samedi 25 juin 2011

Le tour de l’Italie (116eme épisode)

25 juin 2011

Un. En contrepartie du versement de la tranche suivante d’aide (sic) par le FMI et le Fonds européen de stabilité financière, le Parlement grec vient d’adopter un plan d’austérité de 78 milliards d’euros ou 111 milliards $. Le chiffre est abstrait, alors disons que si Jerry Brown était à la place de Georgios Papandreou, cela reviendrait à promettre de supprimer une année entière de dépense publique californienne. Pendant ce temps, les pays de l’UE s’essaient dans un exercice de casuistique financière à retoquer la dette grecque d’une manière que le résultat ne puisse pas être appelé un défaut de paiement ; ce qui provoquerait le versement de tous les Credit Default Swaps (voir chronique précédente). Mais une partie de cette dette devra bien être rééchelonnée (roll over) ou passée par pertes et fracas (hair cuts).

Deux. En tous les cas, après la chute de Lehman Brothers, il n’y aura plus jamais de faillite de banque à risque systémique. L’aléa moral, (ou moral hazard en anglais) désigne pour l'économiste Adam Smith un effet pervers qui peut apparaître dans certaines situations quand un agent, isolé d'un risque, se comporte différemment que s'il était exposé aux conséquences de ses choix hasardeux. Ainsi la banque qui sait que son autorité de régulation interviendra comme prêteur en dernier ressort pourra prendre des risques inconsidérés. En 2001, Anne Krueger, première Directrice générale-adjointe du Fonds monétaire international (FMI) considérait que « La question de l’aléa moral demeure préoccupante. Les institutions privées pourraient se trouver encouragées à prêter et à investir imprudemment — ou du moins plus qu’elles ne devraient— dans la croyance que le FMI fera en sorte que leurs débiteurs puissent les rembourser ». Too big too fail sera forever young.

Trois. Après la démission retentissante d’Axel Weber, le gouverneur de la Bundesbank, en février 2011, pour cause de divergence sur la ligne à adopter face aux demandes d’assistance des autres pays européens, l’Allemagne avait perdu son champion qui devait succéder à Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque Centrale Européenne. Angela Merkel s’est donc ralliée à la candidature de Mario Draghi. Elu vendredi, l’ancien gouverneur de la banque centrale italienne, ancien patron de la division européenne de Goldman Sachs arrive donc au moment opportun pour que la main visible défende une certaine conception de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes.

Quatre. Le canal de transmission de la panique financière entre les deux rives de l’Atlantique réside dans les money market funds, des sortes d’Organismes de Placement Collectif à moins de 2 ans. En effet, les bons MMF américains s’étaient tenus éloignés des banques grecques et autres actifs douteux. Ils avaient donc investis dans des titres de banques solides françaises, allemandes et italiennes. Si les « zinzins » (prononcez Zinsvestisseurs Zinstitutionnels : fonds de retraite, assureurs, grandes banques) américains se détournent, pas fous, de ces titres soudain risqués car leurs auteurs avaient prêté aux Grecs, on court à la crise de liquidité. Hier, 24 juin, les banques italiennes dévissaient de plus de 10% ; le NASDAQ perdait 1,26% et le Dow Jones repassait sous la barre des 12.000 points. C’est à y perdre son latin, puisque les banques italiennes n’ont aucune exposition au risque de la dette grecque, portugaise, espagnole ou irlandaise. Non, dans un accès de patriotisme, les banques italiennes ont acheté de la dette made in Berlusconi. Les 5 principales banques italiennes détiennent 145 milliards € de bons du Trésor national, soit 1,7 fois du total de leurs actifs corporels. D’ici à jeudi prochain, s’il veut résorber le déficit en conformité avec les limites du pacte de stabilité, Berlusconi doit tailler dans la dépense publique une tranche de 40 milliards €, sinon gare ; comme si Jerry Brown devait suspendre le fonctionnement de l’Etat de Californie du 1er janvier au 30 juin.

Cinq. Armés de leurs duvets, prêts à affronter la déshydratation et la police, une cinquantaine d'«indignés» sont partis ce matin de Barcelone pour faire leur chemin de Compostelle en 29 jours et à pied jusqu’à la capitale espagnole. Ils espèrent y retrouver d'autres pèlerins pour une grande manifestation le 24 juillet. Voici certains de leurs slogans : « Nous ne sommes pas anti-système, c’est le système qui est anti-nous » No somos antisistema, el sistema es anti-nosotros"), « J’ai trop de mois à la fin du salaire » ("Me sobra mes a final de sueldo"), mon préféré : "Error 404: Democracia not found", et celle-ci à la délicatesse exquise : « On nous pisse dessus et ils disent qu’il pleut » ("! Nos mean y dicen que llueve! "). Le plus significatif : « Ce n’est pas la gauche contre la droite, c’est ceux d’en bas contre ceux d’en haut » ("Esto no es una cuestión de izquierda contra derechas, es de los de abajo contra los de arriba").

Six. Jerry Brown a opposé son véto à la loi de finances votée par sa majorité démocrate ; elle avait été contrainte par une minorité de blocage républicaine à des coupes sombres dans les programmes sociaux. Le gouverneur veut forcer les Républicains à s’asseoir à la table des négociations et à soumettre à référendum l’augmentation des impôts pour les plus riches. En application de la Proposition 25 adoptée en novembre 2010, chaque jour qui passe, et en attendant qu’ils fassent ce pour quoi ils ont été élus, les parlementaires de Sacramento sont privés de salaire.

Gabrielle Durana

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dimanche 19 juin 2011

115ème épisode : le deuxième naufrage de la Grèce



19 juin 2011

Après sept semaines de surenchères et de chute des marchés, les ministres des finances de l’UE ont pilé. Au carrefour de la négociation, à Luxembourg, la panique porte conseil. La tranche de 8,7 milliards € qui devait être versée à la Grèce début juillet, au titre du plan de sauvetage de 110 milliards € (1/3 payé par le FMI et 2/3 par l’UE) le sera. La crise de liquidité, quand l’actif disponible est insuffisant pour faire face au passif exigible est donc écartée. En revanche, la question d’un deuxième plan de sauvetage de la Grèce pour éviter une crise de solvabilité, quand le total de l’actif ne peut pas couvrir le passif, elle, fait toujours l’objet d’un désaccord.

Angela Merkel exige que les créanciers assument une partie des pertes (haircut). Nicolas Sarkozy appelle à la solidarité publique européenne et refuse la réduction du montant nominal de la dette parce que ses propres banques seraient les premières lésées. Un coup d’œil aux tableaux d'exposition au risque illustre que dans la crise actuelle, ni l’Allemagne, ni la France, malgré les discours de façade ne sont solidaires. En réalité chacun défend ses intérêts nationaux.

Les trois principales banques françaises (BNP, Société Générale et Crédit Agricole) de leur côté affichent des investissements respectifs dans la dette grecque de 5 milliards €, 21,7 milliards € et 5,9 milliards €.

Si une réduction du montant nominal de la dette publique grecque avait lieu, elle serait assimilée à un défaut de paiement. Partiel, ou total, pour les Credit Default Swaps[i], le degré ne change pas la nature. Le paiement de tous les CDS qui couvraient le risque de « faillite » de la Grèce deviendrait exigible. Or qui détient ces CDS ? Surtout des banques internationales.

D’autre part, la Banque Centrale Européenne a déjà déclaré qu’elle cesserait d’accepter les titres du Trésor grec comme garantie des prêts. En clair, le système bancaire grec ne pourrait plus se refinancer. Et le virus du défaut pourrait se répandre dans la zone euro comme la bactérie e-coli.

L’Europe de Maastricht s’était construite avec l’approbation timorée des peuples. Mais après, elle s’est embourbée dans un processus d’union sans cesse plus sclérosé, dont le rejet de la Constitution Européenne a marqué l’impasse. Aujourd’hui, les « événements de Grèce » avec leurs images d’une guerre sociale qui ne dit pas son nom ne racontent pas l’histoire du sauvetage de la Grèce mais celui des banques européennes, nonobstant les stress tests mirifiques sur le corps mort des Grecs.

Lady Gaga devrait aller donner un concert sur la place Syntagma et chanter : « Don’t cry for me Argentina. »

Gabrielle Durana

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[i] Relire la chronique numéro 30

mercredi 15 juin 2011

la Grèce a notre monnaie et c’est notre problème (114ème épisode)



Athènes aujourd’hui.

mercredi 15 juin 2011

Le système financier mondial est de nouveau en péril. Aux Etats-Unis, les Républicains majoritaires au Congrès menacent de ne pas voter avant le 2 aout le relèvement du plafond de la dette publique. Ils veulent empêcher les Démocrates de combler le déficit en accentuant la pression fiscale sur les riches ; pourtant au plus bas depuis 60 ans[1]. A la place, ils proposent de démanteler Medicare, le coûteux système de sécurité sociale « à la française », réservé aux plus de 65 ans et de le remplacer par des ‘vouchers’, des sortes de bons d’achats que les retraités utiliseraient pour obtenir un couverture auprès d’assureurs privés. En Europe, le bras de fer est engagé entre la Banque Centrale Européenne et les gouvernements. La pomme de discorde est en argent : la Grèce subit une crise de liquidité alimentée par les spéculateurs, qui va absorber les pertes ? La négociation se déroule sur fond de mouvement social, des « Indignés » de la Puerta del Sol au courroux grec, et de vacance provisoire au Fonds Monétaire International, depuis que son ancien Directeur général a été arrêté le 14 mai pour agression sexuelle. Le banquier central européen estime que la douleur doit être partagée entre les créanciers et le Peuple-Contribuable. Les gouvernements, certains contributeurs nets au Fonds européen de stabilité financière (EFSF), d’autres gardiens des intérêts de leurs banques nationales créancières veulent bien, à condition qu’on distingue le peuple (grec), les contribuables (les Autres) et les banques (à soi).

Au jeu de la poule mouillée ('game of chicken’), chaque joueur se dispute un avantage et menace l’autre pour essayer de remporter la mise. Le premier qui cède, le plus couard (‘chicken’), a perdu. Le pire advient si aucun des deux ne cède.

Sur la place, le peuple grec refuse de s’immoler pour sauver l’euro et à l’angle du carrefour, les bookmakers prennent les paris sur qui appuyera le premier le pied sur le frein. Cette crise ne veut pas mourir.

Gabrielle Durana

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[1]Taxes (As A Percentage Of Economy) Drop To Lowest Level In 60 Years, STEPHEN OHLEMACHER, the Huffington Post, 2 février 2011.