dimanche 30 novembre 2008

Cartes postales tsunamiennes agrafées : Harlem sous la pluie.


Dimanche 30 novembre 2008

J'ai passé la journée à Harlem. Ma tante voulait assister à une messe avec des gospels et visiter la Spanish Society. Entre un père franc-maçon et une mère italienne, je suis porteuse de gènes anticléricaux anti-récessifs et prédominants. Une de mes copines italo-canadienne (en Amérique du Nord, les "identités à trait d'union" -hyphenated identities- ne veulent pas dire qu'un parent est canadien et l'autre est italien mais que les deux sont italiens et qu'ils vouent un culte linguistique à leurs racines), donc ma copine banquière dans une banque privée et qui ne sort qu'avec des beaux gars à la peau ébène nous avait donné le numéro de téléphone d'une association de Harlem pour obtenir des renseignements. J'appelle hier matin et une voix me répond : "Ici le QG de campagne de Barack Obama". Mince, je me lance dans des explications confuses sur Madrid et les gospels. Il me dit que je devrais plutôt voir avec la Maison Blanche.

L'humour est la chose la plus difficile à comprendre dans une langue étrangère. J'ai un peu perdu le mien en sortant à 125ème rue, sous une salve d’insultes qui ne nous étaient pas destinés, pour trouver une pluie battante. Antonella m'avait prévenue que toutes les églises baptistes et adventistes étaient alignées comme des marchands de bicyclettes. En guise de magasins, le Starbucks brille du vert de l'espoir d'une boisson chaude à l' abri du vent.

Ma tante veut choisir son église. J'ai toutes mes cartes de crédit et 100 dollars de liquide. Elle mesure un mètre cinquante et la dernière fois qu'elle a fait de la gym c'était avant d'ouvrir son restaurant, il y a deux ans. Je traine des pieds mais j'avance de plus en plus loin du Starbucks. Trois églises plus tard, la messe commence toujours à 11 heures et j'ai déjà des anticorps mais encore les pieds secs. Elle continue son étude comparative. Les enfants sont à la Sunday school. Je n'en peux plus. Je lui donne mon téléphone portable et je lui montre d'une main en tenant le parapluie de l'autre, comment composer le 15 (ici le 911). Rendez-vous dans 90 minutes. De toute façon, si la Vierge existe, qu'elle fasse son boulot.

Je pousse la porte du Starbucks. C'est un refuge à Blancs. Pendant que je commande un thé, je remarque que les mugs et autres objets dérivés sont derrière une vitrine sous clef. Je demande à la serveuse noire laquelle des églises est la mieux en termes de gospels. Elle me répond qu'elle travaille trop et n'a pas le temps d’aller à la messe. Je vais m'asseoir en méditant sur l'éthique du capitalisme. Devant moi, il y a un musulman à la barbe bien taillée en train de lire un journal qui d’après la police de caractères n’est pas le New York Times. A une autre table, une tripotée de touristes blancs, dont une dame avec de hauts talons noirs vernis, un manteau crème et un sac Louis Vuitton- un vrai ? Je ne sais pas faire la différence. Vont-ils tous aux golspels comme ma tante? Je demande la permission de m'asseoir à une jeune fille, une valise en tissu immense, émaciée, en jeans avec un haut de jogging barré des lettres Cal et brodé en-dessous "Berkeley, California". Est-elle étudiante de l'autre côté du pont -le monde vu par une San Franciscaine ? Elle me répond que non, qu'elle attend le bus qui coûte deux dollars pour aller à La Guardia. Comme rien que les péages, il y en a pour 6 dollar dans chaque sens, et que le bus roule sur voie propre, c'est imbattable. Je sors mon Wall Street Journal.

Dix minutes plus tard, un homme blanc en imperméable bleu, marqué "Jesus for Jesus" me demande s'il peut s'asseoir. Je souris et me replonge dans mon article sur "qu'est qu'un chef d'œuvre?", une exposition du Louvre hors du Louvre, à voir à Atlanta. Jesus for Jesus c'est un peu comme « aide-toi, le ciel t'aidera » ? Je lis sur le tableau de Vermeer qui s'appelle "l'’Astronome" (http://www.essentialvermeer.com/catalogue/astronomer.html) et comme toujours je cherche la lumière qui vient de la gauche. Je lève le regard et Jesus-for-Jesus ne me demande pas l'heure qu'il est mais ce que je lis. Lui aussi, lit. Il me montre son livre à la couverture élimée: The power of positive thinking (=Le pouvoir de la pensée positive). Je souris. Il me dit que c'est très utile surtout par les temps qui courent et il se lance dans un prêche parsemé d'éléments personnels : il croit à la pureté et donc à l'abstinence avant le mariage, il a 41 ans et il habite dans le Bronx. Il me refait l'histoire du Christianisme depuis l'empereur Constantin. Comme je lui dis que l'église catholique n'est pas ma tasse de thé, c'était celle de mon ex-mari, un vrai con de Républicain; texto sauf "Républicain", il me dit qu'il est 100% d' accord avec moi et qu'il n'est pas religieux, mais spirituel. Je le regarde mieux. J'avais mal lu, c'est "JEWS for Jesus". Il me demande d' où vient mon cute little accent (=mon mignon petit accent) et enchaine sur : est-il vrai que les femmes font toutes du topless en France? Moi, au lieu de m'en débarrasser en lui disant qu'à Paris, les hétéros marchent nus en solidarité le jour de la Gay Pride, je démystifie.

Bon, on n’est pas rendus. Et ma tante qui n'arrive pas. L’homélie se poursuit. J'aurais mieux fait d'aller à la messe. Au moins j'aurais eu les chœurs puisque de toute manière je ne peux pas lire mon Journal. Vous faites quoi dans la vie, pour changer de sujet. Au hasard Balthazar, il est collecteur d'impayés. Les gens pensent que c’est du dix dollars de l'heure mais c'est faux. C'est une profession très lucrative quand on est bon. Et il me récite son code de déontologie pour me convaincre qu'il ne manque ni d'éthique, ni de bonnes manières (« je n’appelle pas les gens à trois heures du matin, c’est interdit ! ») ni de compassion (« I feel for people » -j’ ai mal pour les gens) car il est un chrétien com-passionné (sic) par l'argent de son prochain. Je lui demande si cela ne lui pose pas des problèmes moraux d'appeler les gens qui sont dans des situations désespérées pour leur réclamer de payer leurs frais d'hôpital ; surtout que moi qui ais une assurance, on me facturerait un scanner 300 dollars et que le pauvre gars qui n'avait pas les moyens de se payer l'assurance se verra facturer 3000 dollars le même scanner dans le même hôpital. What's wrong with this picture? (=cherchez l’erreur). Il est 100% d' accord avec moi. Dans ces cas-là, il conseille la faillite. Mais, dis-je c'est injuste, leur vie financière est détruite pendant 7 ans. Lui, fait surtout de la collecte pour des cartes de crédit; les gens qui vivent au-dessus de leurs moyens, car vous comprenez Madame que si ces gens vivent gratis, on va vous augmenter le taux sur la vôtre. Alors là, ça m'étonnerait que JP Morgan Chase me retire mon offre de prêt à 0% jusqu’en septembre 2009, car sinon je répondrai à celle qui m’est arrivée la semaine dernière de chez Bank of America et qui m’offre aussi du zéro % jusqu’en janvier 2010. Je crois plutôt que c'est le même gars qui avait une carte à 17% qui va se retrouver à payer son essence et ses courses avec une carte à 27%. Il se lève. Il est d'accord à 0% avec moi : si les gens qui ne payent pas leurs dettes peuvent dormir la nuit et bien c'est tant mieux pour eux, mais ce n'est pas moral, ils volent. Il est onze heures vingt. Il me dit au revoir.

Les touristes blancs qui attendent leur bus agrégés autour de la table d'à côté me sourient. "We were fascinated by his raincoat" (=nous étions captivés par son imperméable). L'un deux me demande avec un accent irlandais s'il peut prendre la chaise. A condition qu'il ne me parle pas de Jésus, je serai charitable. Il soulève son col et me montre son marcel de prête défroqué.

L'humour est la chose la plus difficile à comprendre dans une langue étrangère. Son voisin me demande si je voudrais une carte de crédit à 50%, par les temps qui courent. 50% de réduction? Il éclate de rire.

Ma tante arrive cinq minutes après qu'un homeless soit entré faire la manche. Je ne donne pas de pièces mais j'ai du chocolat. Je range mon Journal.

Nous voilà dehors, lançant des implorations au ciel et des SOS aux Yellow Cabs. Harlem est bien relié à Manhattan, et au Bronx par des lignes de métro verticales mais il n'y a pas une seule ligne transversale. Le vent froid me gifle. Je lorgne un taxi, comme un évadé une banque. Ils sont rares et pleins.

Béni soit le chauffeur qui nous a recueillies à l’angle du boulevard Malcom X. Je donne l'adresse. Ma tante est enchantée de sa matinée. Mille personnes, toutes sur leur 31, la traduction en langue des signes, les chansons, l'homélie, le voyage organisé à Washington le week-end du 20 janvier. Je lui parle de mon Jesus-for-Jesus pendant que nous passons d'Ouest en Est et que nous remontons 30 pâtés de maison. Elle exulte. Mises à part l'absence de commerce et les modèles de voitures, il est difficile de se rendre compte qu'on est dans un quartier défavorisé. Les immeubles en brique blanche ressemblent à d'autres en brique rouge qui bordent Central Park ou Brooklyn.

Nous débouchons sur Broadway, à l’opposée de Times Square, avec son Nasdaq et ses soleils publicitaires, même la nuit ; nous sommes 100 blocs plus haut. La pluie se déverse à grand seaux, le pare-brise gesticule comme un chien qui reconnaît Ulysse. Le chauffeur nous dépose, à l'angle de trois fast-foods, devant un palais ceint de grilles et de portes sculptées.

Personne. Ma tante propose de voir s'il y a une autre entrée. Nous descendons vers le fleuve. Désormais le Hudson coule dans mes chaussures aussi. Il n'y a pas de trace d'une plaque avec les horaires. Nous continuons le tour du palace. Vraiment, les maisons sont assez belles. Je découvre avec soulagement une église. La dame à l'accueil me dit d'aller sonner chez le gardien.

La Spanish Society ouvre à 13h00 le dimanche. J'étais prête à me rabattre sur le Subway –je ne parle de repartir sans ma tante, Subway c’est la moins mauvaise des marques de restauration rapide-, mais finalement la boulangerie "Dulce despertar" ("Au doux réveil") m’a sauvée des eaux. Ma tante a échangé des recettes avec la dame d'Ecuador. Grâce à la chaine TeleGOL et à la soupe de platanes verts, j’ai pu éviter de finir de très mauvaise humeur.

Derrière la porte, une sélection du Néolithique à Goya en passant par la statuaire de l' Age d' Or, les carrelages mauresques et la plus importante collection de peintures hors d' Espagne de l’impressionniste Joaquín Sorolla, qui, quand il ne faisait pas le portrait de ses mécènes peignait la paysannerie qui peine, la veuve du pêcheur noyé et les prostituées.

Et Harlem sous la neige, c’est comment ?
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved

mercredi 26 novembre 2008

Carte postale tsunamienne

Chers amis,


Aujourd'hui, j' ai achete le Wall Street Journal au kiosque de la rue Wall Street. Puis nous sommes allees au Musee d' histoire financiere (http://www.moaf.org/index ) au 48 de la meme rue. Dans une ancienne banque privee-les banques pour les gens qui ne se melangent pas-, la Bourse est tres bien expliquee avec des documents et des objets d'epoque; (par exemple une calculatrice mecanique, ou l' acte fondateur du New York Stock Enchange en 1792, aussi appele Bottonwood Agreement.)

Mon moment favori a ete dans la boutique du musee ou ils vendaient des marionnettes de taureau et d' ours. Quand le vendeur avait le dos tourne, nous avons pris des photos. Quand il est arrive, ils nous a montre que le taureau devient ours; la marionette est reversible.

Un peu plus bas, en passant les echaffaudages, et la pharmacie Duane Reade, j' ai salue le taureau. C' etait sur le chemin du Smithsonian, ou je voulais aller rendre hommage aux Indiens, en cette veille de Thanksgiving.

Le musee des Native-American Indians a ete installe dans l' ancien immeuble des douanes et a l' image de la reconnaissance des immigres blancs envers leurs hotes qui les sauverent de la famine en leur faisant decouvrir le mais, il est vide. J' ai donc admire les peintures maritimes des plafonds.


Pendant que j' empile mes Wall Street Journaux sur la table de nuit, Barack Obama sort ses talents de communicateur pour convaincre Wall Street, Main Street et your street de tenir bon. Les secours arrivent, l' ours revediendra un taureau.

Trois jours d' affilee Wall Street ecoute les evangiles selon Saint Obama. Quant a Main Street, cette apres-midi sur la 5eme avenue, elle faisait du reperage; les soldes commencent a 6h00 du matin, le lendemain de Thanksgiving; le jour aussi souvenir de l' heritage indien.

De la Cuisine de l' Enfer (c' est un film avec Ronald Reagan et le nom d' un quartier de Manhattan, a l' Ouest, -evidemment, je suis toujours a l' ouest- de la Midtown),


Avec affection,

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved



















vendredi 21 novembre 2008

Chronique # 43: un autre astéroïde ?

22 novembre 2008

Je crois que l’astéroïde est tombé sans que je l’aie remarqué. Les pataphysiciens de la finance l’ont trouvé mercredi pendant que j’étais allée faire du tourisme universitaire à Berkeley. Ils l’ont repéré dans leur télescope, il arrive, il s’appelle les CMBS. Moi, du haut du Campanile, qui avant de devenir une chaine d’hôtellerie bon marché était et demeure une tour adjacente à une église servant de clocher, ici une réplique de celui de la cathédrale de Venise (http://berkeley.edu/visitors/campanile.html), j’admirai l’horrible fac d’archi, le nouveau bâtiment de physique et le laboratoire d’études spatiales juché sur les collines, les cinq piscines à ciel ouvert, le stade, très important le stade, nous sommes aux Etats-Unis.

Certes, ce n’est pas comme si vous allumiez CNN et que l’annonce du tsunami s’affichait avec des flashs tous les quarts d’heure. Mais telle Léon Zitrone annonçant les pronostics d’une course le lendemain des résultats, je suis énervée : c’est la deuxième fois que cela me prend plusieurs jours avant de réaliser que quelque chose de grave mais de complexe est arrivé.

Lors de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre, le mécanisme de transmission au reste du système financier fut le suivant : un gros fonds de placement (money market fund) avait investi dans des effets de commerce à court terme (commercial paper) émis par Lehman Brothers. Les MMF sont des comptes offerts aux clients comme vous et moi. Ils sont totalement liquides et rapportent un tout petit peu. A cause des investissements malheureux, soudain la rentabilité du fond devint négative. En anglais, on dit « they broke the buck ». A buck c’est le mot d’argot pour un dollar. L’expression veut dire que quand vous aviez mis un dollar sur le fonds, maintenant vous aviez moins d’un dollar. Les gens se précipitèrent pour retirer leur argent. Les autres fonds voulant se protéger de pertes comparables arrêtèrent d’acheter des billets de trésorerie. Les banques d’investissement, les grandes entreprises qui se finançaient au jour le jour, ou de semaine en semaine, en émettant des effets de commerce n’eurent plus à qui les vendre. Que firent-elles ? Elles avaient des découverts autorisés (credit line) qu’elles s’empressèrent d’utiliser pour être sures d’avoir de la trésorerie. Les banques qui avaient accordé ces facilités de caisse par temps fastes ne pouvaient pas se refinancer non plus auprès des collègues, car tout le monde s’accrochait à son cash. Le marché interbancaire s’arrêta de fonctionner. En l’espace d’une semaine, Le credit crunch avait congelé le système financier, sans fracas.

En août 2007, la crise éclate lorsque les CDO, les Collateralized Debt Obligations, ces titres fabriqués avec des mélanges de morceaux de prêts immobiliers subprimes cessent de rapporter parce que les emprunteurs ne peuvent plus rembourser. Ce fut comme une pluie de météorites qui commença à bruiner sur Wall Street.

Depuis mardi, l’immobilier commercial donne des soucis. Ce n’est pas tellement étonnant. En 1993, mon petit ami de l’époque avait une chambre de bonne rue des Pyramides à Paris. Pendant les années de la « croissance retrouvée » le quartier de l’Opéra s’était vidé de ses habitants, les grands appartements avaient été transformés en bureaux chics. A présent toutes les façades arboraient des panneaux « à vendre, à louer » à plusieurs étages. En allant payer la taxe d’habitation rue Saint Hyacinthe, le précepteur nous avait identifié par nos noms et prénoms. Etonné de notre étonnement, il nous avait expliqué que son secteur ne comptait plus que 400 contribuables. Quand l’économie entre en crise, les bureaux se vident, les centres commerciaux ne font plus recette, les gens partent moins en vacances. Les entreprises ne peuvent plus rembourser les emprunts qu’elles avaient contractés pour aménager les centres commerciaux, les buildings ou leur parc hôtelier. Ces emprunts aussi avaient été mélangés comme des feuilles de salade, puis déchirés et servis dans des petits bols. Ils portent le nom de Commercial-Mortgage-Backed-Securities (CMBS) ou titres adossés à des créances hypothécaires commerciales.

Il faut bien comprendre que le principe de la titrisation n’est pas toxique en soi. Les CDO sont devenus toxiques parce qu’ils étaient adossés à des emprunts contractés par des débiteurs qui n’avaient pas les moyens de rembourser (subprimes). Mais en soi, la titrisation est un mécanisme qui permet aux banques de continuer à prêter et aux investisseurs institutionnels (fonds de pension, grandes compagnies d’assurances) de s’assurer des revenus au lieu d’avoir de l’argent qui prend la poussière. Le problème dans l’immobilier commercial n’est pas que les débiteurs n’étaient pas dignes de foi, mais que la crise économique est en train de les rendre insolvables.

Pour l’ instant le taux de défaillance est très faible : 0,64% mais il a doublé en octobre par rapport à fin 2007, où il s’établissait à 0,39%. Ce qui inquiète c’est que des emprunts de qualité supérieure développent des moisissures. Devinez qui avait fabriqué les jolis tiramisus ? Tenez, je vous emmène au Bistro.

JP Morgan avait pré-packagé les deux emprunts qui posent problème en CMBS. Le premier tiramisu d’un montant de 209 millions de $ portait sur deux hôtels de luxe, un Westin dans la ville de Tucson dans l’Arizona et un village de vacances Hilton en Caroline du Sud. Le deuxième s’élevait à 124 millions de $ et concernait un centre commercial en Californie du Sud dans la région de San Bernardino. Malheureusement, la conjoncture s’est retournée. Les taux d’occupation sont plus faibles qu’escompté. Les emprunteurs ne trouvent pas à se refinancer pour cause de crédit crunch. Après les météorites des subprimes, l’astéroïde de Lehman Brothers, le credit crunch, le develaraging, les pleurs des constructeurs automobiles pour 25 milliards, tombe la grêle des CMBS. Il y en a pour 0,8 trillion.



Pendant dix jours, la chronique s’interrompt car je pars à New York, fêter Thanksgiving. Je suis sure que le tsunami sera encore là à mon retour. Reprise le 3 décembre.

Gabrielle Durana

Chronique # 42 : la mare aux canards boiteux

20 novembre 2008

Encore une journée assassine à la Bourse de New York et d’ailleurs : Francfort -3,08%, Londres -3,26%, Paris -3,48%, Moscou -4,19%, Tokyo -6,89%, Hong-Kong -4,4%, Montréal -9,02%, Buenos Aires -6,59%, Tel-Aviv -5,68%. Lagos encaissait un recul de 3,45%, Johannesburg -5,02%. Sao Paolo et Mexico s’en tiraient un peu moins mal avec -2,2% et -2,09%. Un seul indicateur couleur espérance, l’Arabie Saoudite, +0,46%. Quant à New York, la statue de la liberté est toujours à la même place, New York, -5,56% soit 444 points, après une de chute de 426 points hier aussi, New York est toujours sous le tsunami.

L’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni sont officiellement entrés en récession, c’est à dire que la croissance sera négative deux trimestres d’affilée. Le Japon a sa propre définition et a d’ ores et déjà annoncé la strangulation de son économie. La France est au bord de la falaise, + 0,1%, ce n’est pas un encéphalogramme plat. La Chine a décidé d’injecter l’équivalent de 7% de son PIB pour éviter un sort analogue. Y a-t-il des bonnes nouvelles quelque part ?
A Washington, les PDG des trois principaux constructeurs automobiles, Chrysler, General Motors et Toyota-USA sont arrivés dans leurs jets privés pour quémander 25 milliards. L’Etat-c’est-Hank-Paulson sort la règle du jeu et lit que l’argent du TARP est pour les institutions financières. Allez vous faire voir au Congrès ou chez le juge des faillites. Et il garde l’antenne pour se lancer dans une histoire des crises financières. A chaque épisode, le Dow Jones dégringole de 50 points.
Au Congrès, c’est sas d’intégration pour les nouveaux de la 111ème promotion, et pour les autres, lame duck session, littéralement séance des canards boiteux. Entre le moment où les nouveaux parlementaires sont élus, le 4 novembre et la date de leur entrée en fonction, le 6 janvier, les battus –les canards boiteux- retournent siéger tout en s’en fichant royalement, sauf pour les effets de manche. Le locataire en partance du 1600 Pennsylvania av. édicte encore quelques décrets qui favorisent sa coterie et enquiquineront son successeur.
Grâce à la révision constitutionnelle de 1933, l’interrègne a été raccourci. Avant le 20ème amendment, il durait quatre mois, jusqu’ en mars de l’année suivante. Cette période était adaptée au style de vie des « Pères fondateurs » qui vivaient au XVIIIème siècle, sans chemin de fer, sans avion, ni téléphone ou internet. Elle donnait au nouveau Président le temps de s’organiser avant de déménager à Washington. En revanche en 1861, pendant la Guerre de Sécession et en 1933 lors de la Grande Crise, le délai se révéla pour ce qu’il était, une vacance du pouvoir. Lincoln et Roosevelt durent attendre de longs mois avant de pouvoir s’atteler aux problèmes.
Avec cette crise en 2008, deux mois de passassion du pouvoir semblent tout à coup interminables. Le Dow Jones est à 7555 points, en baisse de 52% par rapport à ses riches heures d’octobre 2007. Les banques comme la City perdent 50% de leur valeur boursière en deux jours, sans raison autre que la panique qui nourrit la panique ; (et l’abolition en 2005 de la règle de l’uptick, dont je parlais dans ma chronique du 12 octobre). Vous vous souvenez du VIX ? Il était à 81 dix minutes avant la fin de la séance. Même les bonnes nouvelles causaient des réactions en chaine. Quand vers 14h00, heure de New York, le baril est passé en dessous de 50$, les actions de Chevron et des autres valeurs du secteur énergétique qui entrent dans la composition du Dow
Jones se sont effondrées en une demi-heure.
L’Etat c’est Hank Paulson a aussi bien désorganisé les banques qui se voyaient déjà débarrassées de leurs actifs pourris. Soudain, ah, non, ils restent.
Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre basse a renvoyé les trois constructeurs automobiles dans le Michigan. Revenez en décembre avec un plan qui tienne la route, pas juste avec une écuelle. Et prenez un vol régulier, comme le commun des mortels.
L’avenir est incertain. Wall Steet TV se demandait, non pas si, mais où tomberait le prochain astéroïde.
Pendant que Bush pratique le golf, Hank Paulson le Mad, et que les canards barbotent dans la mare d’indifférence, Sheila Bair, la directrice du FDIC, l’institution qui garantit les banques en cas d’insolvabilité, elle travaille. Elle se bat, elle persuade les banques de modifier les termes des emprunts pour permettre aux gens de ne pas perdre leur maison. Sous son influence, Freddie Mac et Fannie Mae ont déclaré une trêve hivernale dans les saisies immobilières. Elle est devenue la Mère Teresa des emprunteurs en souffrance.
Gabrielle Durana

mardi 18 novembre 2008

Chronique # 41: comment dépenser 700 milliards ?

Lundi 17 novembre 2008

Parmi les jeux de société auxquels vous avez peut-être joué si vos parents sont de gauche, il y en avait deux qui visaient détruire le capitalisme en s’amusant. Le premier s’appelait l’Antimonopoly et commençait là où le Monopoly se termine, c’est à dire avec un joueur possédant toutes les rues et les autres luttant pour briser son monopole. Malgré son nom, le jeu n’était pas particulièrement socialiste. De fait, il avait été inventé par des membres de la brigade américaine de la répression des fraudes et de la concurrence. Dans le deuxième, le Mad, du nom du magazine satyrique créé en 1952 par Harvey Kutzman, les participants recevaient une grosse somme d’argent en début de partie. Pour gagner il fallait la dépenser de la manière la plus folle et la plus rapide possible et surtout éviter de tomber sur la case où vous receviez le billet vert d’ un million trois-cent-vingt neuf mille soixante trois dollars (http://www.boardgamegeek.com/image/204608). Depuis le 3 octobre 2008, Hank Paulson, le Secrétaire au Trésor américain a reçu un très gros chèque dont l’ordre est resté en blanc. Le jeu s’appelle le Troubled Assets Relief Program (=programme pour soulager les actifs qui ont des problèmes), le TARP ; ou comment se débarrasser de 700 milliards de dollars en trois mois. Si vous voulez, vous pouvez regarder.

Le jeu compte six joueurs et un arbitre : Hank Paulson, qu’on ne présente plus, Bush qui joue au golf pendant que Laura finit d’emballer ne compte pas, Ben Bernanke, le gouverneur de la Fed, Gordon Brown qui se prend pour John Maynard Keynes et Nicolas Sarkozy qui a de bonnes idées pour changer la règle du jeu, la Chine qui paye si on le lui demande gentiment, enfin, les hedge funds qui font du short selling. Le Diable veille.
Sur le premier côté du tablier, les banques et AIG, l’assureur qui inquiète, sur le deuxième tronçon, les autres institutions de crédit, American Express, General Electric etc. et les hedge funds ; troisième côté : les constructeurs automobiles, la grande distribution, les PME, les collectivités territoriales. Les ménages surendettés, les chômeurs, les retraités ferment le quadrilatère.
La case « Relance », avancez directement au départ, dépensez 300 milliards est temporairement indisponible. Il existe une case « Barack Obama » dans laquelle le joueur est médusé et perd un tour. Enfin, la voie de destockage vous ramène au premier côté et tout est à recommencer. Parmi les cartes « Chance », vous pouvez piocher « le prix du baril baisse de 5$» et « traitement social du chômage » et « vos allocs ne sont plus dégressives ». Dans l’autre pile, vous avez « le Ted-spread explose », « le prix du baril augmente de 5$ » et « Nous interrompons momentanément nos programmes pour annoncer que les Etats-Unis sont en cessation de paiement ».
Si au 20 janvier, il reste encore de l’argent, Hank Paulson a perdu. Les autres joueurs reçoivent une carte de vœux : « Bonne et heureuse année 2009, signé : le Fonds Monétaire International ».
Avant de lancer les dés, Hank Paulson avait décidé que la meilleure façon de dépenser sans compter était de délester les banques de leurs actifs pourris. Supprimons les subprimes des livres des banques ! Avec Ben Bernanke, ils allaient mettre en place un système de vente aux enchères inversée pour payer le juste prix, c’est à dire le plus cher possible. Ces magnifiques innovations seraient conservées jusqu’ à ce qu’elles arrivent à pourriture ou à maturité.

Une semaine plus tard, changement de stratégie. Gordon Brown, venait de ravir la vedette en déclarant que l’urgence était de recapitaliser les banques. L’acquisition d’actifs non identifiables allait prendre trop de temps, il fallait recruter des managers ; les seuls compétents avaient des conflits d’intérêt. Hank Paulson convoque les PDG des 9 plus grandes banques américaines et tel JP Morgan en 1907, les enferme dans sa salle de réunion jusqu’ à ce qu’ils acceptent des participations de l’Etat dans leur capital. Rassurez-vous, dit-il, ce ne sont que des nationalisations Canada Dry. Vous continuerez à être maître chez vous.
125 milliards de dollars plus tard, le Wall Street Journal et le site web du Trésor annoncent que la même somme sera distribuée aux banques régionales qui en feront la demande.
En attendant AIG, l’assureur qui a vendu des CDS comme l’Apple store des chansons à 99 centimes a mangé les 85 milliards que le Trésor lui avait donnés le 16 septembre ; le lendemain de la faillite de Lehman Brothers. Ne vous inquiétez pas, je peux faire faillite aussi, sussure l’assureur. On va s’arranger. L’Etat c’est Paulson, il signe un chèque de 27 milliards.
Personne ne fait de mauvaise pioche, car Paulson garde la main. Pourtant le credit crunch perd-sévère et les banques riches de leurs capitaux tout nouveaux tout beaux ne se sentent pas le moins obligées de prêter aux consommateurs. Bank of America fait du zèle en suivant le programme du gouvernement « Hope Now » (=de l’espoir maintenant ; programme destiné à aider les ménages surendettés à garder leur maison), juste assez pour obtenir une pastille verte. Les autres pensent tout bas : Barack Obama promet de l’espoir, il n’a qu’à s’occuper lui-même de ces poids morts- expression en marketing pour les clients qui ne rapportent rien-, de ses pauvres qui ont voté pour lui. A la place, elles distribuent des dividendes et jouent au monopoly en ramassant par terre des banques plus petites.
Le 13 novembre, jeudi dernier, Paulson annonce « the situation has worsened, facts have changed » (=la situation a empiré, les données du problème ont changé) et une vieille nouvelle : il ne va plus acheter d’actifs pourris. Qu’elles se les gardent. A la place, il va aider les autres institutions de crédit à prêter au chaland. La titrisation (l’action de mélanger les feuilles de salade, de les découper et de les distribuer en ramequins) des prêts à la consommation est tombée de 50,7 milliards l’année dernière en octobre à 500 millions. Il faut faire quelque chose. Autrement, elles ne prêteront plus. American Express, la carte de crédit des riches va recevoir 3,5 milliards. Il y en aura aussi un peu pour les étudiants afin qu’ils aient toujours le droit de commencer la vie adulte avec un emprunt de la taille d’une maison, avant même de s’acheter un appartement.
Pas étonnant donc que personne n’achète de voiture ! Justement les constructeurs automobiles sont sur le point de rendre la clef à molette. Aux Etats-Unis, le débat se place en ces termes : d’ un côté, les économistes comme Robert Reich et les élus démocrates craignent que la faillite d’un, deux, trois constructeurs ne provoque la chute d’ un second astéroïde cette fois-ci sur l’ économie réelle, avec de un à trois millions d’ emplois menacés ; en incluant la sous-traitance et les sommes réinjectées via le multiplicateur keynésien (les salaires sont dépensés et font vivre d’ autres secteurs de l’ économie qui a leur tour embauchent et payent des salaires à d’ autres gens qui consomment etc.). Les partisans de la libre-entreprise disent qu’il faut laisser le marché sélectionner les plus aptes et que si Ford et Chrysler ont construit des voitures dont personne ne veut, parce qu’elles consomment trop ou ne correspondent pas aux goûts des consommateurs, et bien c’est la vie. Le raisonnement est d’ autant plus intéressant que c’est le même argument qui est utilisé au pays des petites voitures et de l’innovation technologique. Peer Steinbrück, ministre allemand des Finances a été très clair : « Nous ne tolèrerons pas les pique-assiettes dans cette crise ».
De la première tranche de 350 milliards, il n’en restait plus vendredi que 60 milliards. A l’avenir, il va falloir dépenser toujours aussi généreusement mais un peu moins follement, dit le Congrès qui doit acter l’autre moitié du chèque. Sinon le jeu s’arrête. L’Etat c’est Hank Paulson; il ne comprend pas. Ce matin, il vient de recevoir une lettre de trois villes, Philadelphie, Phoenix et Atlanta qui lui demandent 50 milliards. Il devrait se réjouir, s’il les leur prête, il aura tout dépensé.
Le deleveraging continue. La Bourse clôt en retrait de 2,63% à 8273 points. Le Diable fronce le sourire. Eric Thorson, le Treasury Department inspector general (=équivalent de l’Inspection Générale des Finances) résume la situation : « It’s a mess » (=c’est le bazar).
Rendez-moi les dés ! Madame, ils trichent !
Gabrielle Durana
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Chronique # 40: pendant ce temps, en Afrique

16 novembre 2008

Sarah Palin, gouverneur de l’Alaska, un Etat qui compte moins d’habitants que la ville de San Francisco ne savait pas que l’Afrique n’est pas un pays. Elle ignorait aussi apparemment la différence l’Afrique du Sud (South Africa) et le Sud de l’Afrique (Southern Africa). Aussi improbables que soient ces anecdotes, rapportées par un collaborateur de Mccain qui la préparait pour le débat des colistiers contre Joe Biden, elles dénotent une ignorance assez commune.

L’Afrique, c’est « Blood Diamonds » ou « Le dernier roi d’Ecosse » sur le dictateur Amin Dada ou « Hotel Rwanda », au mieux « Out of Africa ». On se souvient rarement de Picasso visitant le Musée d’ Ethnographie du Trocadéro et inventant les Demoiselles d’ Avignon. Pourtant l’art moderne doit presque tout à l’ art africain. On oublie également que l’Europe s’est entredéchirée pendant des siècles ; et il n’y a guère, à quelques encablures de Venise. Mais surtout, ces films d’action véhiculent une image statique. Tous les continents évolueraient sauf l’Afrique, qui serait congelée dans une atemporalité faite de secousses et embuée de pauvreté et de beaux paysages. Comme on dit en anglais, think again (=pense à nouveau).

D’ abord, l’Afrique d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’Afrique précoloniale. Comme l’a bien montré l’historien britannique Basil Davidson, l’Afrique d’avant l’homme blanc était sous-développée économiquement mais pas socialement. En fait, elle était même en avance, visitez le Nil.

Ensuite, beaucoup de conflits depuis la décolonisation ont été des guerres par procuration (proxy wars) dans lesquelles des ethnies étaient montées les unes contre les autres, et le crime profitait aux pays occidentaux. Par exemple, aujourd’hui la reprise du conflit au Congo masque la lutte à mort pour le contrôle des minerais nécessaires à la fabrication de téléphones mobiles et autres produits électroniques, entre la Chine et l’Occident.

Toutefois, en 20 ans, la violence mesurée par le nombre de conflits armés et de victimes civiles a reculé. Depuis 2003 en particulier, trois graves conflits régionaux ont cessé : dans l’Afrique de l’Ouest, le conflit entre le Libéria et le Sierra Leone ; en Afrique centrale, les guerres au Rwanda, au Burundi et en République Démocratique du Congo ; en Afrique australe, la guerre civile en Angola. Vous souvenez-vous que Nelson Mandela était élu président de l’Afrique du Sud il y a déjà 14 ans ?

Oui, bien sûr, comme après l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, la fracture sociale n’a pas été résorbée en Afrique du Sud parce qu’il n’y a pas eu de redistribution des richesses, contrairement à ce qui avait été promis (quarante hectares et une mule, comme le label de Spike Lee). Et il est douloureux de reconnaître que les Sud-Africains noirs vivent moins bien que le reste des habitants du continent, à l’exception du Zimbabwe. Mais peut-on regretter la prospérité de l’Algérie française ?

La démocratisation, mesurée par le nombre d’élections libres s’est accélérée : on en comptait 28 dans les années 60-70, 36 pour la décennie 80, 65 dans celle de 90 et déjà 41 élections entre 2000 et 2005. D’après la Banque Mondiale, de 1995 à 2005, les pays d’Afrique ont connu une croissance moyenne annuelle de 5,4% ; pas de quoi faire trembler les Tigres d’ Asie, mais les Guépards ne sont réveillés et ils ne sont pas tous gorgés de pétrole. En 2007, le PIB du continent s’élevait à 1,15 trillion de $ (PIB de la France : 1,8 trillions de $ en 2006) avec de grandes disparités entre une élite et le reste de la population.

Quand début 2008, au lendemain des élections, le Kenya a connu des tensions ethniques, ce sont les milieux d’affaires kényans qui ont poussé le Président sortant, Mway Kibaki et le chef de l’opposition, Raida Odinga à s’entendre. Le calme revenu a profité à toute la population. L’Afrique change.
Au G20 le week-end dernier à Washington, Thabo Mbeki, le président sud-africain était le seul représentant du continent. Tenez sur la photo, il est au premier rang en partant de la droite.

Comme il ne s’est rien décidé de tangible, on ne peut pas dire que le reste des pays d’Afrique ait raté quelque chose- sauf la photo. Mais rappelons-nous que ce sommet était censé refonder Bretton Woods, or en 1944, on avait bien invité la Mongolie ou le Honduras, alors pourquoi pas cette fois le Nigéria et Djibouti ? Enfin bon, de toute façon, les bulles spéculatives dans l’immobilier, les dangers des produits financiers dérivés ce sont des névroses de pays riches, le tsunami ne passera pas par l’Afrique. Non ? Think again.

Si nous dessinons un diagramme avec en abscisses la vulnérabilité de la croissance à des facteurs macro-économiques tels que la baisse de la demande extérieure, le prix des matières premières, les investissements directs à l’étranger et en ordonnées la vulnérabilité à des facteurs financiers, comme un crédit crunch ou des faillites pour cause de dette libellée en dollar ou une dévaluation pour cause de rapatriement des capitaux, on pourrait répartir les pays suivant le type de risque.

Le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie se trouveraient très près de l’axe des abscisses, car leur risque macro-économique est assez faible voire nul et sur l’axe des ordonnées ils seraient rangés dans cet ordre ; la Russie étant clairement le pays le plus vulnérable des BRIC en termes financiers. A l’opposé, l’Islande présente un risque élevé en termes macro-économiques et très élevé en termes financiers. Sur le diagramme, on la placerait donc assez haut à droite.

Bénéfice de ses inconvénients, l’Afrique possède peu des mécanismes financiers de transmission de la crise, à l’exception peut-être du Nigéria et de l’Afrique du Sud. La plupart des banques de l’Afrique subsaharienne financent leurs prêts à partir des dépôts et elles les gardent sur leurs livres jusqu’à ce qu’ils soient remboursés. Il n’y a quasiment pas de titrisation et l’emprunt à l’étranger est relativement marginal.

Aujourd’hui, 50% des pays africains possèdent une place boursière, condition pour qu’émerge un marché des capitaux moderne c’est à dire liquide, même si beaucoup sont à l’état embryonnaire. La capitalisation boursière-soit la valeur de toutes les entreprises cotées sur une place- a doublé sur le continent entre 1992 et 2002, atteignant 244 milliards ; par comparaison, le conglomérat de Warren Buffet pesait 178 milliards de $ au 3 novembre 2008. La plus ancienne des bourses, située à Alexandrie a été fondée en 1883, suivie en 1887 par celle de Johannesburg qui demeure la plus importante avec près de mille titres cotés. La Bourse de Casablanca créée en 1929 a 77 entreprises admises à la cote. La quatrième historiquement et la deuxième en importance est la place de Lagos où 223 valeurs nigérianes sont échangées chaque jour. Alors, la crise ne passera pas moi ? La bourse de Nairobi a perdu 30% en un an, le Case 30 en Egypte 57%, le FTSE et le JSE sud-africains 40% depuis l’été ; idem pour l’indice nigérian, depuis son zénith en février dernier. Mais rappelons-nous que la capitalisation est modeste.

Les facteurs macro-économiques de transmission de la crise en revanche sont réels. D’abord la baisse, que dis-je la dégringolade du cours des matières premières redistribue les cartes. En quatre semaines, le prix des métaux s’est divisé d’un tiers. Par exemple, les prix du palladium, un composant essentiel des pots catalytiques, extrait en Ethiopie et transformé en Afrique du Sud ont baissé de 70% depuis mars, à mesure que la demande de véhicules ralentissait aussi. La moitié de la production d’aluminium au Mozambique et en Afrique du Sud est devenue non rentable. 30% des mines de nickel, 15% des mines de zinc ne méritent plus d’être exploitées, faute de pouvoir rentrer dans ses frais. Le cuivre dont la Chine est si friande a baissé de 50% depuis avril.

On ne peut apprécier la volatilité actuelle sans réexaminer l’envolée délirante des prix de ces dernières années. En 2003, la tonne cubique de nickel coûtait 9.000$. En 2007, elle était passée à 40.000$. Aujourd’hui, elle se vend à 11.600 $. Aucune variation de la demande ne peut justifier de telles montagnes russes. Il s’agit typiquement de queues qui se baladent sans les chiens, de hedge funds qui spéculaient sans avoir la moindre intention d’entrer en possession de ces matières premières.

En revanche, la baisse de la demande chinoise, maintenant en proie à une frénésie immobilière beaucoup moins virulente est bien réelle. Elle provoque des conséquences à des milliers de kilomètres dans des mines du Kenya ou de Zambie. On peut aussi voir le verre à moitié plein : le commerce Chine-Afrique devrait atteindre 100 milliards de dollars en 2010. Pendant que Nicolas Sarkozy appelle au renforcement de l’Eurafrique et croit inspirer la jeunesse dorée avec son discours à Dakar de juillet 2007 qui peut se résumer à « vendez-nous vos matières premières, gardez votre folklore qui est si joli et nous, nous garderons notre matière grise », les Chinois sortent leurs chéquiers en premier. Simplement, depuis le tsunami, les chèques seront un peu moins gros.

L’éclatement de la bulle spéculative du pétrole, redescendu de près de 150 $ le baril cet été à 54,42$ aujourd’hui annonce la fin de la fête pour l’Angola, premier fournisseur de la Chine, et aussi pour les pays du Golfe de Guinée, comme le Nigéria et le Ghana qui avait plusieurs exploitations off shore. Si à quelque chose malheur est bon, peut-être que la réduction du magot noir provoquera un tassement de la violence sur le Delta du Niger. A moins que la production n’augmente pour justement compenser la baisse des prix et que la rébellion, très vaguement politique, croisse et ne se multiplie.

Ce qui est certain c’est qu’avec un pétrole à 50 $, certains projets d’acheminement vers l’étranger ne passeront pas le cap du fichier AutoCAD. Par exemple, l’exploitation du pétrole du Lac Albert en Ouganda requérait la construction d’un oléoduc de 1000 km jusqu’ à Mombassa sur la côte kenyane. Pour que l’investissement soit rentable, le baril ne saurait descendre en dessous de 80$.

L’un des grands handicaps de tous les pays en développement (et quand on voit l’absence de TVG pour aller de San Francisco à Los Angeles, visiblement de quelques grands pays développés aussi) est le manque d’infrastructures. Il est certain que l’amenuisement de la rente pétrolière va rendre plus difficile l’aménagement du territoire, surtout que les crédits internationaux se seront raréfiés. Il s’agit moins d’un crédit crunch car il n’ y avait jamais eu de liquidité que d’un assèchement du crédit. Et comme le Diable est bien bon, les politiques d’ajustement structurel feront le reste.

Ainsi, dans le cadre des joint-ventures, le Nigeria était censé participer de 2008 à 2012 à hauteur de 60 milliards de dollars, aux coûts d’exploitation de son pétrole. Maintenant que sa manne pétrolière a fondu et qu’emprunter devient plus difficile, le pays est victime d’un effet de ciseau, bien tranchant.

Une autre conséquence de la crise est la baisse de l’envoi d’argent des familles immigrées (remittances) vivant dans le Premier Monde. Elles représentaient 12 milliards de $ en 2007 mais la Banque Mondiale estime que le double correspond à une évaluation plus réaliste. Passons sur leurs coûts prohibitifs en termes de frais et de taux de change, ces virements sont le plus souvent contra-cycliques ; c'est-à-dire qu’ils augmentent quand la situation des immigrés s’améliore ou quand celle de la famille restée au pays se dégrade. En revanche, lors d’une récession, la fréquence et le montant des envois ont tendance à se réduire. Sur ce sujet, je ne résiste pas à vous renvoyer plus pour des raisons esthétiques que de théorie économique vers le film de Sembé Ousmane, « Le Mandat » (1968). Et pour une vision moins romancée, à une visite du Mali où des villages entiers vivent uniquement grâce aux envois de l’étranger ; certains travailleurs immigrés sont en réalité des esclaves modernes aux mains de chefs de famille ou de leurs propres parents. Souvent peu qualifiés, presque tout ce qu'ils gagnent est envoyé aux "maîtres".

L’aide au développement risque bien de devenir la dernière roue du tsunami. Si en temps normal, les pays développés ont déjà du mal à tenir leur promesse de contribuer au développement à hauteur de 1% de leur PIB, la crise rend égoïste. On parle souvent de l’aide qui ne marche pas, qui est volée ou gâchée, mais « le paradoxe du Mozambique » rappelle qu’en fait, elle sert. L’Aide Publique au Développement représente 1,5 milliards de $ par an, soit 25% du PIB du Mozambique. Depuis dix ans, l’APD a contribué à hauteur de 50% au budget de la nation. A ceci s’ajoutent les Investissement Directs de l’Etranger – les fonds privés- qui ont permis le financement de grands travaux. On dit qu’il y a paradoxe car le secteur bancaire local ne prête pas ou après trop de tracasseries. Il préfère faire des profits en achetant des bons du trésor ou en facturant des frais pour la tenue des comptes à vue. D´où vient alors la croissance ? Le Mozambique reste pauvre et tributaire de l’aide internationale, mais bien administrée, elle a permis de construire des écoles et des hôpitaux. Les pays d’Afrique ne recevraient-ils de l’aide que quand il leur tombe un vrai tsunami ?

L’aide au développement est en réalité une épée à double tranchant : d’un côté, elle protège, de l’autre elle ramollit. Alors, on peut aussi se dire que sa raréfaction ramènera les Africains de toutes les générations à leurs responsabilités. Ne te demande pas ce que l’étranger fait pour toi, mais ce que tu fais pour ton pays. Toutefois, si l’Occident pouvait saisir les biens des corrompus sur leurs belles avenues et les juger en bonne et due forme, ça ne couterait que le salaire des juges mais ce serait une aide qui fortifie.

Gabrielle Durana et Kuassi Mensah
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jeudi 13 novembre 2008

Chronique # 39: retour à Bretton Woods

12 novembre 2008

Vendredi, le G20 se réunit à Washington pour essayer de trouver des solutions à la crise et prévenir la prochaine. Cette rencontre a été décidée le 19 octobre et le locataire du 1600 Pennsylvania avenue a invité tout le monde pour un cocktail d’adieu. Les Grands de toujours et des anciens Petits vont plancher sur une refonte du système économique international. Ils ont préparé le brouillon le week-end dernier et à Washington, ils vont accoucher d'un nouveau Bretton Woods. En tout les cas, c'est le film que se font Sarkozy, trop content de montrer qu'il s'active et Gordon Brown qui se voit bien en réincarnation de John Maynard Keynes. Un nouveau Bretton Woods ? La formule est presque aussi élimée qu'un nouveau Plan Marshall, une nouvelle nuit du 4 août, le prochain Google et le new New Deal.
Travelling arrière. En juillet 1944, un mois après le Débarquement de Normandie, les 44 alliés, du Libéria, à l'Angleterre, du Honduras à la Mongolie, en passant par l'Argentine, l’URSS et les Etats-Unis se réunirent, après deux ans de travaux préparatoires, pendant trois semaines à Bretton Woods. Le but affiché : éviter qu'une autre « Grande Dépression » ne se produise et jeter les bases d'un nouveau système économique international. Derrière les apparences d'un multilatéralisme que le chef de la délégation britannique taxait de « ménagerie grotesque » (« most monstruous monkeyhouse »), le vrai dialogue était un tête-à-tête serré entre l'Angleterre, le Grand de naguère, représenté par John Maynard Keynes, et les Etats-Unis, l'ancien Petit, incarné par Harry Dexter White, le sous-secrétaire au Trésor. Incidemment, réfléchir sur le nouveau système monétaire n’est pas bon pour la santé. L’état physique de Keynes et White se détériorèrent rapidement après les accords. Le premier mourut en 1946, le second en 1948, alors qu’ils n’avaient que 63 et 55 ans. Il faudra peut-être en glisser un mot à Strauss Kahn. Pour la petite histoire encore, les Américains continuent de se demander si Harry White, internationaliste convaincu, n’était pas un espion soviétique. Mais ce n’est pas notre sujet aujourd’hui.
La Grande Dépression avait été le résultat cumulé d'un krach boursier en 1929, d'erreurs de politique économique de la part de l'administration Hoover, et de la réaction égoïste, du protectionnisme des différents pays. En matière commerciale, l'épisode de 1930 dit de la « guerre des beurres » danois et néozélandais illustre la guerre commerciale que se livrait chacun contre tous, à coup de dévaluations compétitives. L'expérience des changes flottants dans les années 20 avait été concomitante de l'hyperinflation, donc il fallait éviter aussi. A Bretton Woods, il fut décidé d'établir des taux de change fixes ; fini le dumping. Dans le nouveau système monétaire international, la monnaie de référence, ce qu'on appelle un étalon, serait le dollar, lui-même ancré à l'or. Toutes les autres monnaies seraient ancrées au dollar avec une parité fixe. Si un pays avait des problèmes de balance des paiements, puisqu'il ne pouvait plus dévaluer, il recevrait l'aide d’une nouvelle institution, le Fonds Monétaire International.
L'auteur de la Théorie Générale appelait de ces vœux cette coopération internationale mais n’était pas d’ accord sur le choix de l’étalon. Pour lui, le « dollar as good as gold » était un étalon-dollar. Il ne voulait pas non plus d'un retour à un étalon-or qui dans le passé avait limité le développement du commerce international à la quantité de métal précieux disponible. Il proposait un étalon neutre qui ne soit la monnaie nationale de personne et qu'il appelait le « bancor ».
Keynes et White différaient sur un autre point : le Britannique voulait un FMI suffisamment puissant pour contrebalancer la puissance économique des Etats-Unis et organiser les flots du capital entre les pays. L’Américain voulait une institution qui complétait le rôle économique de son pays.
Le plan White l'emporta, le bancor rejoignit le musée de l'histoire monétaire et le FMI naquit avec une tare congénitale.
Le système de Bretton Woods se révéla pour ce qu'il était, un étalon dollar au cours des décennies suivantes. Les Etats-Unis pouvaient se permettre le luxe d'avoir des déficits jumeaux (twin deficits), à la fois de leur budget et de la balance commerciale parce que « le dollar était [leur] monnaie et notre problème » ; autrement dit la demande de dollars pour financer le commerce international rendait peu probable que tout le monde ramène ses billets verts et demande à les changer en or. Le reste du monde et singulièrement l'Europe mais aussi les pays producteurs de pétrole accumulèrent une pile très très haute et très très large de « dollars de l'étranger » qu'on appela les « eurodollars » et les « pétrodollars ».
Puis le 15 août 1971, les Etats-Unis mettent tout le monde devant la réalité que seuls les économistes avaient vue : le dollar « as good as gold » est un étalon dollar, donc abolissons la convertibilité du dollar en or. Beaucoup de raisons peuvent être avancées pour expliquer cette décision de Nixon. Eviter que les petits malins, comme le Général de Gaulle et Willy Brandt ne vident les coffres de la Fed de tout son or, en renvoyant tous leurs dollars. Eviter que tous les « pétrodollars » et les « eurodollars » ne rentrent dans la masse monétaire américaine, ce qui aurait eu un effet inflationniste certain. En tous les cas, le système de Bretton Woods n'est pas mort ce jour-là. Il a simplement commencé à se faire appeler par son nom, un chat un chat.
La crise couvait toujours. En mars 1973, les monnaies qui étaient arrimées au dollar se mettent à flotter. Là, le système né en 1944 décède. Le 8 janvier 1976, lors des accords dits de la Jamaïque, on abandonne toute référence à l'or dans la définition de la valeur des monnaies ; le système de Bretton Woods est enterré.

Depuis le début de cette chronique, vous vous demandez pourquoi je vous parle de taux de change alors que la crise de 2007-2008 a commencé dans l'immobilier pour se propager aux banques et maintenant au reste de l'économie. D' ailleurs si vous regardez l'ordre du jour de la réunion du G20, personne ne parle de réforme ou de refonte du système monétaire international. On vous parle de transparence et de la création d'une bourse pour les CDS, d'un système d'alarmes (whistleblowers) qui sonnent quand une bulle spéculative se forme, d'un accord Basel 3, où les fonds propres des banques seraient renforcés pendant les périodes fastes sur le modèle contra-cyclique qui a si bien fonctionné en Espagne. La liste se poursuit qui vise à arraisonner la finance, tout ça dans un joli paquet cadeau appelé régulation.
Ceci est très intéressant et certainement utile mais ne remonte pas à la racine de la crise. Mais on la connait la racine… Les subprimes, les petites verrines avec quelques milligrammes de risque par-ci, par-là, mettez en culture et distribuez à volonté.
Là, vous regardez le tronc.
Le rhizome de cette crise, la plus importante depuis 1929 est enfoui dans les déséquilibres des échanges internationaux. Depuis une dizaine d'années, vous avez deux sortes de philosophies en matière de taux de change. Vous avez les pays qui ont arrimé leur monnaie au dollar et ceux qui laissent leur devise flotter. Dans la première catégorie, vous avez par exemple le yuan, la roupie, une grande partie des devises latino-américaines, sauf le réal. Dans l'autre, vous pouvez ranger l'euro, la livre et le yen ; avec quelques aménagements, car il flotte librement mais a tendance à suivre les évolutions du dollar.
Depuis 2002, nous assistons à un replay de la situation des années 30. Pour promouvoir leur politique mercantiliste, les pays de la première philosophie ont arrimé leur monnaie au dollar en évitant qu'elle ne se réévalue au fur et à mesure qu'ils accumulaient des excédents commerciaux. En clair et sans décodeur, cela s’appelle faire de la dévaluation compétitive. Conséquence : des excédents commerciaux records, que dis-je, himalayens. C'était bien le but recherché, on appliquait les recettes du mercantilisme. Sauf que cet argent n'est pas resté en Chine- où il aurait provoqué de l'inflation. Il est reparti dans le circuit international et voulait trouver à se fructifier ; par exemple aux Etats-Unis.
Pourquoi les Etats-Unis ? Comment vont les jumeaux ? Depuis 1997, ils poussent, ils poussent. Ils sont grands maintenant. 700 milliards de $ en 2007 pour Déficit Commercial et 455 pour Déficit Budgétaire.

Ce qu'aurait dû faire Alan Greenspan, le gouverneur de la Fed devant la déferlante d'argent oisif ? Relever les taux, madame ! Car comme le dollar flotte et qu'il y a n'y a pas de barrière à la circulation des capitaux à l'entrée ou à la sortie, la théorie de la trinité impossible vous dit que la politique monétaire peut opérer.
Si c’est tellement évident, pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? C’est l’histoire du meilleur client et de son dealer. Un collectionneur invétéré qui a accumulé des toiles toute sa vie et qui vit très au-dessus de ses moyens a un marchand d’art (art dealer) qui lui rachète 90% de ses tableaux. Croyez-vous que le collectionneur va dire au marchand qu’il n’ aime pas ses idées politiques ou qu’ il devrait faire un peu de sport et ne pas mettre ses doigts dans le nez ?
Persuader la Chine de réévaluer sa monnaie pourrait être un thème au sommet du G20. A la place les Européens veulent parler régulation, transparence, ratios prudentiels, qui sont tous utiles et nécessaires. Mais c'est comme de discuter de la couleur du papier peint au lieu de parler de l'architecture de la maison. Si les Européens ne veulent pas mettre sur le tapis la réévaluation du yuan, c'est sans doute pour une bonne raison. Comme le fait que dans une vraie négociation, c'est toujours donnant-donnant. Pourquoi la Chine abandonnerait-elle une stratégie qui est en train de lui faire faire un grand bon en avant ? Juste pour être gentille avec le reste des gentils pays capitalistes ? Pour que la Chine accepte de perdre quelque chose, il faudrait qu'elle gagne autre chose ; par exemple un poids beaucoup plus grand dans le concert des nations. Strauss-Kahn doit son siège de managing director a son talent et à sa citoyenneté européenne. Les Européens sont-ils disposés à n’occuper qu’une place proportionnelle au poids de leur économie et de leur population ? Donc on parle de transparence et du temps qu'il fait, tout en caressant des rêves de pères fondateurs.
Quant aux États-Unis, pourquoi changer une situation qui, sauf quand elle vient vous exploser une fois par siècle dans la figure, marche la plupart du temps ? Si les Chinois sont contents de financer les jumeaux parce que cela leur donne un vaste marché dans lequel écouler leur production, tout de suite, année après année, pendant que leur pays opère sa transition hors du sous-développement en une ou deux générations, finalement c’est un arrangement qui favorise les deux parties.
En fait, la question des déficits jumeaux est un facteur de déstabilisation de l’ensemble du système quasiment tous les trente ans. La Chine d‘aujourd’hui avec ses excédents est moins à blâmer pour sa dévaluation compétitive – chaque pays essaie de tirer son épingle du jeu- que les Etats-Unis pour leurs déséquilibres structurels.
Comment, sans parti, pris recalibrer le système ?

White, dans sa thèse de doctorat consacrée au commerce international de la France avant la Première Guerre Mondiale arrivait à une conclusion qu’il réutiliserait lors de la création du FMI. « Some measure of intelligent control of the volume and direction of foreign investment is desirable ». (=une certaine dose de contrôle intelligent du volume et de la direction des investissements étrangers est souhaitable). Où est Dieu quand on a besoin de lui !
Aujourd'hui, les Etats-Unis sont un peu dans le rôle de l'Angleterre à Bretton Woods et la Chine dans celui des Etats-Unis ; sauf qu'on ne sort pas d'une Troisième Guerre. La destruction physique, économique, politique et financière n'est pas comparable. La Chine a-t-elle des envies de Roosevelt ou être Churchill lui suffit? La question n’est pas à l’ordre du jour. Barack Obama attend que l’ancien locataire finisse de faire ses cartons. Et les 19 invités, tout sourire que le bail expire.

Gabrielle Durana
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mercredi 12 novembre 2008

Chronique # 38 L' inde et le triangle

11 novembre 2008


Hier quand je vous parlais de Robert Mundell, le professeur de Columbia qui a reçu le Prix Nobel d’ Economie en 1999 et dont la théorie des zones monétaires optimales sert de base à la monnaie unique, j’aurais dû vous préciser qu’il était Canadien. Vous allez voir c’est très utile pour vous parler de l’Inde, le quatrième des grands émergents, les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et du tsunami.

Dans les années 60, tous les pays du monde ou presque avaient un taux de change fixe par rapport au dollar. Les gouvernements surveillaient les entrées et surtout les sorties de capitaux. Même en tant que touriste international, on contrôlait l’argent de vos vacances.

Au Canada, les choses en allaient autrement. Quand vous êtes le voisin des Etats-Unis, c’est comme quand vous êtes le voisin du Vatican, attirance ou répulsion, la force invisible se manifeste. Le contrôle des mouvements de capitaux avec une frontière longue de 8891 kilomètres... n’avait jamais donné grand résultat. Les Américains investissaient comme si c’était le Vermont ou l’Illinois. La banque centrale du Canada avait beau essayer de fixer ses taux d’intérêt pour contrôler l’inflation tout en alimentant l’économie en liquidités, cela ne servait à rien. Elle n’avait pas prise sur la masse monétaire : il y avait trop d’entrées et de fuites dans le système. Refusant de se placer sous la tutelle de la Fed, la Banque du Canada décida quelque chose de réellement audacieux pour l’époque : laisser flotter sa monnaie.

En observant son pays, Mundell vint à rédiger l’un de ses papiers les plus importants. Tiens, ça rapporte combien d’aller placer son argent à Ottawa ? 2% de plus qu’à Chicago ! Hop, je saute dans l’avion. Six mois plus tard. Zut ! Leur inflation rogne sur mon profit… Je vais aller voir, hop, combien on m’offre pour mon argent à New York. Le différentiel des taux d’intérêt de part et d’ autre de la frontière et la liberté de circulation des capitaux, qu’est ce que cela donne ? Sa réponse fut que tout dépendait du taux de change. Si le gouvernement s’enferrait à absolument vouloir le maintenir fixe, la politique monétaire devenait inopérante. Si le gouvernement laissait flotter sa monnaie, la politique monétaire se remettait à fonctionner.

Mundell et Fleming ont reformulé la théorie désormais connue sous le nom de triangle d’impossibilité ou de trinité impossible. Elle se résume en disant que dans la vie il faut choisir. Vous ne pouvez pas avoir une politique monétaire autonome et la liberté des capitaux et un taux de change fixe. Vous pouvez en prendre deux sur trois.

Si vous voulez avoir une monnaie fixe et que vous voulez avoir une banque centrale qui puisse mener une politique monétaire autonome, alors vous devez contrôler l’entrée et la sortie des capitaux ; vous avez peut-être reconnu la Chine (qui a certes officiellement aboli le cours fixe de sa monnaie en 2005, sous la pression de l’Organisation Mondiale du Commerce et des Etats-Unis, mais qui de fait ne la laisse flotter qu’à +/- 0,5% de son cours pivot, ce qui revient à un cours fixe sotto voce-à voix basse).

Vous pouvez renoncer à une monnaie stable et préférer garder la libre circulation des capitaux et votre politique monétaire perso ; vous suivrez l’exemple du Canada et de l’Angleterre.
Enfin, vous pouvez donner la prévalence à la libre circulation des capitaux et à la stabilité de votre monnaie mais alors, oubliez que vous avez jamais eu une politique monétaire ; c’est ce qu’à fait grosso modo la Banque Centrale Européenne depuis sa création.

Si je ne vous ai pas perdu sur ma route des épices, vous devriez m’ objecter que toutes les banques centrales sont en train d’ utiliser matin, midi et soir leur politique monétaire et que vous n’ avez pas vu tomber le couperet du contrôle des changes et que les monnaies ne font que cela de flotter, pire que la devise de Paris, « fluctuat nec mergitur » ; elles sont bien battues par les flots ces jours-ci. Donc, il y a quelque chose qui cloche.

Elémentaire, mon cher triangle ! Le mot important ici est : « toutes les banques centrales ». En se coordonnant, elle ne mènent pas une politique autonome. Ce qui ferait bouger les capitaux dans un sens ou dans un autre, ce serait qu’elles fassent leur petite politique monétaire dans leur coin. Il y aurait alors un différentiel de taux d’intérêt entre disons l’Eurozone et les Etats-Unis. Mais, si elles s’entendent, vous ne gagniez rien à prendre l’avion. Donc la théorie n’est pas invalidée. Maintenant, attachez vos ceintures.

Vous ferez un autre jour votre pèlerinage Beatles à l’ashram de Maharishi ; je vous emmène à Bombai, la capitale économique (-et artistique ; à Amsterdam au XVIIème ou en Inde aujourd’hui, là où il y a de la richesse, il y a des collectionneurs et donc des peintres). C’est un long vol. J’ai pensé que pour vous aider à prendre votre mal en patience, outre revoir le film « Gandhi » de 1982, je pouvais vous raconter comment le Diable avait trouvé à se rendre utile en 1990. A force de tirer sur la carte de crédit étrangère, une dette de 83,8 milliards de $ s’était empilée qui représentait 40% du PIB et dont le service (c’est à dire le seul paiement des intérêts) mangeait 30% des exportations. Méga crise de la balance des paiements. Je vous passe le film d’horreur en vitesse. Arrive Zorro du fond du Penjab. Manmohan Singh connaissait bien le FMI pour y avoir travaillé, après son doctorat en macro-économie. Ancien gouverneur de la Reserve Bank of India sous Indira Gandhi (1982-1985), il devient donc ministre des finances en 1991 et hérite d’une économie au bord de l’apoplexie.

Le Licence Raj était le nom péjoratif donné à l’économie planifiée mise en place au lendemain de l’Indépendance. Tous les aspects de l’économie étaient contrôlés par l’Etat, soit sous forme de monopoles soit via les plans quinquennaux et il fallait des licences pour tout. Du coup la licence était reine (raj=roi) et celui qui pouvait vous en procurer une était faiseur de roi. La « Révolution verte » a bien apporté l’autosuffisance alimentaire. Mais le boulet démographique rendait toujours plus lointaine l’accumulation primitive de capital et le système n’a jamais permis un décollage économique. En 1991, on avait épuisé le modèle.

Manmohan Singh a aboli le Licence Raj et modernisé le pays. Sa politique d’inspiration centriste fut accompagnée de mesures sociales. Elle pourrait rentrer sous l’appellation d’économie sociale de marché. Bien sûr, le manque d’infrastructures et la pauvreté furent les deux principales pierres d’achoppement. Mais que le mouvement d’industrialisation se mît en marche et qu’il manufacturât une classe moyenne fut une source de fierté nationale, d’émerveillement pour les voisins et de rage muette pour les comparses du Diable.

Une leçon que les pays d’Asie ont apprise avec la crise régionale de 1997-1998 et que l’Inde avait retenue avant tout le monde, c’est qu’il fallait se constituer un trésor de guerre au cas le ciel vous retomberait sur la tête. Pour ce faire, l’Inde, la Chine, la Corée du Sud se sont toutes lancées dans des politiques mercantilistes. On exporte le plus possible et on importe le moins possible avec pour but un excédent vis-à-vis du reste du monde. En 2007, les exportations représentaient 47% du PIB de la région –Japon non compris- en hausse de 11% par rapport à 1998. La Chine a accumulé des réserves de change de presque 2 trillions de $. Début 2008, l’Inde comptait 300 milliards de $ dans son bas de laine. En mai, la cagnotte résonnait de 316 milliards de $.

Etre mercantiliste quand vous êtes le Brésil, grenier de la planète ou la Chine, manufacture du monde, c’est faisable. Mais quand vous êtes l’Inde et que vous manquez de ressources énergétiques pour alimenter votre industrialisation ? Vous vous lancez dans le nucléaire. Un essai en 1974, c’est l’esclandre. Vous remettez un petit coup à Pokhran en 1998, vous voilà au ban des nations. Alors vous épongez la facture pétrolière (80, 4 milliards de $ de janvier à août 2008), en vendant beaucoup de textile aux Gap de ce monde et en répondant à tous les téléphones qui sonnent à trois heures du matin, heure de New York. Soyons justes, l’Inde produit plus d’ingénieurs que les Etats-Unis. Ils sont d ailleurs tellement bien formés qu’on les retrouve dans la Silicon Valley, détenteurs de leur précieux visa H1B de travailleurs stratégiques ; jusqu’ à ce qu’ils créent leur entreprise dans leur Silicon Valley, à Bangalore.

Au fond l’Inde qui a mué à partir de 1991 a favorisé trois groupes sociaux : les grands propriétaires terriens, les capitaines d’industrie et les milieux d’affaires et une classe moyenne urbaine, autour de la sous-traitance, les usines et les call centers, qui a rejoint les professions libérales et la noblesse d’Etat. En 2006, 60 années après l’indépendance, un Indien sur trois est analphabète et vit sous le seuil de pauvreté.

En 1999, l’alternance ramène la droite nationaliste. Les réformes se ralentissent et la vieille plaie, depuis la Grande Migration de 1947-1948 où l’Inde se brisa en un grand pays à vocation hindouiste et deux petits pays musulmans, le Pakistan et ce qui deviendra, après une guerre civile en 1971, le Bangladesh, donc la plaie se rouvre pour la millième fois et sévissent les tensions religieuses. (Si vous ne vous souvenez pas de cette partie de l’histoire, restez éveillé quand on projette « Gandhi » ou essayez de louer le premier volet de la trilogie « Earth », « Fire » et « Water » de Deepa Mehta, sortie en 1999).

Sur la thématique de « L’Inde ne brille pas pour tous », le Parti du Congrès revient au pouvoir en 2004 grâce à une alliance avec le parti communiste ; dont le poids électoral ne s’est jamais démenti à travers les décennies et qui pèse alors 60 sièges sur 552. L’ancien ministre des finances, ancien gouverneur de la Reserve Bank of India, devient le premier sikh, premier ministre. (La religion sikhe opère un syncrétisme entre l’hindouisme et l’islam. On reconnaît leurs membres à leurs turbans blancs ou bleus, couleur de la protection). Lui qui avait servi sous Indira Gandhi, assassinée par un de ses gardes du corps sikhs devient un symbole de réconciliation nationale.

Manmohan Singh propose de relancer les réformes en copiant la réussite chinoise des zones franches dites «zones industrielles spéciales » et de nouveau d’amortir les effets du capitalisme sauvage par des politiques sociales volontaristes, encore plus prononcées, coalition communiste oblige. Il propose « sept sutras » (=priorités): l’agriculture (« a New Deal for Rural India »), l’eau, l’éducation, la santé, l’emploi, le développement urbain et les infrastructures. Rien de bien surprenant quand on essaie d’émerger du sous-développement. Mais il parle aussi du danger de la fonte des neiges de l’Himalaya avec l’effet de serre. Alors que si vous me laissez construire mes centrales nucléaires tranquille, mon industrialisation sera propre.

Les suicides d’agriculteurs surendettés en particulier à Vidarbha, dans l’Etat du Maharashtra, bien au milieu de la carte, est rapporté dans la presse indienne depuis les années 90. Il fait donc voter deux programmes pour soulager la misère : le National Rural Employment Guarantee Act qui fournit un revenu minimum aux plus démunis. Il concerne 20 millions de personnes sur 200 districts et devrait progressivement s’élargir à tout le pays. La loi Bharat Nirman (« Bâtir l’Inde ») vise à électrifier et viabiliser les villages. Le gouvernement offre aussi des prêts relais à trois mois aux paysans, mais vu les problèmes d’infrastructures, on peut douter que ceux qui ont le plus besoin d’échapper aux usuriers ne soient pas laissés sur le bord de l’absence de chemin. Sans doute l’une des multiples tensions que ce gouvernement doit balancer est que pour tirer les paysans de la misère, le prix de leurs récoltes doit augmenter, mais de l’autre côté, la population doit encore avoir les moyens de manger.

En sus pour absorber l’exode rural et résorber la pauvreté, l’Inde a besoin d’un taux de croissance d’au moins 10% annuel. Pari tenu ces trois dernières années, jusqu’ à ce qu’un certain jour de septembre un gros astéroïde tombe sur Manhattan.

Les choses avaient déjà commencé à se compliquer quand le premier ministre avait poussé à bout sa logique nucléaire et était allé à Canossa, je veux dire Washington pour obtenir un accord pour un usage civil de la technologie, devant fournir de l’électricité à 40% de l’Inde rurale. Ce traité multilatéral négocié de longue date et qui devrait aboutir est le fleuron du mandat de Manmohan Singh au point de laisser se briser la coalition.

Alors quand le tsunami est arrivé, le parti communiste qui s’était bien chauffé la voix en hurlant à la trahison de la mémoire de Nehru et du mouvement des non-alignés, a entonné l’Internationale.

Bien que l’Inde n’ait pas détenu d’actifs pourris de banques américaines ou européennes, le taux d’ouverture de son économie dû à sa politique mercantiliste la rend vulnérable à une contagion par la balance des paiements. Si l’Inde comme le reste des BRIC n’est pas en récession, ses clients le sont. En 2009, 90% de la croissance mondiale viendra des pays émergents et l’Inde escompte une croissance de 7,3%, déjà revue à la baisse. En Inde, à cause d’une combinaison de paternalisme et de forte syndicalisation, les licenciements ne sont pas la variable d’ajustement la plus immédiate. La valve c’est l’économie informelle, urbaine et rurale. Et les faillites.

Depuis l’éclatement de la crise, le crédit s’est contracté. La classe moyenne ne peut plus s’équiper. Ce qui va bien sûr à son tour se répercuter sur les investissements, les embauches et la croissance. La bourse de Bombai depuis janvier a perdu 50% de sa valeur. Les investisseurs institutionnels étrangers ont vendu pour 12,2 milliards de $ d’actions depuis début 2008. Les capitaux go home et la roupie risque de s’effondrer. Alors la Banque Centrale sort les armes.

Sauf que vous ne pouvez pas avoir des frontières qui sont une vraie passoire à capitaux, une politique monétaire autonome-ici expansionniste, ma non tropo, car l’inflation guète à tous les coins de rue- et une roupie stable. La trinité impossible vous commande de choisir : soit vous laissez se nécroser votre économie en interne faute de levier monétaire, soit vous laissez filer la valeur externe de votre monnaie. Vous aurez beau dépenser votre trésor de guerre, votre monnaie finira par tomber. Gouverner c’est choisir entre de grands inconvénients.

Jai Hind !
Jai Hind !
Jai Hind !

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved.

lundi 10 novembre 2008

Chronique # 37 : votre euro m’intéresse -2ème partie-

Erratum : Un lecteur diplomate me fait remarquer que dans le Traité de Lisbonne, le Président du Conseil devenu permanent serait élu par les pays membres en fonction de sa personne –intuitu personae- et qu’il ne représenterait pas son pays d’origine. Par conséquent le danger qu’il/elle « joue perso » ou que par accident un anti-européen se retrouve à exercer ces fonctions disparait. Dont acte. Il ajoute qu’en cas de crise, il n’est pas le Président de l’ UE ni Président de l’ Europe, juste le Président du Conseil Européen.

Précision : « clavarder », le mot existe. Les Québécois à qui nous devons aussi le joli « courriel » l’emploient de préférence à « tchater ».

10 novembre 2008


Dans un roman publié en 1974 et intitulé « Derrière la vitre », Robert Merle qui toute sa vie travaillera comme professeur d’Anglais à la fac de Nanterre raconte les débuts du mouvement du 16 mars. Il décrit la fac, sortie de terre au pied des bidonvilles, la première génération d’étudiants et les mandarins, ces profs nantis qui utilisent les chargés de TD comme soutiers. Entre les deux mondes, une vitre et un tsunami nommé mai 68. Depuis l’ouverture d’un second épicentre en Europe, les pays hors de l’Eurozone lorgnent avec envie vers leurs cousins qui ont pu brandir l’euro comme un écu et se protéger des trombes d’eau.

Dire que l’Islande a voulu jouer au hedge fund comme je l’écris depuis des semaines est une image parlante mais insuffisante pour expliquer ce qui s’est véritablement passé. Après tout, les Etats-Unis sont des emprunteurs nets de capitaux et ils sont LE hedge fund puissance 8000, pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas été transformés en ballon de grenouille à travers la galaxie ?
L’Islande réunissait quatre caractéristiques qui l’ont rendue vulnérable au même sort que l’Atlantide. 1) C’est un petit pays. 2) Avec un secteur bancaire très important et internationalisé –ce que j’ai hâtivement appelé « jouer au hedge fund »- 3) Sa propre monnaie. 4) et des capacités d’endettement public limitées au regard de la taille de son secteur financier.
Evidemment, avec le recul, il est facile de dire qu’elle n’aurait jamais dû creuser un secteur bancaire surdimensionné, 900% du PIB !, par rapport à des assises monétaires et budgétaires réduites. Dans une comparaison tirée par les cheveux, on pourrait dire qu’en vue de rembourser le FMI et les pays européens (Angleterre, Pologne, les pays scandinaves et la Hollande) qui sont sur le point de lui prêter 5 milliards d’euros, l’Islande va devoir, comme l’Argentine réorienter ses ressources vers la gestion de la dette. Cela a déjà provoqué une forte dévaluation de la couronne islandaise
L’euroisation (surtout) et la dollarisation (un peu) de l’économie avaient déjà commencé avant la crise mais elles se sont intensifiées depuis le décrochage de la devise nationale. Cela veut dire que les agents économiques utilisent une devise étrangère pour effectuer leurs transactions et souvent ils sont même payés en monnaie non-nationale.
La Banque centrale islandaise cherchant à retenir l’argent dans les banques nationales a relevé son taux directeur à 18%. Pour mémoire rappelons qu’en septembre 1992, en pleine attaque spéculative contre la couronne suédoise, la Banque de Suède n’avait pas hésité à augmenter ses taux de 16% à 75%, puis quelques jours plus tard à 500%. Les spéculateurs avaient arrêté de vendre et recommencé à acheter des couronnes. Tout était rentré dans l’ordre.
Le plus intéressant dans le cas islandais est qu’il n’est pas isolé. Il est seulement un cas extrême. Si vous avez un petit frère, vous lui avez peut-être fait la lecture de ce roman policier pour enfant où il faut promener une loupe rouge sur les images et aider l’inspecteur à trouver les indices. Si je prends ma loupe à quatre filtres 1) petit pays. 2) secteur bancaire surdimensionné et très international 3) monnaie nationale. 4) capacités d’endettement public limitées et que je la promène sur l’Europe, surgissent de la carte la Suisse, le Danemark, la Suède et jusqu’ à un certain point l’Angleterre, même si sa taille est plus grosse et que sa monnaie jouit de beaux restes de monnaie internationale (4,70% des réserves de changes mondiales). L’Irlande et les trois pays du Benelux ont l’avantage d’être dans l’euro et donc leurs dettes sont libellées dans une monnaie qui est aussi une importante monnaie de réserve internationale. En cas d’illiquidité, non seulement leur monnaie ne risque pas d’être dévaluée, ce qui ferait exploser leurs créances mais en outre la BCE est un super-pompier prête à ouvrir à flots les robinets des liquidités. En revanche, en cas d’insolvabilité, comme on l’a vu dans le cas du sauvetage de Fortis, les capacités d’endettement public sont limitées, donc il faut faire comme les trois mousquetaires, tous pour un et un pour tous.
Soyons cyniques. Si vous êtes la BCE vous avez déjà fort à faire avec les PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain). Remarquez au passage le joli acronyme qui vous dit tout le bien qu’on pense dans les couloirs de Francfort de l’Europe méridionale ; ces cochons (=pigs) qui trainent des déficits publics et de la balance des paiements ; au lieu de respecter le Pacte de Stabilité à la précision et au bon sens germaniques. Pourquoi iriez-vous vous embarrasser de nouveaux membres ? L’Angleterre et la Suisse, d’ accord. Qui ne veut pas adopter un cousin qui a réussi ? Mais la Roumanie dont Standard & Poor’s vient de ramener la note sur le risque-pays à « junk » (=pourriture). La Slovénie a déjà adopté l’euro. La Slovaquie se prépare pour l’année prochaine.
Soyons rancuniers. Vous, la Suède, le Danemark, pour l’Angleterre on va faire comme si on avait perdu la mémoire parce que quand même un cousin Rothschild c’est toujours bon à prendre, vous, la Hongrie, la République Tchèque, l’année dernière la Pologne, on vous avait proposé de rejoindre les corps des mousquetaires. Mais voilà, vous avez préféré la Fronde. Et bien maintenant, allez pleurer auprès du Cardinal Trichet. Peut-être qu’il vous tendra un crédit-swap.
La théorie des zones monétaires optimales qui est à la base de la monnaie unique européenne a valu a Robert Mundell, un professeur de Columbia, le prix Nobel d’ Economie en 1999. (Avec Marcus Fleming, il a aussi fait une contribution majeure à l’analyse de la politique économique et des « fuites dans le circuit » en économie ouverte). Il explique qu’il y a des coûts – notamment la perte du contrôle de la politique monétaire- mais que les avantages liés à l’effet de stabilisation et à la réduction des coûts de transaction l’emportent SI les populations peuvent migrer d’une zone à l’autre, ou si les prix des paniers de biens et des salaires sont suffisamment flexibles pour s’adapter à des disparités régionales. On voit bien la force et les limites de la théorie. Il est plus facile de déménager de Los Angeles à New York que de Cracovie à Madrid, ou de Galway en Calabre. Mais l’Europe n’est-elle pas est « une union de plus en plus étroite entre les peuples » ?
Alors voulons-nous vraiment laisser l’eau monter chez les voisins ? Oui, la vitre de l’euro nous protège et on peut les regarder patauger. Mais comme dans le requin de Damien Hirst, exposé au Metropolitan (http://rawartint.files.wordpress.com/2007/10/damien-hirst-shark.jpg), qui est le monstre ?

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved

dimanche 9 novembre 2008

Chronique # 36: votre euro m’intéresse – première partie-

8 novembre 2008

Au rythme où les taux baissent, on va bientôt nous payer pour emprunter de l’argent gratuit. Depuis le 29 octobre, le taux directeur de la Fed est fixé à 1%, son plus bas niveau en un demi-siècle. Si on tient compte d’une inflation américaine de 4,97% fin septembre, nous obtenons des taux d’intérêts réels négatifs. Vous voyez, vous ne rêviez pas.

Le 6 novembre, la Banque d’ Angleterre a aussi réduit son taux directeur de 1,5% la plus grosse baisse d’un coup en 16 ans. Il s’établit désormais à 3%, du jamais depuis 1955. Le même jour, la Banque Centrale Européenne emboitait le pas avec une baisse d’un demi-point et entrainait dans son giron les banques centrales suisse, danoise et tchèque. Son taux de base est désormais fixé à 3,25%. Même la Banque du Japon a fait preuve de bonne volonté avec sa première baisse en sept ans, son taux étant à 0,3%.

L’argent à taux zéro, c’est comme les yaourts à 0%, ça vous donne l’impression que vous faites quelque chose pour votre santé. Mais ce qu’ils font à l’intérieur du système financier se voit-il dans l’économie ?

Les banques HSBC, HBOS et la Barclays traînent des pieds pour répercuter la baisse sur leurs emprunts. Pourtant une réduction de cette ampleur n’est pas que psychologique. Un Britannique qui aurait un prêt à taux variable de 150.000 livres sur sa maison devrait voir ses remboursements se réduire d’entre 133 et 190 livres mensuelles.

La raison pour laquelle les banques ne se lèvent pas toutes pour cet argent gratuit c’est que le credit crunch continue. Elles préfèrent garder leur cash, ont peur de se prêter entre elles. Certes le gros du tsunami semble être passé mais les choses ne sont pas revenues à la normale. On peut mesurer la confiance des agents économiques dans la viabilité du système financier en comparant le taux auquel les banques se prêtent à trois mois –le libor- et le taux que rapportent les bons du Trésor à trois mois; l’ un des investissements les plus sûrs qui existent car l’ Etat ne fait pas faillite. La différence entre les deux – le Ted spread, pour les intimes- avoisine les 0,2% en temps normal. Par exemple, si les bons du Trésor rapportent 1,5% à trois mois, les banques gagnent 1,7% en se prêtant sur la même période. En ce moment, le Ted spread s’étale à 1,29%, c’est à dire six fois plus qu’avant la crise. Au creux de la vague, le 10 octobre, il avait été multiplié par 20 atteignant 4,65%. Donc ça va nettement mieux mais on ramasse les débris.
Un danger lorsque les taux baissent trop est qu’il n’y ait plus d’incitation à prêter votre argent au gouvernement. Les bons du Trésor rapportent si peu ; à ce prix-là, autant garder son cash. On dit que s’ouvre la trappe à liquidités. La politique des taux est alors devenue inefficace. Si on ne peut plus jouer sur les prix- le taux-, on peut toujours agir sur les quantités –le volume- et continuer à injecter des liquidités, mais c’est comme ouvrir le robinet sans pouvoir ajuster la force du filet d’eau… Attention aux inondations, qui s’appellent l’inflation.

Les autorités des différents pays pensent que la trappe ne va pas s’ouvrir parce que les taux d’intérêt réels négatifs vont inciter les gens à ne pas conserver une monnaie qui se déprécie. Ils vont préférer dépenser. C’est sans compter avec les chiffres du chômage et de l’investissement. Leur détérioration accélérée cause des inquiétudes. Les agents sont rationnels. Ils vont freiner leur consommation le plus possible et conserver leur épargne pour survivre à l’après-tsunami. Dit autrement, ce qui rassure les autorités quant à l’absence de risque d’inflation c’est que nous sommes au bord de la déflation.

Bon, je vais arrêter avec mes histoires de nécrose de l’économie. Après on dit que les Français sont moroses. Parlons de choses plus gaies. D’ abord un peu de pub pour Nicolas Sarkozy, notre président qui trouvait que le locataire en partance du 1600 Pennsylvania avenue était un type formidable. Pour une fois, il ne parle pas d’envoyer les sans-papiers dans un charter pour le Mali ou la racaille casser des pierres en Guyane. Il avance deux mesures pour parer un autre tsunami qui méritent d’être étudiées.

D’ abord, il propose la mise en place d’un gouvernement économique aux côtés de la Banque Centrale Européenne.

Comme je l’avais expliqué quand le tsunami avait traversé l’Atlantique, la grande différence entre les Etats-Unis et l’Union Européenne est l’absence de gouvernement fédéral européen pour signer, au nom de l’intérêt général, un chèque de 700 milliards d’euros. Le budget du Parlement européen est minuscule, il compte pour du beurre. Limité par traité à 1,24% du PIB européen, il s’élevait en 2007 à 116 milliards d’euros. C’est évidemment ce qui explique que la voix de José-Manuel Barroso, le président de la Commission Européenne –ce qui ressemble le plus à un embryon de gouvernement fédéral- soit restée inaudible ; l’ argent est le nerf de la guerre et il préside une institution désargentée.

Ensuite, il existe un « eurogroupe » qui rassemble, une fois par mois, tous les ministres des Finances des 15 pays membres de l’Euro et qui est présidé depuis 2005 et jusque fin 2008 par M. Juncker, le Premier ministre du Luxembourg. On voit bien comment on a cherché à travers l’institutionnalisation de la fonction de Président de l’Eurogroupe a corriger l’élément « tournez manège » (auquel est aussi confronté Sarkozy en tant que président de l’UE) : tous les six mois on change. Mais cela n’a pas conféré plus de légitimité pour engager les finances des Etats. Ceci est dû au fait que voter l’ impôt, ici un plan de sauvetage relève bien du pouvoir législatif-national ou fédéral- et que les exécutifs-nationaux ou fédéral- doivent faire ratifier la décision par des représentants de tous les coins du territoire pour sceller l’ accord de la nation. Y-a-il une nation européenne ? Et, oui, on retombe toujours sur le même problème. Mais comme nous expliquait Michel Serres jeudi dernier chez le Consul Général de San Francisco, c’est cette même absence de nation européenne qui nous a apporté 60 ans de paix et qui fera que l’Union Européenne ne réclamera jamais le sang de ses enfants contre, disons un nouvel Hitler ou… Poutine.

Donc, l’idée d’un gouvernement économique sans budget est impuissante. Comme quand sous l’Ancien Régime, le roi devait réunir les Etats Généraux chaque fois qu’il voulait financer quelque grande entreprise. En revanche, s’il s’agit de l’accompagner d’un budget, l’idée est révolutionnaire : passer d’un budget européen plafonné à 1,24% du PIB à un budget qui pèserait 30% du PIB (comme le budget fédéral américain rapporté à son PIB) n’est pas un changement de degré, c’est un changement de nature, une transmutation, qui, vue depuis la RFA de Mme Merkel et même depuis les capitales de tous les pays qui ont dit non à la Constitution européenne, prend l’or souverainiste pour le transformer en plomb fédéral.

Du gouvernement économique, permettez-moi de sauter au gouvernement tout court. Un peu de politique fiction : si au lieu de déferler le 15 septembre 2008, le tsunami avait frappé le 15 janvier 2009… La présidence de l’UE aurait échu à la République Tchèque, qui ensuite la passe à la Suède. Nonobstant mon amitié pour mon ancienne stagiaire tchèque, leur premier ministre est probablement l’un des plus anti-européens depuis Mme Thatcher. De plus le pays de Mirek Topolanek ne fait pas partie de l’Eurozone. Six mois plus tard, les Suédois sont des experts en matière de crise financière mais eux non plus n’ont pas l’euro en partage.

Le Traité de Lisbonne a été adopté le 13 décembre 2007 pour surmonter l’impuissance institutionnelle causée par le non à la Constitution européenne. Il prévoit un Présidence permanente et non plus tournante du Conseil Européen – le gouvernement des gouvernements européens- à l’instar de l’institutionnalisation du président de l’Eurogroupe. Mais d’ abord le Traité n’est pas encore entré en vigueur. Ensuite cela ne change pas le cœur du problème : aux Etats-Unis, le Président est élu par un savant mélange de 270 grands électeurs. Il ne suffit pas que les deux Côtes tombent d’ accord pour élire Obama plutôt que McCain. Et une fois au pouvoir, le Président n’est pas non plus sous le diktat de Sacramento ou de Tallahassee ou les supplications des petits Etats sous perfusion perpétuelle. Que se serait-il donc passé si le pays à la tête du Conseil Européen, devenu permanent décidait de jouer perso ou de profiter de la crise pour casser l’Europe ? Aille, aille, aille.

Examinons maintenant la prochaine bonne idée de Sarkozy, lancée du haut de la Savoie le 23 octobre. Le prochain tsunami sera paré grâce à un fonds souverain français ou des fonds souverains européens coordonnés. Pour citer sa conférence de presse, il veut créer un « fonds public d’intervention qui interviendra massivement chaque fois qu’une entreprise stratégique aura besoin de fonds propres ».

Si j’ai toujours pensé que la politique industrielle de créneaux n’aurait jamais dû être abandonnée et qu’elle passe par des prises de participation et des commandes d’Etat, la mesure annoncée repose sur un flou artistique de la définition de fonds souverain.

Il existe trois types de fonds : les fonds souverains, les fonds de stabilisation, les fonds de réserves qui correspondent grosso modo à des fonds mobilisables à long terme, à moyen terme, à court terme.
Les fonds souverains sont la plupart du temps crées par des pays qui ont des ressources non-renouvelables. Par exemple, les pays du Golfe ou la Norvège (Singapour est un contre-exemple). Comme ils « volent » les générations futures du bénéfice de ces ressources en les exploitant aujourd’hui, ils compensent en investissant une partie des excédents dans des activités qui rapporteront de l’argent demain. C’est ce que l’on appelle l’équité intergénérationnelle et le propre de ces investissements est d’avoir une échéance de très long terme.
Les fonds de stabilisation visent à aplanir les fluctuations en termes de revenu ou de consommation. Ils sont souvent utilisés pour stabiliser les prix des matières premières ou de produits agricoles. L’exemple type est la Politique Agricole Commune. On met de côté de l’argent quand les prix montent et on le ressort quand les prix baissent ; les agriculteurs touchent un prix qui varie autour d’un cours pivot et tout le monde est content. Les fonds de stabilisation doivent pouvoir être mobilisables à six mois.
Les fonds de réserve doivent fournir des liquidités au jour le jour pour des transactions commerciales internationales. Ils permettent de défendre la monnaie contre des attaques spéculatives, la bourse qui s’effondre etc. Ici, le mot clef est liquidité immédiate, pléonasme.
Donc quand M. Sarkozy nous parle d’un fonds souverain à la française, pour faire face aux urgences, de quoi parle-t-il ? En France, on a des bonnes idées, mais on n’a pas de pétrole et encore moins des excédents de la balance des paiements. En plus quand la croissance revient, au lieu de mettre de côté pour les sept prochaines années de vaches maigres, on dilapide, basé sur le fait qu’on vient de se serrer la ceinture durant la disette. Donc, un fonds souverain, on rêve ! Comme on dit en anglais, « talking is cheap, whisky costs money » (=parler ne coûte pas cher mais pour acheter du whisky, il faut de l’argent).
Demain, je vous parle de ceux qui font PING PING à la porte de l’ Eurozone. (Dans la Silicon Valley, quand quelqu’un vous demande de clavarder, on dit qu’il vous PING).

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved