Jeudi 4 décembre 2008
Reprendre une chronique après dix jours d’absence est un exercice délicat. Pour qui écrivez-vous ? Pour ceux qui ont parfaitement suivi ce qui se passait car ils n’avaient pas d’Indiens à remercier pour le maïs et pour la terre, lors de vacances pré- et post-Thanksgiving ? Pour les copains qui ont reçu leur lettre de licenciement, pendant que vous ripailliez, de Madagascar à New York avec ou sans foie gras ? Les Anglo-Saxons ont les plus jolies pincettes linguistiques. Au lieu de déclarer tout de go « désolé, vous êtes viré », les Britanniques préfèrent dire : « someone is made redundant » (=la personne est devenue surnuméraire). Les Américains font encore plus fort avec leur énigmatique « he/she was let go » (=on l’a laissé partir, pfffouit !) –juste pour terminer sur la désagréable réalité de perdre son gagne-pain, en anglais, quand quelqu’un est renvoyé, on dit he got fired.
En montant dans l’avion à JFK, j’ai donc sorti ma collection de Wall Street Journaux que j’avais empilée sur ma table de nuit chaque soir, lorsque l’ambition de faire ma prière quotidienne de femme moderne, pour reprendre l’expression de Hegel sur la lecture du journal, donc quand cette ambition était vite remplacée par l’appel de mon oreiller. Plus d’échappatoire, heureusement, le manque de place en classe économique me tiendrait éveillée aussi surement que le bain de pieds avec des glaçons que j’utilisais quand j´étais en prépa pour étudier passé deux heures.
Donc je lis, je déchire, je plie comme je peux et je coince les journaux usagés entre l’accoudoir et le hublot. Mon voisin regarde un film d’action sur le dossier devant lui et ne fait pas attention.
Résumé des épisodes que je n’ai pas écrits pour cause de flânerie new-yorkaise :
Par ordre de gravité, l’Inde vient d’être victime d’une série d’attaques terroristes dans sa capitale économique, à Bombai –Mumbai en géographie politiquement correcte. Si en termes humains – 170 morts et un carnage de blessés- et en termes économiques –les hôtels de luxe sont détruits mais la Bourse n’a pas flanché : l’indice Sensex augmentait de 0,7% vendredi lors de sa réouverture et aujourd’hui de +5,51%, tout de même en baisse de 53% sur un an, mais tout de même !- ces événements ont été vécus par la population, après Bali, Madrid et Londres, comme leur onze septembre. Sans vouloir jouer les Cassandres, j’espère que les tensions entre l’Inde et le Pakistan, tous deux détenteurs de la bombe atomique ne vont pas conduire à un enchainement de type assassinat de l’archiduc François-Ferdinand. Pour une fois, je me réjouissais de reconnaître aux côtés de Manmohan Singh, le Premier ministre indien, le rictus de sorcière de Condolezza Rice venue calmer le jeu ; pendant que le locataire en partance lançait son initiative de « préservation du souvenir de son bilan », le Bush legacy project. Ce n’est pas un gag ! Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi il y avait un aéroport Ronald Reagan à Washington-, des bouts d’autoroute Ronald Reagan- en Louisiane, en Alabama et dans l’Illinois, des écoles Ronald Reagan, la place principale de Cracovie Ronald Reagan, un parc à Gdansk ? Maintenant si Ronald McDonald change de nom, vous saurez...
Pendant que Karl Rove œuvrait à récrire le souvenir du futur, les short sellers avaient trouvé une autre institution sur laquelle gagner quelques dollars en lui faisant la peau : Citigroup, la plus grande banque au monde. Ils prirent l’excuse que Hank Paulson les avait induit en erreur en leur donnant l’espoir que le programme du TARP –les 700 milliards à dépenser pour refaire le plus vite possible la tuyauterie du capitalisme- allait délester les banques de leurs actifs pourris puis, le 12 novembre, en se ravisant. Avant que je parte à New York, l’action C comme Citigroup avait perdu 53% de sa valeur et le prix des CDS Citigroup atteignaient des prix stratosphériques (ce qui veut dire qu’il devient très cher, voire prohibitif de s’assurer contre une défaillance mais très lucratif que l’entreprise fasse faillite ; à condition bien sûr d’être déjà assuré).
Hank Paulson dont la fortune personnelle, amassée au cours d’une carrière à succès à la tête de Goldman Sachs est évaluée à 500 millions de dollars et qui compte les jours jusqu’ au 20 janvier comme un prisonnier sur le point d’être libéré du Ministère des Finances a passé le week-end d’
avant Thanksgiving à éviter que ne tombe un autre astéroïde
pendant le week-end de Thanksgiving. On lui a tellement reproché d’avoir laissé Lehman Brothers faire faillite qu’il s’en défendait, lui aussi pensant aux étudiants en histoire de la pensée économique à naître. Le 20 novembre, à Simi Valley en Californie, il prononçait un discours dans la Bibliothèque Présidentielle Ronald Reagan au cours duquel il taxait cette accusation de naïve voire de malhonnête.
« Some have chosen to scapegoat the Lehman failure as the cause of the deepening crisis in September, as opposed to a symptom. […] This is at best naïve, and at worst disingenuous”[i].Trois petites banques venaient de faire faillite, même si leurs déposants étaient protégés par l’organisme qui mutualise les risques, le FDIC. L’eau continuant de monter. Il a bien fallu sortir le chéquier le dimanche, avant la réouverture de Wall Street.
Vingt milliards de dollars plus tard et quelque 306 autres -milliards- de pertes potentielles garanties par le contribuable, Wall Street pouvait se réveiller sans frémir.
Justement le locataire suivant du 1600 Pennsylvania avenue avait annoncé vendredi 21 novembre, qu’il nommait
Reithner au poste de Secretary of the Treasury (=ministre des finances). A force d’être aux avant-postes, chaque fois qu’une banque
too big to fail[ii] doit être secourue, le gouverneur de la Banque Centrale de New York est devenu pompier de première division ; pour que le capitalisme, comme dans un film de James Bond, meure un autre jour. Donc quand le lundi, la ville s’éveille, la nouvelle du sauvetage de Citigroup se répand. Le Docteur Obama donne une piqure de rappel en présentant le reste de son équipe de transition, conduite par
Lawrence Summers, l’ancien Grand Argentier de Clinton, le neveu de deux prix Nobels d’Economie (Paul Samuelson et Kenneth Arrow), plus récemment devenu infréquentable après qu’au poste de président d’Harvard, il ait déclaré que les filles étaient moins douées que les garçons pour les sciences. Visiblement, le purgatoire avait assez duré. Après un week-end nuageux, la Bourse sort le champagne. Clôture en hausse de 400 points.
Les jours suivants, Barack Obama a cherché à rassurer Main Street (=la population). Il a égrené ses projets de relance, une enveloppe de 500 à 700 milliards de dollars, la promesse de créer 2,5 millions d’emplois d’ici à janvier 2011 grâce à des mesures keynésiennes d’investissement dans les services publics, dans les infrastructures et dans les énergies propres.
Les marchés ont adoré. En une semaine, le Dow Jones avait repris 17%. L’action Citigroup avait augmenté de 58% et terminait la séance à 6 dollars (et oui, -53%, +58%, ça ne s’annule pas).
Le lundi d’après, la Bourse s’écroulait de 7,7%.
« Allo, docteur, je croyais que j’étais guérie !!? »
-Ah, non Madame, le develeraging c’est comme la grippe c’est huit jours au lit ou une semaine en prenant des médicaments. Sauf que c’est beaucoup plus douloureux et que ça dure de deux à dix ans.
- Je me souviens plus de ce que j’ai comme maladie…
-Une crise de foie du crédit. Vous devez purger, purger et purger.
- Je croyais que la rédemption vous conduisait droit au paradis ?
- Pas exactement.
- Ah, je vois, il faut d’ abord mourir…
- Continuez à prendre vos médicaments et à vous purger. On va finir par arriver au bout.
- Je dois y aller, là. »
Mardi la Bourse augmentait de200 points, mercredi de 172. Aujourd’hui, plus de la moitié du gain a été pulvérisé avec une chute du Dow Jones de 2,51%.
Demain je vous parle de l’autre maladie, le credit crunch.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier -all rights reserved-
PS : Je vous ai glisse une dernière photo de New York. Dans le fond, les décorations de Noël de l’immeuble Louis Vuitton sur la 5eme avenue. Au premier plan, l’Amérique qui se lève tôt.
[i] D’aucuns ont choisi de faire de la faillite de Lehman Brothers le bouc-émissaire de l’aggravation de la crise en septembre, au lieu d’y voir un symptôme. C’est au mieux naïf, au pire malhonnête ».
[ii] Littéralement une banque « trop grosse pour faire faillite » car elle provoquerait dans un effet domino, l’effondrement de tout le système.
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