dimanche 31 mars 2013

LA FIN DE LA MONNAIE UNIQUE (151ème épisode)



Dimanche 31 mars 2013

Les banques chypriotes ont rouvert jeudi matin, après deux semaines. Les comptes dépassant 100 000 euros sont gelés à la Bank of Cyprus et à la Laïki, les deux plus grands établissements financiers du pays. Le premier (18,5 milliards d'euros de dépôts) doit être restructuré, le second (9,2 milliards) sera liquidé.

Au-dessus de 100.000 euros, les déposants y ont perdu 60% de leurs avoirs. Selon Marios Mavrides, député conservateur du parti du président, les 40 % restants seront placés "dans un compte bloqué pendant six mois pour empêcher les gens de retirer tout leur argent". La Banque centrale a indiqué que la décision finale sur le pourcentage exact de la décote serait prise "dans maximum 90 jours après la fin de l'évaluation" [du bilan des banques] et que le reste serait rendu aux déposants.

Jusque là, tout va mal mais c’est la crise. Où les choses empirent, c’est que pour empêcher une fuite immédiate des capitaux, la Troïka et le gouvernement chypriote ont instauré un contrôle des changes.  Adieu libre circulation des capitaux dans la zone euro !

Un article dans Le Monde daté du 30 mars détaille les modalités sans en tirer les conséquences : la monnaie unique n’est plus unique. “Pour les entreprises, seules les transactions commerciales habituelles et validées par une commission indépendante sont autorisées. Pour les particuliers, les retraits sont limités à 300 euros par jour et par personne et les paiements par carte à l'étranger ne peuvent dépasser 5 000 euros par mois. Les virements bancaires restent impossibles vers l'étranger et limités vers Chypre même. Par ailleurs, les voyageurs quittant l'île ne peuvent emporter plus de 1 000 euros en espèces.

Sous d’autres latitudes, à une autre époque, le même procédé s’appelait « le corralito » ; le mécanisme par lequel on contient le mouvement des animaux dans la Pampa.  Entre 2001 et 2002, ce mécanisme fut instauré en Argentine jusqu’à la fin officielle de l’arrimage du peso au dollar (peg currency).  
Jusqu’à l’abrogation de la loi de convertibilité le 7 janvier 2002, un peso était égal à un dollar, comme avant le 16 mars 2013, un euro européen était égal à un euro chypriote. Après l’instauration du « corralito », le peso n’a pas été dévalué mais le désarrimage et le contrôle des changes ont abouti un an plus tard à l’annihilation des petits déposants et à une désorganisation totale et à une paupérisation durables de l´économie argentine.

Alors voilà, nous sommes entrés dans cette nouvelle réalité dont on ne prononce pas le nom, où la monnaie unique n’est plus unique, puisqu’il y a des euros forts et des euros faibles. Ah, il n’y a pas de panique bancaire, non. Tout est verrouillé pour. Vous me direz qu’avec ce qui se passe au plan politique en Hongrie, dans l’indifférence générale, on peut encore tomber plus bas. C’est juste une question de temps : qui sera le suivant à rejoindre les euros faibles ?  

Gabrielle Durana
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dimanche 24 mars 2013

L’argent des autres, incidemment des Chypriotes –2eme partie- (150ème épisode)


24 mars 2013
                                                                                                           
Les banques de Chypre n’ont pas rouvert depuis le 16 mars. Sous les charbons ardents des protestations populaires, le Parlement chypriote a refusé de voter le plan de sauvetage proposé par la Troïka ; qui en échange d’une aide 10 milliards €, soumettait les déposants de l’île à des pertes de 9,9% sur les dépôts de plus 100.000 € et à une ponction de 6,75% pour les soldes inférieurs à 100.000 €.

Ce « plan de sauvetage » avait ulcéré les épargnants, petits et grands. « Cela commence par nous et cela finira par vous », scandaient les manifestants à Nicosie. Malgré toutes les tentatives de communication corrective (« c’est un impôt de solidarité sur le capital »), le procédé de saisie des dépôts bancaires, était apparu comme la cassure du verrou de la confiance : les dépôts étaient garantis, les saisir, c’est du vol. En effet, normalement dans une restructuration des dettes bancaires, les premiers touchés sont les actionnaires, puis les créanciers obligataires, les déposants étant protégés et bons derniers sur la liste des encours à risque.

Les banques demeureront fermées jusqu’au 26 mars. Les distributeurs sont néanmoins réapprovisionnés mais les déposants des banques en cessation de paiement autorisés à ne retirer que 100 euros par jour ; les gens font donc la queue pendant des heures. Les responsables politiques chypriotes doivent trouver une solution alternative, si ils ne veulent pas que la Banque Centrale Européenne leur coupe le robinet de la liquidité le 25 mars ; ce qui causerait la première faillite d’un pays de la zone euro.

Le 25 mars, c’est déjà aujourd’hui, à Berlin et Bruxelles. Comme dans un épisode de « Homeland » - de la 1ere saison-, un nouvel accord entre le gouvernement et la Troïka a été trouvé in extremis. Cette fois-ci, la rançon sera payée grâce à un prélèvement de 20% sur les comptes dont le solde est supérieur à 100.000 €  de la principale banque en faillite – la Banque de Chypre ; leurs actionnaires et créanciers obligataires de 1er rang étant aussi mis à l’amende. En clair, la banque sera recapitalisée grâce au gel des  dépôts non assurés. Voilà qui semble plus en accordance avec les règles habituelles des défauts bancaires.

D’après le ministre allemand des finances, ce texte n'aurait pas besoin d'être soumis au Parlement local car ces mesures seraient compatibles avec les lois en vigueur et les mesures déjà adoptées vendredi dernier par le parlement chypriote.

Si la cessation de paiement est évitée encore une fois, commence le long hiver de la politique d’ajustement structurel, où les petits épargnants seront les moins épargnés et les grands spéculateurs essuieront des pertes et iront stocker leur rente sous des palmiers plus auspicieux – à cause des Américains, la Suisse n’est plus ce qu’elle était.

Reste le sort de la 2eme banque nationale, très mal en point. Chypre sera sauvé, la Troïka ne va pas se laisser emporter par une poussière de pays (0,5% du PIB de l’UE).

Après trois ans et cinq sauvetages – Irlande, Espagne (merci les bulles immobilières), Portugal et Italie (pas de quoi, les déficits publics !), maintenant Chypre (comme l’Islande, l’étreinte de l’euro en plus)-, l’architecture de la maison Europe est totalement fissurée mais on colmatera autant que nécessaire, foi de charpentier. Etrange, ses habitants respirent et meurent du lupus.

Gabrielle Durana
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dimanche 17 mars 2013

149ème épisode : L’argent des autres, incidemment des Chypriotes



Cette chronique est dédiée à Jean Isseri, qui chaque fois que je le vois me redemande quand est ce que je vais écrire la suivante. J'ai mis du temps ~ 

17 mars 2013

Depuis la dernière chronique, il y a plus d’un an, Sarkozy a perdu les élections, Obama a été réélu. L’économie américaine est en convalescence (+2%) et soumise aux coupes budgétaires automatiques ; le mur parlementaire érigé par les Républicains. Pourtant, à en juger par la Bourse, il y a de l’eau sur Mars ! Les indices Dow Jones et le Nasdaq à dominante technologique sont à des records d’euphorie : 14539 et 3258 points, on n’avait pas vu cela depuis 7 ans.  

L’économie européenne, de son côté reste en berne avec une croissance négative de 1,3% pour la zone euro et de 1,7% dans toute l’Union européenne[1]. Mercredi dernier, le Parlement européen, auquel le traité de Lisbonne confère depuis 2009 un droit de véto,  s’est rebellé contre la poursuite de la politique d’austérité. Par 506 voix en faveur et 161 contre, les eurodéputés ont adopté une résolution sanctionnant le projet de budget européen adopté le 8 février par le Conseil européen – l’organe des gouvernements de l’UE.

Dans ce contexte plein d’entrain, les habitants de Chypre se sont réveillés samedi et leurs dépôts bancaires avaient été ponctionnés de 6,75% ; ou de 9,9% pour ceux qui détenaient un solde supérieur à 100.000 euros sur leurs comptes protégés.  

On commence à se voir dans la flaque.

Comme dans un mauvais rêve, cela s’appelle un upfront one-off stability levy. En échange de l’évaporation de leurs avoirs bancaires, les Chypriotes, ces chanceux sont devenus actionnaires de leur banque pourrie sauvée par le FMI, l’UE et leur ponction monétaire.  17 milliards $ cela se trouve là où on peut !  

On nous explique que ce n’est pas très grave parce qu’en réalité l’argent sur les comptes appartenait surtout à des oligarques russes. Bien mal acquis ne profite jamais.

On nous explique un peu que les Chypriotes sont seulement 1,1 million. Que vont-ils faire pour marquer leur révolte ? Demander leur rattachement à la Turquie ? Et puis, bon les Chypriotes, ce sont les nouveaux Argentins de l’Europe, les Islandais de la Méditerranée. Leur système financier avait enflé jusqu’à atteindre 8 fois le PIB de l’île. Et voilà ce qui arrive quand la grenouille veut devenir aussi grosse que le bœuf !

Sérieusement, si il fallait pleurer sur tous les malheureux de l’Europe, la Méditerranée remonterait de 50 centimètres.

Combien de temps les déposants de l’UE vont-ils croire que la stabilisation passe par la saignée du compte en banque des autres ? Les bistouris qui suivent, indolents compagnons de voyage, glissent sur les gouffres amers et l’empêchent de marcher. On fabrique bien le fascisme.

Gabrielle Durana
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