bibliothèque), tapissée de fausses reliures.

Aux Etats-Unis, 75,5 millions de ménages habitent dans leur maison et en sont propriétaires. Avec la baisse des prix de l'immobilier, qui dans certaines zones peut atteindre 30%, 12 millions de ménages soit 16%, se retrouvent à devoir à la banque plus que ce que ne vaut leur maison. En 2006, ce chiffre était de 4%. En 2007, il s' élevait à 6%. Parmi les gens qui ont acheté ces cinq dernières années, 29% sont dans cette situation.

Au 30 juin 2008, 9,16% des prêts immobiliers portant sur une à quatre habitations étaient en retard de paiement ou avaient atteint la phase de saisie. En 2007, ce chiffre s' élevait à 6,52%, un record depuis quarante ans. La plupart des emprunts aujourd'hui en souffrance ont été octroyés entre 2006 et 2007, au moment où le gouvernement Bush a fait pression parce qu'il voulait une nation de petits propriétaires, mais sans la politique sociale du logement, pour que Fannie Mae et Freddie Mac acceptent de donner leur caution à des dossiers de moins en moins bons, tandis que les prix continuaient de grimper.

Il y avait plusieurs catégories d'emprunts : les conforming loans qui remplissaient toutes les conditions en termes d' apport personnel et de justificatifs de revenus et qui ne dépassaient pas 417.000$ (625.000$ dans les régions chères). Puis il y avait les non-conforming loans, qui pour une raison ou une autre ne remplissaient pas les critères. Soit le montant était supérieur au maximum garanti par Fannie Mae et Freddie Mac, ce sont alors des jumbo loans. Soit la personne ne pouvait pas fournir tous les justificatifs, on appelle ces prêts les Alt-A, (A comme Alternative). Le surnom que leur avait trouvé les banquiers est plus parlant : liar loans, les prêts des menteurs. Puis, il y avait les prêts accordés à des personnes aux revenus insuffisants, les subprimes pures et dures. Les prêts conformes et une grosse partie des prêts jumbos étaient des prêts sans histoire. Le colibacille s' est logé quelque part dans les Alt-A et dans les subprimes. Mais des mains inconscientes ont déchiré la salade.

Vous ne pouvez pas croire qu' on ait pu prêter à des gens qui ne pouvaient pas rembourser. C'est comme un prêtre qui se spécialiserait dans les gens qui n'ont pas d'âme. La liste des entourloupes est inextinguible; je n'en choisirai qu'une. Ils en faisaient la pub à la radio.

Voici comment marche un prêt à amortissement négatif (négative amortization) : vous achetez une maison par delà vos moyens. Les mensualités s' élèvent à 3000 $. Elle est spacieuse, elle est à vous, elle coûte 600.000$. 3.000$, c'est ce que vous gagnez avec les heures supplémentaires et la prime. Pas de problème. Vous allez rembourser 2.000$. 2.000$ par mois, vous allez bien vous débrouiller? Nous n'aurons qu'à louer la pièce à côté du garage. On vous accorde un prêt à taux variable. Alan Greenspan a beau maintenir l'argent bon marché, en fait, vous, votre taux est assez élevé parce que vous êtes considéré à risque. Ne réfléchissez pas, signez. De toute façon dans deux ans, vous pourrez restructurer le prêt. Vous signez, vous emménagez, vous êtes heureux comme tout. Enfin, vous aussi, vous vivez le rêve américain. Vous avez trois jobs et pas d' assurance santé mais tous les mois, religieusement, vous remboursez vos deux mille dollars.

Tous les trente jours, 1.000 dollars supplémentaires s' ajoutent au capital de la dette. Donc deux ans après, vous devez 624.000$. L'agent immobilier vous avait dit que la maison en vaudrait alors 800.000$. Sauf, que pas de chance, les banquiers font la grève de la salade, tous les champs sont en train de pourrir et plus personne ne veut financer la culture des feuilles vertes. Votre maison en Suburbie lointaine vaut maintenant 450.000$.

Mais j'en dois 624.000$ ! Pour vous, comme pour 12 millions d' Américains, le rêve est fini. Les 64 autres millions de ménages propriétaires apprennent les mauvaises nouvelles et ne sont pas concernés : 24 millions ont fini de payer leur maison et 40 continuent de rembourser et d'accumuler du capital.

La baisse des prix de l'immobilier a rendu le logement plus accessible mais le resserrement des critères des banques fait que peu de gens peuvent en profiter. En même temps, pourquoi acheter maintenant? Une majorité est convaincue que les prix vont continuer à baisser. Au jeu des mille dollars, leur Lucien Jeunesse demande comment stabiliser les prix de l'immobilier. Paul Krugman, mi rire, mi-sérieux, suggérait de faire baisser l'offre en détruisant des maisons. Le Républicain McCain propose que l'Etat rachète les maisons dépréciées en payant les banques plein tarif et en offrant des prêts au prix du marché aux emprunteurs étranglés. C' est la prime à l'irresponsabilité. Le candidat Barack Obama offre un moratoire et une renégociation au cas par cas.

Fromage ou macédoine ?

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samedi 25 octobre 2008

Chronique n°25 Les veines ouvertes de l'Amérique latine

«La crise ? Demandez à Bush, c'est la sienne, pas la mienne!» Selon le président Lula, les effets du tsunami devaient être «quasi imperceptibles» au Brésil. Le 24 septembre, il accusait à Sao Paulo, «le casino du système financier international où certains ont joué à la roulette et perdu.» Mais il se voulait rassurant: «Nous ne permettrons pas que le Brésil soit victime de ces jeux de hasard». Il est vrai que les exportations vers les Etats-Unis ne représentent que 2,5% du PIB brésilien contre 25% du PIB du Mexique. Pourtant les digues ont lâché.

Les gérants de portefeuille américains avaient investi au Brésil avec de l'argent emprunté sur la base des avoirs qu'ils détenaient aux Etats-Unis. C'est ce qu'on appelle faire des achats sur marge. Ce mécanisme, B.A-ba du banquier d'affaires vous permet de démultiplier la force de frappe de votre argent en utilisant l'effet de levier.

Toutefois, si les avoirs qui servent de garantie se déprécient, par exemple parce que vous aviez donné des titres adossés aux subprimes ou des actions dont le cours a beaucoup baissé, un jour vous recevrez un coup de fil. Lors d'un margin call ou appel de marge, le courtier exige que vous remettiez plus de garanties dans la balance ou de tout liquider. La combinaison des margin calls et des rédemptions de la part de vos riches clients, si vous êtes un fonds spéculatif, ou de vos petits épargnants si vous êtes une caisse de retraite, tous très inquiets, sonne la fin de la partie. Adieu, veau, tourelles, biches et perdrix, il faut vendre et rentrer bredouille.

En trois semaines, trois milliards de dollars sont sortis du pays et le real a perdu 25% de sa valeur. Mais il est important de comprendre que la sortie de capitaux est totalement déconnectée des fondamentaux de l'économie, ici, brésilienne. Les indicateurs fondamentaux du Brésil sont sains: la croissance tourne autour de 5-6% par an. Le chômage est autour de 10-11% avec une importante économie informelle. La dette publique s'élève à 35% du PIB, soit moitié moins que celle de la France. Et l'inflation est très sévèrement combattue par le Président de la Banque Centrale, M.Meirelles qui a accédé au poste en même temps que Lula, ex-tourneur, ex-syndicaliste, arrivait au Palais de Alvorada, le palais de l'aube.

Entre 1980 et 1994, les prix augmentaient de plus de 100% par an; le Brésil a même connu un abcès d'hyperinflation (+2000%) au début des années 1990. Quand M.Meirelles est arrivé, l'inflation caracolait à 12,5% et les taux d' intérêts à 25%. Il a immédiatement relevé les taux à 26,5% ce qui a provoqué un tollé. On l'accusait d'étouffer la croissance. Le gouvernement l'a laissé faire et avec beaucoup de maestria, il a réussi à ramener l'inflation à 2,96% en 2007.

Les taux d'intérêt bon marché ont permis l'essor de la consommation. La demande intérieure progressait à un rythme de 8,5% par an. A nous, frigidaires, jolis scooters, atomixers et feijoada! En juin, le pays a atteint les 100 millions de cartes de crédit, pour une population de 190 millions, une hausse de 17% par rapport à 2007. Mais la production nationale, elle, n'a crû que de 5% en 2007. Même au maximum de l'utilisation des capacités de production, le taux d'investissement national est trop faible par rapport à la taille de la population. On dit que la croissance bute sur la frontière de production.

Le Brésil est le premier exportateur au monde de viande de bœuf, d'acier, d'éthanol Et il importe des biens manufacturés. Ce déséquilibre cause un déficit de la balance commerciale et crée des tensions inflationnistes; pas plus de 5%! crie le banquier central.

Enfin, pour le moment, le faucon Meirelles a d'autres problèmes. La plupart des entreprises brésiliennes n'avait pas anticipé la remontée du cours du dollar. Elles avaient donc emprunté en devise américaine alors qu'elles sont payées en monnaies locales, peso, euro, ou yuan. La perte de change rend la raréfaction des dollars encore plus dramatique. Ainsi, prise à revers, la chaine de magasins mexicaine Controladora Comercial Mexicana SAB vient de faire faillite.

Pour éviter que cela n'arrive chez lui, Meirelles après avoir injecté des liquidités depuis fin août, a mis le paquet hier en annonçant 50 milliards de dollars sous forme d'échange de devises avec d'autres banques centrales. Il s'agit de défendre la valeur externe de la monnaie et de répondre aux besoins de dollars des entreprises étranglées par le credit crunch.

Dans l'espoir d'attirer des capitaux étrangers ou de freiner leur départ, le ministre des finances a aussi supprimé la taxe IOF de 1,5% sur les entrées de capitaux étrangers et de 0,38% sur les prêts libellés en devises; l'Imposto Sobre Operacoes Financeiras était une sorte de taxe Tobin nationale, du nom du prix Nobel d'économie qui en 1972 avait imaginé un impôt de faible montant qui tuerait la spéculation en taxant les mouvements du capital sans toutefois les dissuader.

Les banques publiques ont aussi été autorisées à venir au secours des concurrentes privées plus faibles et à les absorber.

A l'instar du Pérou et du Chili et à la grande différence de l'Argentine, le pays a réussi à se débarrasser du boulet de la dette extérieure. Il est devenu créditeur net par rapport au reste du monde. Son bas de laine se monte à plus de 200 milliards de dollars de réserves de change.

Pourtant en deux mois, le real a perdu un tiers de sa valeur. Une ritournelle diabolique résonne dans la tuyauterie du capital international. Elle rime comme une comptine mais elle déchire comme un scalpel le tissu économique brésilien: «High yield is no shield against deleveraging» (=les hauts rendements ne protègent plus contre le désarmement de la dette.

C'est d'autant plus injuste que le Brésil s'était tenu à l'écart des investissements pourris américains et que Lula, réélu avec 60 % des voix en 2006, a vraiment appliqué la philosophie du «trickle-up economics» (faire dégouliner la richesse de bas en haut).

En 2002, il avait promis de respecter ses engagements auprès du FMI et donner des terres à 400.000 familles pauvres avant 2006. Il a tenu parole. Tandis que les revenus des 10% de Brésiliens les plus riches ont augmenté de 7% entre 2001 et 2006, ceux des 10% les plus pauvres ont crû de 58%. Les sommes allouées aux programmes sociaux sont quatre fois plus importantes en termes de PIB qu'au Mexique qui a pourtant une population presque deux fois moindre. Le nombre de Brésiliens dont la fortune liquide est supérieure à 1 million de dollars a fait un saut de 19% l'année dernière, classant le pays au troisième rang derrière la Chine et l'Inde au palmarès des nouveaux millionnaires. Les banques nationalisées octroient de nombreux micro-prêts à des centaines de milliers de personnes. La Bolsa Familia accorde de petites aides à 45 millions de Brésiliens pauvres pour les aider à acheter de la nourriture et couvrir leurs besoins fondamentaux. Avec un budget de 5,6 milliards de dollars elle a été l'instrument le plus efficace, en sus de la loi sur le salaire minimum, pour élever les gens au-dessus du seuil de pauvreté; qui se mesure au Brésil par un revenu mensuel inférieur à 80 dollars. A la différence de l' Argentine, ici, une classe moyenne existe et consomme.

Alan Greenspan et Dick Fuld, le PDG de Lehman Brothers font trois petits tours et puis s'en vont. L' Amérique latine pose un garrot sur ses veines tailladées.

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vendredi 24 octobre 2008

Chronique n° 24 Alan Greenspan bat (un peu) sa coulpe

J'ai temporairement détourné un jet qui attendait sur le tarmac d'Ezeiza pour vous ramener à Washington. Depuis deux jours, une commission parlementaire examine les erreurs de régulation ayant conduit à la crise. Hier, elle avait invité les PDG des agences de notation financières Moody's, Standard & Poor (oui, oui, le même que l'indice des 500 valeurs de la bourse de New York) et Fitch à venir expliquer comment des obligations notées triple A avaient pu se convertir en citrouille pourrie, un beau jour d'août 2007. Aujourd'hui, c'était au tour d'Alan Greenspan, l'ancien oracle, pardon président de la Fed (avant Ben Bernanke), de John Snow, l'ancien ministre des finances (avant Hank Paulson) et de Christopher Cox, le directeur toujours en fonction de la Securities Exchange Commission, le gendarme de la Bourse, de répondre de leurs actes.

Premier tableau : hier, le président de la commission lit un courriel entre deux salariés de S&P:

- Au fait, ce deal c'est du n' importe quoi.
- Oui, je sais. Les paramètres du modèle ne capturent pas la moitié du risque.
- On ne devrait pas noter un truc pareil.
- Ici, on note même les obligations émises par les vaches.
- Mais il y a trop de risque associé. Personnellement, je me sens mal à l'aise de donner mon aval.

Les agences de notation financière ont pour rôle d'évaluer le risque de défaillance d'un émetteur de dettes financières. Elles sont au cœur du système d'information qui permet aux investisseurs de faire des choix rationnels sans avoir à passer des heures et jours à visiter les entreprises, à lire toutes les annexes hors bilan après avoir pris des cours du soir d'expert-comptable. Le travail est délégué à des établissements spécialisés qui notent les émetteurs ; du triple A (excellent investissement sans risque) au D (investissement voué à la perte). Pour un barème détaillé des notes, voyez ici :

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c3/Main_Credit_Ratings.png

Les agences publient aussi des notes de «perspectives» sur l' évolution probable des émetteurs et une «liste de surveillance» d'émetteurs dont la note peut être revue à la baisse subrepticement. Toute cette analyse revêt le sceau du sérieux, de l'indépendance et de l'impartialité.

Que diriez-vous si les producteurs de films payaient les critiques et que leurs articles étaient ensuite utilisés comme publicité? Il y aurait comme un conflit d'intérêt… C'est exactement la manière dont les choses se passent jusqu'à maintenant. En effet, les agences de notation sont payées par les émetteurs d'obligations (une solution plus saine serait que les agences soient payées par les investisseurs).

«The story of the credit rating agencies is a story of colossal failure» (=l'histoire des agences de notation financière est l'histoire d'un échec colossal), s'écriait M.Waxman, le président de la commission d'enquête. «The rating agencies broke this bond of trust, and federal regulators ignored the warning signs and did nothing to protect the public» (= les agences ont bafoué la confiance du public et les institutions chargées de la régulation se sont bouché les oreilles et n'ont rien fait pour protéger les gens), continuait de tonner le parlementaire.

En fait, en 2006, en plein délire dérégulateur, la SEC avait cherché a instiller plus de compétition entre les agences, ce qui n'a fait que créer plus d'effets pervers: les agences faisant monter les notes pour gagner des parts de marché face aux concurrents.

Un ancien cadre de S&P expliquait hier qu'une meilleure modélisation du risque des prêts hypothécaires n'avait pas été adoptée pour des raisons budgétaires. S&P contrôlait déjà 92% des parts de marché des titres liés aux prêts immobiliers aux Etats-Unis. Investir dans un meilleur modèle n'aurait pas généré un accroissement du profit.

Le plus incroyable furent les témoignages des PDG des trois agences, S&P, Fitch et Moody's qui se partagent le marché. En bloc, ils ont nié toute responsabilité dans le scandale des subprimes. Et d'égrener une longue liste de garde-fous qui existent au sein de leurs établissements. «Nous ne sommes pas les seuls à avoir été surpris par la baisse des prix de l' immobilier» déclarait le PDG de S&P. On était replongé en 2002 dans les audiences devant le juge pénal après l'effondrement d'Arthur Andersen, l'entreprise qui avait conseillé de la main droite et certifié les comptes de la main gauche d' Enron, de Wordlcom et tutti quanti.

Deuxième tableau : M.Alan Greenspan, président de la Banque centrale américaine de 1987 à 2006, déclarait ce matin devant la commission d'enquête : "I'm shocked, shocked, to find gambling here"(=Je suis choqué, choqué, de trouver qu'on s'adonne au jeu, ici).

Non, en fait, ça c'est le capitaine Louis Renault dans Casablanca. Le témoignage écrit que le banquier a lu devant les parlementaires disait qu'il était "in a state of shocked disbelief" (=en état de choc et d' incrédulité). Mais il ajoutait : «We are in the midst of a once-in-a century credit tsunami.» (=Nous sommes au milieu d' un tsunami du crédit, comme il s' en produit un par siècle).

Greenspan a attribué les excès sur le marché des titres immobiliers à un engouement excessif, une demande intarissable de la part des investisseurs et à leur manque d'esprit critique face aux avis des agences de notation. Il a reconnu qu'on ne sortirait pas de la crise tant que les prix de l'immobilier ne se seraient pas stabilisés. Il a considéré que dans l'ensemble les marchés avaient bien fonctionné, même s'il convenait de réguler les Credit Default Swaps (qui feront bientôt l'objet d' une chronique séparée). Quand le démocrate Waxman lui a demandé droit dans les yeux : «Avez-vous eu tort en ce qui concerne les effets bénéfiques de la dérégulation?», l'ancien oracle a répondu : «En partie».

Demain, je vous emmène voir à quoi ressemble une erreur partielle au Brésil.

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jeudi 23 octobre 2008

Chronique n°23 main basse sur le trésor des petits épargnants au pays de Perón et d'Evita

22 octobre 2008, l 'Argentine vient d'annoncer qu'elle allait nationaliser ses fonds de pension. Apparemment cela n'a pas grand-chose à voir avec la crise financière mondiale. Apparemment seulement. Cette mesure qui consiste à faire retourner dans la sphère publique un régime démembré par l'ultralibéral Menem pose problème. La bourse dégringole. La population s'inquiète.

La présidente Cristina Kirchner est l'élue du parti péroniste, aussi appelé justicialiste, qui à travers les différentes périodes de l'histoire argentine a tantôt été ancré à gauche –comme maintenant- tantôt à droite- la plupart du temps. Carlos Saúl Menem qui avait occupé la Casa Rosada de 1989 à 1999 et qui a ruiné le pays par un mélange de corruption et d' incompétence était, lui aussi, un «justicialiste». Les deux ont en commun un populisme qu'ils ont hérité du fondateur du parti, Juan Perón, deux fois président (1946-1952 puis 1973-1974) et de sa très célèbre et charismatique première épouse, Evita.

Cristina Kirchner avait succédé à son mari en octobre 2007 à la Présidence. Depuis leur accession, à la suite et fin de la crise financière de 2001, dans laquelle l'Argentine s' était déclarée en cessation de paiement vis-à-vis du reste du monde, le couple n'a eu de cesse de profiter de la hausse des matières premières pour désendetter le pays.

L'Argentine est un vrai grenier à blé, à viande, à soja, à maïs et à coups d' Etat. Un seul Président au XXème siècle est arrivé au terme de son mandat, Raul Alfonsin (1983-1989). Avec un passé rempli de dictatures et de prévarication, les Argentins entretiennent un scepticisme de bon aloi face à la puissance publique.

Si vous vous promenez dans Buenos-Aires, il n'est pas rare de voir taggué sur les façades des banques les mots « voleurs » ou « arnaqueurs », en souvenir de la manière dont entre 2001 et 2002, les épargnants ont été spoliés. D'abord en limitant le montant des retraits autorisés puis en convertissant de manière unilatérale et sans crier gare les avoirs détenus sur des comptes en dollars. Enfin le peso avait été dévalué de 28% par un autre Péroniste, Eduardo Duhalde; avant de décamper de la Casa Rosada en hélicoptère pour éviter le lynchage. Les banques ne s'embêtent même pas à effacer les graffiti. Elles savent que des mains rageuses retourneraient la nuit suivante avec les bombes de peinture.

Le passé ne passe pas et le prix des matières premières baisse de manière vertigineuse. Dans ce contexte intervient la déclaration de la Présidente de nationaliser dix fonds de pension : créés en 1994 par Menem, en pleine euphorie ultralibérale, du temps où le peso était arrimé au dollar et donc surévalué, avec un taux de 1 pour 1, les fonds de pension argentins ont attiré trois millions de cotisants.

Il y a deux manières de financer les retraites. Soit les cotisants d'aujourd'hui payent les pensions des retraités d'aujourd'hui et les cotisants de demain payent les retraites des cotisants d'aujourd'hui : c'est le système de retraite par répartition. Soit les cotisants d'aujourd'hui investissent leur argent et au moment où ils prendront leur retraite, ils le retireront avec une sortie en capital ou sous forme de rente; c'est le système de retraite par capitalisation. La France et les Etats-Unis ont des systèmes mixtes, avec une part obligatoire et une part facultative. Dans beaucoup de pays émergents, les gens ne sont pas obligés de cotiser et s'ils choisissent de le faire, c'est souvent dans des fonds de pension.

En Argentine, les économies des trois millions de cotisants avaient permis de recréer un marché local des capitaux. En effet, depuis la cessation de paiement de 2001 et jusqu'à ce qu'elle rembourse ses dettes, l' Argentine a été mise au ban par les prêteurs internationaux, y compris le FMI.

Il y aurait beaucoup à dire sur la manière inique dont les banques occidentales ont laissé les dirigeants successifs, à commencer par la Junte militaire (1976-1983), hypothéquer le futur en laissant s'emballer la dette. Mais comme disent les Arabes, Lifête mête : le passé est mort.

En tous les cas, les investisseurs institutionnels avaient injecté l'argent récolté dans des bons du Trésor (55%) et dans la Bourse (11%) qui avait prospéré ces dernières années avec des retours sur investissement de l'ordre de 13% par an. Seulement voilà, cette année les fonds de pension ont perdu 40% ; ce qui fait dire à la Présidente que «l'argent des retraites est aux mains des spéculateurs».

Mme Kirchner avance qu'elle prend des mesures conservatoires dans le même esprit que les gouvernements américain et européens qui viennent de nationaliser des banques.

La poule aux œufs d'or a trente milliards de dollars d'actifs et recevait 5 milliards de cotisations annuelles. En nationalisant les avoirs, le gouvernement s'évite de devoir rémunérer les bons du Trésor qui étaient à l'actif des « zinzins » et récupère pas mal de cash, environ 30% du total, soit 10 milliards de dollars.

Dix milliards c'est la moitié de la somme que l'Argentine doit rembourser à ses créanciers l'année prochaine. Sinon, comme le lui a rappelé le FMI la semaine dernière, gare! Si l'Argentine n'avait pas un tel passé de mauvais payeur, elle pourrait refinancer cette dette auprès de banques occidentales. Mais le Club de Paris, qui représente les créanciers floués en 2001 n' est plus prêteur.

Du coup, afin de ne pas rater l'échéance et de pouvoir réintégrer le concert du capital mondial, le gouvernement vient de faire main basse sur 30 milliards de dollars d'épargne privée; de manière unilatérale et sans crier gare. Forcément, ça rappelle des souvenirs.

L'autre moitié de la somme due devra être levée grâce aux réserves de change et aux droits de douane, en espérant que les prix des matières premières ne continue pas de baisser. Si le cash sert à payer la dette, il ne servira plus à financer l'économie locale. C'est ce que l' on appelle l'effet d'éviction. Ce n'est pas tant que le temple des spéculateurs tremble (le Merval perdait aujourd'hui 11%), c'est surtout qu'après une décennie de pillage et de destruction, la possibilité de réindustrialiser le pays s'éloigne, faute d'investissements. Sans confiance, sans sécurité juridique, aucune décision intertemporelle n' est possible. On navigue à vue et on n' émerge pas du sous-développement, en fait on y va droit devant.

Evita pleure du haut de son balcon. Les spéculateurs du Chicago Mercantile Exchange sortent leur parapluie.

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mardi 21 octobre 2008

Chronique n°22 Et maintenant, la Chine

Après le faste cérémoniel et la précision calligraphique déployés lors des Jeux Olympiques en août, beaucoup s’attendaient à ce que la Chine enjambe le cadavre de Wall Street et monte sur le trône en septembre. Des taux de croissance moyenne supérieurs à 10% sur 30 ans, des réserves de change de 1,9 trillion de dollars fin septembre, soit le double des réserves japonaises, des excédents commerciaux de 30 milliards par mois, l’ascension semblait irrésistible. Alors quoi? Où est passé l’empereur?

La croissance chinoise va ralentir en ce troisième trimestre aux alentours de 9% ; passant en dessous de la barre des 10% pour la première fois depuis 2002. En 2009, elle devrait avoisiner 8%. Ces taux feraient pâlir d’ envie n’ importe quel gouvernement du G7. Mais avec une population de 1,3 milliard d’habitants, la Chine ne peut pas réussir sa transition et devenir un pays moderne sans continuer à croître de manière exponentielle.

La croissance chinoise est tirée par les exportations comme le prouve l’ubiquité des étiquettes Made in China dans les magasins. S’il est vrai que la Chine est le banquier des Etats-Unis, détenant une bonne partie de la dette publique américaine (519 milliards de dollars, derrière le Japon, 593 milliards), l’Europe a pris le relais des Etats-Unis comme premier client de la Chine. La valeur du commerce UE-Chine représente 110% du commerce Chine-Etats-Unis en 2008 (contre 65% en 2001). Les raisons sont multiples de cette prévalence, la principale : la force de la devise européenne. L’ euro cotait 0,89$ en 2001, 1,40$ l’ année dernière, 1,60$ en août, 1,30$ aujourd’hui.

Le tsunami financier déclenché en septembre 2008 par la nationalisation des réassureurs Fanny Mae et Freddie Mac et la faillite de Lehman Brothers a plongé le monde dans une très grave crise économique. Maintenant que les Etats-Unis sont sous l’eau et que l’ Europe boit la tasse, le volume des exportations chinoises est appelé à se contracter. Par exemple, plusieurs producteurs chinois de produits textiles et de jouets ont fait faillite cette semaine.

La Chine n’est pas susceptible de tirer la croissance mondiale grâce à ses importations : même avant l’éclatement de la crise, elle ne comptait que pour 6,4% de la demande asiatique finale. Mais peut-elle remplacer le manque à gagner dû à la baisse de ses exportations en se tournant vers la satisfaction de son marché intérieur?

Sur le papier c’est royal. Vous avez une population de 1,3 milliard d’individus (j’ hésite à utiliser ce terme au pays du confucianisme, remplaçons-le par consommateurs potentiels) et soixante-dix ans de communisme: à nous les frigidaires, les jolis scooters, l’atomixer et le Dunlopillo !
D’ailleurs d’après les chiffres du gouvernement, le commerce de détail est en plein essor : +17,9% en septembre contre 13 ou 14% un an auparavant.

Le bâtiment aussi a connu un boum, depuis qu’à la fin des années 1990 le gouvernement chinois a procédé à la privatisation des logements urbains. Il a transféré leur propriété de l’Etat vers leurs occupants. Les Chinois des villes du jour au lendemain se sont retrouvés riches de leur logement. La spéculation a suivi. Des entrepreneurs en BTP ont acheté les terrains pour construire plus densément. Shanghai, de nos jours, compte plus de gratte-ciels que Manhattan.

Mais depuis quelques mois, le marché immobilier semble avoir atteint un palier. Les mises en chantier ont ralenti. Les acheteurs potentiels attendent car ils anticipent une baisse des prix. De même les chiffres les plus récents de ventes de voitures, de billets d’avion et autres gros achats traduisent une croissance moins forte.

En fait, la Chine a beau compter 1,3 milliard de population, sa classe moyenne s’élève à 60 millions de personnes. Elle arrive au 100ème rang, en termes de revenu par habitant. Même en tenant compte des différentiels de pouvoir d’achat (un bol de riz coûte moins cher en Chine qu’à San Francisco), la Chine ne représente que 10% de l’économie mondiale, contre 30% pour les Etats-Unis et 25% pour l’ Union européenne. En 2007, si 1,3 milliard de Chinois consommaient 1,2 trillion de dollars de biens et services, 300 millions d’Américains s’adonnaient, eux, à 9,7 trillions de dollars de consommation (nb. comme la destruction de l’environnement ne vient pas en soustraction du PIB, je ne sais pas s’il convient d’appeler cela un progrès, mais je digresse).
Donc la demande intérieure chinoise est tout simplement trop faible pour remplacer une demande défaillante américaine ou européenne.

Seules des réformes de structure permettront à terme de développer le marché intérieur. Cette semaine le gouvernement chinois annonçait une réforme agraire qui va transférer la propriété des terres vers les paysans. Cela devrait provoquer une restructuration des parcelles, aujourd’hui trop petites, accélérer l’exode rural et favoriser le développement d’une agriculture intensive. Il compte également lancer une couverture santé pour l’ensemble de sa population.

Les réformes de structures prendront du temps, même si elles sont la route du futur. En attendant, les voisins proches, surtout la Corée du Sud, mais aussi le Moyen-Orient et l’Amérique Latine ont du souci à se faire, eux qui trouvaient des débouchés privilégiés dans le marché chinois. Quant aux pays occidentaux qui parvenaient à exporter vers la Chine, comme l’Allemagne avec ses machines-outils, ils vont aussi connaître une baisse de leurs commandes.
10 à 20 milliards de dollars ont quitté la Chine depuis le début du tsunami financier. Les banques chinoises n’ont pas grand souci de credit crunch. Les excédents commerciaux, 29,4 milliards de dollars en septembre, font rentrer des dollars dans le circuit mois après mois et la Chine nage dans 1,9 trillion de dollars de réserves de change.

La bourse de Shanghai est pourtant en baisse sensible : - 30,43% en trois mois. Celle de Hong-Kong: - 46,99% en 52 semaines. (La différence entre les deux c’est que les investisseurs étrangers ne peuvent pas investir librement à Shanghai.) Le gouvernement chinois, de son côté, pourrait utiliser sa vaste fortune pour prêter 500 milliards de dollars au gouvernement américain afin qu’il finance un deuxième plan de relance. En aidant son principal partenaire commercial à passer l’orage, il protégerait le moteur de sa croissance, ses exportations. Ce serait une sorte de New Deal made in China.

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lundi 20 octobre 2008

Chronique n°21 Ukraine, Pakistan, Argentine, Hongrie, Russie : et moi, et moi et moi...

Le Dow Jones a clôturé aujourd’hui à 9.265 points, en hausse de 4,6%. Demain? Comme disait Paul Krugman dans un entretien à El País ce week-end, la bourse américaine, et par ricochet quelques autres, peut bien continuer de piquer ses crises «maniaco-dépressives». En attendant que la situation soit stabilisée, je vous propose de faire un voyage et d’aller voir comment les pays émergents écopent du tsunami financier.

L’Ukraine, le Pakistan, l’Argentine et la Hongrie sont au bord de la cessation de paiements. Derrière le caractère hétéroclite de cette liste et devant les conséquences géopolitiques très différentes, il y a un mécanisme commun: les investisseurs étrangers retirent leurs billes. Ces Etats avaient pu précisément se développer grâce à l’influx de capitaux étrangers; la même formule qui avait permis à l’Espagne et au Portugal de décoller économiquement pendant les années 1980. Mais le changement de conjoncture met soudain l’avenir de ces économies en péril.
Prenons la crise hongroise: la Banque centrale hongroise avait fixé à 8,5% son taux d’ intérêt qui sert de base aux prêts en forints. Les banques commerciales hongroises s'étaient mises à proposer des prêts à des taux plus compétitifs, en empruntant à l’étranger. En août 2008, 49% des prêts aux entreprises étaient libellés en euros, en francs suisses ou en dollars. A la même date, 62% des prêts à la consommation étaient accordés en monnaie étrangère.

Soudain, le vent tourne, les investisseurs vendent leurs actifs, se débarrassent de la monnaie locale et veulent des euros (ou pour d’ autres pays, des dollars) : le forint s’ effondre (-12% en deux semaines). Conséquence aggravante, le credit crunch: les euros se raréfient. C’ est l’effet de ciseaux.

La Banque centrale européenne s’est portée au secours de la Hongrie en offrant un prêt de 5 milliards d’euros pour qu’à son tour la Banque de Hongrie puisse prêter des euros aux banques commerciales qui ne se prêtaient plus. Cette mesure est particulièrement spectaculaire parce que la Hongrie est membre de l’ Union européenne, mais pas de la zone euro. La BCE a fait un calcul coût-bénéfice : 80% des actifs du pays étaient aux mains des investisseurs étrangers, notamment autrichiens. Alors, si on peut éviter que le manque de liquidité (les dettes ne sont payables car les actifs ne sont pas disponibles) ne se transforme en insolvabilité (les dettes ne sont pas payables car les actifs ont pourri), 5 milliards d’euros c’était peu cher payé. On limiterait les effets de contagion vers la zone euro, déjà mal en point.

La Roumanie et la Lituanie sont dans des situations similaires, tandis que la Lettonie et l’Estonie se rapprochent du cas islandais en ayant voulu jouer au hedge fund. Quid de la Pologne? Et qui se portera au secours du Pakistan et de l’Ukraine?

Autre angle d’ observation : on aurait pu penser que l’effondrement sous .points de ruines d’indice de l’économie américaine allait profiter aux gros pays émergents, les "BRIC" : Brésil, Russie, Inde et la Chine.

La théorie du découplage a la vie dure. Elle avance que les Etats-Unis ne sont plus la locomotive de l’économie mondiale. L’Europe fait la plupart de son commerce au sein de sa zone. Le Japon est un géant économique. La Chine a un immense marché intérieur. Le Brésil n’a qu’à faire du commerce avec l’Inde. Tous les chemins ne mènent pas à Rome.

En fait, l’économie des BRIC est sérieusement en train de ralentir.

La Russie a assisté à une belle panique boursière (-73% par rapport au record du mois de mai), aggravée par l’inquiétude que suscite la politique étrangère de Poutine sur ses marches. 30 milliards de dollars sont sortis du pays depuis la guerre en Géorgie. A mesure que les investisseurs étrangers se retirent, le robinet du crédit facile se referme. Certes, la rente énergétique fait de la Russie un pays riche, mais la baisse des prix du pétrole augure de lendemains qui chantent moins. La fuite face au rouble n’est pas que le fait des étrangers; la population locale thésaurise les dollars et en dehors du système financier. Les réserves de change de la banque centrale sont au plus bas depuis la crise monétaire de 1998, avec seulement 66,9 milliards de dollars.

La Russie a élaboré un plan de sauvetage de 160 milliards de dollars et a nationalisé quatre de ses banques. Elle va racheter des actions en bourse grâce à un bas de laine de 175 milliards de dollars. Le gouvernement déclare qu’il n’ y a pas de crise en vue. La croissance, au lieu des 8 à 9% des années passées, se limiterait à 5% dans ses estimations les plus optimistes.

Si le baril reste au dessus de 70$, le budget ne connaîtra pas de déficit. Sauf que la politique de puissance de Vladimir Poutine requiert une augmentation gargantuesque des dépenses militaires. On peut financer la grandeur avec un brut de l’ Oural à 150 dollars, mais à 50$? La Russie fait face à une dette de 180 milliards de dollars qui arrive échéance fin 2009. Avec un baril à 50$, la Russie connaîtrait une croissance zéro. Vous l’ avez pensé si fort que je vous ai entendu : il nous faudrait une bonne guerre…

Demain, la Chine.

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samedi 18 octobre 2008

Chronique n°20 de la capillarité en matière de richesse

Ça va nettement mieux! Vous n’ aviez pas remarqué? Le Dow Jones termine sa meilleure semaine depuis 1982, en progression de 9%. La belle affaire, me direz-vous : en 1982, les Etats-Unis pataugeaient dans un marasme économique; ce qui prouve qu’ il faut avoir une saine méfiance des pourcentages.

Fermons nos calculatrices et ouvrons les yeux; je n’ ai pas dit ouvrez vos télés.

Je ne fais pas mes courses chez Wal-Mart, les barbares de la grande consommation. Là où ils passent, plus rien ne repousse. Mais chez Trader Joe’s, le Leader Price du bio, les caddies sont moins pleins et les gens viennent avec des listes. Sur Grant street, la rutilante boutique Gucci est vide. Personne ne pousse la porte chez Hermès. Tory Burch se morfond dans la ruelle chic de Maiden Lane. Je passe devant mon ancienne galerie. Je reconnais les tableaux en vitrine; ils faisaient déjà partie du stock, pardon de la collection, avant mon départ en juin. Ah, là il y a une dame avec des sacs de Loehman’s, le Tati des marques.

Robert Reich, l’ancien ministre du Travail de Clinton et conseiller du candidat Barack Obama résume la philosophie économique des années Bush d’une formule : « Trickle-down economics »(=faîtes dégouliner la richesse). Cétait déjà la bonne vieille idée des Reaganomics (=l’économie de l’ère Reagan inspirée par Milton Friedman et l’école de Chicago). Rendez les riches encore plus riches, ils consommeront des biens et services. Cela donnera du travail à une armée; la richesse dégoulinera le long de l’ échelle sociale.

Mon monde petit-bourgeois et celui de l’autre Amérique, celle qui se lève tôt et n’a pas d’assurance santé, se croisent chez l’esthéticienne. Sonia est Brésilienne. Elle habite aux Etats-Unis depuis une trentaine d’ années. Elle élève seule ses deux filles; la plus jeune a 15 ans. Avec beaucoup d’efforts, en 2003, elle a réussi à s’acheter un petit pavillon à Richmond, une banlieue bien bariolée et qui fait toujours la une des medias quand il y a des problèmes, et il y en a tout le temps. Richmond c’est un peu le Creil de la région de la Baie. Pendant qu’elle souffle sur la cire, je lui demande si elle a réussi à refinancer son prêt à taux variable. Malheureusement Bank of America n’a pas accepté. De trimestre en trimestre, ses mensualités continuent de monter et ses revenus de baisser. Cet effet de ciseaux lui coupe le sommeil.

Le Libor, le taux auquel les banques se prêtent entre elles est un acronyme pour London InterBank Offered Rate. Il est publié tous les jours à 11h00 par la Banque Centrale d’Angleterre. Il existe un Libor au jour le jour, un Libor à un mois, un Libor à trois mois. Il existe des Libor en dollars, des Libor en euros. Tous les titulaires de prêts hypothécaires à taux variable entretiennent des rapports intimes avec le Libor, comme Monsieur Jourdain avec la prose. A cause du credit crunch, les taux du Libor ont beaucoup augmenté. Le taux à 3 mois se situe aujourd’hui à 4,6% contre 2,88%, le 17 septembre. Certes, la baisse du taux au jour le jour montre une lueur de progrès. Il avait atteint 6,88% le 3 octobre et frôlait encore 5,09% le 9. Vendredi, il clôturait à 1,67%, son niveau le plus bas depuis septembre 2004. Mais les emprunts à taux variable sont arrimés au Libor à trois mois. En attendant, Sonia va faire comme ses voisins et mettre sa maison en vente.

Robert Reich propose une nouvelle philosophie économique après le 4 novembre : il l’appelle le trickle-up economics. Elle consiste à récrire les lois de l’apesanteur économique. Si l’Amérique qui se lève tôt et qui n’a pas d’assurance santé avait une assurance santé et de meilleurs salaires, si l’Amérique qui se lève tôt payait moins d’impôts et si celle qui dégouline d’argent en payait un peu plus, la richesse remonterait des bas-fonds vers le ciel. Ce n’est pas en appauvrissant les riches qu’on enrichira les pauvres? Dans le programme électoral de Barack Obama, 95% des électeurs ne connaîtront pas de hausse d’impôt. Aux foyers fiscaux qui gagnent plus de 250.000 dollars par an, il dit « spread the wealth » (=partagez la richesse). Les riches n’en seront pas bien pauvres. Et la classe moyenne pourra dormir la nuit, avec son bouclier sous le polochon.

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jeudi 16 octobre 2008

Chronique n°19 Joe le plombier entre en scène

Je vous présente Joe le plombier. Ce n’ est pas une chanson de Vanessa Paradis. Il existe vraiment; il n’est pas Polonais. Il a apostrophé Barack Obama lors de sa campagne et avec sa petite entreprise, qui ne connaît pas la crise, il incarne le rêve américain de réussite par le travail et l’effort. Sarah Palin lors de son débat contre le colistier démocrate avait déjà fait beaucoup de clins d’œil à Joe six packs, qui boit de la bière et qui vit dans une petite ville, loin de l’air pollué des élites. Hier soir, lors du dernier des trois débats présidentiels, McCain faisait copain-copain avec le plombier. Alors, messieurs les candidats, pour le Français moyen, comme dirait Antoine Pinay, ou pour Main Street, qu’est ce que vous allez faire pour qu’on ne soit pas tous rendus à conduire des taxis la nuit en écoutant la rumba?

"Lancer un plan de relance à échelle européenne nous conduirait très automatiquement dans certains pays à prendre congé par rapport aux règles saines du pacte de stabilité" européen, déclare M.Juncker, chef des ministres des finances de l’Eurozone. Cette phrase me fait froid dans le dos parce qu’elle me rappelle l’ étroitesse de vue, l’aveuglement idéologique de l’administration Hoover après la crise de 1929. Il est vrai que, comme disait un de mes amis, Luxembourgeois, ce n’est pas une nationalité, c’est une profession.

Le gouvernement, tous les gouvernements, ont deux leviers pour faire de la politique économique.

La politique monétaire qui a elle-même une double dimension: la valeur externe de la monnaie (on peut dévaluer ou laisser sa monnaie s’apprécier) et sa valeur interne (on peut baisser les taux d’intérêt pour rendre l’argent moins cher et favoriser l’investissement ou on peut les relever si on a peur que l’inflation s’emballe).

La politique budgétaire de son côté permet de faire du déficit pour relancer l’économie, soit en soutenant la demande, soit en favorisant l’ investissement. On peut aussi augmenter les impôts de manière sélective pour des raisons de redistribution sociale. Autre possibilité: on peut décider d’investir de l’argent public dans tel ou tel secteur considéré comme stratégique, comme le fait par exemple l’Etat américain dans le complexe militaro-industriel via le Department of Defense, le DOD pour les intimes.

En 1929, quand le krach a eu lieu, le gouvernement Hoover a continué son bonhomme de chemin budgétaire et a contracté sa politique monétaire. Au nom d’un dogme que Keynes a analysé en détail, l’administration Hoover n’a rien fait. Trois ans et demi plus tard, la situation était devenue tellement dramatique que Roosevelt a dû instaurer un plan de relance sans précédent pour sortir des millions d’Américains du chômage et de la pauvreté. Tiens, j’ai une idée pour vous, Mme Juncker: pour Noël, pourquoi vous n’ offrez pas à votre mari un exemplaire des Raisins de la colère de Steinbeck et une édition de poche de Gatsby le Magnifique? Ca se lit d’un trait dans le Thalys. Vous pouvez même l’abandonner sur le siège.

La monnaie européenne est née d’un pacte de sang entre d'une part l’Allemagne qui avait une monnaie forte (et de très mauvais souvenirs d’hyperinflation qui ont conduit au nazisme) et d'autre part les autres pays qui étaient restés exsangues après les attaques spéculatives contre le serpent monétaire en 1992-1993. L’Allemagne a dit, je vous donne la force de ma monnaie, si vous me promettez qu’ il n’ y aura jamais d’inflation. L’ Angleterre a dit: "thanks, but no thanks !" (=non merci). Tous les autres ont dit : « Merci, oh merci ! ».

Les critères de convergence étaient censés être temporaires et préparer les économies à fusionner. La BCE héritait de la politique monétaire. Quant à la politique budgétaire, elle restait le privilège des Etats mais elle était tellement bien corsetée que l’Allemagne n’ avait rien à craindre du laxisme budgétaire. Puis le Pacte de stabilité donna aux critères de convergence un caractère permanent.

J’appelle cela : je me coupe une main et je m’attache l’autre derrière le dos.

Arrive la crise de 2008, toutes les économies du monde sont au bord de la récession, le prix de la nourriture augmente de 6,1% en un an aux Etats-Unis, de 12,7% au Royaume-Uni, de 7% en France. Partout, le chômage progresse ; si on peut appeler cela un progrès. Au lieu de comprendre qu’on ne peut pas gérer les affaires comme d’habitude parce qu’on n’est pas dans une situation habituelle, M.Juncker, tel un personnage de Scott Fitzgerald, nous sert du thé avec des petits gâteaux et nous gourmande sur les saines-règles-du-pacte-de-stabilité. Où est votre saine peur de l’ inconnu? Visiblement, certains ne font pas attention à ce qui se passe autour. M.Junker, donnez-moi votre numéro de portable, je vais le donner à Kenneth Lewis. Il va tout vous expliquer.

Le Vix aujourd’hui a dépassé les 82 points. Le Dow Jones clôture à +401 points. Après la chute de 700 points d’hier, il n’ y a pas de quoi envoyer de bonnes nouvelles à la maison. Le Footsie: -5,35%, le CAC 40 : -5,92%, le DAX : -4,91%. L’ économie de casino casine et Joe six packs avale de l’ eau salée.

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mercredi 15 octobre 2008

Chronique n°18 Le dollar monte, le pétrole baisse

Aussitôt rentré en Autriche, l’ami que j’avais revu dimanche vient de se faire licencier. Les actionnaires de sa PME dans le secteur du bois ont perdu beaucoup d’argent en bourse et cherchent à comprimer les coûts. Bertrand est la première victime de la crise autour de moi.

L’annonce du plan Brown en Europe avant-hier et l’aggiornamento du plan Paulson hier étaient censés produire un «choc de confiance» et stabiliser l’économie. Mise à part la bourse de Tokyo qui pétillait encore à + 1,06%, le reste des marchés a recommencé à déguster. C’est un peu comme cette technique d’interrogation des suspects, autorisée par le locataire en partance du 1600 Pennsylvania ave., le washboard. On vous noie jeudi, on vous noie vendredi, puis on vous retire la tête de l’eau lundi et on vous renoie mercredi : Hong-Kong :-4,96%, Francfort : -6,82%, Paris : -7,16%, Londres : -7,16%. , Sao Paolo : -13,6%.

Qu’est ce que nos dirigeants vont bien pouvoir annoncer pour inverser la tendance ? Un astéroïde? Le débarquement des extra-terrestres? Je ne suis pas à New York mais quiconque me lit depuis Manhattan, s’il vous plaît, allez vérifier, je ne serais pas surprise si le gros taureau à côté de la pharmacie est encerclé par les traders, se cognant le front sur le pavé. Vous ne pourrez pas les confondre avec des SDF, la police de M. Bloomberg veille.

Ben Bernanke déclarait ce matin devant le Club Economique de New York : «Crisis will end when trust is restored» (=La crise se terminera quand la confiance sera revenue). Le PDG de Bank of America qui avait été convoqué comme ses huit autres collègues de grandes banques par M.Paulson lançait au PDG de Wells Fargo qui hésitait à accepter l’argent public : «Anyone who doesn’t have a healthy fear of the unknown isn’t paying attention» (=quiconque n’ a pas une saine terreur de l’ inconnu ne prête pas attention à ce qui se passe). Le baromètre de la peur, le VIX termine aujourd’hui à 55,1. Cela fait 22 jours de suite qu’il oscille au-dessus de la barre des 30, déjà considérée comme une fourchette haute. C’est aussi le 7ème jour consécutif qu’il termine à plus de 50. Un peu d’espoir tout de même : les puts (option qui confèrent le droit de vendre à un prix fixe) sur les actions des banques étaient à un bon prix, ce qui prouve que les traders n’anticipent pas une baisse.

Le prix du pétrole continue lui à glisser de séance en séance : -5% aujourd’hui et -17% en six cotations. C’ est une bonne et une mauvaise nouvelle. Bonne, car toutes les économies développées sont pétroliques et donc une baisse du prix du baril en dessous de 75 $ comme aujourd’hui, ou même à 50 $ comme le commanderait un équilibre plus réaliste entre l’ offre et la demande, réduit le coût de la dépendance pour les pays importateurs. Mais cette baisse reflète aussi des anticipations pessimistes dans le secteur productif.

Sur les marchés des devises, de drôles de choses sont en train de se passer au sein et entre les membres de la Triade.

Le Japon voit le cours de sa monnaie remonter. Les taux d’intérêt ayant été très bas, 0,5%, beaucoup de gens, des fameuses ménagères aux hegde funds avaient emprunté en yen et étaient allés investir ailleurs en Asie. Depuis l’accentuation de la crise, on fait machine arrière et le carry-trade, c’ est le nom du phénomène, rentre à la maison. La demande de yens augmente. Sur le marché des futures, les options pour shorter le yen ont baissé de 50% par rapport à un mois. Ce qui montre encore une fois que le yen est une bonne valeur refuge dans la zone Asie.

La devise européenne a baissé de 17% face au dollar depuis juillet. Les entreprises européennes font beaucoup d’affaires en dehors de l’ Union européenne. Elles sont donc exposées au risque de change. Ex : je suis EADS, je produis en euros et je suis payé pour mes Airbus en dollars. Les variations des cours des monnaies étrangères rendent la profitabilité des opérations à l’étranger incertaine; sauf si je peux me couvrir grâce à un marché d’ options.

Depuis la faillite de Lehman Brothers et la mise sous tutelle d’AIG, il n’ y a plus grand monde sur le FOREX, le marché des devises étrangères. Je n’ai pas de chiffre récent mais pour réaliser l’importance du phénomène, il suffit de dire qu’en avril 2007, il s’échangeait chaque jour pour 3,2 trillions de dollars. Le manque de liquidité produit soudain des variations des cours des devises beaucoup plus fortes qu’en temps normal; alors même que s’assurer devient prohibitif. (Comme il n’ y a pas beaucoup d’ offreurs et que la demande a augmenté parce que le risque de change a augmenté, le coût de l’assurance explose). Vous me reconnaissez ? Je suis la volatilité.

Les entreprises européennes peuvent se retrouver du mauvais côté de la barrière, par exemple face à une baisse brutale des devises asiatiques ou latino-américaines. Face au dollar aussi, le manque de liquidité était patent, tirant le cours du dollar vers le haut mais désorganisant les entreprises européennes. La Banque centrale européenne, pour faire face à la défaillance du privé, s’ était mise à vendre aux enchères des dollars. Lors de la vente la plus récente, 70 banques avaient participé. La demande avait été de 88,6 milliards de dollars. Seulement 20 milliards avaient pu être satisfaits.

Depuis hier, la Fed et la Banque centrale européenne ont annoncé un accord d’échanges de devises (currency swaps) illimité. Je te prête autant d’euros que tu as besoin, tu me prêtes des dollars; on fera les comptes quand on sera sorti de l’auberge. Là aussi, il s’agit de desserrer l’étau du credit chunch. On voit bien ici que le professeur Ben Bernanke a tiré toutes les leçons de la crise de 1929 et qu’il les met en application à la tête de la Federal Reserve.

Le dollar, lui, bénéficie d’un triple effet. D’abord il redevient la valeur refuge par excellence pour beaucoup de gens en dehors des Etats-Unis. Ensuite, les propres investisseurs américains rapatrient leurs capitaux, parce qu’il vaut mieux attendre la fin du tsunami en détenant du cash en dollars que des actions à la Bovespa, à la Bolsa ou à Hang Seng. Enfin, la baisse du prix du pétrole donne moins envie à ceux qui sont payés en dollars de les vendre puisqu’ils valent plus.

Alors je ne sais pas si les Martiens vont venir à notre secours mais peut­-être que si Barack Obama est élu, il proposera de lutter contre le chômage en allant bâtir des barrages sur Mars. Espérons que les Martiens ne se récrient pas en disant que les envahisseurs leur font une concurrence déloyale en termes de salaires.

Erratum : à propos du 15ème épisode : M Bloomberg me fait savoir que sa chaine éponyme est diffusée sur le canal 128 et non sur le canal 130.

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mardi 14 octobre 2008

Chronique n°17 Nationalisations Canada dry

Tokyo était fermé hier pour cause de jour férié. Le deuxième lundi d’ octobre, les Japonais célèbrent Taiiku no Hi, le jour de l’ Education Physique. Les Américains pourraient mettre à profit un autre jour férié surtout s’il s’appelait Health Sports Day. En tous les cas, à son retour le Nikkei était en forme, clôturant en hausse de 14,2%! La Bourse de New York de son côté reste un patient fébrile. La charte aux lignes rouges montre qu’elle a connu des variations de 700 points lors de la séance d’aujourd’hui. Elle avait atteint +404 points juste après l’ouverture, était descendue dans les affres d’un -302 vers 15h ; elle termine en baisse de -76 points.

Les bourses européennes semblent aller gaiement après l’annonce du plan Gordon Brown, malgré son coût stratosphérique de 1,8 trillion d’euros (un petit peu moins que le PIB de la France). Londres se réjouissait avec +3,2%, Paris +2,75%, Francfort +2,70%. La petite Islande qui voulait être aussi grosse que le bœuf a rouvert sa place après trois jours de fermeture forcés. Elle a poussé un long coassement avant de kracher à - 66%.

Suivant l’exemple britannique, Bush et Paulson ont décidé de dépenser un tiers des 700 milliards de dollars votés par le Congrès, afin d’ acquérir des parts dans les neuf plus grandes banques américaines. Ce matin, Bush cherchait à rassurer que cette mesure hétérodoxe avait pour "but non d’ abattre l’ économie de marché mais de la préserver". Les hedge funds, quant à eux, avec des étoiles dans les yeux imaginaient que Citigroup et Golman Sachs allaient être soviétisés et péroraient sur la Chaîne du Maire : «my dream is to compete with a bureaucracy» (=c’est le rêve si nos concurrents deviennent des ronds de cuir»).

Ayons le triomphe modeste, il y a nationalisation et nationalisation. Celles de Paulson ou de Brown ne sont pas celles de Pierre Mauroy.

D’abord, il ne s’ agit pas de nationalisations totales. Le Trésor américain va injecter 25 milliards de dollars dans quatre banques : Bank of America, J.P. Morgan et Citigroup et Wells Fargo. Goldman Sachs et Morgan Stanley vont recevoir 10 milliards chacune, State Street et Bank of NY Mellon, deux ou trois milliards aussi. Dans le cas britannique, si les actionnaires ne mettent pas la main à la poche, l’Etat pourrait se retrouver avec 60% des parts de Royal Bank of Scotland en ayant payé 20 milliards de livres et avec 40% du capital du conglomérat Lloyds-HBOS pour une facture de 17 milliards. Le Trésor français aussi va injecter, par exemple, 1 milliard d’euros dans Dexia, mais cela ne lui donnera ni une majorité de contrôle ni une minorité de blocage.

En effet, les différents pays sont en train d’acheter des preferred stocks, aussi appelées preference shares au Royaume-Uni. Les actions privilégiées, -c’est leur nom français- confèrent à leur détenteur un rang supérieur pour le paiement des dividendes mais elles ne s’accompagnent pas de droits de vote. Comme l’annonçait le couple britannique dans sa conférence de presse d’avant-hier: «We are not in the business of running banks» (=Nous ne sommes pas là pour gérer les banques). Ben Bernanke, le directeur de la Fed aujourd’hui, ne disait pas autre chose avec cette formule tellement anglo-saxonne: «We are not going to micromanage the banks» (=nous n’ allons pas gérer les banques au niveau microscopique).

A la différence des golden shares, qui sont des actions avec un droit de veto et que les gouvernements européens ont beaucoup utilisé lors des privatisations pour garder un contrôle, une faculté d’empêcher, la solution adoptée aujourd’hui fait de l’Etat un actionnaire passif. Dans le cas américain, le Trésor n’obtient même pas de sièges dans les conseils d’ administration.
Idéologiquement, il ne s’agit donc pas de nationalisations, mais plutôt de l’arrivée d’un chevalier blanc, qui se trouve être l’Etat; au lieu que ce soit Warren Buffet, George Soros ou un fonds souverain d’un pays des Mille et une nuits. D’ailleurs Warren Buffet a mieux négocié que l’Etat américain car ses preferred stocks dans Goldman Sachs lui rapportent 10%, contre 5% au Trésor (9% après 5 ans de présence). Mais justement l’Etat n’a pas l’ intention de faire de vieux os dans ces banques. Elles peuvent et sont incités à rembourser le contribuable et le faire sortir du capital.

La Fed a annoncé aujourd’hui qu’elle commencera à prêter à partir du 27 octobre à certaines entreprises triées sur le volet en prenant leurs effets de commerce comme garantie. Une mesure comparable en Grande-Bretagne a été annoncée lundi et entrera en vigueur lundi prochain. La Banque centrale européenne avait déjà suivi le pas. Aujourd’hui, la Bourse de Paris annonçait qu’elle allait créer un marché pour échanger les effets de commerce et les certificats de dépôt, toujours dans le but de ramener de la liquidité à court terme.

Les taux du Libor –prêts interbancaires- sont encore élevés même si le taux au jour le jour a, lui, baissé à 2.46875% contre 2.18125% vendredi dernier.

Les Européens peuvent se réjouir d'avoir évité l’effondrement de leur système financier mais les perspectives macroéconomiques sont très sombres. Certes, les taux d’intérêt peuvent encore baisser en Europe, là où la Fed a plus ou moins épuisé toutes ses cartouches. Mais le degré d’endettement des Etats avant le 1,8 trillion du plan Brown rend les marges de manœuvre en matière budgétaire quasiment inexistantes. L’économie a certes besoin d’un système financier pour fonctionner. Elle a aussi une impérieuse nécessité de consommateurs; sinon la pompe est réamorcée mais il n’en sort rien.

Gordon Brown apparaît comme l’ homme qui a rencontré son destin. Cependant, les risques d’inflation, l’éclatement de la bulle immobilière britannique et le ralentissement du secteur financier annoncent des fins de mois difficiles.

Aux Etats-Unis, les Démocrates retiennent leur respiration jusqu’à la Présidentielle, le 4 novembre. Un plan de stimulation de la demande de 150 milliards de dollars est en discussion. Nancy Pelosi déclarait hier que la classe moyenne ne pourrait pas attendre jusqu’à l’ entrée en fonction du prochain Président le 20 janvier et qu’elle espérait le faire passer juste après la victoire.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved