mardi 26 janvier 2010

91ème épisode : la nouvelle vague

La Stuyvesant Town et le Peter Cooper Village (premier plan)


Le courrier des lecteurs est à la fin.

Mardi 26 janvier 2010

La première fois que j’ai vu un rat mort, c’était sur le pavé de Buenos Aires. J’allais avoir quatre ans. Ma mère l’a enjambé, je l’ai contourné. Nous avons poursuivi notre chemin vers le manège. La deuxième fois, il était vivant et se dandinait entre les rails du métro Abbesses. Ne comptent pas les rencontres avec La Fontaine, La Peste ou Ratatouille de Pixar. La fois suivante, une amie me prêtait son appartement. J’étais arrivée en taxi par les quais. J’avais déposé mes valises et malgré le mot sur la porte du réfrigérateur, j’avais préféré sortir. « Tu verras, Chelsea c’est comme le quartier de Castro ». Je n’avais pas déréglé ma montre ; elle marquait 21h00. Au lieu de prendre la 9ème avenue, j’ai marché d’Ouest en Est sur la 30eme rue, à la recherche d’autre chose qu’une pizzeria. Les pâtés de maison sont longs entre les avenues. Nonobstant les poubelles empilées jusqu’à un demi-étage, je ne reconnaissais pas le Lower East Side dépeint par Jean-Michel Basquiat dans « Downtown 81 ». Les parterres étaient décorés avec des choux-fleurs et des pensées. Personne ne m’a proposé des amphétamines. J’ai tourné puis retourné pour me retrouver nez à nez avec un rongeur dodu. A l’orée d’une forêt amazonienne d’immeubles identiques, il ne bougeait pas, sauf la queue. Si Giuliani avait déplacé les pauvres, comment se fait-il qu’il restât des rats en Egypte ?

Le week-end dernier, la plus grosse opération d’immobilier résidentiel jamais réalisée aux Etats-Unis a capoté. Les 56 immeubles du Peter Cooper Village et de la Stuyvesant Town, là où habitait mon museau pointu avaient été achetés par un consortium en 2006. Tishman Speyer Properties et le hedge fund Blackrock avaient investi 100 millions de leur argent et emprunté 4,4 milliards en deux tranches au nom de divers investisseurs très sages comme la Caisse de Retraites des Enseignants de Californie[i], un fonds de pension de Floride, le fonds souverain de Singapour, l’Eglise d’Angleterre. Le complexe immobilier aux tours roses avait été bâti par Metlife au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale pour loger les soldats victorieux. Les loyers étaient plafonnés, les espaces verts généreux ; ce qui avec l’embourgeoisement de Manhattan à partir des années 80 avait transformé les appartements en « HLM du 5eme ». Lorsque Metlife a voulu se désengager, il a trouvé un repreneur. Les locataires auraient aimé devenir propriétaires mais Tishman Speyer Properties et Blackrock l’emportèrent. Les premiers, bien marris firent un procès au seconds, qui avaient eu le cœur d’augmenter les loyers quand quelqu’un partait.

En 2009, les loyers new-yorkais ont baissé de 5,6%. Partout, des logements sont vacants. Ajoutez les hôtels, les immeubles de bureau et c’est tout l’immobilier commercial qui se dégonfle et boit la crise. Le Peter Cooper Village et la Stuyvesant Town est aujourd’hui évalué à 2 milliards, contre 5,8 milliards en 2006. Il y manque chaque mois 5,3 millions de $ pour couvrir le service de la dette. Dans cette partie de la ville, où un studio se loue pour 3.500$ et les trois pièces commencent à 5.500$, certains locataires sont subventionnés aux frais de la banque. On a du mal à pleurer sur le grand capital, sauf quand il s’agit des retraites des instituteurs de Los Angeles.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier
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[i] CALPERS


Des chômeurs font la queue à 7h00 du matin pour une foire de l’emploi qui ouvre à 11h00.


NDLR : il manque toujours le 89eme épisode.


Courrier des lecteurs :


Depuis Bruxelles :

« Bonjour Gabrielle

Tu as bien raison de terminer ce 90ème épisode par cette mise en exergue du manque de reconnaissance des banques.

Mais il n’y a aucune raison pour que la reconnaissance soit une caractéristique essentielle d’une banque d’affaires.

C’est au moment du sauvetage des banques qu’il fallait proposer déjà une nouvelle régulation comme par exemple le rétablissement d’une manière ou d’une autre d’une plus grande étanchéité entre les activités de banques d’affaires et celles de banque de dépôts ou encore l’interdiction de certaines pratiques douteuses. Mais cela se passait à la fin de l’ère BUSH et il importait d’abord d’éviter une trop forte crise systémique

Maintenant pour empêcher la prochaine crise systémique, cela ne va pas être si facile que cela car les banquiers sont archiconvaincus que l’Etat viendra toujours à leur rescousse en cas de nouvelle secousse et que le casino financier international pourra toujours être réouvert, même si cela doit provoquer une désolation généralisée car chacun voit toujours midi à sa porte…il faut bien que les « eaux glacées du calcul égoîste » restent interminablement « glacées ».

Merci pour cette nouvelle rubrique

Richard »

NDLR : Tu as raison sur le fond, le risque moral est là. Il ne partira plus. Mais je ne crois pas qu'on aurait pu au milieu de la panique rétablir une nouvelle version du Glass-Steagall Act.


dimanche 24 janvier 2010

le triangle de Wall Street (90eme épisode)

Valentin Popov, Looking into (2009)

24 janvier 2010

La semaine a commencé par une défaite des Démocrates à une élection partielle dans le Massachussetts. Elle s’est poursuivie avec une décision[i] de la Cour Suprême (« Citizen's United v. Federal Election Commission ») étendant aux personnes morales la liberté d’expression reconnue aux personnes physiques ; et donc le droit de dépenser leur argent sans limite pour dire ce qui leur plaira, par exemple qu’Hillary Clinton est une politicienne retors, ou qu’une réforme de la couverture médicale nuit gravement à la santé ou que les gaz à effet de serre ne réchauffent pas la planète, ça va pas la tête ; L’incertitude de Google en Chine et des résultats trimestriels médiocres n’ont pas fait jurer la reprise. La semaine s’est achevée sur une chute des marchés financiers de 4,1%, la pire depuis le 6 mars de l’année dernière.

Il y a quatre jours, le Dow Jones avait ouvert la séance à 10720 points de base. Tout à coup, Ben Bernanke, le gouverneur de la Fed n’était plus sûr d’être reconduit pour un deuxième mandat, car à dix mois des élections de mi-mandat, l’aile gauche du Parti Démocrate déclarait qu’il ne suffit pas de dire que des têtes vont tomber, il faut dire lesquelles et les faire rouler.-1,14%. Obama annonce que la curée est finie et qu’il va rétablir le cordon sanitaire[ii] qui existait de 1933 à 1999, aboli par un Parlement aux mains des Républicains, entre les banques d’affaires (investment bank) et les banques de détail (commercial banks), entre les activités spéculatives et la banque du bon père de famille. Si vous voulez que le contribuable vous tire d’affaire, il va falloir arrêter de jouer au casino. Si vous voulez jouer au casino, dans les hedge funds[iii] et autres private equity firms[iv], jouez tant que vous voudrez mais n’appelez plus le contribuable, quand la bise sera venue. -2,01%. Puis, -2,09%. Vendredi, l’indice effectuait un vol piqué à 10172.

Les banques d’affaires, toutes devenues banques de dépôt depuis le tsunami financier défendent qu’investir leur argent aux côtés de celui de leurs clients est une manière d’aligner leurs intérêts sur ceux de leurs clients, d’être éthiques. Elles hurlent qu’on les empêche de faire leur métier, c'est-à-dire gagner de l’argent avec de l’argent. Au centre de la polémique, le proprietary trading, les opérations d’aller-retour pour le compte propre de la banque. D’ailleurs ne représentent-elles pas entre 0,025% du chiffre d’affaires de Wells Fargo et 10% chez Goldman Sachs. Alors pourquoi tant de haine ?

En réalité, les opérations d’aller-retour pour le compte de la banque et celles avec l’argent des clients ne voyagent pas à la même vitesse. Le mercredi 13 janvier, Mary Schapiro, la nouvelle présidente de la Securities Exchange Commission, le gendarme de la bourse, avait annoncé son intention d’interdire deux pratiques douteuses : d’une part le naked short selling et de l’autre le high speed trading ou flash-trading. Le short selling, ou vente à découvert c’est quand pensant que le cours va baisser, on emprunte une action, on la vend, puis on en achète une autre trois jours plus tard pour la rendre, au nouveau cours, et qu’on empoche la différence. Le naked short selling, c’est quand on fait la même chose sans avoir emprunté l’action au préalable[v]. La pratique est interdite [vi] mais représente 38% du volume quotidien des opérations, contre 9% en 2005[vii]. Mais que fait la police ?

Avec des ordinateurs surpuissants, un trade, c’est à dire un aller et un retour s’effectue en 250 à 350 microsecondes, soit deux fois plus vite que quand un courtier vous prête ses actions et sa canalisation (550 à 750 microsecondes) pour arriver jusqu’au marché. Une microseconde correspond à un millionième de seconde. Pour courir après les braconniers, la police dispose de ZX81 et de Commodores.

Maintenant mélangez le naked short selling et le flash trading et vous obtenez la recette pour potentiellement manipuler le marché. Potentiellement, car dans le conte de fées de fées de Wall Street, un spéculateur est un gentil qui donne de la liquidité au marché. Il est l’huile qui fait tourner les rouages, toujours prêt à acheter ou à vendre avec pour signal le prix. C’est seulement lorsqu’on ajoute la troisième composante, les opérations pour compte propre (proprietary trading) que le conflit d’intérêt devient évident. On peut alors influencer le marché à la marge et à son profit, à condition de laisser l’argent des moutons ronronner dans la bergerie.

Ayant perdu sa super majorité au Sénat, Obama a décidé de monnayer son dosage de régulation contre le passage de son plan de santé. Il lève la dime et exige que les banques s’assurent contre un futur risque systémique. Les banques sauvées des eaux ne sont pas reconnaissantes et elles ont choisi de l’exprimer. Gare !

(A la prochaine livraison, je finis l’épisode 89).



[ii] Présenté par le sénateur démocrate Carter Glass, de Virginie et l’élu de la chambre basse Henry Steagall, lui aussi démocrate, originaire de l’Alabama, le Banking Act de 1933 avait pour vocation d’empêcher que la Crise de 1929 ne se reproduise. Il proposait une garantie des dépôts par la FDIC en échange de l’étanchéité entre les institutions qui spéculent et celles qui transforment les dépôts en crédits.

[iii] Les fonds spéculatifs prennent des positions de court terme, voire de très court terme avec des instruments de couverture (hedge).

[iv] Les sociétés de financement par capitaux propres investissent l’argent de leurs clients fortunés en même que celui des associés dans des entreprises non cotées mais lucratives.

[v] Vous vous souvenez peut-être sinon vous pouvez réviser ici : http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n15-pire-encore-que-le-short.html

[vi] Regulation SHO (http://www.sec.gov/rules/final/34-50103.pdf) en vigueur depuis 2005.

[vii] Source : Aite Group