dimanche 18 septembre 2011

Un miroir qui valait deux milliards (126ème épisode)

18 septembre 2011

UN. Kweku Adoboli a été arrêté dans la nuit de jeudi à vendredi à son domicile londonien pour avoir fait perdre à son employeur, l’Union des Banques Suisses, 2,3 milliards de $ dans des opérations boursières non autorisées. L’enquête révèle qu’elles duraient depuis octobre 2008. Le trader fautif de 31 ans, fils d’un diplomate des Nations-Unies à la retraite, rejoint la compagnie des Jérôme Kerviel, 6,7 milliards de pertes pour la Société Générale et Nick Leeson - 1 milliard $ « seulement » de bêtises, mais la Barings a fait faillite. Contrairement à l’image souvent véhiculée, les traders sont des fanatiques des probabilités et prennent des risques calculés, seulement guidés par l’appât du gain et la peur de la chute. Comment un trader voyou (‘rogue trader’) a pu opérer furtivement pendant aussi longtemps restera un cas d’école pour les futures formations des responsables en gestion des risques. Le PDG d’UBS se déclare « responsable mais pas coupable ». Le régulateur était-il endormi, et d’abord qui est le régulateur ?

Les banques étrangères opèrent dans un pays tiers sous deux formes juridiques distinctes. Soit elles ouvrent une filiale (‘subsidiary’) et tombent sous le joug du régulateur du pays où elles s’installent, soit elles préfèrent n’avoir qu’une succursale (‘branch’), auquel cas, leur régulateur national garde un œil sur ces opérations à l’étranger. D’après la porte-parole de la Financial Services Authority, le gendarme de la City, UBS avait crée les deux, ce qui complique la tâche de tout régulateur se donnant un mal de chien, ô combien pour chasser le risque systémique.

DEUX. La réponse est toujours la même, « grâce aux produits dérivés financiers », quelle est la question ? A tous les instruments exotiques que la crise a rendu célèbres, les CDS, les CDO, il faudra désormais ajouter les ETF synthétiques.

Comme les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM ou ‘mutual funds’ en anglais), les fonds indiciels négociables en bourse (‘exchange traded funds’ ou ETF) permettent de diversifier un portefeuille, quand on ne connait pas grand chose à la Bourse. Ils suivent souvent des indices, comme le CAC 40 ou le Russell 2000, se spécialisent dans un secteur d’activité (le solaire, le bancaire…), ou dans une matière première (l’or, le blé…).

Ils coutent moins chers aux clients (environ 2% de moins) que les OPCVM, en particulier parce qu’une fois que le fonds est crée, son contenu est fixe. Aucun gestionnaire de portefeuille ne le manage sur une base régulière pour recalibrer le panier de valeurs mobilières, qu’il faudrait payer.

Autre avantage, chaque ETF se négocie comme une action, facile à acheter ou à vendre. Dans la section C du Wall Street Journal du vendredi 16 septembre, parmi les 12 titres les plus « actifs », on trouvait six ETF, dont SPDR (prononcez Spider comme dans ‘Spiderman’) S&500 qui porte sur l’indice Standard & Poor’s des 500 entreprises les plus importantes de Wall Street et dont le symbole est SPY (les financiers sont de grands aventuriers).

Selon Deutsche Bank, les ETF représentent aujourd’hui 1400 milliards $ d’actifs et le chiffre d’affaire croît de 40% par an depuis dix ans.

TROIS. Les ETF étaient peu suspects de devenir des armes de destruction massive, pour reprendre la célèbre expression de Warren Buffet au sujet des produits dérivés financiers. En effet, les fonds sont propriétaires des valeurs sous-jacentes.

C’est sans compter sur la passion des financiers pour les effets de levier. Achetez une action Apple et vous immobilisez 400$ au 16 septembre. Avec des options (des puts, si je pense que « ça va descendre », ou des calls, si « ça va monter »), je peux démultiplier mes gains en misant un dixième de la somme. Maintenant vous ajoutez tout un indice boursier et vous obtenez un ETF synthétique. Du coup, l’ETF n’est plus l’indice mais le reflet de l’indice, car il ne possède pas les valeurs sous-jacentes. L’avantage c’est qu’il faut beaucoup moins d’argent, l’inconvénient c’est que ca peut se terminer très mal, à cause de l’effet de levier. Kweku Adoboli a joué au miroir du mécano financier avec trois indices et non pas un : le Standard & Poor’s 500 des 500 entreprises américaines, le DAX allemand et l’indice qui regroupe toutes les bourses européennes, l’EuroStoxx.

Derrière chaque transaction il y a une contrepartie : si vous vendez, celui qui achète et vice-versa. Dans un ETF normal, il n’y a pas de risque systémique car via le fonds vous êtes vraiment propriétaire des valeurs sous-jacentes. Au pire, vous perdez votre argent, Dans un ETF synthétique, les pertes tendent vers l’infini et touchent la contrepartie, si vous ne pouvez pas honorer vos dettes. En Europe, 45% des ETF sont synthétiques.

Gabrielle Durana

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