mardi 22 juin 2010

101ème épisode : Tempête dans un grain de riz

22 juin 2010

Des yuans, des roubles et des roupies, a proposé, lors d’un colloque à Saint Petersbourg , le président Dimitri Medvedev, comme futures monnaies de réserve internationale. Les BRIC ne veulent plus peser seulement par la taille de leurs poches pleines de la devise des autres. Transformés en atelier de la planète puis en banquier du Vieux monde, comme les Medicis, ils aspirent à s’asseoir à la table centrale.


Une monnaie de réserve est désirable et donc recherchée parce que les pays dont elle n’est pas aussi la monnaie nationale estiment qu’elle conservera, relativement, sa valeur interne et externe en vue de transaction futures (principe de stabilité) et que les autres partenaires commerciaux l’accepteront facilement (principe de liquidité).


Depuis la fin de l’ère de Bretton Woods en 1971, et l’abandon de l’étalon de change-or , le système monétaire international fonctionne avec des changes flexibles. Tous les jours, le cours du dollar, de l’euro, du Franc suisse, du yen varient. Certaines monnaies ne sont pas convertibles du tout, c'est-à-dire qu’à l’étranger vous ne pouvez pas changer des Leks dans une banque non albanaise. D’autres monnaies sont partiellement convertibles, c’est à dire en quantités limitées. On appelle cela le contrôle des changes.


Au 1er juillet 2006, le rouble est devenu totalement convertible. Aujourd’hui, la roupie est partiellement convertible aussi. En revanche, le yuan, lui, demeure très strictement contrôlé par les autorités chinoises, tant du point de vue des entrées et sorties que de son cours, ancré sur un panier de devises, essentiellement le dollar, et avec une amplitude maximale de flottement de +/-0.5%. Dans la langue du dollar, ce système s’appelle le « Basket- Band Crawl » (BBC), où le mot « crawl » veut dire crémaillère, -qui monte et qui descend, en fonction de la conjoncture-, mais sans jamais dépasser le cours-plafond ou descendre en deçà du cours-plancher (il reste dans la « bande »).


Deux des trois blocs de la Triade exigent une appréciation sensible de la monnaie chinoise, qu’ils considèrent injustement sous-évaluée . Avant la crise grecque, l’Union Européenne réclamait même un changement d’ancre de la part des importateurs de pétrole et des pays exportateurs comme la Chine, parce que le principe de stabilité du $ comme monnaie de réserve internationale était sévèrement battu en brèche et parce que les exportations européennes (sauf les allemandes) étaient pénalisées par un dollar qu’on laissait filer, et un yuan codépendant.


Le week-end dernier, le gouverneur de la banque centrale de la République Populaire de Chine, Zhou Xiaochuan a déclaré que le yuan allait retrouver une « certaine » amplitude de variation par rapport au panier. En effet, avec l’arrivée de la crise en 2008, pour protéger leur économie, tirée par les exportations, pendant que continue de se développer une classe moyenne (60 millions en 2010) qui un jour représentera un marché intérieur d’1,3 milliards de consommateurs , les autorités monétaires chinoises avaient encore plus fermement arrimé la monnaie nationale au dollar .


Comme le yuan n’est pas convertible, c’est sur le marché dérivé des NDF (Non Deliverable Forwards ), que la nouvelle s’est faite sentir. Lundi matin, à la Bourse de Hong-Kong, le yuan atteignait son cours le plus élevé en 20 mois. Mais l’augmentation n’était que de +0,37% !


D’après le triangle d’incompatibilité de Mundell, un pays peut contrôler deux mais pas trois aspects de sa politique monétaire : le cours directeur de ses taux d’intérêt, la libre circulation du capital et son taux de change. Mundell a beau être Canadien, sa théorie s’applique aux Chinois. Ainsi, l’indice des prix chinois a atteint 3,1% en un an, soit son plus fort niveau en 19 mois. Les travailleurs des usines réclament et obtiennent une revalorisation partielle de leur rémunération, ce qui entretient la spirale inflationniste.


Certes, l’Union Européenne depuis sa crise grecque a vu sa devise perdre 20% de sa valeur face au dollar, et par ricochet vis-à-vis du yuan. Mais pour retrouver un avantage comparatif, et freiner les délocalisations, elle aurait besoin d’une appréciation bien plus importante.


Compte tenu du développement des moteurs de croissance en Chine et dans les autres pays émergents, une transition vers un régime de change flexible est devenue nécessaire.


Plus facile à dire qu’à faire… Le “crawling peg” ou parité à crémaillère actuellement en vigueur ne résout rien pour les pays de la Triade mais une revalorisation rapide du yuan s’avère irréaliste car elle poserait de sérieux problèmes internes. Que ce soit la Guerre de l’Opium ou l’ère Meiji, tout pays conduit la politique que lui permettent ses rapports de force et que lui prescrivent ses intérêts nationaux.


Les Japonais se souviennent encore des Accords du Plaza de 1985, où leur gouvernement avait consenti à brusquement réévaluer le yen. Les réserves n’allaient plus s’investir à l’étranger, elles avaient nourri une bulle immobilière qui a débouché sur la « Décennie perdue ».


La « maladie hollandaise » est l’autre danger qui guette la Chine si elle rendait le yuan brusquement convertible, c'est-à-dire qu’elle laissait une liberté entière à la circulation du capital par delà ses frontières.


Bien qu’elle tienne son nom d’un phénomène observé aux Pays-Bas pendant les années 50-60, cette maladie peut s’illustrer par un exemple tiré de l’histoire indienne : du temps de l’Empire britannique (« le British Raj »), la roupie était convertible. Grace à ses exportations de textile, l’Inde pouvait se prévaloir d’une balance des paiements courants en excédent. On achetait des Rolls Royce à Calcutta et du whisky à Bombai, comme aujourd’hui on achète des sacs Vuitton à Shanghai, sauf que la Rolls Royce coûtait à peu de chose près le même prix qu’à Harrods. Par ailleurs, Mohammad Ali Jinnah, le père de la nation pakistanaise pouvait s’offrir un appartement à Londres, sur Bond Street. Le Maharaja de Patiala préférait les palaces parisiens ; tandis que de vastes franges de la population indienne mourraient de faim et que l’immense majorité des terres arables n’était pas cultivée. Le yuan, monnaie de réserve internationale ? Dans un pays d’un milliards trois cent mille estomacs, la faim est une maladie politique mortelle.


Gabrielle Durana
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[1] Au St. Petersburg International Economic Forum.Cité dans le Wall Street Journal du 18 juin 2010.

[1] L’impasse du “dollar as good as gold” a conduit à un abandon de sa convertibilité en or et donc de fait à un étalon dollar.



[1] L’indice du“Big Mac”, la comparaison via le prix d’un “Café au lait“chez Starbucks ne prennent en compte qu’un seul produit. La parité des pouvoirs d’achat ou « Purchasing Power Parity » (PPP), elle repose sur un panier de biens. Ces trois méthodes divergent sur l’ampleur de la sous-évaluation du yuan.

[1] Avant la crise en revanche, de la mi-2005 à la mi-2008, la monnaie chinoise s’était appréciée de 21% par rapport au $.

[1] 0,5% de marge de flottement c’est déjà faible, mais en réalité, la variation était devenue encore plus faible ces deux dernières années.

[1]Pour en savoir plus sur ce marché des sentiments sur le virtuel http://en.wikipedia.org/wiki/Non-deliverable_forward Il existe des NDF portant sur le cours du yuan à un mois, six mois et à un an.


[1] http://en.wikipedia.org/wiki/Dutch_disease



vendredi 18 juin 2010

100ème épisode : ce n’est pas Katrina



18 juin 2010

Le PDG de BP était convoqué aujourd’hui pour répondre de l’accident sur la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon devant une commission d’enquête parlementaire. La vidéo comme forme d’art a ses adeptes depuis qu’en 1963, Wolf Vostell a exposé “6 télés-décollage”[1] à la galerie Smolin de New York [2] ; sur Wall Street TV, le clip du puits qui fuit, jour et nuit[3] persiflait en silence.

Tony Hayward a prêté serment puis a lu une déclaration, d’un air contrit. Une femme l’a apostrophé en brandissant les mains maculées de peinture noire. Elle a été aussitôt appréhendée. Le PDG a passé le reste de la journée à endurer les questions de la représentation nationale, impavide sous la pluie d’outrages. Tantôt il expliquait qu’il n’est pas ingénieur, mais géologue. A d’autres, il indiquait que la décision sur laquelle on lui demandait son avis avait été prise à un niveau bien inférieur au sien ; en général, il réservait sa réponse « en attendant les conclusions de l’enquête interne de BP ». A une députée qui égrenait les cinq erreurs commises par les sous-traitants qui recevaient leurs ordres de BP, le PDG a assuré que « BP fore ses puits en respectant les meilleures pratiques du secteur »[4] et qu’à aucun moment, il n’a trouvé dans l’enquête interne que le profit avait été privilégié sur le reste. Un autre qui lui demandait pourquoi un test sur la solidité du ciment qui coutait 120.000$, qui aurait ajouté dix à douze heures de travail et que la majorité des experts considèrent comme la seule manière de vérifier la sécurité des parois, n’avait pas été effectué, pourquoi Schlumberger avait été renvoyé sans rien faire, il a protesté « que le test n’est pas rendu obligatoire par la loi ». Aux familles des personnes décédées, il n’a pas présenté ses condoléances, car elles n’étaient pas des salariés de BP ; elles travaillaient pour Halliburton et Transocéan. BP a exigé des survivants qu’ils signent une décharge avant de retourner auprès de leurs familles. Etait-il au courant ? Informé, il a estimé le procédé répréhensible.

Le cormoran créole sentait des larmes de rage lui sourdre sous les paupières.

Il est vrai que Chevron a déversé l’équivalent de dix Valdez en Equateur[5] sans que les habitants de San Ramon, en Californie n’embastillent John Watson, son PDG. Il est vrai que les habitants du Delta du Niger subissent l’équivalent d’un Valdez tous les ans, depuis 50 ans [6] sans commotion ni rémission[7]. Il semble donc que les veines ouvertes de l’écosystème puissent être tailladées, à condition que cela ne soit pas en terre démocratique.

Ici, le gouvernement menace de confisquer les biens des auteurs de ces attentats contre l’homme et la nature. Les pénitents se repentent et promettent de changer d’emplacement le forage.

Dans l’après-midi, un député Républicain du Texas s’est excusé auprès du PDG de BP pour ce qu’il a appelé des mesures d’intimidation qui ont conduit hier à l’établissement du fonds de 20 milliards $. il s’est excusé, quelques heures plus tard de s’être excusé.

Même dans les pays démocratiques, l’Etat peut faillir dans sa mission de juguler la rapacité du marché et l’exploitation de la nature ; ce qu’en économie de la réglementation on appelle une situation de « regulatory capture »[8] ou de « rapt du gendarme » ; les voleurs ligotent les gardes et Batman n’a jamais été qu’un personnage de notre imagination.

Ce n’est pas le mauvais sort. La Minerals Management Service (MMS) était en sous-effectifs chroniques et nourrissait une relation incestueuse avec les firmes d’hydrocarbures. De même, en aout 2007, le crédit bancaire a implosé aux Etats-Unis parce que les autorités censées représenter l’intérêt général ont été vassalisées par les intérêts commerciaux qu’elles devaient contrôler.

Face aux excès du marché, l’abstinence ne préserve de rien. Georges W Bush a violé le laissez-faire et lui a fait de nombreux enfants.

Gabrielle Durana

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[2] De nos jours, elle peut être admirée au Reina Sofia.

[4] “I believe we drill our wells to the highest industry standards”.

[6] Article paru dans le New York Times du 16 juin 2010, « Far From Gulf, a Spill Scourge 5 Decades Old”

[7] Je recommande le film “Crude” (2009) de Joe Berlinger.

[8] George Stigler a reçu le prix Nobel d’Economie en 1982 pour cette théorie.