9 juillet 2011
Un. Les Américains n’ont peur de rien sauf que le plafond de la dette leur tombe sur la tête, le 2 août 2011. Comme l’horloge de Beaubourg qui comptait les secondes jusqu’à l’an 2000, la classe politique et les marchés sont suspendus aux résultats de la négociation entre le Président Obama et le Congrès dominé par les Républicains.
L’al. 2 de l’article 1er de la section 8 de la Constitution américaine dispose que : « Le Congrès aura le pouvoir de faire des emprunts sur le crédit des Etats-Unis ». De la Guerre d’indépendance à 1917, la chambre basse a toujours validé expressément chacune des autorisations du pays de s’endetter. Puis au milieu de la Première guerre mondiale, lors de la discussion du Second Liberty Bond Act, le Congrès a donné un blanc-seing au gouvernement, à condition de rester dans une enveloppe préalablement fixée. Depuis 1939, toutes les opérations de gestion de la dette interviennent dans le cadre de ce mécanisme, qui s’est bientôt appelé le “plafond de la dette”. Le 12 février 2010, la limite à ne pas dépasser a été fixée à 14,294 trillions, soit 100% du PIB.
Deux. La tension croissait depuis quelques mois, elle devient palpable parce que si les Républicains refusent de remonter le plafond, le gouvernement des Etats-Unis pourrait s’arrêter de fonctionner, avec dans un monde post-faillite de Lehman Brothers des conséquences vacillantes. Le ‘government shutdown’ correspond à la situation où tous les services publics « non essentiels » s’interrompent[i]. La police, l’armée, la poste, les prisons[ii] continuent d’assurer un service minimum, mais les fonctionnaires ne sont plus payés. Les parcs nationaux, comme Yosemite ou Yellowstone, les musées comme le Smithsonian doivent fermer aussi. 1,9 millions de fonctionnaires fédéraux seraient obligés de rester chez eux. Une note de service recommande aux fonctionnaires de ne pas chercher à télétravailler et de rendre leurs blackberrys. « Travailler même bénévolement pendant une période de « chômage technique » est passible de renvoi de la fonction publique ». Qui va nourrir les lions du zoo de Washington ? Le bien-être des fauves fait partie des services essentiels. Mais les visiteurs seront refoulés à l’entrée de la ménagerie.
Trois. Les Républicains tirent la sonnette d’alarme en disant que la situation n’est plus soutenable. « C'est un sale métier que de devoir sans fin N'étant coupeur de bourses Bonneteur charlatan, vendre des bons du trésor à la Chine pour payer les ristournes faites aux riches », répond la minorité démocrate au Congrès. Il est vrai qu’en partant Clinton avait laissé un excédent budgétaire dantesque, tandis que Bush, de 2001 à 2008, a demandé au Congrès de relever le plafond du nantissement à sept reprises. Aujourd’hui, les Républicains estiment que le gouvernement des Etats-Unis dépense trop (« We have a spending problem »). Les Démocrates considèrent que le trou s’explique par un assèchement des recettes et que le chômage qui s’élève à 9,2%[iii] au 8 juillet est plus pressant que le déficit, oscillant à 9,8% aussi (« We have a revenue and a jobs problem »).
De nombreux rapports ont analysé la genèse du souci alibabaesque. Selon un article du New York Times[iv], le déficit actuel est dû pour 37 % au retournement de la conjoncture, pour 33% aux mesures d’allègement fiscal du président Bush, pour 20% aux mesures d’allègement fiscal adoptées par Bush et reconduites par Obama, et pour 10% seulement par les nouvelles dépenses engendrées par les lois votées par les Démocrates. Il existe d’autres études[v] et les pourcentages varient mais ne changent pas les ordres de grandeurs.
Quatre. Réduction de la dette ou croissance, il faut choisir. Les Républicains ne bluffent pas. Sous couvert de gestion de bon père de famille, ils avancent la privatisation du système de retraite par répartition et de la couverture médicale universelle des plus de 65 ans, dont l’équilibre financier ne sera pourtant pas en péril avant 25 ans. C’est que leur camp est dominé par la frange la plus extrémiste du Tea Party. L’idéologie est non seulement d’accorder d’autres ristournes fiscales aux plus riches –la pression fiscale n’a jamais été aussi basse depuis 1920-, mais surtout il faut affamer la bête (« starve the beast »), c'est-à-dire de priver de moyens des pans entiers des services publics dans le but de faire reculer le périmètre public, tout en instaurant un État gendarme fort.
De son côté, Olivier Blanchard, chef économiste au FMI affirmait en juin 2010 dans ses « 10 commandements du bon ajustement budgétaire » que si la croissance potentielle d’un pays, celle qui emploie sans tension inflationniste la plus grande quantité de travail et de capital possible augmente d’un pourcent (1%), le ratio de la dette publique diminue de 10 points de PIB en 5 ans et de 30% en 10 ans.
Tandis qu’il a du mal à propulser sa croissance verte, Obama, jeudi, a déclenché un coup de tonnerre en proposant des réductions sur les programmes de Social Security en contrepartie de concessions des Républicains en matière fiscale. Au théâtre souvent, la suspension consentie de l'incrédulité est recommandée, mais dans la vraie vie, jamais un tigre n’est devenu végétarien parce qu’au lieu de dévorer la gazelle, on la lui servait découpée en tranches.
Gabrielle Durana
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[i] C’est arrivé en 1995 et 1996.
[ii] “As Shutdown Looms, Agencies Brace for Its Impact”, SHERYL GAY STOLBERG et ROBERT PEAR, New York Times, 5 avril 2011.
[iv] “America’s Sea of Red Ink Was Years in the Making”, DAVID LEONHARDT, 9 juin 2009, New York Times.
[v] "Pew Charitable Trusts-The Great Debt Shift-April 2011" (PDF). May 18, 2011.
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