mardi 24 mars 2009

75ème épisode: Geithner a un plan


Annonce du plan Geithner destiné à purger le système financier des actifs toxiques.

(En partant du fond : Larry Summers, conseiller spécial à l’économie de Barack Obama, trois prix Nobel d’Economie dans la famille, mentor de Timothy Geithner ; Christina Romer, professeur d’Economie à Berkeley et présidente du Council of Economic Advisers ; Timothy Geithner, Treasury Secretary, c’est à dire ministre des finances ; Barack Obama, président des Etats-Unis ; Ben Bernanke, gouverneur de la Fed, la banque centrale américaine)



Courrier des lecteurs :

Une lectrice de Berkeley m’écrit : « Il y a drum et Drumm. Drum, c'est un tambour. J'ai un peu cherché qui étaient les Drumm, et j'ai trouvé ceci :

Un lecteur de Rabat me demande ce que fait la Fed de tous les dollars qu’elle déchiquète. D’après la conférencière, mis à part des petits sachets donnés aux visiteurs, l’argent usagé est recyclé comme matériel d’isolation, transformé en bardeaux pour les toits –des sortes de planchettes utilisées en guise de tuiles dans certaines régions-, en bûches et en engrais.
24 mars 2009

Il y a peu de bonnes journées dans la vie d’un agent de change. La plupart alimentent un ressac vert pâle ou rosacé. Enfin, naguère. Ces temps-ci, le roulis plus dur, plus court, plus saccadé a rendu la traversée de Wall Street un périple ulyssien. Même les jours d’euphorie vous soulèvent l’estomac vide à hauteur des lèvres. Hier, l'indice Standard & Poor's 500 s'est envolé de 7,1 % au cours de ce qui fut la meilleure séance de cotation de ces cinq derniers mois. Depuis le 6 mars, qui avait marqué le nadir de mon incertitude, nourri de pessimisme et nimbé de désespoir, quand le Wall Street Journal publiait son papier au titre apocalyptique «le Dow Jones à 5000 points de base ?», depuis donc, les dix meilleurs titres financiers du S&P 500 ont progressé de 64%. Je sais qu’on peut faire dire n’importe quoi aux statistiques et pourcentage contre pourcentage, 17 mois après le début de la crise, les cours d’AIG et de Citigroup sont toujours en baisse de 90%.

Le 10 février, Geithner avait esquissé son plan pour stabiliser le système financier. Les marchés l’avaient jugé trop vague et le Dow Jones avait bu la tasse, salée, à -381 points. Finalement, hier, après 40 jours supplémentaires de tsunami, Geithner a expliqué son concept de partenariat public-privé visant à racheter des prêts liés à l'immobilier et les titres adossés. La reprise boursière, reprise de Panurge, elles le sont par définition, +6,76% au Nasdaq, +6,84% au Dow Jones, +3,44% au Hang Seng vaut donc approbation de la communauté boursière.

En quoi consiste le plan ? Les quilles de Geithner permettront-elles aux banques de sortir de l’onde océanique ? Ou entre Charybde et Scylla, allons-nous continuer à ramasser des pans d’AIG ?

La mauvaise foi, expliquait Sartre consiste à nier sa liberté. L’honnêteté intellectuelle oblige au contraire à établir qu’existent plusieurs solutions et à poser clairement celle que l’on choisit. Geithner demandait hier qu’on juge son plan par rapport à deux autres branches de l’alternative : l’inaction ou la nationalisation.
Le ministre des finances d’Obama déclarait dans sa conférence de presse : « Nous sommes les Etats-Unis, nous ne sommes pas la Suède. Nous avons un système financier très complexe. »[i] Il ajoutait : « Il règne un grand scepticisme dans le pays […] Le risque auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est qu’après une longue période d’irresponsabilité et de prise de risque excessive, à présent le système ne veuille plus prendre suffisamment de risque. Or pour que le plan marche, les investisseurs doivent accepter de prendre des risques. »[ii]
En réalité, l’arbre de décision compte quelques autres branches.
Dans une première chronique, j’avais suggéré de ne pas gâcher l’argent du contribuable en recapitalisant des structures incurables et à la place de lancer de nouvelles banques, des « bonnes banques » : http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/02/chronique-65-la-bonne-paie-et-la.html
Dans une autre, j’avais effectivement montré que le sauvetage par la nationalisation, à la suédoise était une solution idéologiquement difficile dans l’univers mental capitaliste. Dans ce scénario, les actionnaires privés étaient liquidés et on concentrait tous les actifs toxiques dans une structure de défaisance, « la mauvaise banque » ; jusqu’à ce qu’ils arrivent à maturité, qu’ils soient enterrés ou vendus à prix cassés. Si vous voulez vous rappeler comment la France a utilisé le même mécanisme de socialisation des pertes pour éviter un risque systémique qu’aurait causé la faillite du Crédit Lyonnais, vous pouvez relire cette chronique de septembre : http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/09/chronique-n3-le-crdit-lyonnais.html
Une autre possibilité non moins dénuée d’enjeux idéologiques consistait à garantir les pertes des banques au-delà d’un certain montant, ce que j’avais appelé le ring fencing : on pose un grillage autour des actifs pourris pour protéger le bilan des banques. Au lieu de tomber sur l’actionnaire, la hache tombe cette fois sur le contribuable. Lisez, vous ne regarderez plus le plan, commencez-à-rembourser-votre-cuisine Dexia-dans-36-mois avec le même regard amoureux :
http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/02/chronique-68-mr-geithner-le.html

C’est une quatrième solution qu’a fait prévaloir Geithner.
J’ai toujours aimé nager. Quand j’habitais dans le quartier de Richmond, une sorte de 13ème arrondissement sans les tours, j’allais nager dans une piscine couverte, la piscine Rossi. Ici Tino ne fait pas pâmer les filles et la mer est à Malibu, 950 kilomètres plus bas ; sinon il faut être fêlé et s’entrainer entre les requins, dans l’eau glacée pour la course « Echappez-vous d’Alcatraz »[iii]. A l’entrée de la piscine, il y avait une sorte de thermomètre en bois, planté dans la pelouse qui montrait combien d’argent privé avait déjà été levé pour mettre aux normes le terrain de jeux adjacent. Si la collecte portait ses fruits, la municipalité donnerait l’autre moitié des fonds nécessaires à la réouverture du parc. Très différent, indeed, de la philosophie du jardin en bord de Seine, avec ses sculptures en plein air et ses couples amateurs de tango. Le plan Geithner c’est la même chose avec en plus un effet de levier.

Au passage, pour neutraliser la droite en exil qui aurait beau jeu de venir vous faire la morale, car la mémoire, comme une clef USB c’est tellement facile à s’effacer, on rebaptise les actifs pourris (toxic assets). Dorénavant, M Geithner parlera d’actifs hérités (legacy assets) et il distinguera les prêts hérités (legacy loans) des titres adossés à ces prêts (legacy securities).

L’idée est de coinvestir. Si le privé met un dollar, le public met un dollar. Avec ces deux dollars, vous pouvez par un effet de levier emprunter 6 fois plus. En tout vous avez 14 dollars. Les 12 dollars empruntés sont couverts en cas de perte par l’Etat, à travers le fonds de garantie mutuelle de la FDIC[iv].

Maintenant imaginez que la banque Junk veuille se défaire de son portefeuille méphitique de titres subprimes. Sur ces livres de comptes, le portefeuille vaut 100 dollars. Par une enchère inversée, (cela vous rappelle le Plan Paulson ? C’est que c’est … le plan Paulson), les acheteurs potentiels soumissionnent et le mieux disant l’emporte, disons –scenario hyyyyyyper optimiste- pour 84 dollars.

L’Etat met 6 dollars d’argent frais. Le privé met 6 dollars d’argent frais. 12 dollars sonnants et trébuchants vous permettent par effet de levier d’en emprunter 6 fois plus, soit 72 dollars, avec la caution de l’Etat. 72+12=84. La banque Junk est désintéressée. Elle a cédé ses titres méphitiques. Son bilan est devenu mirifique.
Le privé sachant gérer comme le boucher, le brasseur et le boulanger d’Adam Smith, c’est ce dernier qui collectera (servicing) pendant toute la vie des titres les mensualités auprès des emprunteurs. Il remboursera au fur et à mesure l’argent emprunté auprès du Trésor et de la Fed (les 72 dollars) et répartira le restant, 50-50, entre l’Etat et lui.
Se pose immédiatement la question du devoir de diligence ; je ne parle pas des voitures hippomobiles. Imaginons un fonds d’investissement qui veuille investir dans des titres mephitiques de la banque Junk, comment saura-t-il ce qu’ ils valent ? Normalement, il doit à ses clients d’ausculter les comptes de la banque Junk ou au moins le contenu du portefeuille méphitique. C’ est ce qu’ en anglais on appelle la due diligence, le soin appliqué, le contraire de la négligence.

On nous dit que la FDIC, le régulateur du système bancaire, conseillera les banques souhaitant se défaire de leurs créances à risque. Elle conseillera donc les vendeurs.

Mais qui veillera aux intérêts des acheteurs ? On nous explique que le programme lancé par la Réserve fédérale pour faciliter le refinancement des sociétés de crédit à la consommation (TALF) est élargi aux établissements détenant des créances immobilières et d'autres émissions garanties par des actifs. Donc pour avoir le droit d’emprunter les 72 dollars, ces actifs devront avoir été notés lors de leur émission "AAA", la meilleure note possible des agences de notation. Au cas où votre clef USB serait devenue amnésique, je vous invite à tout de suite recharger le fichier « agences de notation » dans la matrix :
Le corbeau honteux et confus avait juré que l’on ne l’y reprendrait plus.
Attendez ne partez pas, j’ ai gardé le meilleur pour la fin. Certains ont jugé injuste qu’ en cas d’échec, 93% des pertes soient essuyées par le contribuable, alors qu’ en cas de succès, le même n’encaisse que 80% des bénéfices. Ainsi dans l’exemple pris par Geithner, 72 $ empruntés + les 6 $ d’argent frais de l’Etat sont misés, soit 78/84èmes d’argent public dans le coût total de l’ópération, si elle est un désastre. En revanche, si tout va très bien Mme Geithner, l’investisseur privé lui recueillera 50% des bénéfices moins le remboursement de l’argent emprunté.
Bill Gross est au marché obligataire ce que Warren Buffet est au marché d’actions, un oracle qui cajole le gouvernement et dicte ses trois volontés sur quatre. A la tête de Pimco[v], il est le plus gros gestionnaire de portefeuille (money manager) au monde. L’automne dernier, il a forcé le gouvernement Bush à réorganiser l’ordre des créanciers lors des faillites, en remontant le rang des détenteurs d’obligations (bonds) au détriment des titulaires d’actions préférentielles (preferred shares). Puis il est allé faire les soldes.

Gross déclarait hier : “Ceci est peut-être la première mesure annoncée qui soit gagnant-gagnant et elle doit être saluée avec enthousiasme… Nous avons l’intention de participer et de jouer notre rôle pour rendre service à nos clients et aider le pays à sortir de la crise. Du point de vue de Pimco, nous sommes intrigués par la possibilité de gains à deux chiffres et l’opportunité de partager les profits non seulement avec nos clients mais avec le contribuable américain.[vi]
Timothy Geithner dit d’une voix posée que la dite subvention est le prix à payer pour inciter le boucher, le brasseur et le petit boulanger à acheter des actifs toxiques, pardon, hérités. L’alternative selon lui c’est que le contribuable paye 100% au lieu de 93%.
Quand on lui posait la question de savoir à partir de quels paramètres, il jugerait du succès de son plan, il a répondu : « le meilleur indicateur sera de voir que les gens peuvent recommencer à emprunter, de voir comment évolue le coût du crédit et le prix de ces actifs »[vii].
Je vous laisse juge. Et je passe à la question suivante, l’ultime, la question ontologique. Combien vaut vraiment l’héritage ?
Paul Krugman rappelait le week-end dernier dans le New York Times que les plans Geithner du printemps et Paulson de l’automne partagent la même croyance qui est que « les actifs pourris valent en réalité beaucoup plus que ce que le marché est prêt à en donner aujourd’hui ». Il s’agit donc d’utiliser l’argent du contribuable pour mettre en place un mécanisme de « révélation du juste prix ».
Si en mettant à profit l’expertise de Pimco, on se rend compte que le plan ne marche pas, on aura juste perdu du temps au rythme de 600.000 emplois par mois. Si le plan marche en revanche, et bien l’histoire n’est pas très morale, mais comme disait Garcia Marquez, nous « vivrons pour la raconter »[viii].
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved
------------
[i] “Now we are the USA. We’re not Sweden. We have a very complicated financial system”.
[ii] “There is deep skepticism across the country.[…] The great risk we face now is that after a long period of irresponsibility and excessive risk taking, that the system will not take enough risk now. And for those programs to work, investors have to be prepared to take risk”.
[iii] http://www.escapefromalcatraztriathlon.com/site3.aspx
[iv] La FDIC est un organisme créé par Roosevelt pour éviter les paniques bancaires. Traduit littéralement, son nom signifie Commission fédérale d'assurance des dépôts bancaires.
[v] Pacific Investment Management Co
[vi] “This is perhaps the first win-win-win policy to be put on the table and it should be welcomed enthusiastically…We intend to participate and do our part to serve clients as well as promote economic recovery. […] From Pimco’s perspective, we are intrigued by the potential double-digit returns as well as the opportunity to share them with not only clients but the American taxpayer.”
[vii] “The best metric is to watch what happens to the capacity of people to borrow, and the price of credit and the price of these assets”.
[viii] “Vivir para contarla” (2002)


Cotation de l’indice S&P 500 hier

lundi 23 mars 2009

74eme chronique: le petit sachet d’argent déchiqueté

La Federal Reserve Bank à Washington
La Federal Reserve Bank de San Francisco


20 mars 2009

A la conférence de notre ambassadeur Pierre Vimont l’autre jour au World Affairs Council, j’ai fait la connaissance d’un couple très sympa. Elle, est la présidente de la French Heritage Society, une association d’Américains qui donnent sans compter pour rénover nos châteaux de la Loire. Lui donne à Chenonceau. Aujourd’hui, les deux m’avaient invitée à la Federal Reserve Bank de San Francisco, l’une des douze banques qui composent le système de la Federal Reserve, dont Ben Bernanke est le gouverneur en chef depuis Washington. Dick m’avait dit qu’il essaierait d’obtenir une visite des coffres


Au pied des gratte-ciels, rue Drumm, mot qui veut dire « tambour » en anglais, entre le Starbucks qui est notre bureau de vote depuis le Congrès de Reims, et l’hôtel Haytt, nom qui en arabe veut dire la vie, vous passez les mendiants attrape-touriste et la bouche du BART et vous tombez sur Market Street, l’artère de la ville, des Champs Elysées qui mènent à la mer. Devant le monument dédié aux machinistes du cable car, d’autres SDF vous rappellent la condition humaine. Vous traversez les quatre voies de Market, en dehors des passages cloutés comme une Parisienne qui se respecte, presto ma con dolcezza, pour ne pas laisser un talon au fond d’un rail. Vous êtes maintenant du côté impair. Le numéro 101 est une sorte d’empilement de cubes aux vitres teintées. C’est là qu’au sous-sol sont détruits tous les jours 56 millions de dollars. Pour entrer, il faut ne pas avoir d’appareil photo, même sur votre téléphone.


Les pièces sont frappées non loin, sur Harrison Street, à l’Hôtel des Monnaies et les billets, tirés sur l’imprimante (la planche c’était bon pour l’éoque des diligences) au Bureau of Engraving and Printing, situé soit à Washington, soit plus proche de nous, à Fort Worth au Texas. La Federal Reserve de San Francisco réceptionne, nomenclature, inscrit sur son bilan, stocke et redistribue les petites et les grandes coupures (100$ maximum), mais l’essentiel des 800 milliards que la banque centrale américaine a injectés ces sept derniers mois dans l’économie est venu de jeux d’écriture sur le bilan consolidé des 12 banques régionales.


Visiblement c’est une explication moins attrayante que le mètre cube de billets sous verre qui d’après le panonceau dans le hall valent 3,2 millions de dollars.


Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les billets. La conférencière en jeans (le vendredi, c’est dress down !) nous emmène admirer la plus grande collection de billets américains au monde, depuis la Guerre d’Indépendance. Nous apprenons que les bank notes sont devenus verts au lendemain de la Guerre Civile (c’était la couleur de l’argent des Nordistes). Avant, ils étaient rouges, bleus ou ocres. Je découvre même qu’il existe des billets de deux dollars (des vrais !). S’ils ne circulent pas c’est parce que les gens préfèrent les regarder. Vous apprendrez même à reconnaître sur quel bilan figurent ceux que vous avez dans la poche. A1, c’est de l’argent de Boston dans le Massachussetts, B2 vient de New York, C3. Philadelphie, etc.…F6 Atlanta, G7 Chicago, L12 c’est de la monnaie de San Francisco. Je n’invente pas, c’est imprimé dessus. Vous commencez seulement à comprendre le système des douze banques régionales qui forment la banque centrale.


Le vendredi, les visites au coffre sont suspendues.


Vous pouvez en revanche jouer au chairman de la Fed sur un jeu vidéo (http://www.frbsf.org/education/activities/chairman/index.html). C’est plus dur que Pacman. Si vous krachez l’économie, vous serez démis de vos fonctions. A la fin de la visite, la conférencière remet à chacun de la chiffonnade d’argent usagé dans un petit sachet.


Vous rangez votre souvenir et vous montez au troisième étage avec d’autres gens en costume gris. Vous n’êtes pas à Paris, les femmes, il y en a quelques unes ne portent pas de carré Hermès, plié comme un bijou.


Dans la salle de réunion, une soixantaine de macro-économistes et d’humains d’affaires se sont réunis pour répondre à la question : « la politique économique triomphera-t-elle du pessimisme ? [i] ».


Pendant quarante minutes, Chris Varavares, Président de la National Association of Business Economics donne sa version souriante de la sortie de la crise. Avec des graphiques, il joue au météorologiste néo-keynésien : risque déflationniste, « contraction de la production jusqu’à la mi-2009, croissance forte mais sous-optimale en 2010. »[ii]


Le moins que l’on puisse dire est que le public reste sceptique. Sur Wall Street TV ce matin, les monétaristes étaient repus : nous allions finir comme la République de Weimar, l’Argentine ou le Zimbabwe.


L’intervenant cite Ben Bernanke à l’émission « 60 minutes » : « Nous sommes prêts à tout, pour sortir de cette crise »[iii]. On n’a laissé et on ne laissera aucune banque faire faillite. On a baissé tout ce qu’on a pu les taux d’intérêt ; pour inciter les banques à emprunter auprès de la Fed et recommencer à prêter. Comme je l’expliquais dans une chronique, depuis décembre, la Fed a rapatrié en son sein une bonne partie du marché des capitaux à court terme (à moins de deux ans), ce qu’on appelle le marché monétaire.



« Prêts à tout pour sortir de la crise », depuis mercredi cela veut aussi dire acheter des bons du Trésor à long terme, de deux à dix ans. A quoi cela sert-il ? Et pourquoi est-ce considéré comme une hérésie annonciatrice d’hyperinflation ?


D’abord, il faut se rappeler que la banque centrale est le banquier de l’économie et que le Trésor est la personnification financière de l’Etat. Comme les économies de marché ne sont pas des économies étatiques, la banque centrale et le Trésor ne se confondent pas. Il est généralement admis que quand les deux institutions n’étaient pas distinctes, l’Etat finissait toujours par donner des ordres à la banque centrale d’augmenter l’argent disponible (abus du droit de seigneuriage), jadis pour financer les guerres, puis pour financer les divers déficits publics. A long terme, cela causait une tendance inflationniste, [sauf si votre monnaie est aussi une monnaie internationale et donc vous avez de vastes quantités de votre devise qui sortent du circuit national et n’y retournent jamais ; comme cela a été le cas pour le dollar pendant très longtemps].


En France, la banque centrale est indépendante depuis la loi du 4 août 1993. La Banque Centrale Européenne, héritière de la Bundesbank a d’emblée été conçue comme une banque indépendante ne pouvant recevoir d’ordres des gouvernements. La Federal Reserve Bank aussi est indépendante depuis sa création en 1913.


Alors que la BCE a pour mission de préserver la stabilité de la monnaie, c’est à dire de lutter contre l’inflation, la Fed doit aussi promouvoir la croissance, voire réconcilier les deux objectifs, lorsqu’ ils sont contradictoires.


Pour préserver la valeur de la monnaie, il est important de créer des liquidités si et seulement si il y a de la richesse supplémentaire qui est créée. Cela veut dire que la vraie richesse, même au sens économique ce n’est pas l’argent mais ce que l’argent permet d’acheter : des biens, des services, de la terre, des usines, des veaux, vaches, cochons, jeux videos. On dit que la monnaie est un voile. Au 16ème siècle, quand les Conquistadors pillèrent tout l’or des Indiens et le ramenèrent dans la péninsule ibérique, cela n’eut pas pour effet d’enrichir l’Espagne parce qu’il n’y avait pas davantage de la terre, veaux, vaches, et pas de jeux videos. Ce que cette injection de liquidité provoqua fut la plus grande inflation de l’ère moderne.


Normalement la banque centrale mesure la masse monétaire à partir d’une auscultation méticuleuse de l’agrégat monétaire M3 (revoyez cette chronique pour vous rafraichir la mémoire :http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n14-trois-petits-cercles-et.html) et elle utilise le trébuchet du taux de base directeur pour restreindre ou lâcher du lest dans l’économie.


Quand la Fed vend des bons du Trésor (treasury bills ou T-bills) aux banques, la Fed prend du cash des mains des banques. Comme leurs prêts sont fonction des liquidités dont elles disposent elles peuvent moins prêter (diviseur du crédit). Les taux d’intérêt offerts aux clients montent. Inversement, quand la Fed achète des bons du Trésor aux banques, la Fed donne du cash aux banques. Ayant plus de liquidités, elles sont susceptibles de prêter davantage (multiplicateur du crédit). Les taux d’intérêt offerts aux clients baissent.


Maintenant revenons à l’annonce du mercredi 18 mars. Le Comité des Opérations d’Open Market de la Fed a annoncé qu’il allait acheter pour 300 milliards de bons du Trésor à long terme. Logiquement, cela veut dire que la Fed va donner du cash aux détenteurs de ces bons qui pourront faire plus de prêts et donc les taux d’intérêt à long terme, par exemple dans l’immobilier devraient baisser. Ceci à son tour permet aux emprunteurs de refinancer leur prêt immobilier pour moins cher. La baisse des mensualités leur donne un surcroit de pouvoir d’achat, voire leur permet de continuer à rembourser leur emprunt au lieu de perdre la maison.


Mis à part l’abaissement du crédit immobilier, quel est le but recherché par la Fed en se lançant dans ce genre de mesures peu orthodoxes ?


Il s’ agit d’abord et avant tout d’inciter les investisseurs à quitter les bons du Trésor en les rendant moins attractifs car moins rémunérateurs et de les pousser à aller investir leur argent dans l’économie.


Mais en l’absence d’un plan de stabilisation du système financier par Timothy Geithner, on écope une barque percée. Quinze trillions de $ de richesse matérielle ont été détruites aux Etats-Unis par le tsunami, mais sur soixante-deux trillions comptabilisés, ce pays n’est pas fini. L’argent attend derrière les digues que l’eau se retire. En vocabulaire économique, on dit que l’épargne est thésaurisée.


La Fed a donc décidé de suppléer au financement privé jusqu’ à ce que la confiance revienne. Elle a aussi décidé de contribuer à la stabilisation des prix de l’immobilier. Mais le tripatouillage des taux d’intérêt à long terme fait craindre que l’Etat ne prenne ses aises et fasse du déficit budgétaire à gogo.


La crainte est que quand l’économie sera sortie de l’ornière, la masse monétaire explosera parce que le but recherché sera précisément atteint et que tout l’argent thésaurisé sera revenu dans le circuit économique. Il s’ajoutera alors à l’argent injecté momentanément la Fed, en l’absence d’argent du secteur privé, pour graisser les rouages de l’économie. A ce moment-là, la remontée des taux d’intérêt par la banque centrale, le moyen traditionnel de calmer l’inflation buterait sur l’énorme masse de bons du Trésor à long terme. Le contribuable devrait rembourser une dette publique obèse, qui plus est à un tôt relevé.


Y a-t-il un scénario alternatif à l’hyperinflation ? Imaginer un Armageddon de dollars s’abattant sur le monde en proie au chaos. C’est vendeur.


Quelle est donc la stratégie de la Fed ? D’ abord, l’hyperinflation est un choléra seulement si vous n’êtes pas d’abord décédé de la déflation bubonique. Ensuite, il faut comprendre qu’un bilan est toujours équilibré par construction. Quand la Fed donne 10 milliards à Citigroup (au passif), elle achète des actions Citigroup à 3,5$ pièce (à l’actif). Si le cours de l’action remonte à 10 $, (il était à 45$ avant le tsunami et cotait 2,62$ aujourd’hui), elle peut vendre les actions et tripler son argent. Quand l’économie repart, l’Etat recevra des impôts et pourra racheter et donc détruire des bons du Trésor ; leur valeur remontera et ceux qui figurent à l’actif du bilan de la Fed s’apprécieront aussi. De même, si les marchés des capitaux de dégèlent, la Fed pourra vendre certains des titres qu’elle a acceptés comme couverture en échange pour ses prêts à l’économie. Enfin, tant que l’argent est gratuit parce que le taux de base directeur est à zéro (ce que j’appelle la planète ZIRP, zero interest rate policy), les acteurs économiques sont incités à emprunter mais dès que la Fed remonte les taux, ces mêmes individus sont incités à rembourser leurs prêts ; ce qui déchiquètera des milliards au passif du bilan de la Fed. Ben Bernanke a donc fait le pari tout seul, sans recevoir d’ordres du gouvernement qu’il aura la main leste et saura jouer des différents boutons, pour après avoir évité à l’économie de kracher, empêcher qu’il faille aller faire ses courses avec des brouettes.


La politique économique n’est pas de la science-fiction. Elle consiste en se basant sur une connaissance de l’histoire monétaire et financière à oser agir devant des situations inédites, dans l’intérêt matériel du plus grand nombre.


Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved.



[i] “Can policy overcome pessimism?”
[ii] “Contracting output through middle 2009, robust (but subpar) growth in 2010”.
[iii] “We will do whatever it takes to turn back the US economy’s deep recession.”



mercredi 18 mars 2009

Chroniques # 73 : la franchise d’AIG

M. Liddy, PDG de la Compagnie d’assurances American International Group
prête serment devant la commission d’enquête parlementaire de la House of Representatives.

18 mars 2009

Si vous étiez M. Liddy, auriez-vous renoncé à votre retraite de chez Allstate pour revenir gagner un salaire annuel de 1$ et sauver AIG ? En tous les cas, hier Andrew Cuomo avait écrit à l’Honorable Barney Frank, le Chairman, de la House Committee on Financial Services[i] pour s’étonner du versement autorisé par M. Liddy dans la soirée du samedi 15 mars de 160 millions de bonus destinés à retenir les talents de ceux-là même qui ont si bien contribué à la chute, rattrapée in extremis du premier assureur mondial. Dans un langage de procureur général, le fils ainé de Mario Cuomo, l’ancien gouverneur de New York exprimait son écœurement: « La semaine dernière, AIG a fait plus 73 millionnaires au département qui a perdu tellement d’argent que l’entreprise a dû être secourue par le contribuable. Il y a quelque chose de profondément erroné dans cette issue. J’espère que la commission se saisira de la question de manière frontale. »[ii]

Les bonus incriminés n’étaient pas destinés à récompenser (sic) la performance. Il s’agissait de primes pour que les personnes restent dans l’entreprise après son implosion et qu’elles aident au démêlage (unwinding) de la grosse bobine des produits dérivés dont les plus connus sont les CDS (Credit Default Swaps). Là, où la ligne de défense se tord et se brise c’est que treize des individus qui ont touché tant d’argent samedi soir… ont quitté AIG.

M. Liddy était attendu aujourd’hui par la House Committee on Financial Services. Il avait préparé un témoignage écrit dans lequel il taxait ces commissions de « dégoûtantes » (distasteful) mais disait-il avec une improbable ADN d’assureur, un contrat est un contrat et vous devez l’honorer.

La rédaction des contrats ne permettait pas de reprendre l’argent, si la personne n’exécutait pas son obligation (si elle partait quand même !). Ils ne contenaient pas ce qu’en anglais on appelle de manière très descriptive une clause de reprise avec les serres (claw-back clause). De plus, les paiements auraient lieu en espèces sonnantes et par virement électronique, et non en actions, comme c’est normalement le cas.

Je sens votre indignation sourdre comme un karcher. Entre temps, les parlementaires avaient trouvé une parade. Ils introduiraient dans la prochaine loi de finances (appropriation law) une disposition pour taxer à 100% les bonus versés par les entreprises dont le capital est détenu par l’Etat à plus de 79,9%. La question de la rétroactivité de la loi fiscale avait été tranchée dans une décision de la Cour Suprême des Etats-Unis : United States vs. Carlton (1994). Elle peut être résumée par l’avis du juge Scalia : « Le raisonnement utilisé par la Cour pour confirmer la loi dans cet arrêt de principe garantit que toutes les lois fiscales rétroactives seront désormais constitutionnelles »[iii].

Ce matin, la droite en exil essayait d’inverser les rôles et brocardait Timothy Geithner, le Treasure Secretary pour n’avoir pas empêché le versement des sommes litigieuses. Barack Obama est venu défendre son ministre des finances : « Il fait tout ce qu’il faut faire étant donné la mauvaise pioche qu’il a reçue »[iv]. Il ajoutait : « Nous croyons dans l’économie de marché, dans le capitalisme, dans l’enrichissement des gens en fonction de leur mérite »[v]. Il appelait à canaliser la colère de manière constructive. « Ces bonus sont le symptôme d’une culture de rapacité (greed) qui produit de la richesse sur le papier (« paper wealth ») mais pas de la vraie richesse pour le pays. Il faut investir dans l’éducation, la recherche, les infrastructures ». Tout est dans tout et d’ailleurs concluait-il, « il faut en finir avec la mentalité « Crise, krach, boom » (the bubble and bust mentality) et investir dans une croissance de long terme ».

Entre M.Liddy dans la salle de la House Committee. Les appareils crépitent. Au fond se lèvent deux pancartes roses fluo réclamant la démission de Geithner en leur qualité « d’honnête contribuable indigné ».

Le président de séance tape du marteau et ordonne aux « dames en rose » de ranger leur matériel (« signs down ! »), si elles ne veulent pas être expulsées.

M.Liddy est rose comme un petit cochon. L’humeur n’est pas à la surenchère populiste. M. Liddy n’a pas de bonus, ni de stock-options et touche 1$ symbolique de salaire. Il n’a que sa réputation et son désir de servir. Avant d’accepter le poste de PDG d’AIG en octobre, à la demande pressante d’Hank Paulson, M. Liddy jouait avec ses petits-enfants. Depuis, sa famille et lui ont reçu des menaces de mort.

Le PDG d’AIG annonce tout de go qu’il a demandé aux personnes concernées de rendre au moins 50% de leur bonus, voire 100% pour les plus hauts responsables.

« Pourquoi n’avez-vous pas plutôt refusé de payer les bonus et défié les salariés mécontents de vous faire un procès ? » demande un élu. Avec un frémissement du nez, M. Liddy répond : « nous avons jugé que les bonus n’étaient pas un prix trop cher payé pour empêcher le système financier d’imploser ». Il explique que la Financial Products Unit avait un portefeuille de 2,7 trillions de $ de produits dérivés à désamorcer ; ce qui grâce à ces salariés qui connaissaient bien le domaine a déjà été fait à hauteur d’un tiers et « dans l’ordre ».

Un autre élu lui demande pourquoi il n’a pas renégocié avec les salariés. « Ils auraient peut-être rendu leur bonus en l’accompagnant de leur démission ».

M. Barney Frank demande les noms des mercenaires pour qu’ils soient convoqués par la commission. M. Liddy refuse de les donner pour ne pas mettre ses salariés et leurs enfants en danger. Le président de la commission dit qu’il fera le nécessaire auprès de la police mais qu’avec des raisonnements pareils, personne ne viendrait jamais rendre des comptes.

Demain je vous parle de la franchise de Ben Bernanke, le gouverneur de la Fed qui déclarait dimanche dernier dans l’émission « 60 minutes » sur la chaine CBS qu’il allait agir « agressivement » et qui vient de faire un tabac en annonçant les premières mesures « d’assouplissement monétaire quantitatif ». Pour vous c’est du Sanskrit, pour les marchés financiers, c’est du yoga anti-stress rajeunissant.

La Bourse avait ouvert la séance à -100. Elle termine en hausse de 1,23%, elle caresse les 7500 points de base. Le Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques affiche +1,99%. On arrête de s’asphyxier.

Vendredi, arrivent les bonus de Freddie Mac et Fannie Mae.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier,
all rights reserved
----
[i] La sous-commission bancaire de la House of Representatives, l’équivalent américain de l’Assemblée Nationale
[ii] “Last week, AIG made more than 73 millionaires in the unit which lost so much money that it brought the firm to its knees, forcing ~ taxpayer bailout. Something is deeply wrong with this outcome. I hope the Committee will address it head on”.
[iii] “The reasoning the Court applies to uphold the statute in this case guarantees that all retroactive tax laws will henceforth be valid”.
[iv] “He is making all the right moves playing a bad hand”.
[v] “We believe in free market, capitalism, and in people getting rich based on performance”.

lundi 16 mars 2009

Chronique # 72: hormis notre propre peur

16 mars 2009

Aujourd’hui, nous ne fêtons pas le premier anniversaire de la fusion-sauvetage de Bear Sterns avec JP Morgan Chase ; la répétition générale de la faillite de Lehman Brothers. Oui, qui a le cœur à la fête ? Bernard Madoff est en prison. Les ruinés riches et les naufragés pauvres, tout le monde est accroché au même radeau, déshydraté, épuisé, et vogue la crise.

Je me suis arrêtée d’écrire il y a presque deux semaines, sans comprendre tout à fait pourquoi. Une lectrice du Mali m’a aidé à prendre conscience de ce qui m’arrivait. Le 12 mars, elle m’écrit : « j'admire énormément ta constance quant à l'écriture de tes chroniques et à la richesse de tes propos... mais je dois t'avouer que je les lis une fois sur deux car le tsunami financier m'effraie. » Elle ajoute : « Je nous trouve trop dépendant du phénomène, alors que bien des comportements pourraient nous en désolidariser. Je ne sais comment développer ma pensée. Je te propose de la comprendre par le biais d'une chanson “Gagnants Perdants” de Noir Désir. »
En lisant sa lettre je me revois le vendredi 6 mars fixant le boulevard Saint-Germain par la fenêtre de la garçonnière que j’avais louée pour le week-end et sentant l’effroi se répandre du titre de l’article du Wall Street Journal sur mon écran : « Le Dow Jones à 5000 points de base ?».


L’indice avait perdu 25% depuis le 1er janvier et semblait ne plus vouloir s’arrêter. On ne jouait plus à se faire peur. Petite apocalypse, longue agonie, pléonasme, pessimisme exubérant. Comme disait Hélène, j’étais pétrifiée.

J’ai donc fermé les yeux et ma plume en espérant, ce verbe qui en espagnol veut dire attendre et avoir espoir que le système financier touche le fond et que Geithner communique enfin son plan pour purger les actifs pourris des bilans des banques. [Pour l’instant, on continue de les faire courir sur un tapis roulant pour savoir lesquelles auront une crise cardiaque, c’est ce que l’on appelle les stress tests].

Depuis quatre jours, la Bourse a recommencé à monter. Nous sommes même repassés au-dessus du plancher psychologique des 7000 points. Aujourd’hui, sans surprise, le Dow Jones a terminé en léger recul, en baisse de 7 points à 7216. Cela s’appelle prendre ses bénéfices. En une semaine, le cours de Citigroup est passé de 95 centimes à 2 dollars. Ce sont des bénéfices de mulot. Mais si vous en avez acheté des millions la semaine dernière et que vous les avez vendus aujourd’hui, vous avez doublé votre argent.

J’attends aussi autre chose de la part du gouvernement : qu’il rétablisse la règle de l’uptick dont je parlais déjà en octobre, en plein tsunami (cf : tout à la fin de la chronique http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n15-pire-encore-que-le-short.html).Keynes avait raison de dire que « le marché peut demeurer irrationnel plus longtemps que je ne pourrais rester solvable ». C’est pourquoi le retour de la règle de l’uptick couperait l’herbe sous les pieds aux spéculateurs, qui en ce moment jouent la politique du pire en misant sur la baisse d’actions que d’autres possèdent, pas eux. C’est un peu comme si je priais le petit Jésus pour que vous soyez cambriolé et que je passais à la MAIF signer un contrat et que je lançais un appel d’offres : « Qui veut aller cambrioler cette maison ? Qui veut aller cambrioler cette maison ? Une fois, deux fois. Ne vos bâtez pas. Merci ! »

Peut-être le plus inquiétant mais aussi le plus rassurant est que notre sort à tous est lié dans cette crise. L’Europe fait la leçon aux Etats-Unis sur les subprimes, mais nos banques n’ont pas démérité dans la catégorie junk à l’Est de l’Oder. La Chine fait la leçon aux Etats-Unis sur la qualité de sa dette et sur l’assainissement de ses déficits, mais ma fortune, inspecteur Chen est votre vice. Le 27 février, dix pays de l’ANSEAN, le Japon, la Corée et la Chine ont créé un pool de devises de 120 milliards pour stabiliser leurs monnaies et leur commerce intra-zone ; ce qui fait aussi 120 milliards de raisons de vendre ses yens et qui donne quelqu’ espoir au Japon qu’ il pourra recommencer à exporter un jour. La création d’un AMF (Asian Monetary Fund) est un vieux rêve nippon, qui si il fonctionnait devrait arrimer toutes les monnaies de la zone et protéger leurs économies, comme au temps du serpent monétaire européen.
L’Amérique Latine et l’Inde et l’Afrique, entre matières premières, baisse des mandats des migrants et développement du marché intérieur se demandent combien de temps elles vont pouvoir rester à la périphérie d’un des trois épicentres. Le pétrole a augmenté de 30 % en un mois. Le Venezuela respire, l’Inde se serre la ceinture.
Le G22 se réunira à partir du 2 avril à Londres pour sommetiser la réponse à la crise.
Aujourd’hui Barack Obama et Timothy Geithner s’occupaient du credit crunch. Désormais les institutions financières qui acceptent l’argent public vont devoir faire du chiffre c'est-à-dire montrer chaque mois combien des prêts elles ont accordé aux PME.
En tous les cas, quelque chose est en train de bouger en matière de salaire au mérite dans la finance. Alors que l’assureur AIG qui a pris en otage le système financier mondial et dont le contribuable américain payera pendant des années l’incurie s’apprêtait à distribuer 165 millions de bonus pour « garder ses talents » au sein du département des Financial Products, le même qui a gorgé la terre entière de CDS (credit default swaps) et obligé le gouvernement américain à injecter 170… milliards pour éviter l’implosion, donc au moment où AIG s’apprêtait à récompenser l’incompétence, Barack Obama a dit non.

Pas avec notre argent.
« C’est que nous sommes obligés par contrat », a répondu la voix assurée.
« Non », a clos le Président.
Ce jour une lettre est partie du bureau du procureur général de l’Etat de New York, Andrew Cuomo. Elle est adressée à Edward M. Liddy, PDG d’American International Group, Inc., au 70 Pine Street à New York, New York. Elle lui demande le nom des salariés qui ont si bien servi la Trésor Public. Elle exige un rapport détaillé sur leur performance.

Jeremy Bentham disait à propos de l’architecture des prisons que sous l’œil public, les plus retors peuvent devenir vertueux. Vous avez le bonjour de Madoff dans son Panopticon de Manhattan.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier
All rights reserved

dimanche 1 mars 2009

Chronique # 71: le premier budget Obama, un budget de Gauche

1er mars 2009

Barack Obama est un homme pressé. Dès son arrivée, il avait voulu faire adopter un plan de relance de près de 850 milliards. Il avait dû rapidement se résoudre à mettre un tiers de réductions d’impôt dans son vin jeune, obtenir ainsi le ralliement de trois Républicains modérés pour faire passer son texte en vote bloqué ; seule manière de contourner l’obstruction systématique du camp défait. Le texte a été effectivement adopté en un temps record. Toutefois dans l’urgence, la part des grands travaux et de la relance par la consommation ont été réduits d’un tiers et la taille du plan dans son ensemble d’un gros point de PIB. Déjà peu rassurée par le maintien de Robert Gates, nommé en 2006 au poste de ministre de la défense, alors qu’on était censé changer de cap en Irak, puis par l’arrivée de l’équipe Summers-Geithner comme architectes du sauvetage du système financier, l’aile la plus progressiste du Parti Démocrate commençait à glisser dans la dépression post-partum.

Ensuite, Barack Obama a rendu public son plan pour venir en aide aux ménages surendettés, à hauteur de 225 milliards. Tandis que Barney Frank, le président de la commission des finances convoquait les patrons des grandes banques pour leur extorquer un moratoire sur les expulsions, le président annonçait ce qui sous Bush aurait été impensable : les juges des faillites auraient le droit de modifier les prêts hypothécaires en souffrance.
Mais le vrai coup de tonnerre a été la présentation du budget 2010. Miracle du suffrage universel qui transforme le plomb du pouvoir en or de la légitimité, les élections ont des conséquences. Il ne s’agit pour le moment que d’un « blueprint », une esquisse mais le changement dans le style et dans les objectifs est tellement impressionnant que le passant reste émerveillé à contempler l’objet derrière la vitrine.
D’ abord avec un accent presque mendésiste, en tout cas lincolnien, Barack Obama dresse un inventaire sans fard des « séquelles d’une gestion déficiente et de priorités erronées, d’opportunités ratées et de graves problèmes structurels, trop longtemps ignorés ». L’analyse est un réquisitoire contre huit ans d’irresponsabilité politique. Nous ne sommes pas sous le tsunami économique, social et financier par malchance.
Opération vérité, Barack Obama réintroduit dans le budget de l’Etat, pour la première fois depuis leur déclenchement en 2001 pour l’Afghanistan et 2003 pour l’Irak le coût des guerres lancées par George W Bush et Dick Cheney. 10 milliards de dollars mensuels, juste pour l’Irak, à force ça commence à chiffrer. Finie la comptabilité hors-bilan, finie la sous-traitance aux amis d’ Halliburton, des plateaux-repas à 150 dollars (ce n’est pas une coquille). L’Etat reprend ses fonctions régaliennes et assurera ses opérations de guerre lui-même. On licencie les mercenaires ; à moins qu’ils ne veuillent resigner comme engagés volontaires.
Peut-être les deux mesures les plus spectaculaires du blueprint sont la création d’une couverture médicale universelle financée par la remise en cause des abattements fiscaux en faveur des plus riches accordés par Bush (c’était la fameuse, j’allais dire fumeuse, théorie des trickle-down economics : enrichissez les riches et la richesse dégoulinera). Obama propose non l’avènement de l’Union des Républiques Socialistes Américaines mais un retour à la pression fiscale de Bill Clinton. Ayant appris de l’échec d’Hillary, il y a 15 ans, le projet de couverture santé pour tous devrait se mettre en place progressivement et autour d’une large négociation des différents partenaires. L’autre volet « Pince-moi je rêve », c’est la pénalisation économique des énergies les plus polluantes et le déploiement d’une volonté de financement de la recherche et du développement des énergies propres. John McCaïn et Sarah Palin faisaient campagne en jactant du haut de la tribune : « Drill, baby, drill » (creuse, ma jolie creuse). Bush signait quelques heures avant de partir des permis de forage au milieu des parcs naturels.
Dans un premier temps, la mise en place d’un marché de droits de polluer semble pénaliser les ménages modestes qui sont ceux qui se chauffent au fioul et dont les maisons sont les moins bien isolées, mais quand on lit plus en détail, on comprend qu’il y aura des aides accompagner la transition et éviter que la Terre ne finisse comme Vénus.
On ne lâche pas ce huitième volume d’Harry Potter : des moyens pour l’école et les universités publiques, des investissements pour internétiser, comme on électrifiait aux temps de Roosevelt, l’Amérique profonde, des fonds pour la création d’écoles maternelles, de l’argent public en faveur de la recherche sur les cellules-souche, de la transparence en matière de dépense publique grâce à un site web. La dernière fois qu’un président démocrate a fait rêver l’Amérique de cette manière, le taux d’imposition marginale maximal était de 91%. C’était sous Kennedy.
Gabrielle Durana
All rights reserved