mercredi 25 février 2009

Chronique # 70: la preuve par K.

4517 Marigny Street, Robert Polidori
25 février 2009

Les quatre pouvoirs s’étaient réunis hier soir pour écouter le premier discours de Barack Obama sur l’état de l’Union. Derrière le vice-président, Joe Biden et la présidente de la Chambre des Représentants, la Speaker Nancy Pelosi, devant les parlementaires, en présence de Timothy Geithner, d’Hillary Clinton, du reste de son gouvernement (the cabinet), de la Cour Suprême au grand complet, y compris Ruth Bader Ginsburg, 75 ans, opérée il y a 21 jours d’un cancer du pancréas, devant les caméras de télévision, le nouveau président a raconté à l’Amérique comment elle allait.

« Nous allons reconstruire et nous nous en sortirons »[i] a dit l’homme au sourire tranquille. Parmi les invités dans la galerie supérieure, Sully Sullenberger, le commandant de bord qui le 15 janvier a sauvé 155 passagers, en faisant amerrir son avion, en double panne de moteurs, sur le fleuve Hudson. Un jeune homme en uniforme militaire, au visage défiguré et une adolescente noire entouraient Michelle Obama. La lycéenne de Caroline du Sud avait interpelé chacun des membres du Congrès au moment du vote du plan de relance en leur demandant de ne pas oublier l’éducation. Dans sa lettre, elle décrivait ses conditions d’étude, les toits qui pleuvent, les trains qui font trembler les murs dont la peinture s’effrite. « Nous sommes des élèves qui essayons de devenir des avocats, des maîtres, des hommes politiques, des Présidents de la République. Nous ne sommes pas des lâcheurs. » cite le Président. La gueule cassée se tient debout. Michelle Obama serre la jeune fille stoïque. La mère essuie des larmes. Barack Obama donne l’exemple de la ville de Greensburg, la caméra se braque sur le maire, quasiment effacée de la carte par une tornade et que les habitants ont décidé de reconstruire tous ensemble. Les grandes catastrophes permettent aux gens de démontrer le meilleur d’eux-mêmes, nous dit l’homme à son pupitre. Moi, qui vis en zone sismique, j’ai entendu parler de la solidarité dont font preuve des inconnus lors d’événements tragiques.

Barack Obama est un rhéteur nourri à la messe du dimanche. Au concours d’éloquence, il est pédagogue et savant sans être pédant. Il touche votre cœur et votre cortex. En l’écoutant me revient en mémoire ce spectacle à la Cartoucherie de Vincennes où Jean-Louis Benoit avait mis bout à bout les sept premières années des vœux de Mitterrand. Ce n’était plus des mots, c’était de la musique. La rhétorique, disait Hobbes est l’art de savoir parler au plus grand nombre.

« Il ne s’agit pas d’aider les banques, mais d’aider les gens ».[ii] Barack Obama réexplique pourquoi sans système financier, les projets des gens ne peuvent pas se concrétiser. Mais il avertit que la fête aux frais du contribuable est terminée. A ceux qui disent que le plan de relance entraînera une énorme gabegie, il répond qu’en ramenant les troupes, il éliminera les milliards dilapidés en Irak[iii], qu’une évaluation du plan de relance comme des services votés est prévue, sous la férule de Joe Biden. Il en appelle à l’éthique de la responsabilité.

Il aborde la réforme du système de santé qu’il veut lancer dès 2009. Il la financera en revenant sur le bouclier fiscal octroyé aux plus riches par Bush fils. Il dénonce un système éducatif qui laisse trop de jeunes sur le bord du chemin. Il parle indépendance énergétique. Les élections de mi—mandat arriveront bien assez tôt.
« On ne torture pas aux Etats-Unis » tonne le président. La salle applaudit à tout rompre. Il répète qu’il fermera Guantanamo et les prisons secrètes de la CIA à l’étranger. « Vivre en accord avec nos principes ne nous affaiblit pas, cela nous donne plus de sécurité, cela nous rend plus forts. » Pour la première fois depuis leur déclenchement, il fera figurer le coût de la guerre en Irak et en Afghanistan au budget de l’Etat. « Nous ne cacherons plus le prix de la guerre »[iv].

Il scande : « Nous ne sommes pas une nation de lâcheurs[v] », j’entends Martin Luther King « We shall overcome »[vi].

Bobby Jindal, gouverneur de la Louisiane et fils d’immigrés indiens était chargé de répondre au discours d’Obama, au nom des droits de la minorité. Avec Sarah Palin, l’ex-colistière de John McCain et Mike Steele, le tout nouveau président noir du parti républicain, ils incarnent le visage relifté de la Réaction. Contre le divorce, contre la contraception, contre l’avortement, pour la peine de mort, pour les baisses d’impôts, pour la vente d’armes, pour le laissez-faire, contre le plan de relance, contre l’assurance santé universelle, pour la privatisation du système de retraites (social security). Le voilà qui apparaît depuis sa résidence de Bâton Rouge. Avec la voix de 30 millions d’amis, il nous raconte que son père a payé à crédit l’obstétricien qui l’a mis au monde mais qu’heureusement, il n’a jamais manqué une mensualité. Son père qui avait vu tant de pauvreté en Inde lui a dit devant les rayonnages d’un supermarché : « Tout est possible en Amérique ». Les Républicains ont perdu la confiance des gens en s’éloignant de leurs principes. Pour sortir de la crise, il faut redonner le pouvoir aux Américains, aussi a-t-il décidé de ne pas accepter l’argent du plan de relance destiné à allonger la période d’indemnisation du chômage. La Louisiane perd 430 emplois chaque jour mais l’ouragan Katrina qui a frappé la Nouvelle Orléans en 2005 l’a convaincu que le gouvernement ne comprend rien à rien. Alors que la ville était sous l’eau, des centaines de bénévoles se sont proposés pour aider avec leur bateau pneumatique. Arrivent des fonctionnaires bornés, pléonasme, qui leur demandent s’ils ont leur permis mer et les papiers de l’assurance. Le gouvernement n’est pas la solution, le gouvernement, comme disait papi Reagan, est la source du problème. Quelqu’un peut-il envoyer à Bobby Djindal le DVD du documentaire de Spike Lee « Quand les digues ont cédé » ?

We shall overcome.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved.
[i]We will rebuild, we will recover”.
[ii] “It’s not about helping banks, it’s about helping people”.
[iii] “We will eliminate billions of $ that we wasted in Iraq.”
[iv] No longer will we hide the price of war
[v] « We are not a nation of quitters »
[vi]Nous saurons prévaloir”, 10 décembre 1964, Oslo, discours d’acceptation du Prix Nobel de la Paix. Ce slogan a été repris après les événements du 11 septembre 2001.

mardi 24 février 2009

Chronique # 69: le jardin oriental


Des immigrés chinois licenciés campent près de leur consulat à Bucarest.

24 fevrier 2009

Les Européens sont en train de découvrir qu’ils ont cultivé leur variante des subprimes dans leur jardin de l’Est. Le cas autrichien est emblématique. Cinq banques, la Raiffeisen, la Bank Austria, l’Erste Bank, la Osterreichniche Volksbanken et l’Hypo Alpe Adria ont prêté l’équivalent de 2/3 du PIB autrichien à la Russie, l’Ukraine, la Hongrie, les Républiques Baltes, la Pologne et la Serbie. Ces 300 milliards d’investissements (230 milliards de prêts et 70 milliards de prises de participation) ont été libellés en euros ou en Francs suisses mais comme les débiteurs gagnent de quoi les rembourser en monnaie locale et qu’elles ont toutes été dévaluées, le montant de leurs traites a explosé. Pourquoi ces derniers ont-ils pris des emprunts dans une monnaie étrangère ? Parce que les taux d’intérêts étaient beaucoup plus attractifs et que Nostradamus n’avait pas prévu le tsunami. Ne jetez pas la pierre aux Autrichiens, la Société Générale, Commerzbank et ING Groep sont les suivants à devoir montrer la couleur de leur hors-bilan.


Comment en est-on arrivé là ? Dans les années 90, l’Europe des 15 avait végété dans une croissance molle. Puisqu’on ne pouvait pas augmenter le taux de profit, l’idée fut de trouver de nouveaux clients. Aux Etats-Unis, on alla les chercher chez les ménages modestes et les minorités, en Europe, dans l’ancien bloc soviétique. Je me souviens d’avoir pensé à l’époque que s’il s’agissait de leur apporter le même niveau d’aide au développement que nous avions fourni à l’Espagne, au Portugal et à l’Irlande, nous n’y arriverions jamais. Puis devant le caractère inéluctable de l’élargissement, je finis par me résigner en pensant les Etats font toujours la politique de leur géographie et que le désir des nouvelles Républiques libres d’être réintégrés dans leur famille culturelle d’origine était légitime. En fait, le pacte fut beaucoup moins généreux que celui octroyé aux vagues précédentes de nouveaux adhérents : à nous leurs débouchés et la main d’œuvre bon marché, quant à votre liberté d’installation et aux fonds structurels ils seraient chiches, signez.

Quinze ans plus tard, la crise distingue les forts des faibles, révèle un développement insuffisant des tous derniers admis et met en lumière une codépendance du système financier occidental vis-à-vis de ses franges orientales, qui n’a rien de bénigne.

Le Traité de Maastricht créant l’euro, signé en 1992 et adopté par référendum en 1995 posait une règle de responsabilité budgétaire. Vous pouvez dépenser selon certains critères –les critères de Maastricht devenus Pacte de stabilité- et si vous exagérez, vous serez mis au pain et à l’eau jusqu’ à ce que vous ayez fait maigrir votre déficit.
L’article 103 –nouvelle nomenclature[i]- dispose : « La Communauté ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. ».
Le principe est donc l’absence de solidarité financière en matière budgétaire ; ce que les commentateurs anglo-saxons appellent « The no bailout clause ». Le plan de sauvetage du système financier en octobre 2008 a été appelé (en partie à tort) « the Wall Street bailout ».

Mais au deuxième alinéa de l’article 100, le Constituant européen dispose : « Lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière communautaire à l'État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise. »

Il n’est pas étonnant qu’une soupape de sécurité existe. Il est nécessaire d’aménager des mesures exceptionnelles pour des époques exceptionnelles.

En même temps, s’il suffit de laisser la situation s’aggraver pour que les autres soient forcés de vous venir en aide, nous achoppons sur le problème du « risque moral » (moral hazard).

Illustration du dilemme par un incroyable moment de télévision la semaine dernière.

Le jour où Barack Obama annonçait son autre plan de sauvetage, en faveur des ménages surendettés dans leur logement déprécié, Rick Santelli, l’un des journalistes les plus prééminents de la chaine financière CNBC prit à témoin les traders de la Bourse de Chicago et le reste des téléspectateurs. « Le gouvernement encourage les mauvais comportements, se mit-il à hurler. […] Ici, c’est l’Amérique ! Combien d’entre vous voulez payer l’emprunt de votre voisin qui a acheté une maison avec une salle de bains de trop et qui n’a pas les moyens de payer ses traites ? Levez la main ! Président Obama, entendez-vous ? Vous savez, Cuba avait de belles maisons et une économie à moitié décente. Ils ont migré de l’individuel vers le collectif. Maintenant, ils roulent en Chevy modèle 1954. »

[http://www.youtube.com/watch?v=bEZB4taSEoA dans des pays où Utube n’est pas banni]

Pour la petite histoire, le journaliste est toujours employé par Wall Street TV. Mais revenons à mes brebis européennes égarées. Les Constituants ont été suffisamment exhaustifs pour inclure aussi une disposition qui permettrait de venir en aide à un pays non-membre de l’Union, si le problème affectait la balance des paiements d’un Etat membre.

Par exemple : si le Royaume-Uni avait été membre de la zone euro et que ses investissements en Islande avaient mis en péril ses banques, ou si l’Autriche avait investi l’équivalent de 2/3 de son PIB en Ukraine avec l’issue que l’on connait.

Alors la situation a-t-elle suffisamment empiré pour actionner le dispositif de l’article 100 ?

Charles Wyplosz pour qui je garde un souvenir enchanté parce que j’ai étudié et appris à aimer la macro-économie sur son manuel, après avoir usé tant d’autres manuels qui ne m’ont laissé aucune trace ni plaisir, déclarait il y a deux jours que pour arriver à surmonter le rejet du risque moral, il faudrait peut-être attendre qu’un Etat européen soit en cessation de paiement, pour que les autres et leurs opinions publiques voyant le désastre acceptent de mettre la main au portefeuille. « De même qu’il a été nécessaire de laisser Lehman Brothers faire faillite avant de secourir les banques restantes, il faudra peut-être attendre qu’un Etat dispendieux soit pris à la gorge et demande l’aide du FMI ».[ii]

N’en déplaise à mon ancien maître, qui regarde les catastrophes depuis son balcon de Genève, un tel événement serait l’astéroïde qui plongerait le système financier dans un « marché oursier dévastateur », comme en 1929 ou au Japon dans les années 90. (Si vous ne vous souvenez plus de ce que cela veut dire, cliquez ici :

Hier le PDG de Morgan Stanley était invité chez Charlie Rose, la meilleure émission de télévision américaine qui bien sûr passe sur PBS entre minuit et une heure du matin. Il parlait de la crise actuelle en termes de « guerre économique », non pas de tous contre tous, mais contre l’incertitude, comme l’inconnu. Il réaffirmait que nous vivons des événements inédits et que si on peut s’inspirer du passé, comme un Général peut planifier des batailles basé sur ses souvenirs de sa scolarité à Saint-Cyr, en fait il doit constamment ajuster sa stratégie pour se battre dans cette guerre-ci.

Jour après jour les Bourses mondiales s’éloignent du rivage de la Petite Déflation. Le Dow Jones a rendu 6% la semaine dernière. Hier, il clôturait à 7114 points. Avec cette baisse de 3,41%, il était revenu à des niveaux jamais vus depuis mai 1997. Une décennie de perdue.

Aujourd’hui, le Dow Jones reprenait du poil de la bête après que Bernanke, le gouverneur de la Fed ait rassuré les marchés en leur donnant une ligne d’horizon, 2010 pour la début de la sortie de la crise.
La situation européenne dans son jardin oriental n’est pas guère plus solide. Dans son édition d’hier, le Wall Street Journal établissait un parallèle entre la crise est-européenne de 2009 et la crise asiatique de 1997-1998. La crise économique ralentit les exportations sources de devises. La fuite des capitaux provoque un affaiblissement des monnaies, puis une crise de la balance des paiements.

D’où l’appel le week-end dernier de la part des Chefs d’Etat de la zone euro au Fonds Monétaire International, comme si cet enfant qu’on leur rendait n’était pas le leur.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunani financier, all rights reserved.

[i] Les numéros des articles ont été refondus lors de la consolidation des traités destinée à les rendre plus praticables.
[ii] “Much as it was necessary to let Lehman Brothers go down before bailing out the remaining banks, it may be necessary to let a profligate government default and ask for IMF assistance.” Vox 21 février 2009

mercredi 18 février 2009

Chronique # 68: Mr Geithner, le protectionnisme peut attendre



17 février 2009
J’avais bien l’intention de vous parler de la clause « Buy American » [i] sur l’acier, contenue dans le plan de relance d’Obama, de tout Davos buvant les paroles éternelles de Gordon Brown sur comment secourir les victimes du tsunami: « Le protectionnisme ne protège personne, et moins encore les pauvres »[ii], de Timothy Geithner qui s’était réuni, ce week-end à Rome, avec Berlusconi et le tutti G7 pour nous éviter une guerre des douanes. Mais voilà, ce matin, sous une pluie diluvienne, j’ouvre la télé et je trouve le Dow Jones gisant à 7500 points. En langage de charpentier, on dira que le plancher des 8000 points auquel on s’accrochait depuis début janvier, et qui jour après jour était raboté, cinq semaines d’affilée sur six, vient de s’effondrer.

Je marche ni souriante, ni ravie, ruisselante derrière le carreau. Sur l’écran scindé, on voit des policiers avec des gilets pare-balle bondir de leurs 4X4 à vitres teintées et pénétrer dans une banque. La scène est filmée depuis un hélicoptère. Est-ce un hold-up ? Je mets le son.

Houston, ton univers impitoyable, le banquier était le Rapetout. Il a été coffré pour une fraude de 8 milliards sur des certificats de dépôt, ces placements pour bonne-maman. Gros plan sur Sir Allen Stanford, un milliardaire texan, arrière-petit fils d’un entrepreneur qui s’était lancé dans le BTP, après la Crise de 1929. Il avait été fait chevalier par Antigua et Barbuda, des miettes d’empire britannique dont la devise est « Chacun entreprend et tout réussit ». Sa fortune personnelle s’élève, d’après le magazine Forbes, à 2,2 milliards. Son groupe dont il est le seul actionnaire contrôle 62 entreprises dans les marchés émergents, pour un chiffre d’affaire de 50 milliards.
En lisant la lettre du Président, disponible sur le site de la banque, on apprend que « [son] grand-père Lodis B. Stanford, […], lui a transmis un désir inébranlable de bâtir une affaire à nulle autre pareille. A la différence des théories managériales d’aujourd’hui qui sont compliquées, sa stratégie était basée sur des principes de bon sens – ne pas rechigner à la tâche, avoir une vision claire et créer de la valeur pour le client. »[iii]
En lisant la plainte déposée par la Securities Exchange Commission, il appert que la Stanford Group Company domiciliée à Antigua mentait sur sa stratégie (‘liquide’), sur les types d’actifs (‘pas de subprimes ‘, un ‘portefeuille diversifié’), sur la rentabilité (1,3% en 2008 alors que l’indice S&P 500 perdait 39%), sur les garde-fous (« une équipe de plus de 20 analystes »), sur sa non-exposition au malfrat Madoff.
Quelques autres petits arrangements avec les faits : son arrière-grand-père ne descendait pas de la famille du fondateur de l’université de Stanford dans la Silicon Valley, Lalen Stanford, le magnat des chemins de fer. Et ni la reine d’Angleterre ni le prince Edward ne l’avaient adoubé en personne.
Comme dans la Valse de Ravel, tout avait très bien commencé ; jusqu’à ce que des clients, surtout de riches latino-américains ont rempli un formulaire de rédemption. Au lieu de leur rendre leur argent, la banque a répondu que « la SEC avait gelé les comptes pendant deux mois ». Quand les nécessiteux ont insisté pour récupérer leurs millions, la mélodie s’est rayée. Aujourd’hui, les US marshalls ont piétiné les faux CD et cueilli sous le regard médusé des guichetiers le Sir, son échanson mais pas le comptable. Huit milliards, coquin, un bâton, un bâton ! Comme la banque n’était pas basée aux Etats-Unis mais à dans un paradis fiscal, les placements n’étaient pas garantis par la FDIC[iv]
Cette fois-ci, les hedge funds n’avaient pas emmené les investisseurs à l’abreuvoir. Le Sir fréquentait plutôt la coterie non moins fermée des private-equity firms, une appellation devenue à la mode quand le capital-risque (venture-capital) a voulu changer de nom, parce qu’en anglais, le terme rimait avec vautour (vulture). Allen Stanford investissait dans ces sociétés de financement par capitaux propres (et dans l’immobilier en Floride mais ça c’est une autre histoire), qui à leur tour, investissent dans des startups. A la place, il prétendait tout garder en bourse, une stratégie hyperliquide ; ce qui aux yeux de la SEC, le gendarme de Wall Street constitue un délit de fausse déclaration (misrepresentation).
Pendant ce temps, l’économie réelle mange une platée du Diable. Dans la zone euro, les chiffres de la production industrielle de décembre sont épouvantables. La Grande Récession de 2009 ramène l’Irlande à « La mauvaise vie »[v], dont l’expérience de 1845 à 1852 avait été le paroxysme. Le chômage en Espagne explose à 14%. La note sur les dettes de la Hongrie, de la République tchèque et de la Pologne vont être revues à la baisse. Comme du coton lavé à 200 degrés, l’économie du Japon au 4ème trimestre 2008 a rétrécit de 12,7%.
Même l’Australie s’est mise à tricoter un stimulus d’urgence. Son plan s’élève à 27,4 milliards de $, soit 1% du PIB. L’Allemagne avec 50 milliards d’euros sur deux ans peut mieux faire.
La Chine géant économique, nain diplomatique, fantôme dictatorial aux poches si profondes suscite de l’espoir, de l’envie, de la crainte. En novembre, elle avait lancé un plan de relance de 17,8% de son PIB, soit 585 milliards de dollars. C’est presque deux tiers du plan qu’Obama a fait passer en force de loi aujourd’hui et qui, lui, représente 6% du PIB des Etats-Unis[vi]. Sera-ce assez pour entrainer le reste du monde ? Pas sûr, sachant que pour rien que pour les Etats-Unis, le différentiel entre le potentiel de croissance et le niveau de la demande, ce que les économistes appellent l’output gap, est de 2 trillions. La Chine de son côté essaie de convertir ses paysans en consommateurs dispendieux pour absorber les surproductions des villes.
Jeudi, Obama annoncera un plan pour aider les ménages surendettés à rester dans leur logement. Nous verrons s’il est moins invertébré que le plan de Timothy Geithner pour assainir le système financier.
Plus que la menace du protectionnisme, qui fait ses dents de lait, plus que la stabilisation des prix de l’immobilier qui doivent continuer à baisser pour retrouver une logique avec les revenus des gens, c’est le système financier qui irrigue ou nécrose l’économie dont il faut s’occuper. Il faut tirer les leçons des essais-erreurs de ces cinq derniers mois et proposer d’urgence un plan crédible et détaillé pour purger les banques de leurs actifs pourris.
Ma principale conclusion que j’ai mis 18 mois à formuler est que la tisane ne soigne pas les tsunamis. Il faut y aller à la hache, ce qui ne veut pas dire de manière grossière.
La hache peut soit tomber sur l’actionnaire soit sur le contribuable, mais comme la pomme de Newton, elle ne peut pas rester suspendue.
Appelons le premier scenario, le remake de la Resolution Trust Corporation, la structure de défaisance mise en place pour en finir avec la crise des caisses d’épargne (savings and loans) à la fin des années 80, et par les Suédois pour résoudre leur crise financière dix ans plus tard. Dans cette solution, toute institution qui a besoin d’être recapitalisée est nationalisée.
Les actionnaires sont jetés à la rue et les mauvais dirigeants aussi. Les fonctionnaires débarquent et servent le public en restaurant le crédit vers l’économie réelle. Les actifs pourris sont concentrés dans « une banque de mauvais aloi », une expression tellement plus jolie que « la mauvaise banque » et que j’emprunte à Paul Jorion ; nota bene : elle ne veut pas dire de mauvaise augure mais de mauvaise qualité.
Au contraire, si l’Histoire augure du futur, le système financier se rétablit rapidement. Le gouvernement garde les actifs dans la structure de défaisance jusqu’ à ce qu’ils arrivent à maturité ou qu’il puisse les vendre. Le contribuable se bouche le nez et règle la note.
Cette solution semble bonne économiquement mais ruineuse politiquement. Le travailleur-consommateur voit l’économie s’améliorer mais l’actionnaire-contribuable trouve que sa génération a été volée par des politiciens irresponsables.
L’autre scénario ressemble à l’installation d’un grillage de sécurité pour protéger la banque. Les premières pertes devront être absorbées par les actionnaires mais au-delà d’un certain montant, le contribuable est mis à l’encan. Cette solution a été adoptée par Hank Paulson pour sauver Citigroup, le week-end de Thanksgiving. Elle avait aussi été offerte à Bank of America pour la persuader de ne pas briser les fiançailles avec Merrill Lynch. Vous vous souvenez ? Les 4 milliards de bonus et la réfection pour un million du bureau de M.Thain, avant le 1er janvier. Ça ne vous dit toujours rien ? « J'ai mobilisé potentiellement 320 milliards d'euros pour aider les banques, nous en avons utilisé 25 milliards et cela rapportera 1,4 milliards d’euro à l’Etat.»[vii]. Petit problème : l’installation du grillage opère un transfert de richesse du contribuable vers l’actionnaire. Après le bouclier fiscal, voici le grillage en argent.
Entre la solution punitive pour l’actionnaire et celle de la largesse aux frais de la comtesse, il reste la solution du paiement au juste prix (‘fair value’) des actifs pourris. Hank Paulson en a rêvé pendant des mois. Nous y avons cru aussi avec ses enchères inversées, où les vendeurs se feraient concurrence ou des ventes de gré à gré.
La solution du juste prix des actifs pourris est un mirage. Elle n’existe pas dans la réalité. Si l’expérience des cinq mois passés nous a appris quelque chose, c’est que le marché ne payera pas plus que la valeur courante, c'est-à-dire actuelle pour ces actifs pourris et non la valeur future ou anticipée. C’est la grande faiblesse du plan public-privé annoncé par Geithner la semaine dernière.
Contrairement à la rumeur, il existe déjà un marché pour ces actifs douteux mais les prix y sont jetés sur le trottoir, comme on dit en Amérique centrale. Ne revenons pas sur le problème de la notation des titres[viii] mais disons qu’ils se vendent fort bien, avec une décote d’entre 60 et 80% de la valeur faciale. Les hedge funds (fonds spéculatifs) et les private equity firms (sociétés de financement par capitaux propres) ont vu une opportunité d’investir. Comment savoir ce qu’ils valent vraiment ? Embauchez donc des analystes de chez Countrywide ou Washington Mutual qui les ont fabriqués avant de faire faillite- et d’être absorbés par Bank of America ou JP Morgan Chase, aux frais de la comtesse.
La qualité des emprunteurs n’est pas l’unique élément qui permet de déterminer le retour sur investissement. Certains organismes de gestion hypothécaire (servicing) –ceux qui gèrent les petites vérines une fois qu’elles ont été distribuées, et qui donnent à chacun son dû, en percevant les paiements mensuels- ceux-là sont plus ou moins agressifs pour saisir les biens immobiliers des emprunteurs défaillants. D’aucuns se résolvent à revoir les termes. Une législation Obama pourrait conférer au juge des faillites le droit de récrire les termes de l’emprunt (mortgage cramdown), soit en abaissant le taux, soit en changeant le montant du capital dû, pour l’ajuster à la valeur dépréciée du bien. Tout ceci affectera le prix des actifs toxiques.
Dans un scénario heureux de stabilisation du système financier, Geithner nationaliserait les banques les plus touchées et encerclerait les autres avec son grillage, qui limite les pertes pour les actionnaires –pas pour les contribuables, j’espère que vous l’avez compris. Les banques seraient forcées de se défaire de leurs actifs toxiques à un prix de marché, c'est-à-dire avec une énorme décote. Comme elles se trouveraient instantanément décapitées – bye-bye dirigeants incompétents- et décapitalisées, l’Etat injecterait des fonds sous forme d’obligations convertibles (warrants) qui, lorsque l’économie repart pourraient rapporter à l’Etat-actionnaire un joli pactole. Comme la majorité des actifs douteux seraient concentrés dans « la banque de mauvais aloi », l’Etat pourrait modifier les prêts des emprunteurs en souffrance en se parlant à lui-même. Aussi les bilans des banques auraient été protégés contre des pertes futures, soit par le grillage, soit par excision et les actionnaires privés se réveilleraient avides d’investir, pour être des profits futurs.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved

[i] “Achetez américain”.
[ii] “Protectionism protects nobody, least of all the poor”. 1er février 2009.
[iii] “My grandfather, Lodis B. Stanford, gave me the inspiration to dream. He gave me the fortitude to persist. And he passed along an unwavering desire to build a business that is second to none. Unlike the complex management theories of today, his business strategy was based on plain, common-sense principles — hard work, clear vision and value for the client.”
http://www.stanfordgroup.com/about/chairmans_letter.aspx
[iv] La Federal Deposit Insurance Corporation est un organisme d’assurance institué par Roosevelt en 1933 pour garantir les dépôts dans les banques. En général les Certificats de Dépôt sont garantis par la FDIC.
[v] Nom gaélique de la Grande Famine: An Gorta Mór ou An Drochshaol.
[vi] Le PIB de la Chine s’élève à 3,3 trillions, celui des Etats-Unis à 13,4 trillions.
[vii] Nicolas Sarkozy à l’émission « Face à la crise » du 5 février 2009 sur France2, TF1 et M6 déclarait : « L'argent aux banques n'a rien coûté au contribuable. J'ai mobilisé potentiellement 320 milliards d'euros pour aider les banques, nous en avons utilisé 25 milliards".
[viii] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n-24-alan-greenspan-bat-un.html

jeudi 12 février 2009

Chronique # 67: le serial mea culpa


Audience hier des PDG des grandes banques devant le House Financial Services Committee
12 février 2009

A chaque fois que j’essaie de vous parler du roquefort, mon sujet tombe à l’eau. Je l’essuie, je le replace sous la cloche, il me regarde, avec un fond bleu. J’espère pourtant l’aborder entre vendredi 13h00, heure du Pacifique et dimanche soir, quand toutes les Bourses du monde seront fermées. De toutes les manières, il sera à point.

Ce qui me retarde, c’est que ces jours-ci, je passe ma vie au théâtre de Capitol Hill. Remarquez, la programmation est gratuite et elle me console du manque d’offre locale : San Francisco, ville de 750.000 habitants a un corps de ballet, un orchestre symphonique, quelques tableaux, du jazz mais quand on en arrive à l’art dramatique, rien ne surpasse New York. Et maintenant Washington.

Pour se mettre dans l’ambiance, rappelons que dans les jours qui ont précédé la faillite de Lehman Brothers, l’Etat est intervenu in crescendo, puis comme jamais depuis la Grande Dépression. Si l’on inclut les programmes annoncés mardi par Timothy Geithner, les chiffres via le Fed, le Trésor ou le FDIC[i] sont les suivants :

En tant qu’investisseur, l’Etat a promis 4,6 trillions de $ et en a versé 921 milliards (au 10 février).

En tant que prêteur en premier ressort, via la Fed, il a offert 2,4 trillions de $, desquels il a déjà déboursé 666 milliards.

En tant qu’assureur, il a donné sa caution jusqu’à 1,8 trillions de $, et a essuyé 252 milliards de pertes.

La signature de l’Etat figure donc sur un bon à tirer de 8.8 trillions ; desquels ont déjà été mobilisés 1,8 trillions, verts et trébuchants.

L’OCDE dans son style inimitable avertit : « il faut bien voir que les interventions aussi massives pourraient avoir des conséquences fâcheuses à moyen terme, en faussant la structure des incitations pour les ménages, les entreprises et les intermédiaires financiers ainsi qu’en menaçant de déclencher des réflexes protectionnistes et/ou anticoncurrentiels […] Pour ces raisons, l’OCDE a recommandé que ces interventions soient rapides, ciblées et temporaires »[ii].
Pour l’instant, la préoccupation est autre. Hier, à la House Financial Services Committee[iii], tel un policier cuisinant les Rapetouts, un élu vociférait : « Où est passé l’argent ? ».

Les PDG des huit plus grandes banques du pays tenaient plutôt bien leur rôle. « J’ai compris la nouvelle réalité », déclarait Vikram Pandit, le patron de Citigroup « et je vais faire en sorte que la Citi la comprenne aussi »[iv].

En attendant de connaitre les détails de plan Geithner sur l’aide aux ménages surendettés, Barney Franck, le président de la commission obtenait de tous les présents un moratoire en matière d’expulsions.

Certains parlementaires posaient des questions intelligentes. Les plus redoutables émanaient des ceux qui commençaient par des louanges. Merci Mr. Lewis de ne pas avoir fermé de succursales de Bank of America dans ma circonscription, mais dites-moi, les dossiers d’expulsion de votre banque sont traités dans des juristes situés dans des paradis fiscaux. (Ouf ce n’était pas des délocalisations en Inde). Vous l’ignoriez ? « C’est que j’ai du monde sous mes ordres ».
Justement M.Lewis, pardonnez l’estocade et revenons sur l’affaire des 4 milliards de bonus versés sur ordre de M. Thain, le PDG de Merrill Lynch. Le PDG de Bank of America explique qu’il n’avait aucun contrôle avant la fusion avec sa firme. Il a exhorté, puis quand il a découvert les pertes hors-bilan, il a limogé.
Heureusement qu’Obama a été élu, sinon M. Thain aurait été le Treasury Secretary de John McCain.
Nydia Velazquez, élue de New York demande avec un fort accent (latino-américain, pas new-yorkais), si l’argent du TARP a servi à financer le prêt nécessaire à la fusion entre les deux laboratoires pharmaceutiques Pfizer et Wyeth, qui va se traduire par 19.000 suppressions de postes.
Une élue de la région de Los Angeles qui s’était illustrée dans le passé par son activisme en faveur du droit des minorités à accéder à la propriété accuse les banquiers d’utiliser l’argent du TARP pour payer les frais des saisies immobilières. Les PDG se regardent. Le patron de Citigroup appuie sur le bouton devant lui. « Je crois madame que vous parlez… » Et il lui explique comment fonctionne la titrisation.
« L’Amérique est en colère » tonne un Représentant. Le théâtre populiste est le revers de l’adulation. « Levez la main si vous savez de combien ont crû vos prêts depuis que vous avez reçu des fonds du TARP ? » Les yeux se lèvent, se croisent. L’élu insiste. Le PDG de Goldman Sachs dit : « Nous ne sommes pas un organisme de prêt ». John Mack de Morgan Stanley et Ronald Logue de State Street acquiescent. Enchanté, je m’appelle Wall Street. Moment de flottement dans la salle. Pas si ravi que cela de faire votre connaissance. Le parlementaire a peine à reformuler sa question.
Barney Franck, le sémillant président reprend la main. « Si vous n’aviez pas de bonus, quelle est la partie de votre travail que vous vous abstiendriez de faire ? Vous prendriez plus longtemps pour déjeuner ? Vous quitteriez plus tôt le mercredi ? » Il ne loupe pas Vikram Pandit, le patron de Citigroup qui avait dit que ses intérêts en tant que patron étaient alignés sur ceux des actionnaires. « Pourquoi avez-vous besoin qu’on vous graisse la patte pour que vous preniez à cœur les intérêts de l’entreprise ? » Le PDG de Morgan Stanley répond : « Nous adorons ce que nous faisons. Même sans bonus, nous serions encore là. »
« Vous êtes tous des hommes fortunés. » Barney Franck avance ses pions. «Qui parmi vous a investi de son propre argent dans la banque dans laquelle il travaille, ces six derniers mois ? Le cas échéant, combien ? Zéro est aussi une réponse ». M.Lewis répond qu’il a acheté 400.000 actions de Bank of America ; il ne se rappelle plus combien cela lui a coûté. M. Pandit a ajouté 8,4 millions de $ dans Citigroup. M. Dimon a acquis 12 millions de $ de titres JP Morgan Chase. Cinq PDG sur huit n’ont pas profité des soldes.
Pendant ce temps, l’ancien Président de la Royal Bank of Scotland déclarait devant Westminster qu’il était désolé d’avoir acheté ABN Amro. « Le deal était une grossière erreur ». Fred Goodwin, l’ancien PDG de la RBS battait sa coulpe un peu : « Je me suis repassé le film dans la tête mille fois. Je me demandais ce que nous aurions dû faire autrement ». Dennis Stevenson, l’ancien chairman de HBOS s’aplatissait : «Nous sommes profondément désolés et je pense, je dirais, sans réserves, désolé ».
Au Palais du Luxembourg, le Médiateur du crédit était convoqué pour rendre des comptes.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved.
[i] La Federal Deposit Insurance Corporation est un organisme parapublic institué par Roosevelt en 1933 pour garantir les dépôts dans les banques. Avant sa création, Hoover avait laissé 10.000 banques faire faillite.
[ii] Réponse stratégique de l’OCDE à la crise financière et économique, janvier 2009.
[iii] Commission des Finances à la Chambre des Représentants, l’équivalent de l’Assemblée nationale.
[iv] “I get the new reality and I will make sure that Citi gets it too”.

mercredi 11 février 2009

Chronique # 66: le plan Obama est arrivé

Reconstruction d’un tronçon du Bay Bridge entre Oakland et San Francisco

10 février 2009

Hier, j’étais dans le BART, direction Richmond. De temps en temps, j’abaissai mon journal pour vérifier que je n’avais pas raté la station de Berkeley. Soudain deux gamins d’une dizaine d’années nous interpellent les deux inconnues et moi sur la banquette. Ils nous montrent une sorte de pétition sur papier jaune et nous demandent de l’argent. Je me dis que j’ai dû mal comprendre. Pendant que ma voisine du fond de son ipod fait non d’un geste, je leur propose des carambars (« French candies »). Très dignes, ils déclinent et me remontrent leur feuille jaune. L’autre femme leur dit que ce n’est pas la peine d’insister. Ils partent. J’ai un air tellement ahuri qu’elle me demande ce qui m’arrive. Comment lui expliquer que quand j’étais adolescente, je parcourais les wagons entre Juvisy et Gare de Lyon pour faire signer mes pétitions sur le droit de vote des immigrés ? « Je n’ai jamais vu, une chose pareille » dis-je. « Qui est-ce qui les surveille ? » L’autre dame a retiré ses écouteurs. « Moi, je les vois tout le temps » Bon, c’est vrai que je prends le BART une fois par an mais je n’ai pas rêvé, ils devaient être genre en CM2. «Ils lèvent des fonds pour l’éducation physique », ajoute-t-elle. A 17h00 la foule les protège. « Je n’aimerais pas que mes enfants aient à faire la même chose » concède la première. Ainsi va le train de l’école publique en Californie.

Depuis une semaine, le pouvoir exécutif négocie le Plan Obama de relance avec les chambres. Si les Démocrates ont la majorité dans les deux hémicycles, cela ne suffit pas à faire passer le stimulus package comme une lettre au Congrès. Dans le système américain, la chambre haute, le Sénat a la faculté d’empêcher ou tout le moins de ralentir l’adoption d’une loi, sauf si un parti dispose d’une majorité qualifiée (supermajority) des trois cinquièmes, soit 60 votes sur 100. Il manque aux Démocrates deux petites voix pour empêcher les Républicains de faire de l’obstruction systématique (du filisbuster, littéralement de la piraterie parlementaire), mais une voix est une voix est une voix.

Justement, les marchés financiers avaient fermé en hausse vendredi dernier, alors que le vote sur le plan de relance était ajourné. Alors que l’économie a perdu 3 millions d’emplois en 2008 et encore 600.000 en janvier 2009 et que les marchés financiers recommencent à peine à fonctionner, la nouvelle administration Obama ne pouvait pas risquer l’enlisement. Par ailleurs, le nouveau Président appelait de ses vœux une relance soutenue par delà les Démocrates, au nom du bipartisanship, un concept made in USA proche de l’idée d’unité nationale.

Le Parti Républicain rappelait la discipline budgétaire (fiscal responsibility) et exigeait des réductions d’impôts. Après un numéro d’hypnose, tout le monde était censé avoir oublié comment on en était arrivé là. Dehors leurs militants défilaient avec des panneaux roses en forme de cochon et dénonçaient la gabegie. (En américain, pork ou pork barrel désignent le clientélisme ou ce que les Québécois appellent joliment « l’assiette au beurre »).


Manifestation contre le plan de relance Obama.

L’une des conditions essentielles à la réussite du plan relance étant de trouver des projets qui peuvent être démarrés immédiatement (shovel ready, pour lesquels la truelle est prête), des maires avaient envoyé tous les projets qui dormaient dans leurs tiroirs. Le Wall Street Journal a publié les projets les plus absurdes, des néons de Las Vegas au terrain de golf pour trous de frisbees à l’assurance contre le pollen. En fait les tocades s’élevaient à 19 milliards de $ mais les Républicains rebaptisaient le plan de relance « l’arbre de Noël ».

“Obtenir une majorité de 80 voix sur une loi qui n’améliore pas le sort de l’Américain moyen serait une erreur bien plus grande que d’en faire passer une avec 61 votes pour faire repartir l’économie” déclarait Charles Schumer, le numéro 3 du Parti Démocrate. La recherche d’un consensus très large conduit en effet à se replier sur le plus petit dénominateur commun. Nancy Pelosi, la Speaker de la Chambre des Représentants est bien allée chercher les voix une à une. Les trois Républicains qui aujourd’hui ont voté pour le plan de relance ont obtenu que 35% des sommes dépensées le soient au titre des baisses d’impôts. Le plan de 925 milliards a aussi été ramené à 838 milliards.

Voici une spectroscopie du plan de relance d’Obama.

Sur le graphique, vous pouvez constater que les principales coupes budgétaires destinées à plaire aux Républicains sont intervenues dans deux domaines : l’éducation et les aides aux Etats. A prendre ou à laisser.

De son côté, depuis la semaine dernière Barack Obama a réarmé son sourire de prêcheur et ses talents de communicateur en chef. Vendredi dernier, il faisait de la pédagogie en Virginie. « On dit que le plan de relance est un plan de dépense. C’est l’idée. » Rires dans l’auditoire. Aujourd’hui, il a utilisé son avion supersonique Air Force 1 pour aller écouter de gens ordinaires, à Fort Myers en Floride ; la ville qui compte le taux le plus élevé de saisies immobilières des Etats-Unis. Rencontre à la mairie, entrée libre. Une femme noire se met à pleurer et supplie le Président de l’aider à trouver un toit « pas seulement un parc mais un lieu où je puisse faire la cuisine, où j’ai une salle de bains ». Barack Obama lui demande son nom, déclare que des milliers de gens sont dans la même situation (2,3 millions de personnes en sursis d’expulsion) et lui dit que son équipe va l’aider. Un jeune homme prend le micro. Il est étudiant et travaille chez McDonald’s depuis quatre ans et demi. Il interroge le Président sur ce qu’il compte faire pour que des gens comme lui aient une couverture santé. Barack Obama lui demande ce qu’il étudie. « Dans la communication pour travailler à la télévision ou devenir disc-jockey. » Le Président tend le miroir à l’Amérique et si l’image n’est pas jolie, jolie, Washington doit quand même la regarder aux informations.

Le plan de relance a été adopté par 61votes pour et 37 votes contre.

Malgré cela, la Bourse terminait en chute de 4,62% à 7888 points.

Si vous vous souvenez, le stimulus package aurait dû être adopté vendredi dernier, sauf que quand Nancy Pelosi avait compté ses ouailles, certains Démocrates (ceux qu’on appelait jadis les Démocrates de Reagan et qui aujourd’hui se regroupent sous l’appellation de la Coalition du Chien Bleu –the blue dogs) ruaient dans les brancards. L’échec du premier plan de sauvetage en octobre hantait les couloirs du Sénat ; on remit donc les choses sérieuses à mardi.

Aujourd’hui c’est mardi et Timothy Geithner avait rendez-vous à la Chambre des Représentants pour convaincre la Commission des Finances de débloquer la deuxième moitié du TARP. Le plan de relance (stimulus package) c’est sexy, Barack s’en occupe. Le sauvetage du système financier (le bailout), tiens Timothy, tu t’en charges.

J’imagine que Hank Paulson devait être rivé à son téléviseur dans sa maison dans les Hamptons ou sur une île à Dubaï. Voyons si tu débrouilles mieux que moi.

On attendait le Général Patton. Les jours précédents, la nouvelle qu’il faudrait dépenser un trillion pour recapitaliser les banques avait tonné moins fort que l’annonce qu’il faudrait dépenser un deuxième trillion pour la bad bank, rebaptisée « aggregator » (littéralement, compacteur) comme dans le dessin animé Wall-E.

Aujourd’hui, le Treasury Secretary resta dans les généralités ou dans les promesses, expliquant qu’une structure mixte, alliant capitaux privés mais avec des garanties publiques rachèterait les verrines empoisonnées. Ah, et 50 milliards, en-fin, pour les ménages sur le point d’être expulsés. En attendant plus, on ferait courir les banques sur un tapis roulant et on vérifierait leur état cardiaque (stress tests).

Le rire de Paulson a raisonné jusqu’à Capitol Hill.

Pas de détail, pas d’architecture, on surpromet et on souslivre. Geithner non plus n’avait pas répondu à la question : « Comment donner un prix aux actifs pourris ? » Wall Street a répondu avec 5% de chute. Essaie encore.

J’ai oublié M. Orphanides et le roquefort. Demain je soulève la cloche.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved

jeudi 5 février 2009

Chronique # 65: la bonne paie et la mauvaise banque


5 février 2009

Je marchai vers Jussieu quand dans une reproduction warholienne, des visages rouges et bleus de Barack Sarkozy me terrorisèrent nuitamment. Je restai clouée au bitume à contempler le grillage, déchirée entre la fascination pour l’art de la récup’ et un désir orwellien de hurler. Je furetai dans mon sac, en sortis une clef, traversai la rue et perçai les affiches déjà lacérés. Haletante, je hâtai le pas.

Revenue à San Francisco, j’allume l’écran plat de mon chéri pour me mettre à la page des 100 jours d’Obama. Tiens, les sortis sont rentrés de vacances ! La morgue intacte, ils dispensent des leçons aux usurpateurs, qui tâtonnent pour trouver le micro et les dépendances. Il faut baisser les impôts et l’économie repartira. Il ne faut pas fermer Guantanamo car ces gens-là nous détestent. Vraiment ?

Au nom des droits de la minorité, Les Républicains lors des audiences de confirmation du Congrès font subir à chacun des ministres d’Obama une batterie de questions plus humiliantes les unes que les autres ; comme s’il fallait rappeler à ces autres millionnaires, qui ont trahi leur classe en travaillant pour les Démocrates que le pouvoir n’est ni de gauche, ni de gauche, il est à eux.

Hier, en remplacement de Bill Richardson, le gouverneur du Nouveau Mexique tombé au champ de la pureté, Barack Obama nommait comme Secrétaire d’Etat au Commerce un Républicain, Judd Gregg, qui treize ans auparavant prônait la suppression de ce même ministère. La journée se terminait aussi par deux « retraits de candidature ». Que les Démocrates se prennent les pieds dans la compétence au nom de la morale, telle qu’enseignée par ceux qui ont ouvert des camps de concentration à deux encablures de Miami a quelque chose d’intolérable. Apprendrons-nous jamais ?

Hier aussi, Timothy Geithner, le nouveau Treasury Secretary, rescapé il y a une dizaine de jours d’une laborieuse audience sur ses arriérés d’impôts du temps où il travaillait au FMI, annonçait qu’à l’avenir, les banques qui recevraient de l’argent du TARP devraient limiter la rémunération de leurs dirigeants à 500.000 dollars par an, quand le Président américain en gagne 400.000. Puis Barack Obama montait à la tribune :

« Nous ne dénigrons pas la richesse. Nous ne reconnaissons pas le mérite à contrecœur de ceux qui parviennent au succès ; nous croyons que le succès doit être récompensé. Mais ce qui dérange les gens -avec raison- ce sont les dirigeants qui sont récompensés pour leur échec. Particulièrement quand les récompenses sont subventionnées par le contribuable américain. Que les dirigeants s’octroient ce genre de rémunération par temps de crise ne relève pas seulement du mauvais goût, c’est aussi une mauvaise stratégie, que je ne tolèrerai pas en tant que Président ».

Décodons pour ceux qui n’ont pas Canal +. Au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, la chute de l’astéroïde Merrill Lynch avait été évitée de justesse grâce à la reprise de la banque d’affaires par Bank of America, comme si Carrefour avait sauvé Louis Vuitton. L’absorption était bénie par le gouvernement qui promettait à Bank of America des fonds publics pour recapitaliser Merrill Lynch. Entre la signature du deal le 16 septembre et la consommation du mariage le 31 décembre 2008, M. Thain, le PDG de Merrill Lynch a fait distribuer 4 milliards de bonus à ses banquiers stratosphériques.

Donc grosse colère des génies de la finance, insultés par tant d’avarice. Si vous croyez qu’avec des salaires pareils, vous allez attirer les meilleurs dirigeants, vous méprenez Wall Street pour l’ordre franciscain.

En réalité, pas de panique, le dispositif s’applique aux cas « d’assistance exceptionnelle » (exceptional assistance), comme AIG ou Citigroup, quand le gouvernement doit injecter plusieurs milliards en quelques heures afin d’éviter la faillite. Pour les recapitalisations « normales » (sic) avec l’argent du contribuable, pas de souci, le ciel est la limite.

Il y a donc deux discours. Devant le grand public, on affiche de la sévérité et un désir de punir. Mais entre gens éduqués qui comprenons qu’il faut donner du grain à moudre à Billancourt dans l’Ohio, nous n’allons pas nous chamailler.

Ce double langage est bien illustré par le débat sur les nationalisations et la « bad bank ».

D’octobre à janvier, Hank Paulson avait dépensé la moitié du TARP, soit 350 milliards pour stabiliser le système financier. Pourtant début 2009, le Dow Jones a du mal à clouer un plancher sous les 8000 points de base. Les banques, même les sages comme Bank of America ou JP Morgan viennent à confesse, et les pêchés ne sont pas véniels. Les actifs pourris s’amoncellent, tout semble à recommencer. Que faire ?, se demande la nouvelle équipe de conseillers économiques.

Il va falloir nationaliser, s’excusent ceux qui sous Clinton avaient aussi dérégulé. Mais comme les fonctionnaires sont de piètres gestionnaires, comme vous ne voulez pas d’une banque qui ressemble à la sécurité sociale, on pourrait aussi revenir au Plan Paulson initial et délester toutes les banques de leurs actifs pourris, les concentrer dans une structure de défaisance, la « mauvaise banque » (bad bank), comme aux temps du Crédit Lyonnais[i], puis recapitaliser. La bad bank garderait les actifs jusqu’à ce qu’ils arrivent à maturité et les bilans des banques seraient instantanément désinfectés.

Il existe une autre solution. Puisque le but à atteindre est d’avoir des banques aux bilans immaculés, en qui on peut avoir confiance, et qui prêtent, au lieu de socialiser les pertes, on pourrait utiliser l’argent public pour créer une ou plusieurs bonnes banques (good bank).

Garantir les pertes futures de Citigroup comme l’a fait Paulson la semaine de Thanksgiving aurait dû transformer la vieille institution en une nouvelle banque. Mais l’incapacité de la Royal Bank of Scotland au Royaume-Uni ou de Citigroup aux Etats-Unis à lever des fonds, même avec des injections concomitantes de fonds publics montre que la confiance des investisseurs privés s’est déjà évaporée.

D’où la solution de la good bank. Vous prenez l’argent public, vous créez une, deux, trois banques nouvelles qui peuvent prêter avec leur capital propret. En outre, les capitalistes ne sont ni fous ni fauchés, comme il y aurait de la transparence, ils voudraient probablement participer pour être des profits futurs.

Je rêve ?

En 1791, sous l’impulsion d’Alexander Hamilton était née la First Bank of the US qui avait consolidé les dettes de la guerre d’Indépendance, unifié la monnaie des treize colonies et recommencé à financer l’économie. En 1816, sous James Madison, avait été fondée la Second Bank of the US pour refonder la monnaie en proie à l’hyperinflation. Plus tard le président Jackson avait éviscéré l’institution qu’il jugeait trop puissante. Nous pourrions donc imaginer une troisième expérience, la Post Bush Bank, qui recevrait le quart du TARP pour prêter aux PME, aux Etats, aux collectivités territoriales et aux primo-accédants. On achève bien les chevaux, alors pourquoi pas les banques ?

La prochaine fois, je vous parle du Roquefort et de M.Orphanidès, le gouverneur de la Banque de Chypre.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved

[i] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/09/chronique-n3-le-crdit-lyonnais.html