dimanche 25 juillet 2010

104eme chronique ; Et les banques européennes survécurent au stress des tests



Ferry Building (San Francisco)

23 juillet 2010


Par cinq fois, le marteau avait frappé la cloche fissurée projetant le très distinctif “La, sol, fa, do / fa, la, sol, do, si, ré, do” hors du beffroi dans la Tamise. L’horloge du Ferry Building sonna encore quatre coups. Dans quelques minutes, un journaliste à l’accent d’Oxbridge annoncerait les résultats des stress-tests sur la solidité des banques commerciales européennes.


Voulant calmer les craintes croissantes des marchés, de mars à mai, quant à la possibilité qu’un pays de l’eurozone entre en cessation de paiement[1] et que le système financier tout entier soit mis en péril, comme lors de la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, le Comité Européen des Contrôleurs Bancaires allait rendre son rapport.


Au royaume des gouverneurs, il y a eu presqu’autant d’appelés (91 banques) que d’élus (84). La banque Hypo Real Estate, déjà nationalisée à 100% en 2009 est la seule à avoir échoué aux tests de résistance sur les quatorze établissements allemands. Une grecque et cinq cajas devront aussi fusionner ou se recapitaliser.


Voilà.


Tout est bien qui finit bien.


Il y aura toujours les mauvais coucheurs pour qui le risque testé n’inclut pas la racine de la peur, à savoir la défaillance d’un pays de l’UE. Les gouvernements répondent qu’ils ont mis en place le Fonds Européen de Stabilisation Financière doté d’un budget de 750 milliards d’euros (il est basé à la Bourse de Luxembourg) et avec une louche d’austérité, plus personne ne fera faillite. Le problème était politique pas financier.


Nous serons bientôt sortis d’affaire. D’ailleurs, regardez, le Dow Jones termine en hausse de +3,2% pour la semaine.


25 juillet 2010


Minuit à San Francisco, lundi matin en Europe, et toutes les valeurs bancaires caracolent d’exubérance depuis 7 minutes.

La profession exige 4% de Tier 1 mais 6% c’est plus sage, nous explique le CEBS. Et de nous abreuver de 91 pages de tableaux de Tier1[2].


Le rapport du CEBS me laisse sceptique, non parce que je veux prolonger cette chronique, mais à cause des indicateurs. Les fonds propres c’est comme le cholestérol, il faut surveiller.


Cette histoire remonte à Bâle en 1988. A l’époque, je collais des autocollants pour appeler à voter Mitterrand dans les toilettes du lycée et j’arrachais les affiches du Front National sur le parking. A Bâle, siège de la plus grande foire internationale d’art contemporain et de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), les banquiers centraux de 10 pays s’occupaient de choses sérieuses. La faillite des caisses d’épargne américaines en 1986-1987 les avait convaincus que pour rétablir la confiance entre parties cocontractantes, et si on voulait éviter une redite, il fallait renforcer les fonds propres détenus à tout moment par les banques. Ainsi naquit le ratio Cooke, du nom du président du comité de Bâle de l’époque. Cet indicateur est en fait un double ratio : le premier impose aux banques de provisionner des fonds propres et quasi-fonds propres à hauteur de 8 % de leurs engagements risqués (risk-weighted assets) et le second de provisionner des fonds propres à hauteur de 4 % de leurs engagements totaux.


Vous allez voir, la finance c’est moins abstrait que l’art contemporain. La question fondamentale à laquelle les banquiers centraux essayaient de répondre est la suivante : en dehors du noyau dur du capital de la banque (core Tier 1), qui correspond aux fonds propres (common stock) et aux réserves, sur quoi pouvait-on s’appuyer pour exercer sa profession de banquier ; sachant que tous les prêts ne sont pas nés égaux, certains ont des garanties, d’autres ne courent aucun risque ? Si on trouve la bonne réponse à cette question on évite de laisser du capital oisif qui aurait pu servir à faire des prêts supplémentaires. Si on se trompe, en cas de panique, on fait faillite.


À l’origine, seul le risque de crédit fut pris en compte :


0% de risque de défaillance pour les bons du Trésor des pays de l’OCDE à moins de deux ans.

20% pour les banques des pays de l’OCDE

50% pour les prêts avec hypothèque.

100% pour les prêts sans garantie.

150% pour les prêts accordés aux personnes ayant des antécédents d’incidents bancaires.


En 1995, afin d’étirer un peu plus la pâte à modeler et pouvoir prêter davantage le risque de marché a été inclus dans le numérateur. On lui a attribué une probabilité de défaillance avec la formule de la VAR (value at risk) qui permettait de faire des simulations.


Les ratios Cooke sont entrés en vigueur en 1992. Tous les indicateurs étaient au vert.


Pourtant, les banques japonaises firent faillite par dizaines et pour les autres hantèrent le système financier mondial pendant la « Décennie perdue » (les années 90).

Il s’est avéré que la grille de pondération des risques était mal adaptée, car elle ne reflétait pas les risques réels des engagements bancaires. Par exemple, un prêt à un État de l’OCDE était pondéré d’un risque zéro quel que soit le pays considéré alors qu’il est évident que le risque de signature du Mexique était différent de celui de la France. Au-delà, les marchés financiers s’étaient complexifiés avec la généralisation de la titrisation et des instruments financiers dérivés.


Le comité de supervision bancaire dit comité de Bâle retourna à sa table de négociations, sous les photos de Richard Prince. En juin 2004, il accoucha des Accords de Bâle II avec un ratio de solvabilité de meilleure qualité, dit ratio McDonough[3], du nom du directeur général.


Les valeurs de référence (8 % et 4 %) furent maintenues, mais les risques opérationnels[4] inclus dans le calcul du ratio et le système de pondération redéfini aussi, pour prendre en compte les produits dérivés et la titrisation. Désormais la notion centrale est la distinction entre le « trading book » et le « credit book ». La partie du bilan qui est ultra-stable relève de la deuxième catégorie et la banque doit provisionner à proportion. L’autre est composée d’actifs qui sont liquides, « gérés activement » et peuvent être évalués en fonction de leur valeur de marché (mark to market). C’est là que logent tous les titres obligataires fabriqués à partir des emprunts hypothécaires, découpés en tranches et mélangés, et qui seront vendus en petites verrines au lieu de rester dans le ‘banking book’, comme au bon vieux temps.


Lehman Brothers détenait trois fois plus de fonds propres que requis, au sens des Accords de Bâle II. Le problème résidait non seulement dans le recours de plus en plus massif à la méthode de la repo 105, mais dans le fait que les parties du ‘book’ qui étaient censées être gérées activement, demeurer liquidables sous 10 jours et dont la valeur était comptabilisée au prix du marché devenaient de moins en moins liquides et que leur caractère toxique commençait à apparaître. L’indicateur auquel tout le monde prêtait attention, le Tier 1 ne reflétait pas la frontière qui s’était brouillée entre le portefeuille de prêts et le portefeuille de titres. Le premier était provisionné ; le deuxième boursoufflé. Le 15 septembre 2008, tout explosa.


Les Accords de Bâle 2 ne se résument pas à un indicateur défectueux. Ils reposent sur trois piliers comme l’illustre la page extraite d’un diaporama d’une banque suisse, tout en bas de cet article. Outre les exigences en fonds propres, les banques doivent mettre en place des procédures internes de surveillance et la boucle est bouclée quand le marché lit les documents publiés par les banques et pose des questions impertinentes.


Il existe un accord Bâle III en gésine, dont les banques commerciales ne veulent surtout pas. Parmi les nombreuses idées intéressantes avancées par les banquiers centraux réunis dans la capitale suisse de l’art contemporain, il y a la création d’un ratio mesurant l’effet de levier (avec 8% du ratio Cooke, normalement on ne pouvait pas emprunter plus de 12,5 fois la somme détenue en fonds propres, mais la comptabilité peut être fantaisiste, d’intention, subjective, ou frauduleuse). On parle aussi d’imposer des provisions sur le ‘trading book’ comparables à celles du ‘banking book’ ; la distinction entre les deux étant devenue caduque, on s’acheminerait alors vers l’utilisation de la notion de ratio net de financement stable (« net stable funding ratio »). Déjà de nombreux observateurs utilisent les outils de capital « Core Tier1 », c'est-à-dire sans les actifs exotiques, ou de « Tangible Common Equity » (TCE) –quand on regarde les banques européennes à l’aune de la TCE, le bilan est anémique[5]- pour s’attacher à un noyau dur d’actifs dont la valeur n’est pas volatile et qui peuvent servir à encaisser des pertes au bilan. Les autres mesures proposées sont de changer le dénominateur en intégrant tout le bilan, même le hors bilan dans le calcul du ratio de fonds propres. Et de rendre agnostique le numérateur, c'est-à-dire de ne plus attribuer une probabilité de défaillance en fonction de la nature des actifs, mais de prendre en compte tous les risques avec la même probabilité, y compris la défaillance des bons du Trésor.

Les banques commerciales essayent de faire du lobbying pour retarder ou diluer les recommandations de Bâle 3. Elles avertissent que le coût de la mise en conformité sera exorbitant et que la croissance ne reviendra plus.


M. Carney, gouverneur de la Banque Centrale du Canada vient d’être nommé en juillet à la présidence du Comité de Bâle, pour un mandat de trois ans. A 45 ans, il a été classé au 21e rang des 100 personnalités les plus influentes de la planète par le magazine américain Time. Voyons quelle sera son influence.

Gabrielle Durana

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[1] Comme le Mexique en 1982, la Russie en 1998 et l’Argentine en 2002.

[3] En France, le ratio McDonough remplace le ratio Cooke depuis le premier janvier 2007, et s’applique à toutes les banques. Aux États-Unis, le ratio McDonough ne s’applique qu’aux grandes banques internationales (une vingtaine d’établissements sur plusieurs milliers).

[4] Risque de mauvais fonctionnement des systèmes, des contrôles administratifs, des procédures et des méthodes qui ont été mis en place pour assurer l'utilisation appropriée des instruments financiers.

[5] Wall Street Journal 15 juillet 2010 “Europe’s Bank Leverage Test-It’s All About the Assets”.




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