mardi 20 avril 2010

95ème épisode : le cratère de Goldman Sachs

« Socrate arrachant Alcibiade au sein de la volupté »[i] par Jean-Baptiste Regnault

Mardi 20 avril 2010

Les Grecs attendaient la transfusion de 50 milliards et la saignée de 3% de leur PIB sur le tarmac d’Eleftherios Venizelos. Le vice-président de la Banque Centrale Européenne est Grec, le médiateur de l’Union est Grec, le président de la Cour de Justice est Grec. Ils guettaient le ciel en se demandant quand arriveraient les experts de Washington et de Bruxelles, dans leurs oiseaux métalliques, avec la potion censée les requinquer. Un amas compact visible, plus ou moins important, d'aspect et de forme variables, composé de fines particules de suie en suspension gardait toute l’Europe de l’Ouest. Après deux siècles, le volcan Eyjafjallajokul crachait son nom long et toute la rancœur du peuple islandais qui avait voulu jouer au hedge fund et qui réduit à une peau de crapaud devrait rembourser pendant une génération les 229.000 déposants britanniques d’Icesave ; s’il voulait un jour que leur pays fût retiré de la liste des « régimes sanctionnés financièrement » ; en compagnie de la Birmanie, la Corée du Nord et d’Al Qaeda.

Depuis vendredi dernier, un gros nuage plane aussi sur Wall Street : Goldman Sachs est poursuivi par le gendarme de la Bourse américaine pour fraude sur une obligation adossée à des prêts immobiliers (collateralized debt obligation ou CDO).

Bien que noté triple-A, le compte d’ « Abacus »[ii] n’était certainement pas bon puisque les investisseurs ont perdu 1 milliards de $ dans le produit financier dérivé, commercialisé par la banque d’affaires Goldman Sachs et conçu par le fonds spéculatif Paulson. L’accusation de fraude naît non pas du fait que l’investissement ait résulté dans une perte, mais parce que Goldman Sachs avait écrit sur ses prospectus que Paulson, l’auteur du florilège avait pris une position longue, c’est à dire haussière sur le CDO, alors qu’en réalité le fonds spéculatif aussitôt fini le mélange avait misé que les prêts pourriraient sur pied.

Cette position courte ou baissière, très bien renseignée (sic) avait rapporté à Paulson 1 milliards de $.

Qu’un fonds spéculatif spécule, rien de plus normal. La Securities and Exchange Commission reproche en revanche à Goldman Sachs d’avoir donné une information trompeuse (misrepresentation) sur le sens des positions de Paulson pour s’assurer que les verrines partiraient comme des petits pains. D’ailleurs, en 2007, au moins une autre banque d’affaires, la défunte Bears Stern avait refusé le marché proposé par Paulson.

On aurait aimé que parmi les co-inculpés figurent les agences de notation qui avaient apposé le sceau de la pureté sur ce tas de miasmes.

Il est trop tôt pour savoir si nous assistons à un moment à la Arthur Andersen : quand la firme que tout le monde envie pour ses coups de maître est surprise en pleine affabulation, que le génie n’est même plus de la gouaille, simplement du conflit d’intêrêts et de la fraude. Et que c’est une fois de trop.

La mise en cause de Goldman Sachs alors qu’Obama prépare un texte sur la rerégulation du système financier et des produits dérivés tombe à pic. Elle est même d’une coïncidence troublante. Comme quand l’augmentation de 49% des primes par Blue Cross en Californie avait fait plus pour persuader le public que le renard libre dans l’hôpital mange le malade avec les plumes et les os que des longs discours sur la santé-droit-civique-du-XXIème-siècle.

La crise grecque est stoppée par les 50 milliards de liquidités promises qui couvrent les besoins de refinancement de 2010. A la conquête des 11.100 points, la reprise mondiale a raison de se méfier des cadeaux des banquiers. Ils n’ont pas d’obligation de promouvoir l’intérêt général. C’est pour cela qu’il faut que quelque quelqu’un d’autre s’en charge.

Gabrielle Durana

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[i] Le tableau est accroché au 2eme étage dans l’aile Sully du Musée du Louvre.

http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=19084 Regnault fut longtemps le grand rival de David.

[ii] Pour le texte intégral du procès en responsabilité civile intenté par la Securities and Exchange Commission lire ci-après http://online.wsj.com/public/resources/documents/secgoldman2010-04-16.pdf

dimanche 11 avril 2010

94ème épisode: Trop petit pour faire faillite

« Oia on Santorini », Igor Medvedev


A la mémoire de Cécile Tabone.

10 avril 2010

L’accord du 25 mars dernier devait mettre un terme à la crise grecque. L’Euroland garantirait en extrême ressort et le FMI dispenserait des conseils gratuits mais bons à prendre. Le même jour, l’UE, le Diable et la Banque Mondiale s’accordaient sur une aide d’urgence en faveur de la Roumanie à hauteur de 20 milliards €. Après la Lituanie et la Hongrie, le Fonds Monétaire International intervenait dans un autre pays de l’Union mais restait devant le paillasson de l’Eurozone.

Vue des Etats-Unis, la crise qui secoue toute l’Union Européenne depuis trois mois pourrait être assimilée à une cessation de paiement du Dakota du Nord, pour laquelle le Texas refuserait de payer. La Californie, la main sur le portefeuille vide dit qu’il faut pourtant faire quelque chose, pendant que l’ancienne Nouvelle Amsterdam se tait. A Washington, le Président déclare que d’après la charte fondamentale ce type de désagrément relève des compétences étatiques. Et il écrit le numéro de téléphone de Bismark sur un petit bout de papier qu’il donne à Austin. Pour la Californie, l’enfant n’a pas de père mais on ne saurait le laisser en haillons. Le Texas répond que le troupeau impécunieux peut certes vendre le Mont Rushmore[i] à la découpe. Pendant ce temps, les capitales européennes inquiètes que les marchés qui reprennent ne tanguent se demandent si cela ne vaudrait pas le coup de dispatcher le FMI.

En réalité la Grèce n’est pas le Dakota du Nord. Elle a le même PIB que le Massachussetts (357 milliards $), berceau de Harvard et du MIT[ii]

Mais le double de population, répond le Texas, à qui on ne la fait pas.

Après des semaines de palabres, le taux d’intérêt des bons du Trésor grec à 2 ans dépasse les 7% et celui des bons à 10 ans caracolait vendredi à 7,38% ; contre 3,17% pour les bons germaniques soit un différentiel (le « spread ») de 4 points.

Entre temps, la panique s’est propagée aux quatre principales banques privées ; les petits épargnants retirent leurs euros mais nous ne sommes pas en Argentine, il n’y aura pas de dévaluation.

Alors demain, les ministres des finances de l’UE se réunissent en conférence téléphonique depuis leur living room pour préciser « les détails techniques » du plan de sauvetage.

Si l’Allemagne devait prêter à la Grèce, le coût politique pour Angela Merkel serait certainement élevé car sa politique d’austérité compétitive a laissé son pays avec des exportations mais sans charité protestante. L’opération pourrait pourtant s’avérer juteuse car emprunter à bon taux et prêter plus cher est le B.A-BA du métier de banquier. Par exemple, le Trésor public américain a gagné 10 milliards de $ en aidant les 15 plus grands banques[iii]. Quant à la baisse de l’euro causée par la crise, elle favorise les exportations de toute l’Eurozone.

Si le FMI prêtait à la Grèce, l’Allemagne et la France la main sur le portefeuille pourraient clamer qu’elles ne récompensent pas les cigales de Corfu ni d’ailleurs.

Pendant que les puissances régionales débattent si le Christ doit s’arrêter à Mykonos, si le Diable peut débarquer à Athènes et faire ce qu’on attend de la BCE, l’avion qui transportait le président polonais, sa femme, le gouverneur de la banque centrale et 83 autres officiels s’est écrasé dans la forêt russe, nous rappelant que certaines catastrophes sont réversibles.

Gabrielle Durana

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Le courriel des lecteurs sera publié au prochain épisode.


« Bells of Patmos » Igor Medvedev