mardi 21 octobre 2008

Chronique n°22 Et maintenant, la Chine

Après le faste cérémoniel et la précision calligraphique déployés lors des Jeux Olympiques en août, beaucoup s’attendaient à ce que la Chine enjambe le cadavre de Wall Street et monte sur le trône en septembre. Des taux de croissance moyenne supérieurs à 10% sur 30 ans, des réserves de change de 1,9 trillion de dollars fin septembre, soit le double des réserves japonaises, des excédents commerciaux de 30 milliards par mois, l’ascension semblait irrésistible. Alors quoi? Où est passé l’empereur?

La croissance chinoise va ralentir en ce troisième trimestre aux alentours de 9% ; passant en dessous de la barre des 10% pour la première fois depuis 2002. En 2009, elle devrait avoisiner 8%. Ces taux feraient pâlir d’ envie n’ importe quel gouvernement du G7. Mais avec une population de 1,3 milliard d’habitants, la Chine ne peut pas réussir sa transition et devenir un pays moderne sans continuer à croître de manière exponentielle.

La croissance chinoise est tirée par les exportations comme le prouve l’ubiquité des étiquettes Made in China dans les magasins. S’il est vrai que la Chine est le banquier des Etats-Unis, détenant une bonne partie de la dette publique américaine (519 milliards de dollars, derrière le Japon, 593 milliards), l’Europe a pris le relais des Etats-Unis comme premier client de la Chine. La valeur du commerce UE-Chine représente 110% du commerce Chine-Etats-Unis en 2008 (contre 65% en 2001). Les raisons sont multiples de cette prévalence, la principale : la force de la devise européenne. L’ euro cotait 0,89$ en 2001, 1,40$ l’ année dernière, 1,60$ en août, 1,30$ aujourd’hui.

Le tsunami financier déclenché en septembre 2008 par la nationalisation des réassureurs Fanny Mae et Freddie Mac et la faillite de Lehman Brothers a plongé le monde dans une très grave crise économique. Maintenant que les Etats-Unis sont sous l’eau et que l’ Europe boit la tasse, le volume des exportations chinoises est appelé à se contracter. Par exemple, plusieurs producteurs chinois de produits textiles et de jouets ont fait faillite cette semaine.

La Chine n’est pas susceptible de tirer la croissance mondiale grâce à ses importations : même avant l’éclatement de la crise, elle ne comptait que pour 6,4% de la demande asiatique finale. Mais peut-elle remplacer le manque à gagner dû à la baisse de ses exportations en se tournant vers la satisfaction de son marché intérieur?

Sur le papier c’est royal. Vous avez une population de 1,3 milliard d’individus (j’ hésite à utiliser ce terme au pays du confucianisme, remplaçons-le par consommateurs potentiels) et soixante-dix ans de communisme: à nous les frigidaires, les jolis scooters, l’atomixer et le Dunlopillo !
D’ailleurs d’après les chiffres du gouvernement, le commerce de détail est en plein essor : +17,9% en septembre contre 13 ou 14% un an auparavant.

Le bâtiment aussi a connu un boum, depuis qu’à la fin des années 1990 le gouvernement chinois a procédé à la privatisation des logements urbains. Il a transféré leur propriété de l’Etat vers leurs occupants. Les Chinois des villes du jour au lendemain se sont retrouvés riches de leur logement. La spéculation a suivi. Des entrepreneurs en BTP ont acheté les terrains pour construire plus densément. Shanghai, de nos jours, compte plus de gratte-ciels que Manhattan.

Mais depuis quelques mois, le marché immobilier semble avoir atteint un palier. Les mises en chantier ont ralenti. Les acheteurs potentiels attendent car ils anticipent une baisse des prix. De même les chiffres les plus récents de ventes de voitures, de billets d’avion et autres gros achats traduisent une croissance moins forte.

En fait, la Chine a beau compter 1,3 milliard de population, sa classe moyenne s’élève à 60 millions de personnes. Elle arrive au 100ème rang, en termes de revenu par habitant. Même en tenant compte des différentiels de pouvoir d’achat (un bol de riz coûte moins cher en Chine qu’à San Francisco), la Chine ne représente que 10% de l’économie mondiale, contre 30% pour les Etats-Unis et 25% pour l’ Union européenne. En 2007, si 1,3 milliard de Chinois consommaient 1,2 trillion de dollars de biens et services, 300 millions d’Américains s’adonnaient, eux, à 9,7 trillions de dollars de consommation (nb. comme la destruction de l’environnement ne vient pas en soustraction du PIB, je ne sais pas s’il convient d’appeler cela un progrès, mais je digresse).
Donc la demande intérieure chinoise est tout simplement trop faible pour remplacer une demande défaillante américaine ou européenne.

Seules des réformes de structure permettront à terme de développer le marché intérieur. Cette semaine le gouvernement chinois annonçait une réforme agraire qui va transférer la propriété des terres vers les paysans. Cela devrait provoquer une restructuration des parcelles, aujourd’hui trop petites, accélérer l’exode rural et favoriser le développement d’une agriculture intensive. Il compte également lancer une couverture santé pour l’ensemble de sa population.

Les réformes de structures prendront du temps, même si elles sont la route du futur. En attendant, les voisins proches, surtout la Corée du Sud, mais aussi le Moyen-Orient et l’Amérique Latine ont du souci à se faire, eux qui trouvaient des débouchés privilégiés dans le marché chinois. Quant aux pays occidentaux qui parvenaient à exporter vers la Chine, comme l’Allemagne avec ses machines-outils, ils vont aussi connaître une baisse de leurs commandes.
10 à 20 milliards de dollars ont quitté la Chine depuis le début du tsunami financier. Les banques chinoises n’ont pas grand souci de credit crunch. Les excédents commerciaux, 29,4 milliards de dollars en septembre, font rentrer des dollars dans le circuit mois après mois et la Chine nage dans 1,9 trillion de dollars de réserves de change.

La bourse de Shanghai est pourtant en baisse sensible : - 30,43% en trois mois. Celle de Hong-Kong: - 46,99% en 52 semaines. (La différence entre les deux c’est que les investisseurs étrangers ne peuvent pas investir librement à Shanghai.) Le gouvernement chinois, de son côté, pourrait utiliser sa vaste fortune pour prêter 500 milliards de dollars au gouvernement américain afin qu’il finance un deuxième plan de relance. En aidant son principal partenaire commercial à passer l’orage, il protégerait le moteur de sa croissance, ses exportations. Ce serait une sorte de New Deal made in China.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

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