mardi 23 août 2011

Sur le désastre de ceux qui disent la vérité (124ème épisode)







23 août 2011




Au moment où le procureur Cyrus Vence Jr. tenait une conférence de presse pour justifier l’abandon des poursuites contre Dominique Strauss-Khan, pour viol et violences sexuelles, les caméras, les murs, le sol se sont mis à chanceler. Le tremblement de terre sur la Cote Est a été ressenti jusqu’à Toronto et Montréal. On ne saura jamais si c’était la justice de Dieu, frappant de Washington à New York les mortels qui opposaient à une femme de chambre analphabète ses nombreux mensonges pour s’excuser de ne pouvoir la protéger ; d'après les études paléosismologiques, le temps de récurrence d'un tel séisme est de l'ordre de 70 ans.

Le sol de Lower Manhattan a recommencé de remuer lorsque est tombée la nouvelle du départ, « prévu de longue date » de Deven Sharma, le PDG de Standard & Poor’s. Un article du Wall Street Journal du 18 août 2011 retraçait les ricochets de la dégradation de la dette publique fédérale auprès de centaines de municipalités et de comtés. Il ne s’agissait pas de boycott, mais d'ajustement de portefeuille : les collectivités territoriales veulent éviter que les bons du Trésor dans lesquels elles avaient investi leurs économies n’impriment un carnet de santé dégradée de leurs finances locales. On savait que Deven Sharma voulait visiter Saint Tropez, mais tiens, tiens, il a maintenant des vacances à l'européenne.

Gabrielle Durana
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dimanche 14 août 2011

2011, l’Odyssée de la Bourse (123ème épisode)



Les journées du 8 au 12 août 2011 resteront dans les annales de l’histoire financière comme le moment où le caractère nocif du commerce automatisé des valeurs boursières (computerized trading ou flash trading) sera devenu patent, malgré ses avantages en termes de liquidité accrue. Des plongeons de 5% suivis de hausses de 4%, auxquelles succèdent d’autres chutes de 4,6% ont disloqué les marchés mondiaux. Des renversements entre les creux et les sommets de 800 points dix fois de suite dans la même journée ne s’expliquent ni par des variations fondamentales intrajournalières ni par des communiqués de presse annonçant des résultats trimestriels. Passé l’annonce de l’abaissement de la signature des Etats-Unis par l’agence Standard & Poor’s, une série de détonations ont continué d’éclater d’une place à l’autre, or comme le constatait Catherine Mann de l’université de Brandeis dans le Massachussets, sur PBS vendredi soir : “Il s’agit de recyclage des mêmes informations encore et encore, avec du saupoudrage de quelques rumeurs, d’après la Société Générale. Donc pour résumer, je pense qu’en ce qui concerne l’Europe, la machine tourne à vide. Il n’y a rien de neuf [‘There's not any new news’].

Nous avions déjà reçu un avertissement le 6 mai 2010 lorsque les marchés s’étaient écroulés de 998,5 points en 40 minutes. Tout était finalement entré dans l’ordre et la mise en place de ‘disjoncteurs’[‘circuit breakers’] avait contribué à renforcer la croyance dans la fiabilité du système, malgré d’autres signes inquiétants.

Dans « The Quandts » (2010), Scott Patterson raconte la quête par les mathématiciens de la Vérité stochastique, ou comment des hommes et des femmes ont crée des algorithmes pour trader plus vite et plus intelligemment que leur propre cerveau et gagner à tous les coups ; en quelque sorte la version boursière de la fable de Deep Blue et du joueur d’échecs.

Le paradigme établi par Eugène Fama (1939-) de la théorie des marchés efficients et de la marche aléatoire des cours (« Random walks in stock prices ») assoit cette infaillibilité : à chaque instant, le cours d’une action incorpore toute l’information disponible qui s’y rapporte. Si les gens raffolent des Ipad, les cours d’Apple vont décoller, dès que l’information sera disponible. Sur le long terme, toute irrégularité sera repérée par les ordinateurs et dévorée par des « bans de piranhas » (=les traders). Au stade suprême, ces robots-piranhas peuvent passer des milliers d’ordres d’achat et de vente en quelques millisecondes.

Aujourd’hui, le high-frequency trading représente 50% du volume des transactions, 70% les jours de grande volatilité.

Au-delà de la question de l’équité entre participants, quand les hedge funds auront déjà acheté et revendu 150 fois la même action dans le temps qu’un actionnaire de base reçoit confirmation de sa transaction, ce que nous redécouvrons ces jours-ci c’est le danger de ces opérations automatisées et leur rôle dans la dislocation du système financier, qui à son tour rétroagit sur l’économie réelle.

Dans “2001, l’Odyssée de l’Espace”, l’ordinateur HAL craignait qu’on le déconnecte. « C'est quelque chose que je ne peux vous laisser faire. ». Jeudi soir, la France, l’Italie, l’Espagne et la Belgique ont décidé de débrancher la vente à découvert (short selling) des actions des banques pendant 15 jours. En réalité, la seule chose qui pourra sauver notre système financier, c’est le retour du mot en R, comme régulation.

D’après un article de Science Daily, paru le 5 août 2011, et présentant les conclusions d’un symposium sur l’intelligence artificielle qui s’est tenu à Barcelone en juillet 2011, la stratégie dite d’”Adaptive Aggressiveness (AA)” développée en 2008 à l’université de Southampton peut générer plus de gains qu’un trader humain et que toute autre stratégie pour laquelle on programmerait un robot.

Vivement lundi !

Gabrielle Durana

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mardi 9 août 2011

A Wall Street, le jugement dernier a lieu tous les jours (122ème épisode)



8 août 2011

Un. Au 55 Water Street, entre Coenties Slip et Old Slip, le verdict est tombé, vendredi après la clôture de la Bourse : l’agence de notation Standard & Poor’s a osé écrire qu’avec 14 trillions $ de dettes, (aucune mention des 14 millions de chômeurs), les Etats-Unis ne méritaient plus leur note triple-A. Aussitôt, Timothy Geithner, le ministre des Finances a éclaté de colère, accusant l’agence de s’être trompée dans ses calculs de 2 trillions $. Robert Reich, ancien ministre du Travail de Clinton a dénoncé l’ingérence dans les affaires intérieures d’un organisme complice dans la préméditation de la crise. Ce sont bien leurs notes triple-A, comme un curé donne l’hostie qui ont permis de distribuer des tranches de subprime dans tout le système financier[1]. Puis, le week-end a suspendu le temps bancaire, dans une rêverie de mauvais carnage, si les Etats-Unis étaient dégradés, serait-ce bientôt le tour de la France et l’Angleterre ?, jusqu’à dimanche, quand les places du Moyen Orient et d’Asie ont recommencé à ouvrir et à khracher.

Aujourd’hui, l’effet d'opprobre est passé au second plan, même si elle brûle, quand la dégradation a causé une chute de 634 points au Dow Jones, et de 9% des indices américains sur trois jours. Elle avait été précédée jeudi par une chute de 512 points sur fonds d’attaques spéculatives contre les dettes hispano-italiennes. Au gré des fuseaux horaires, elle a commencé à se répercuter sur toutes les places du monde ouvertes: -3,79% à Shanghai, -2,18% à Tokyo, -3,82% à Séoul, -3,39% à Londres, -5,02% à Francfort, -4,68% à Paris, -2,43% à Rome et -4,38% à Amsterdam. Paradoxalement, maintenant que les T-bills ne méritent plus qu’une note double-A, tout le monde s’est rué sur l’or -le cours a grimpé de 69$ en une séance, atteignant 1720$ l’once- et les bons du Trésor ; ce qui a eu pour conséquence d’abaisser leur coût pour le Grand Argentier ; qui venait pourtant d’être menacé par l’agence pour son côté dépensier. Les bons du Trésor chinois font des progrès et sont cotés A+ mais l’opacité du régime semble rebuter les épargnants.

Dans l’après-midi, sur CNBC, Maria Bartoromo interrogeait le Président de Standard & Poor’s sur le manque de crédibilité de l’agence suite à l’affaire des subprimes. Daven Sherma a répondu qu’il s’agissait d’un autre département de la firme (sic) et que leurs analyses s’appuyaient sur des données fournies par le Fonds Monétaire International. On aurait aimé être dans un western et qu’arrive le shérif pour le pendre par les pieds.

Deux. La dégradation d’un cran de sa dette publique est une humiliation qu’avaient déjà essuyée le Canada, l’Australie et le Japon. Ils ont mis en moyenne entre 9 et 18 ans à en effacer la souillure. Elle ne signifie pas que les Etats-Unis vont faire faillite et arrêter de rembourser les épargnants Chinois et Japonais. Le risque de monétisation de la dette et de retour de l’inflation est bien plus sérieux à moyen terme.

Trois. En l’absence de débouchés productifs et de cadre réglementaire fort, la finance court à notre perte. Le plus préoccupant dans toute cette affaire est que l’oligopole des hedge funds est fort, il représente 60% du volume des échanges quotidiens et qu’il n’est intéressé que par ses bénéfices de court terme. Ce n’est pas un hasard si les George Soros, les Carl Icahn et autres Stanley Druckenmiller ferment la porte à de nouveaux entrants ou rendent des milliards aux derniers arrivés ; ils ne ferment pas boutique, ils espèrent au contraire s’exonérer de la nouvelle législation Dodd-Frank et continuer leur manège infiniment lucratif. Quant aux banques, encore gorgées de subprimes, pourquoi financeraient-elles l’économie réelle, si elles peuvent emprunter auprès de la Fed à 0% et prêter à 10 ans au Trésor pour un rapport de 2,38% ?

Quatre. Ce qui affaiblit le plus les Etats désunis, des deux côtés de l’Atlantique, outre l’ardoise laissée par les banques à nos enfants et à nos petits-enfants, ce n’est pas la crise de leadership, mais la crise de consensus. Règle d’or, assènent les conservateurs, fiscalité, rétorquent les progressistes. La population n’a pas fait dix ans d’études d’économie et ne sait pas, ne comprend pas qui dit vrai, qui défend quels intérêts.

« J’installerai donc mon verre auprès du vôtre ». Puis-je, monsieur vous proposer mes services, sans risquer d’être importun? Je crains que vous ne sachiez vous faire entendre de l’estimable gorille qui préside aux destinées de cet établissement. Et en vous versant ce verre à moitié plein, je vous dis que c’est bien la concentration extrême de la richesse qui va nous faire choir.

Gabrielle Durana

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mardi 2 août 2011

Les deux défauts (121 épisode)

Les Etats-Unis ont conjuré l’effondrement artificiel du plafond de leur dette et un chaos aux proportions lehmanesques pour le pays et le reste du monde. Si on a évité un défaut, l’humeur n’était pas à la liesse, sauf pour quelques minutes quand la députée de l’Arizona, Gabrielle Gifford, miraculée d’une tentative d’assassinat par un extrémiste, en janvier dernier, est entrée dans l’hémicycle pour participer au vote. Quant au reste, sous l’influence d’un groupe d’une quarantaine de parlementaires du Tea Party, le curseur a résolument glissé dans la coulisse du rhéostat vers la fonte de la dépense publique. Les Etats-Unis ne sont pas la Grèce, et nous ne parlons que de 2,1 trillions d’économies budgétaires sur dix ans, mais la victoire du Tea Party se mesure, à l’aune de l’absence totale d’augmentation d’impôts pour assainir les finances publiques ; les ménages millionnaires et milliardaires l’ont échappé belle.

Si Obama a gagné le droit de ne pas à avoir à quémander les moyens pour son administration de fonctionner alors qu’elle est engagée dans deux ou trois guerres et que l’échéance présidentielle arrive dans 15 mois, l’ampleur de victoire idéologique du Tea Party se mesure aussi par la création d’une commission mixte paritaire chargée de couper 1,5 trillions dans la bête étatique. Si celle-ci venait à ne pas tomber d’accord, s’imposeraient automatiquement des coupes sombres dans des programmes sociaux chers aux Démocrates. Tout dépendra donc si dans ce panel sont nommés des modérés ou des maximalistes.

Pendant que le petit jeu politicien se déroulait à Washington, la bourse de New York a baissé huit séances consécutives, une passe digne d’octobre 2008. On s’attendait à ce qu’elle remonte après la nouvelle du vote du Congrès, mais aujourd’hui, elle clôture en recul de 2,19%. Ce n’est pas le défaut de création d’emplois qui est sanctionné. 14 millions de chômeurs sont moins désespérants que 14 trillions de dette publique, quand on n’est pas touché dans la chute. Non, maintenant que le plancher d’acajou ne se liquéfiera plus pour des raisons politiques, les spéculateurs, ah pardon, les hedge funds managers et les flash traders sont retournés à leurs campagnes d’Espagne et d’Italie.