samedi 13 novembre 2010

109eme chronique : faites rentrer les revenants


12 novembre 2010

Le retour des Républicains à la tête du Congrès marque un sérieux revers pour Barack Obama. Certes les Démocrates contrôlent encore la chambre haute, à la différence de Bill Clinton en 1994, ce qui évite de ravaler la fonction présidentielle à inaugurer les chrysanthèmes, mais l’histoire est cruelle, qui octroie aux responsables de la situation actuelle une deuxième chance, si rapprochée, et flanque à l’équipe des secours plaidant encore « donnez-nous un peu de temps » un coup de balai.

Si on perd une élection alors qu’on pense faire de la bonne politique, il y a plusieurs explications : vous manquez peut-être de lucidité sur la pertinence, la perception ou l’impact de votre action ; soit le temps de la démocratie et le cycle économique n’étant pas synchrones, vous n’avez pas eu le temps de rendre les résultats patents que vous êtes déjà pris au trébuchet de l’élection. Troisième hypothèse, l’expression de la volonté générale est influencée par des intérêts qui la capturent et la détournent du bien commun.

La réponse selon Nancy Pelosi, la cheffe de la majorité parlementaire défaite tient en deux chiffres : un taux de chômage à 9,6% et 100 millions de $ ; l’argent des lobbies pour empêcher le législateur de continuer à encadrer le crédit à la consommation, créer une assurance maladie universelle, imposer une régulation financière, ou une taxe carbone.

Deux jours après les élections, des chiffres du chômage ont été publiés, en baisse pour le dixième mois d’affilée : 150.000 emplois avaient été crées en octobre 2010, en tout 1,1 million de postes en un an. Mais rien que le mois passé, 254.000 personnes avaient été radiées des listes des demandeurs d’emploi, car leurs droits à indemnisation étaient arrivés à expiration. Au total, fin octobre 2010, 58,3% de la population états-unienne travaille, un niveau abyssal qui rappelle le début des années 80.

Dieu, les gays et les armes ont longtemps permis aux Républicains de faire diversion. Cette fois-ci, la peur du déclassement, alimentée du fantasme de l’immigré qui vient vous voler l’emploi dont vous ne voudriez pas, redonne une fontaine de jouvence à une droite américaine en mal de guerres culturelles. « Je ne me sens guère porté à vivre sur le fumier de Job », s'écrie l’Américain des terres, en garant sa camionnette déglinguée sur le parking de l’église, taille XXL. Les victoires du ‘tea party’ ont certes coûté une majorité aux Républicains au Sénat, les jeunes pousses du populisme fleurissent dans l’odeur ammoniacale de la décomposition de la classe moyenne.

Quant à l’argument de l’argent déversé par monceaux de publicités électorales sur la démocratie à l’encan, la victoire de Jerry Brown contre la milliardaire Meg Whitman, qui aura dépensé 161 millions de $ pour essayer de s’offrir le trône de Californie est l’exception qui confirme que la règle.

Reste à savoir ce qu’on entend par « une bonne politique ». Pour Paul Krugman, Barack Obama a trahi les intérêts de sa base électorale en ne donnant pas à la population sinistrée les moyens de consommer. Robert Reich aussi accuse Barack Obama de ne pas laisser expirer les abattements fiscaux institués par Bush pour les plus 2% d’Américains les plus fortunés et de céder aux chants des banquiers sauvés des eaux, qui maintenant viennent donner des leçons de gestion du déficit en bon père de famille.

Heureusement pour la suite, quelqu’un qui n’est pas élu au suffrage universel se prend pour un despote éclairé : Ben Barnanke a décidé que la politique monétaire devait servir à sortir son pays de la crise.

Sur la planète ZIRP, puisque les taux d’intérêt sont déjà à zéro (et qu’on ne va quand même pas rémunérer les gens pour qu’ils empruntent), on ne peut plus jouer sur le prix, alors on agira sur les quantités. La nouvelle vague d’assouplissement monétaire (Quantitative Easing 2) annoncée par le gouverneur de la Federal Reserve à hauteur de 600 milliards sur huit mois, soit 85 milliards par mois en plus des 35 milliards qu’il neutralise déjà chaque mois dans le cadre de son portefeuille d’actifs immobiliers toxiques (les fameux mortgage-backed securities), donc ces 85 milliards représentent une véritable audace de la part de quelqu’un qui n’a que sa réputation et c’est beaucoup à risquer pour aider son pays.

Comment ça marche ? En achetant massivement des bons du trésor à plus long terme, le prix de ces actifs sans risque baissera. Par conséquent leurs autres détenteurs vont être bien marris, car ils leur rapporteront de moins en moins. L’espoir est que les banques, les grandes entreprises qui ont plus de 2 trillions d’argent placés en bons du trésor se disent : « Et si au lieu d’avoir cet argent qui ne nous rapporte rien, nous allions l’investir dans la sphère productive ? Nous pourrions le prêter aux entreprises qui seraient alors en situation d’embaucher ». Un cercle vertueux serait enclenché qui réveillerait les « esprits animaux », ce concept inventé par Keynes et raffiné par Akerlof et Shiller[1], pour parler de la psychologie optimisatrice de l’homo economicus.

Si vous doutez de l’existence de l’économie de l’offre au nom du fait qu’il y a 14 millions de logements en déshérence, 9,6% de chômeurs et 28% de capacité de production inutilisée, vous répondrez que c'est comme si Pluton voulant aider Ulysse se prenait pour Neptune.

Gabrielle Durana

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[1] George A. Akerlof et Robert J. Shiller, Animal Spirits : How Human Psychology Drives the Economy, and Why It Matters for Global Capitalism, Princeton University Press, 2009, 264 pp. Ces derniers les définissent par cinq principales composantes : confiance, équité, corruption, illusion monétaire et histoires.