samedi 26 novembre 2011

L’euro passera-t-il l‘hiver ? (137ème épisode)


26 novembre 2011

La Hongrie, le Portugal, la Belgique et l’Italie ont péniblement fini la semaine sur les marchés de capitaux. De plus en plus de pays européens subissent une dégradation de leur note sur la dette publique, et leurs capacités de se refinancer s’en trouvent obérées. La Hongrie ne fait pas partie de la zone euro, ce qui rend le recours au FMI douloureux et possible. Pour les autres, la Banque Centrale Européenne rachète des bons du trésor à dose homéopathique, le FMI regarde, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sommettent et le contribuable national sent la corde qui se resserre. Ainsi le cout d’un bon du Trésor italien à six mois a augmenté de 100% en un mois, passant de 3,535 % à 6,20% sur le marché secondaire, et ce malgré le remplacement du chef de l’Etat italien par un technocrate « efficace ».

Pendant que l’Allemagne serine à juste titre de son point de vue le reste des pays de l’Union sur les ajustements colossaux et inévitables, si elle venait à finalement concéder la possibilité d’obligations européennes (« eurobonds »), le problème s’aggrave et la solution devient de plus en plus coûteuse.

Mais voilà que cette semaine une adjudication d'obligations allemandes a rencontré une demande particulièrement faible, et ce malgré son statut de "valeur refuge". Certes le taux d’emprunt, 1,98% fait pâlir d’envie les autres ministres des finances européens, mais sur les 6 milliards € de Bunds à 10 ans, seuls 3,644 € sont partis.

Foi de Wolfgang Schäuble, Finanzminister, et de Vítor Manuel Ribeiro Constâncio, Vice-président de la BCE, l’adjudication a échoué pour « des raisons techniques » et il ne fait aucun doute que « l’Allemagne n’a aucun souci à financer sa dette ».

Justement parce que cette dernière représente 82% du PIB outre-Rhin, ce qui n’est pas une illustration de vertu exemplaire (le Pacte de Stabilité recommande 60% maximum), la position de l’Allemagne quoi que parfaitement compréhensible- nous n’allons quand même pas payer pour tout le monde, juste parce que nous sommes le frère aîné- conduit le reste de l’Europe dans une impasse politique.

D’aucuns l’accusent ainsi de germaniser l’Union Européenne, mais c’est précisément parce que l’Allemagne n’a pas d’ambition impériale que son « isolationnisme budgétaire » devient un obstacle insurmontable.

L’euro est tombé à son niveau le plus bas en sept semaines ; hier il affichait un cours de 1,33 face au $. Jusqu’à présent la fuite vers la qualité prenait place au sein de la zone euro, vers les pays « sûrs », Passent les jours et passent les semaines, la zone euro est en train de fondre, mais bien plus vite que la banquise.

La volonté politique est-elle devenue un oxymore ? Peut-on fonder ses espoir dans la BCE pour s’autoproclamer « prêteur en dernier ressort », réamorcer la pompe à finances et mettre fin à cette crise dont les conséquences sont de plus en plus corrosives; précisément parce que son gouverneur ne brigue pas les suffrages de la plèbe ? Une seule bonne nouvelle : la volonté politique est une énergie renouvelable.

Gabrielle Durana

lundi 14 novembre 2011

Les urnes et les marchés (136ème épisode)


13 novembre 2011

Les marchés élisent désormais leurs représentants et leurs bulletins de vote sont les taux d’intérêt sur la dette publique nationale. Exit Papandréou et Berlusconi. Entrent Papademos et Monti. C’est peu ou prou ce qu’a déclaré le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Jean-Pierre Jouyet dans un entretien au Journal du Dimanche. Il a aussi comparé la dégradation de la note de la France sur sa dette souveraine, si elle venait à se produire –ne paniquez pas, c’était juste un exercice d’évacuation, jeudi dernier à S&P- à un Stalingrad financier. Il ajoute que ce n’est qu’une question de temps avant que les peuples se révoltent.

Pour l’instant les rues italiennes se gorgent et débordent de liesse citoyenne. Berlusconi a pris soin de faire adopter les volontés budgétaires de l’UE par le Parlement avant de se retirer. Ruisselera bien l’austérité qui rassérénera les banquiers. L’homme qui valait 9 milliards se dit en repli mais pas battu ; il est retourné à la tête du gouvernement par trois fois et a échappé à 2500 procès.

En Espagne, M. Rajoy s’apprête à reconquérir le pouvoir dimanche prochain et à imposer une politique d’austérité, avec le même zèle qu’à une autre époque fût érigé à Paris le Sacré Cœur pour faire expier les pêchés des Communards. La gauche non socialiste escomptait qu'au bout de six mois, le berceau des Indignés viendrait se mettre en travers des projets revanchards de la droite conservatrice. L’éternelle leçon toujours apprise et sans cesse oubliée est qu’il faut occuper les urnes, tout le reste n’est que vergeture d’une société grosse de colère qui obtempère le dos au mur des Fédérés.

Ce n’est pas un beau mystère du Saint Esprit que le mouvement Occupy Wall Street n’ait toujours pas disparu, malgré le froid, les dérapages internes et les échauffourées avec les forces de « l’ordre ». Le sentiment de la population « respectable » est que « ces gens qui campent » ont peut-être tort dans la manière dont ils expriment leur colère mais qu’ils ont bien raison d’être furieux. J’ai surpris ma coiffeuse, 35 ans mariée deux enfants, dans une conversation qui ne m’était pas destinée. Elle avouait à son amie : « Je n’ai pas été aussi pauvre depuis que j’avais 18 ans et que je commençais comme apprentie ». Elle travaille pourtant depuis des années dans un salon chic de San Francisco.

C’est sur l’appauvrissement sans précédent de la classe moyenne aux Etats-Unis et dans les pays de l’Europe périphérique que se développe, à la faveur de la cruauté du capitalisme la prise de conscience de la rupture du pacte néo-fordiste. Une production de masses reposait sur une consommation de masses et le mariage survivrait dans l’intérêt des débouchés. Mais l’économie de casino s’est débridée du besoin de financer la production et l’investissement.

Il faut occuper les urnes, tout le reste n’est que déconfiture. Derrière la vertu affichée ou la prise de conscience du poids de la dette laissée à nos successeurs, la limitation des déficits et de la dette est utilisée politiquement par ceux-là mêmes qui prônaient naguère la dérégulation, avec la même logique, malgré des contextes différents, visant à contester l’intervention publique dans l’économie.

La croyance dans l’impuissance du pouvoir politique est la ruse du Diable qui fait croire qu’il n’existe pas pour continuer son pétrin. Certes le temps de la démocratie n’est pas celui de la corbeille de Paris ou Dublin mais les solutions politiques à la crise existent encore. Il suffit soit que la BCE accepte de devenir un prêteur en dernier ressort et de refinancer la dette des Etats sans limitation, comme la Fed. Soit que le FESF devienne une banque comme les autres et se refinancer auprès de la BCE avec un effet de levier. Soit que l’UE aille au bout de la logique dans laquelle elle est déjà engagée de solidarité financière, et émette les bons d’un Trésor européen. Dans ce contexte, la réélection d’Obama en 2012, la victoire de la gauche en France puis en Allemagne pourraient marquer un nouveau cap. L’idée que les Américains se réjouissent des malheurs de l’euro est un autre artifice de l’ange déchu. Nous nous sauverons unis contre les marchés.

Gabrielle Durana

lundi 7 novembre 2011

Sans issue (135ème épisode)



7 novembre 2011

Le référendum de la Grèce sur le plan de redressement à marche forcée de ses finances publiques est mort, jeudi 3 novembre, tué par son auteur, devant le conclave du G20. Vendredi 4 novembre, on apprenait que George Papandréou avait survécu à un vote de confiance du Parlement grec et qu’il céderait le pouvoir à un « gouvernement d’unité nationale ».

Il semble que le nouveau Premier ministre par intérim sera Lucas Papademos, ancien gouverneur de la Banque Centrale. On peut être patriote et banquier central, comme le prouve chaque jour Ben Bernanke. Par ailleurs, l’État grec aurait bien besoin d’être secoué, pour qu’il se mette enfin à lever l’impôt. Tout de même, de loin, la mort subite du référendum grec fait penser à une mise au pas des autorités, une sorte de « coup de marché ».

Pendant ce temps, à Rome, le joug de Silvio Berlusconi, le 3eme plus long mandat dans l’histoire moderne de l’Italie, après Mussolini et Giovani Giolotti (1892-1921) est sur le point d’être desserré non par une pièce de Dario Fo, mais par l’étau des marchés. Le coryphée contemporain sème le doute d’une catastrophe imminente et rend la dette publique italienne de 2000 milliards d’€, de plus en plus chère à financer.

L’Italie est trop grosse pour faire faillite (too big to fail) mais surtout, elle est trop grosse pour être renflouable (too big to bail). Le super plan sur la dette européenne du 26 octobre reposait sur les châteaux en Asie d’une expansion du FESF, financée par les autres. Lors de la réunion du G20, les 3-4 novembre 2011 à Cannes, les invités ont ramené les Européens au principe que charité bien ordonnée commence par soi-même et que les Européens vont devoir financer le sauvetage de leur système financier avec leurs euros et l’aide bien intentionnée du FMI.

Combien y aura-t-il de coups de marché ? Que restera-t-il de l’Europe de notre jeunesse qui nous avait fait rêver ? Misère, nous allons tous nous mettre à chanter « Va, pensiero », l’air des esclaves de Nabucco.

Gabrielle Durana

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mercredi 2 novembre 2011

Divorce à l’européenne (134ème épisode)


2 novembre 2011

Le timbre poste était superbe, qui commémorait à l’avance le 6ème sommet des Grands de ce monde sur la Croisette. « G20, France 2011, Nouveau monde, nouvelles idées » promettait le logo avec la Tour Eiffel, symbole du génie gaulois guidant l’humanité. Et voilà que la fête est gâchée à cause d’un petit ramoneur de rien du tout.

La Grèce ne fait pas partie du G20 mais sa présence au sommet de Cannes qui s’ouvre demain est comminatoire. L’annonce, par le Premier ministre grec, de l’organisation d’un référendum sur le plan proposé par l’Eurozone à son pays a été accueillie avec colère et consternation. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy lui ont posé un ultimatum : soit la Grèce accepte les conditions rigoureuses du plan accordé jeudi, sans plus tergiverser, soit elle quitte la zone euro. Et ils l’ont sommé de répondre en personne devant tout le monde. Arrivé cet après-midi à l’aéroport de Cannes Mandelieu, George Papandréou dont le gouvernement a serré les rangs assume.

Quelle est la question ?

Pour que la consultation populaire ait lieu, il faudra que le gouvernement ne tombe pas vendredi. Le cas échéant, l’article 44 alinéa 2 de la Constitution de 1975 (révisée en 2001) dispose :

« Le Président de la République peut proclamer par décret la tenue d’un referendum sur un sujet national d’intérêt majeur, suivant une résolution proposée par le gouvernement et adoptée à la majorité absolue des membres du Parlement.

Via un décret présidentiel, un référendum sur des sujets d’importance sociale, à l’exception des questions budgétaires peut être proposé par le Parlement à une majorité des 3/5emes de ses membres, sur proposition d’au moins 2/5eme de ses membres. »

D’après les dernières nouvelles, le peuple grec devrait être invité à se prononcer dès le mois de décembre. La manière dont sera posée la question aura toute son importance : « Acceptez-vous la remise de dettes de 100 milliards € et les 130 milliards € de nouveaux prêts qui permettent de financer l’Etat jusqu’en 2020 ? » n’est pas la même chose que si on demande : « Acceptez-vous les mesures d’austérité comme contrepartie au maintien de la Grèce dans la zone euro ? » ou plus simplement « Voulez-vous demeurer dans la zone euro ? ».

Pour que le vote soit considéré comme valide, le taux de participation devra être supérieur ou égal à 40% des inscrits.

Retention de fonds

Les Européens brandissent la menace de couper le robinet de liquidités si les Grecs venaient à ne pas se hâter, ou à mal voter. En réalité, il y a bien le feu à la maison et les menaces auront peu de prise sur le gouvernement du Passok, si celui-ci survit à la question de confiance vendredi.

En effet, comme l’écrivait l’ancien vice-président du Fed de Dallas George O’Driscoll, aujourd’hui, dans le Wall Street Journal : « quand est-ce qu’un plan de sauvetage n’est pas un plan de sauvetage ? Quand le bailleur est à court de fonds ».

Sheila Bair, l’ancienne directrice de la Federal Deposit Insurance Corportion, l’agence américaine qui intervient pour mettre sous tutelle les banques insolvables, a raison quand elle écrit pour CNN Money que la crise dure depuis 18 mois parce que les banques européennes avec la complicité des régulateurs ne veulent pas affronter la réalité des pertes abyssales. Suivant le vieil adage que tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu, elles espèrent que le prix des actifs repartira à la hausse. Chaque semaine d’inaction aggrave le problème. Ainsi l’incendie couve sous les pieds d’un secteur bancaire zombie, mais les Européens tancent les Grecs. Le monde regarde les fagots de sarments et les dirigeants européens le tuyau d’arrosage.

Pas de panique

Aujourd’hui, les bourses ont fini de digérer la bombe démocratique hellène et elles clôturent en hausse entre 1 et 2%.

Gabrielle Durana

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