mardi 1 février 2011

La manière douce (113ème épisode)

Tentes des Nations Unies devant l’Hotel du Golf, (Côte d’Ivoire).

Note : comme le montre cette depeche de Reuters du 16 fevrier 2011, la maniere douce n'est pas si douce.

1er février 2011

L’éviction de Ben Ali en Tunisie représentera-t-elle l’équivalent de la chute du Mur de Berlin, pour le Proche et le Moyen Orient ? Hier, dans le Wall Street Journal, Bachir El Asad[1] donnait des leçons de réformisme, vu de Syrie. Des manifestations gigantesques au Caire aujourd’hui ont poussé Hosni Moubarak à déclarer qu’il ne se représenterait pas aux élections en septembre. Cet après-midi, le roi de Jordanie[2] a limogé son gouvernement et nommé un nouveau Premier ministre. La fin d’une dictature c’est simple comme un coup de fil de la Maison Blanche.

En Côte d’Ivoire, le Président ne répond pas au téléphone. Enfin, il y a deux Présidents : Laurent Ggagbo, le « Président sortant » et Alassane Ouattara, le « Président élu ».

Le « Président élu » vit dans un hôtel de 300 chambres, protégé par les casques bleus et ravitaillé par hélicoptère, depuis que le « Président sortant » a refusé de lui concéder la victoire au soir du 28 novembre.

Le « Président sortant », grand ami de la Françafrique est un ex-gauchiste chef de guérilla, ayant pris le pouvoir en l’an 2000, après avoir gagné des élections, auxquelles le « Président élu » n’avait pas eu le droit de se présenter pour cause de « nationalité douteuse »[3].

Le « Président élu » est un ancien directeur adjoint du FMI, ancien Premier ministre d’Houphouët Boigny ayant fait incarcérer le « Président sortant ». A son tour, il se retrouve en résidence surveillée et se voit déjà en Aung Sang Suu Kyi.

Il ne suffit pas de goûter à la paille des cachots pour devenir Mandela, ni de bâtir une basilique pour mériter le ciel. L’histoire récente de la Côte d’Ivoire comporte beaucoup d’autres épisodes, certains sanglants, dont une guerre civile en 2002. Les élections de 2010, les premières en dix ans étaient censées apporter l’unité et la réconciliation nationales ; elles n’ont pas abouti au résultat escompté.

Depuis ce matin, la Côte d’Ivoire est en cessation de paiement. A la fin du mois de décembre, elle n’avait pas versé les 29 millions $ d’intérêts sur sa dette publique et le délai de grâce est arrivé à expiration. Déjà en l’an 2000, la Cote d’Ivoire avait refusé de payer sa dette externe (3,5 milliards d’obligations Brady[4]). Mais le Club de Londres[5], qui représente les intérêts des banques créancières ne semble pas affolé cette fois par le défaut de paiement. 29 millions $, c’est peu, rapporté au volume des exportations (2009 : 10,5 milliards $[6]). De plus, le FMI a certifié que la Cote d’Ivoire disposait en septembre 2010 de 3,28 milliards $ de réserves en devises étrangères.

Qui de Laurent Gbagbo ou d’Alassane Ouattara aurait dû honorer la dette ? Le « Président sortant » veut bien payer à condition qu’on lui reconnaisse le droit de ne pas sortir. La communauté internationale a déclaré Alassane Ouattara le vainqueur.

Après le hold-up électoral, il restait l’intervention armée ou l’asphyxie financière. C’est finalement cette dernière méthode qui a été préférée pour éviter l’embrasement. Le 22 décembre, la signature de la Cote d’Ivoire a été transférée par les autres pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine au « Président élu ». Le 6 janvier, les Etats-Unis ont gelé les avoirs du clan Gbagbo et les comptes de la Cote d’Ivoire. L’Union Européenne a ajouté un avis de persona non grata à la saisie des biens de 85 personnes et 11 entités économiques. Le 19 janvier, la Suisse a fermé le cortège.

Mais le gouverneur de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), le Trichet de l’UEMOA, qui se trouvait être un Ivoirien a pris son temps pour appliquer la mesure. Le « Président sortant » a eu le loisir d’envoyer l’armée se servir dans les coffres des succursales d’Abidjan pour 8 milliards de Francs CFA. Après le braquage de la banque centrale, le gouverneur de l’UEMOA a été renvoyé.

Pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine.

Le Président Laurent Gbagbo s’était acheté de nombreux amis dont Vincent Bolloré, à qui en 2003, il avait offert le monopole sur la concession du port de conteneurs à Abidjan. D’ailleurs, sa campagne électorale avait été confiée à Euro RSCG dont le principal actionnaire est …Vincent, l’ami de Nicolas Sarkozy.

L’embargo est suivi par tous les grands groupes, Bouygues et les Américains compris. Mais ses effets sont lents. L’Union Africaine a proposé une médiation, alors que certains de ses membres expriment des remords d’avoir reconnu la victoire d’Alassane Ouattara. Ce dernier a lancé un appel aux producteurs de cacao pour qu’ils cessent leurs ventes à l’étranger et que le « Président sortant » ne puisse plus compter non plus sur ces taxes à l’exportation pour payer l’armée.

Laurent Gbagbo essaie d’organiser la contrebande de cacao via les voisins et rêve à la dollarisation de son pays. Le Golfe de Guinée n’est pas le Canal de Suez et le « Président élu » a peur qu’on l’oublie dans sa chambre d’hôtel. De son côté, l’Union Africaine rédige un concordat visant “à amener Alassane Ouattara à exercer la réalité du pouvoir” dans le pays “par la négociation”.

Gabrielle Durana

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[1] Fils de Hafez El Asad, mort dans son lit après trente ans de mandat.

[2] Lui aussi ayant succédé à son père, monarque de 1952 à 1999.

[3] Sur les 21 millions d’habitants en Cote d’Ivoire, plusieurs millions, particulièrement dans le Nord ont de la famille dans les pays voisins du Burkina-Fasso et du Mali. On cite souvent l’absurdité du tracé des frontières postcoloniales en Afrique, le Bangladesh est un exemple asiatique. En conséquence de quoi, rares sont les gens qui peuvent se targuer d’une ascendance régionale « pure » et leur famille se retrouve à détenir des passeports différents.

[4] Obligations créées après une renégociation de la dette des pays en voie de développement et qui portaient le nom de l’ancien ministre des finances américain Nicholas Brady.

[5] D’après Wikipedia, « le Club de Paris est un groupe informel de créanciers publics (19 pays développés en sont membres permanents) qui a pour but de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiements de nations endettées ».

[6] Même si sa dette publique représente 75,2% du PIB (est. 2007)




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