jeudi 21 mai 2009

Chronique # 80: la stabilisation à tâtons

Le long d’un canal à Venise (2009)
L’amour de la langue française et le désir de faire quelque chose de concret en faveur des familles de la classe moyenne, frappées par le tsunami social et économique longuement analysé dans ces pages ont conduit l’auteur de ces chroniques à s’engager dans un projet associatif en y assumant un rôle très actif (www.efba.us , le site est en construction). Le rythme des chroniques s’en est trouvé sensiblement altéré. Des lecteurs ont même écrit pour s’étonner de leur interruption. L’auteur présente ici ses excuses et espère reprendre une narration plus étoffée dans un avenir proche.
Le courrier est à la fin.

Jeudi 21 mai 2009

La nouvelle est tombée à New York peu après 10 heures. L’agence Standard & Poor’s pourrait revoir à la baisse sa note sur la qualité de la dette de l’Angleterre. En quelques instants, les secousses ont été ressenties de Mexico à Sao Paolo, de Toronto à Wall Street. En effet, S&P estime que les nationalisations minute, les recapitalisations bancaires, sans oublier la baisse des rentrées fiscales, pourraient pousser l’endettement de l’Angleterre au-delà des 100% de PIB en 2013, contre 49% actuellement. Il y a 5 mois, la même agence escomptait que les mêmes causes ne provoqueraient que 83% d’endettement rapporté au PIB, en 2013. A15h34, la réplique arriva sur Wall Street TV. Bill Gross, le dirigeant de Pimco et pape du marché obligataire se mit à hululer qu’après l’Angleterre, viendrait l’Amérique « mais les marchés étaient mieux placés que les agences de notation pour s’en apercevoir »[i]. Le Dow Jones terminait la séance en recul de 1,54%, à 8292 points. Quand le reste du monde se réveillera, les aiguilles de leurs sismographes se mettront à valser.

Une « perspective de notation » (rating outlook) ne doit pas être confondue avec un abaissement de la note (rating downgrade). La première fonctionne comme un avertissement, une sorte de courriel public, annonçant comment, sur une période de 12 à 24 mois, l’agence entrevoit l’avenir de la solvabilité (en anglais, creditworthiness, littéralement la dignité qu’on vous fasse crédit) d’un pays, d’une entreprise, ou d’une entité comme la Californie. Une perspective n’est pas toujours suivie d’un abaissement.

Ce soir, certains accusaient Bill Gross d’avoir fait du short selling[ii] en mars et trois mois plus tard d’avoir utilisé son pouvoir de prophète pour couvrir les positions qui arrivaient à terme.

La paille dans l’œil du spéculateur est toujours plus facile à appuyer quand elle est dans l’œil d’autrui. Par exemple, la demande de pétrole demeure faible et Barack Obama se lance dans les technologies vertes pour sevrer son pays de ses amours maléfiques avec l’Arabie saoudite, mais comme le cours du dollar baisse pour cause d’anticipation de retour de l’inflation, -justifiée sur la longue période, imaginaire à court terme- et bien, le prix du pétrole remonte à 61$ le baril, soit +9,2% en une semaine. La devise américaine dans laquelle sont libellées la plupart des contrats de brut, s’échange en effet à son cours le plus bas depuis le 5 janvier : 1.3926$ pour un euro.
Si on ne peut plus gagner sa vie en vendant des vérines empoisonnées[iii] ou en en jouant aux fermiers généraux, on va vendre de l’apocalypse monétaire et faire des allers-retours en plumant les nigauds qui s’aventureront à tremper l’orteil.
Heureusement, il nous reste les introductions en bourse (Initial Public Offering ou IPO). Prenez celle d’Open Table, septième de l’année, conduite ce jour de main de maître par quatre organismes placiers, avec en tête Merrill Lynch. Cette start-up de San Francisco[iv] permet de faire des réservations gratuites dans près de 10.000 restaurants des Etats-Unis ; ce sont les restaurateurs qui reversent une petite quote-part au site web. On a beau compter les restaurants qui ont fermé, Rubicon, Anjou, Myth, Scott Howard, Frisson, pour ne rester que dans le périmètre du downtown de San Francisco, ceux dans lesquels vous obtenez désormais une table, à commercer par Chez Panisse d’Alice Waters, l’Einstein de la Cuisine Naturelle[v] et tous ceux dans lesquels vous pouvez arriver sans vous annoncer, de Boulevard à The Slanted Door, l’action d’Open Table offerte à 20$ est pourtant montée à 35$ lors de sa première séance.
Elle a clôturé à 31$ ; en hausse de 59%.

La même semaine, lundi, la Bourse de Mumbaï saluait la victoire aux élections de Manmohan Singh, l’héritier de Gandhi à la tête du Parti du Congrès. Ce n’était pas de l’euphorie, ni de l’exubérance, mais de l’héroïne mélangée avec des anabolisants qui fit sauter les fusibles du Sensex. La cotation a dû être suspendue quand l’indice a dépassé les +17%.
Le plus intéressant dans les événements présents n’est pas la spéculation, elle est l’écume des jours.
Alors que Timothy Geithner s’efforce de calmer le jeu et de persuader les marchés que la stabilisation de l’économie est en train de se produire sous leurs yeux, alors que les chiffres du chômage continuent de se dégrader et que certains économistes essayent d’inventer une nouvelle théorie économie « l’insupportable légèreté de la reprise », les flux et les reflux de la bourse rappellent la question fondamentale de la marge du pouvoir politique face au Mur d’Argent.
En 1924, pour la première fois au XXème siècle et dix ans après l’assassinat de Jaurès, la gauche non-communiste arrivait au pouvoir en France. Le Cartel des Gauches conduit par Edouard Herriot rencontra aussitôt une hostilité assassine de la part des milieux d’affaires. Les régents de la Banque de France, incarnation des intérêts de « deux cents familles » car elle n’avait pas encore été nationalisée (il faudra attendre 1936) organisèrent une belle panique monétaire et financière qui fit tomber le gouvernement.
Herriot n’était pas confronté à la pire économique en 70 ans mais la question de la fermeture du camp de concentration de Guantanamo, à deux encablures de Miami et de l’usage de la torture par l’administration Bush dans la lutte contre Al Qu’aida pourraient être comparés dans leur intensité à la guerre idéologique liées à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, tandis que la question des réparations avec l’Allemagne fait penser au problème du coût de la Guerre en Irak. En fait l’analogie n’a pas besoin d’être parfaite pour convaincre. Il suffit de comprendre que les gouvernements progressistes doivent amadouer les marchés des capitaux sous peine de mort subite, tout en satisfaisant leur base électorale sous peine d’impuissance politique. Chaque jour, Obama arrache un lambeau de l’autorégulation, de Reagan à Clinton pour la remplacer par une législation plus juste et plus efficace pour le bien du plus grand nombre. Lundi, c’était les niches fiscales sur les assurances-décès souscrites par les entreprises pour quelques affidés. Hier, les frais abusifs sur les cartes de crédit. Aujourd’hui, c’était le retour de l’Etat de droit avec la réitération de la promesse de fermer Guantanamo d’ici au 1er janvier 2010. Demain ce sera la couverture médicale universelle, l’idée que tout ne s’achète pas. Obama et son équipe marchent sur le mur haut de leur popularité. D’en bas, les Républicains leur lancent des sachets de thé en espérant qu’ils perdent l’équilibre et que les eaux froides du calcul égoïste emportent leur charogne vers le passé qui revient.

Gabrielle Durana
All rights reserved.
Au prochain épisode : Le stress des banques européennes
Courrier :

Un lecteur de San Francisco écrit : « Le gouvernement a mis près de $1T en « preferred stocks » dans les banques… que Mr. Geithner parle maintenant de convertir en « common stock »… Common stock? Quel est l’intérêt du Gouvernement dans la conversion si l’on suppose – ce que je crois- que le gouvernement ne veut pas réellement contrôler les banques (en fait je pense qu’il s’agit plutôt du contraire, mais c’est une autre histoire)? L’idée est que les common shares sont tradeables, autant dit on peut en vendre de temps en temps. Maintenant supposons que grâce à une politique pro-bancaire (du genre empruntez de l’argent à 1% et prêtez-le à 4% (maintenant) ou 6% (un peu plus tard)… même un banquier peut faire du profit dans ces conditions)… les banques deviennent profitables… et donc le prix de leurs actions augmente. Cela peut permettre au gouvernement dans quelques années (disons vers 2012) de réaliser un profit considérable (de l’ordre de $1T avec un doublement des prix ce qui n’est pas en dehors de possibilités (voir le graphe de XLF, ETF bancaire [un ETF, ou Exchange Traded Fund est une sorte d’indice boursier taillé sur mesure, ndlr])… Mr. Obama pourra annoncer avec fierté que le déficit est réduit de $1T… moitié! C’est beau la compta, et le fait que cela arrive juste avant les élections n’est pas tout à fait un hasard. Conclusion: j’ai déjà acheté du XLF… et je vais placer quelques “Bull Put Spreads” (options) dès que les “leaps” seront stabilisés J Life is good!
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[i] [The United States will face a downgrade in] "at least three to four years, if that, but the market will recognize the problems before the rating services -- just like it did today.”
[ii] Pour une révision sur le « short selling », http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n15-pire-encore-que-le-short.html
[iii] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n28-les-prions-de-la-finance.html et la suite.
[iv] http://www.opentable.com/start.aspx?m=4
[v] http://www.chezpanisse.com/

vendredi 8 mai 2009

Chronique # 79: l’extase des raboteurs de plancher


Le courrier des lecteurs est à la fin.


8 mai 2009


Timothy Geithner avait annoncé le 11 février qu’avant de continuer à injecter des fonds publics, il demanderait un audit par la Fed des pertes potentielles que subiraient les banques, en cas d’aggravation de la conjoncture. Il empruntait la métaphore des « épreuves d’effort » (stress tests) après une crise cardiaque pour décrire les deux scénarios à l’aune desquels serait évaluée la solidité des 19 établissements comptant plus de 100 milliards à l’actif ; un niveau de référence déjà peu réjouissant (« baseline ») et un contexte plus défavorable (« more adverse »). Trois indicateurs avaient été retenus : le taux de croissance du PIB, le niveau du chômage et l’évolution des prix de l’immobilier[i]. Début février, l’économie américaine frôlait la déflation, cet état quand les prix baissent parce que l’économie réelle se nécrose. Elle perdait plus de 750.000 emplois par mois. Aussi le scénario le plus défavorable semblait-il encore trop optimiste. Le Dow Jones avait dévissé de 381.99 points.





Paramètres des deux scenarios utilisés pour les épreuves d’effort (stress tests)

Deux semaines avant la publication des résultats, l’extase des raboteurs de plancher n’avait d’égale que la détermination de Timothy Geithner à reclouer les lattes du Dow Jones sous les 8000 points. La rumeur crépusculaire que 16 banques sur 19 avaient échoué aux tests faisait craindre l’approfondissement de la crise, son entrée dans une seconde phase de fatal dénouement. Dans le rôle des prophètes de tristesse, Nouriel Roubini, tribun sacré en face d’une société profane, accusateur public sur la Chaine du Maire et sur Wall Street TV, et Meredith Whitney installée sur les marches du temple avec son cabinet de conseil, faisant ses prophéties pour les masses de Fox News.

Le 23 avril était la journée nationale des enfants au travail de leurs parents (Bring your kids to work Day[ii]), pour ceux qui ont encore un travail. Ce jour-là, les spéculateurs ont rangé leur rabot et au lieu que tous les gains de la séance ne s’éliment pendant les quinze dernières minutes, le Dow Jones terminait à 9757, en hausse de 70 points.

Les derniers jours menant au 7 mai ont été scandés par des fuites dans le Wall Street Journal, devenu le tambour-major du Conseil des Gouverneurs de la Fed. D’abord en préfaçant qu’il n’y aurait pas de second astéroïde, pas de replay de Lehman Brothers. Aucune des 19 banques ne serait abandonnée à son sort funeste, à une exécution sanguinaire. On achève bien General Motors ou ses équimentiers, mais pas AIG (182 milliards $ et on n’en a pas fini) ni aucune des 19 institutions trop grosses pour échouer (too big to fail). On a appris la leçon à ses dépens.
Le monde semi-profane se rassure, « terre, terre ! Nous touchons sous-terre ! ». Les spéculateurs se réjouissent. Si les nigauds reviennent, le laminage bihebdomadaire peut continuer et tandis que la commission pour rétablir la règle de l’uptick poursuit ses travaux[iii]; ce sera toujours cela de pris sur la bête.
Vous lisiez au matin par-ci, par-là, quels établissements avaient les reins solides et lesquels devraient s’acheter un corset, avec de l’argent du TARP[iv] ou des fonds privés, ou un jeu d’écritures consistant à transformer des obligations en actions, des dettes en fonds propres. Warren Buffet avait beau dire à son parterre d’actionnaires réunis à Omaha en assemblée générale qu’il avait toute confiance dans l’avenir de Wells Fargo dont il détient une grosse part et dont le siège est à San Francisco, c'est-à-dire dans l’Etat qui était la capitale mondiale du financement des subprimes, on avait peine à croire qu’ il ne fût pas prophète et partie.

Hier, à 17h00, après la clôture de la Bourse, le secret du Wall Street Journal est enfin devenu un rapport de 37 pages. Dix des dix-neuf plus grandes banques du pays doivent se recapitaliser. En tête du palmarès, Bank of America avec le besoin de trouver 33,9 milliards $, puis Wells Fargo 13,7 milliards$, puis GMAC, le bras financier de General Motors avec 11,5 milliards $, enfin Citigroup seulement 5,5 milliards $. Parmi les élèves vertueux, Goldman Sachs, American Express, Metlife.
Au pays des sorcières de Salem et du puritanisme, les banques n’ont pas beaucoup apprécié d’être marquées de la lettre écarlate. Ce n’était A comme Adultère, comme dans le roman de Nathaniel Hawthorne qui se passe à Boston mais l’opprobre est toujours une humiliation. La Fed annonçait 559 milliards de pertes si la conjoncture se dégradait. Les banques répliquaient que les économètres de la banque centrale ne prenaient pas en compte leur capacité à accroître les recettes et à réduire les coûts tous azimuts.
Alors qui a raison ?
Pour répondre à cette question difficile, il faut d’abord expliquer que les banquiers centraux ont des indicateurs de risque et des ratios prudentiels, destinés à protéger les systèmes bancaires. Ce sont les accords dits de Bâle I (1988) et Bâle II (1994)[v].
L’idée centrale de ces accords est que les actifs d’une banque doivent dans leur niveau et dans leur nature la prémunir contre le risque de défaillance. Si la banque achète des bons du Trésor, comme l’Etat sera le dernier agent à faire faillite, il est inutile de garder de l’argent en réserve pour se protéger contre une perte. Le risque est nul. Si la banque prête de l’argent à une entreprise, là le risque de défaillance est considéré comme plus élevé et donc les régulateurs des différents pays avaient recommandé que pour 100 $ de prêts, la banque garde 8$ de capital. Mais ces 8 $ n’avaient pas à être détenus en argent sonnant et trébuchant. Ce ratio prudentiel de 8% était en fait divisé en deux catégories : tier 1 et tier 2.
En allemand, le mot veut dire « animal ». En anglais, il veut dire « niveau ». Dans le haut d’un bilan, du côté du passif, vous avez les capitaux propres (equity). C’est la partie la plus stable du passif. Elle inclut le produit des ventes d’actions (common stocks), les dividendes non distribués (retained earnings) et un troisième type d’avoirs à vocation perpétuelle[vi]. D’après les accords de Bâle I, 4$ de cette partie du bilan peuvent servir de garantie aux 100$ de prêts.
Les 4 autres $ peuvent être garantis par des actions privilégiés (preferred stock), des créances de rang inférieur (subordinated debt) et d’autres réserves, qui figurent juste en dessous dans le passif.
En simplifiant à l’extrême, on dira que la tier1 est composée de capitaux propres (equity) et que la tier 2 est composée de réserves et d’actifs hybrides, qui sont par nature des actions, c’est à dire des droits de propriété sur l’entreprise, mais qui se comportent comme des obligations, c'est-à-dire des créances puisqu’il faut rémunérer le capital avec un dividende annuel fixé à l’avance.
Le système de ratios prudentiels a été amélioré lors des accords de Bâle 2. Une banque est considérée comme bien capitalisée si son ratio de capital Tier 1 est égal ou supérieur à 6%.

A voir ce qui est arrivé lors du tsunami financier, ces mesures du niveau et de la nature du capital des banques donnaient un faux sens de sécurité. Et dans l’épreuve, elles ont révélées béante leur vulnérabilité.
D’après un article du 5 janvier 2009 de Peter Eavis paru dans le Wall Street Journal[vii], Washington Mutual, la faillite la plus retentissante de l’histoire bancaire américaine (Lehman Brothers jouait dans une autre catégorie, celle des banques d’affaires), intervenue le 26 septembre 2008 avait pourtant un ratio de capital Tier 1 de 8,4%, bien au dessus de ce qu’exigeait le régulateur. National City Corp qui s’est bradée au plus fort de la capitulation d’octobre affichait une insolente bonne santé (sic) avec un ratio de capital Tier 1 de 11% ; bien plus élevé que JP Morgan Chase (8,9%) qui a absorbé Washington Mutual. Wachovia, qui faisait de la subprime comme McDonalds des milkshakes et qui a fini par être rachetée par Wells Fargo exhibait au 3 trimestre 2008, un ratio de capital Tier 1 de 7,5%.
Est-ce le modèle mathématique qui ne calibrait pas bien le risque créé par l’immobilier ? Ou par les effets de levier délirants et partagés ? Est-ce les données qui étaient mensongères ? Il est important de démêler ce qui dans la supervision du risque a échoué pour fabriquer de meilleurs indicateurs à l’avenir ; tout en se souvenant qu’ils ne sont que des voyants verts et rouges sur un tableau de contrôle.
Levons les yeux et regardons dans la rue. Chômage, sous-consommation, dégel du credit crunch. Le plan de relance doit réamorcer la pompe sinon il y aura nécrose de l’économie. La population et les milieux d’affaire ont confiance dans leurs dirigeants. Paul Krugman, le prix Nobel d’économie est plus sceptique. Selon lui, le plan de relance était trop faible et tourné à un tiers vers l’investissement, quand les stocks débordent.
Aujourd’hui, les chiffres des pertes d’emplois d’avril (-550.000) ont fait atteindre le taux de chômage à 8,9%, soit le niveau de l’indicateur dans le scénario le plus défavorable. Allons-nous nous arrêter au seuil du scénario pour faire plaisir au modèle ? Les prix de l’immobilier et le taux de contraction de l’économie sont les autres paramètres d’une réalité dynamique.

En réponse, les marchés ont connu une reprise de +164 points. Le Dow Jones clôturait à 9574.

Certes on tombe toujours de la Tour infernale, mais la rapidité de la chute s’est ralentie, se réjouissent les faiseurs d’opinion, tandis que les spéculateurs lâchent un rire en guise de parachute. Les résultats des stress tests sont connus. Les banques sous-capitalisées ont jusqu’en novembre pour atteindre le bon niveau avec la bonne sorte de capital et sortir de la catégorie de M le Maudit. Nous revenons à la question qui ne passe pas : que faire des actifs toxiques ?

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier- all rights reserved
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[i] Reportez-vous aux pourcentages sur le tableau ci-dessous. Les chiffres pour le premier scénario sont en vert et ceux du second plus défavorable sont en rouge.
[ii] Depuis 1993, Bring your kids to work Day tombe le 4ème jeudi d’avril.
[iii] Si vous ne savez pas ou plus ce qu’ est la règle de l’uptick, vous pouvez lire vers la fin de cette chronique: http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n15-pire-encore-que-le-short.html
[iv] Le Troubled Asset Relief Program (TARP) est le programme institué en octobre 2008 par le Parlement Américain qui allouait 700 milliards de $ pour assainir les banques de leurs actifs toxiques.
[v] Texte integral: http://www.bis.org/publ/bcbsca.htm
[vi] Non cumulative perpetual preferred stock.
[vii] “Rewriting the rule book for bank stocks”.


Les raboteurs de parquet, Gustave Caillebotte, 1875, Musée d’Orsay
Courrier des lecteurs :

Un lecteur de San Francisco m’écrit : « La partie la plus intéressante au sujet de la Boston Tea Party [de 1773, quand les Colons déguisés en Indiens ont coulé les chargements de thé dans le port de Boston] est la raison de l’attaque du navire. Pourquoi les “indiens” ont-ils détruit le thé, au lieu de la distribuer gratuitement à la populace? La raison en est que le gouvernement avait commencé dès 1770 à réduire les taxes et donné à la East India Company la possibilité de vendre directement du thé dans les colonies… ce qui baissait de 30% le prix du thé et rendait le thé anglais moins cher que le thé de contrebande acheté en Hollande. » Et notre lecteur cite ensuite un passage de Wikipédia en anglais. Il conclut : « En fait, tout au contraire de protester contre les taxes, les “indiens” étaient des contrebandiers qui cherchaient à préserver leur business, et ne voulaient plus de thé anglais à bas prix. »

J’ai demandé à un ami historien, Michael Adamson de nous éclairer. Voici ce qu’il répond :
“Le thé fut jeté dans le port de Boston par des colons déguisés en Indiens Mohawk. L’événement n’a été connu sous le nom de « la Tea Party » qu’à partir des années 1830, mais c’est une autre histoire.

La taxe sur le thé était la seule des taxes parmi les Townshend duties de1767 à ne pas avoir été déjà abolie à la suite du Massacre de Boston (5 mars 1770). La taxe était symbolique : une preuve du pouvoir absolu de la Couronne sur les colonies. […]

En 1773, le Parlement adopta la loi sur le Thé (Tea Act) pour protéger les débouchés de la Compagnie anglaise des Indes. La loi autorisait la vente directe du thé anglais à travers des agents au lieu de passer par les enchères publiques. L’idée était de vendre le thé en dessous du prix du thé hollandais. […]

Les colons interprétèrent la loi comme un piège destiné à persuader les Américains d’acheter du thé taxé et dont les recettes serviraient à payer les forces d’occupation britanniques dans les colonies. Comme ils savaient que le boycott échouerait et que le goût du thé était méconnaissable, une fois qu’il était dans la théière, les activistes décidèrent de bloquer l’entrée du thé dans les ports. La « Tea Party » était donc une contestation du pouvoir absolu, de lever l’impôt et de faire des lois sur et pour les colonies.

Je ne suis pas sûr, conclut-il que la Révolution Américaine ou la Tea Party de Boston aient à voir avec le niveau d’imposition, mais plutôt avec le principe même de lever un impôt. Par rapport au poids des prélèvements obligatoires aujourd’hui, le niveau d’imposition des colonies était ridiculement bas. »

Vous pouviez venir écouter Michael Adamson le 6 mai 2009 à San Francisco. Il donnait une conférence sur le thème : « Grappes d’innovation : pourquoi la Silicon Valley ? » http://www.sfnabe.com/meetings.html

mardi 5 mai 2009

Longue carte postale: Quand le marché ne marche pas


William Kentridge
Image pour le film « Stereoscope ».


Ce weekend le milliardaire Warren Buffet, l’oracle d’Omaha, (c’est dans le Nebraska, si jamais vous partez sans votre guide du Routard), expliquait aux actionnaires de Berkshire Hathaway comment il voyait l’avenir financier du monde : (« It’s hard to know when the economy will reconver »[i]) . Il faillait aussi justifier pourquoi l’action était passée de 140.000$ pièce à seulement 94.000$. Un ange passe. Puis on se déplace avec les ombrelles et des robes à crinoline pour le rendez-vous le plus important de l’année : la course du Kentucky Derby.

Deux minutes plus tard, le cheval Mine that Bird[ii], côté 50 contre 1, remportait la course. Je retournais à mon dimanche. La demande de subvention FLAM (Français Langue Maternelle), bercée par le bruit de fond de l’histoire incroyable du gars qui conduit toute la nuit, crève en route, arrive et bat tous les étalons d’Arabie. Cela fait deux mois que je travaille à organiser les familles de la Baie de San Francisco pour que 247 enfants de la région, qui fréquentent l’école publique américaine puissent faire du Français après l’école, grâce à la bienveillance de l’AEFE et la générosité sans conscience du contribuable de Bourg-en-Brest.
L’émail, comme la carte de crédit dématérialise l’acte. Lundi, j’imprime les 28 pages du dossier, les 10 pages d’annexes financières et la lettre à Mme la Directrice un peu fée, un peu bureaucrate sous couvert, je glisse le gâteau d’anniversaire dans une enveloppe FedEx que je porte de chez moi au bureau de l’attaché culturel.

Puis je file au musée d’art moderne de San Francisco voir une exposition de William Kentridge, un Sud-Africain qui a inventé l’art de l’arrêt sur image. Il dessine des pastels de la même scène en mouvement. Le soir, j’apprends au Rachel Maddow show, une sorte de Michel Polac qui présenterait le 20h00, que la moitié du cheval-oiseau appartient en fait au fils d’un Sénateur d’Alaska, déchu de ses fonctions, je parle du père, pour couvrir la corruption de toute la famille. Taisez-vous et laissez-moi croire aux contes de cheval !

Aujourd’hui, je vais enfin chez le médecin pour cette laryngite que je traîne depuis une semaine. D’abord obtenir un rendez-vous. Quand vous toussez par ces temps de grippe porcine, pardon de virus A/H1N1, haro sur les martiens pas sur les côtelettes !, il n’est pas facile d’être prise pour une patiente. Non, je ne crache pas de sang, dis-je d’une voix cassée, à huit heures du matin, tandis que Ben Bernanke, sur Wall Street TV annonce la reprise, lente mais certaine vers la fin de l’année 2009. Après 20 minutes de Mozart, je coupe le son et j’exige un rendez-vous. En fait, redevenir parisienne marche. Quinze heures ?
Quatorze heures cinquante, je débarque à l’hôpital de Kaiser. Les pubs à la télé sont ce que je préfère de mon organisme de soins. A la différence de l’hôpital de San José où j’ ai visité avec l’attaché culturel adjoint la semaine dernière des survivants d’un accident d’autocar de touristes français, ici, tous les patients ne portent pas des masques de chirurgien. Je présente ma carte d’assuré, mon permis de conduire et mon American Express. Je signe avec mon propre stylo. Les Américains sont des maniaques des germes, sauf pour les stylos et les télécommandes dans les chambres d’hôtel. Je vais m’asseoir avec quatre autres personnes. Je range mon reçu. J’attends, je tousse. Je n’ose pas lever les yeux du Wall Street Journal. Non, je n’ai pas le virus extra-terrestre. Un homme noir à coté de moi me tend quelque chose. J’ai déjà un kleenex dans le creux de la main. C’est un bonbon ricola. Je le remercie. Après un retard qui dans un aéroport n’en serait pas un, on appelle mon nom.
J’avais oublié qu’on vous pèse dans le couloir. J’ai une laryngite, aboie-je. L’agent me demande si je veux qu’on me prenne ma tension. Si je veux ? Pour moi ce sera un latte. En fait, je veux mon médecin de la rue Broca, une gentille dame de droite, cinq enfants, qui facture 25 euros la consultation et vous demande comment va votre canari. On vous conduit dans ces espèces de confessionnels sans grille et avant de se retirer, on vous tend une robe de chambre en papier. Mon médecin et sa remplaçante sont des femmes, et même si c’était un homme… Je continue mon article sur les traders qui regardent des DVD dans une salle de la corbeille, maintenant qu’il y a des ordinateurs. La remplaçante arrive et repart. Sur un présentoir, se tiennent fermés des magazines. Finalement, c’est mon tour. Je répète mes symptômes depuis une semaine. « Laryngite est un juste un mot. Vos poumons sont magnifiques. C’est un rhume. » Je lui explique que j’ai du mal à dormir à cause de la toux. Elle me propose des somnifères.
La consultation a duré 120 secondes ; un trois quart de dollar de la seconde.
Barack Obama a été élu pour réformer le système de santé. La droite américaine dénonce le projet en annonçant l’arrivée de la « médecine socialiste ». Aujourd’hui, 40 millions de personnes n’ont pas d’assurance santé aux Etats-Unis. Trop chère pour les patients, pas assez rentable, sauf si vous êtes jeune et sans histoire pour les assureurs. Les entreprises de soins sont cotées sur le bas de l’écran de Wall Street TV. Cela rapporte entre 500$ et 700$ par mois de couvrir une famille de quatre personnes. Avec le chômage, beaucoup perdent leur gagne-pain et leur couverture en cas de grippe porcine.
La deshumanisation du système de soins américain pour ceux qui ne portent pas de robes à crinoline –à Stanford, une journée d’hospitalisation coûte 20.000$-, a atteint un point qu’un Européen ne peut pas imaginer dans un cauchemar. La semaine dernière, à San José, une des touristes blessées, originaire d’une petite ville dans le Nord, éjectée de l’autocar –ici, pas de ceinture de sécurité post Beaune et les enfants brûlés–, tombée du haut d’un pont puis amputée du bras gauche s’est vue dire dans une langue qu’elle ne comprenait pas par le médecin : « she was ready to go home »[iii]. Quand l’attaché culturel adjoint et moi sommes allés nous enquérir auprès de l’infirmière-chef, elle nous a parlé de l’assurance. Personne n’avait appelé de son assurance ! Ils avaient procédé aux soins les plus urgents. Monsieur Questin a montré à la responsable de l’étage que la patiente était chez Inter-mutuelle assistance. Elle a dit qu’elle pouvait rester un jour de plus, jusqu’ à être rapatriée.
L’école, la santé, en quelques jours j’ai été rappelée aux eaux froides de la banquise où les renards mangent les pingouins d’Alaska, et ce n’est une production Disney.

Gabrielle Durana
5 mai 2009, anniversaire de la mort de Napoléon et de la raclée donnée par les Mexicains à l’autre Napoléon. A tout prendre, je garde l’ouverture des Etats Généraux.

[i] “Il est difficile de dire quand l’économie repartira”
[ii] Littéralement, « cet oiseau est à moi »
[iii] “Elle était fin prête pour rentrer à la maison”.