3 juillet 2011
Un. Madame Christine Lagarde a été nommée mardi 28 juin 2011 directrice générale du Fonds Monétaire International. C’est la cinquième fois qu’un Français prend le poste depuis 1946 mais en devenant la première femme à accéder à la direction permanente du FMI, l’ancienne première présidente du comité exécutif mondial du cabinet d’avocats Baker & McKenzie (1999-2004) et ancienne première ministre des finances française (2007-2011), brise un nouveau plafond de verre[i]. Elle a aussitôt déclaré qu’elle entendait poursuivre la politique de son prédécesseur. Les soupirs auxquels les pays de la zone euro donnent cours en cette occasion sont bien compréhensibles, surtout pour une avocate de la finesse de Mme Lagarde, à qui il n’aura pas échappé que le FMI n’est pas Dieu et que sa nomination est entachée d’un conflit d’intérêt originel; comme si en 1997, en pleine crise asiatique, le FMI était allé chercher son nouveau directeur en Corée.
Deux. La position adoptée par Dominique Strauss-Khan depuis le début de la crise européenne pourrait se résumer en une formule : « pas de défaut de paiement et pas de sortie de l’euro » (“no default and no exit from the euro"). A la place, l’aide est conditionnée à la mise en œuvre d’une brutale politique d’austérité et de privatisations. Rien que cette année, la Grèce doit vendre pour cinq milliards d'euros d'actifs publics, sans quoi elle risque de manquer les objectifs définis dans son programme convenu avec l'UE et le FMI. La compagnie des eaux de Thessalonique, la participation dans le capital de OTE Telekom, la poste publique Hellena Postbank, l’OSE, la compagnie ferroviaire, les ports du Pirée et de Thessalonique, tout doit disparaître. Tous les trois mois et jusqu’en 2015, avec la même anxiété que les bénéfices trimestriels d’Apple ou l’état du carnet de commandes d’EADS, les autres pays guetteront la publication du rapport sur la situation grecque.
Trois. La conséquence est que la dette grecque continue d’augmenter. Légèrement. Mais sa structure se modifie. Bienvenus, prenez sur la table un lexique du Club de Paris, l’amicale qui se rappelle au bon souvenir des pays qui ont suspendu le paiement de leur dette vis-à-vis de leurs créanciers publics internationaux (« official creditors »). L’autre cercle est le « Club de Londres ». Il s’occupe des mauvais payeurs publics qui doivent de l’argent au secteur privé, la plupart du temps des banques internationales, alias les « private creditors ».
Chaque trimestre, la Grèce emprunte de l’argent à des créanciers officiels et rembourse avec des créanciers privés. Entre la fin de 2012 et le début de 2013 (voir schéma ci-dessous), la majeure partie de la dette publique grecque sera passée entre les mains des « créanciers officiels ». L’opération est moins bruyante que quand Hank Paulson est allé quémander 700 milliards auprès du Congrès, pour renflouer les banques, au lendemain de la faillite de Lehman Brothers. Elle n’aboutit pas exactement au même effet non plus. Incapables de se mettre d’accord démocratiquement sur un vrai plan d’apurement des comptes –donc de réduction du montant total de la dette-, soit via le Fonds européen de stabilité financière (EFSF), soit via le vote d’un collectif budgétaire exceptionnel par le Parlement européen, dont le budget aujourd’hui est limité légalement à 1% de son PIB, les Etats essaient de se dégager du problème mais en définitive, ils se placent à la merci d’agences de notation, à la légitimité et à la déontologie sujettes à caution. Leur déplaire c’est risquer de subir sur sa propre dette une note punitive.
En 2016, le secteur officiel détiendra quatre fois plus de dette grecque que le secteur privé, or historiquement, le club de Londres a été plus enclin à accepter des restructurations –en clair des abandons de créances- que le club de Paris.
L’actuelle potion amère préparée par le FMI et l’UE ramènera au mieux la dette à 160% du PIB grec en 2012-2013. Pour que l’effet boule de neige de la dette soit considéré comme maitrisé il faudrait que cette dernière tombe sous le seuil des 100%. La proposition française de rééchelonnement de la dette (30 milliards d’euros) est coûteuse (« je paye ma carte bleue avec une carte Cofinoga ») et inefficace (« je rembourse l’emprunt sur ma maison avec ma carte Cofinoga »). Celle d’une réduction volontaire des créanciers bancaires allemands (3,2 milliards d’euros) est symbolique (« je vais pouvoir m’offrir un billet d’avion avec tous les points de ma carte Cofinoga »).
Quatre. La véritable solution aujourd’hui réside dans l’annulation pure et simple d’une partie de la dette grecque (35% à 40% du montant nominal, si on se base sur l’expérience « réussie » du Plan Brady de 1989). Et si le malheur des autres peut servir à éviter de répéter les mêmes erreurs doctrinaires, il devra tout de même rester quelque chose à l’appareil productif, agricole ou touristique grec, si on veut que le peuple ne sombre pas dans le désespoir ou l’immigration, et travaille à générer de quoi rembourser la dette. L’alternative serait que les Européens acceptent de se porter caution de la totalité de la dette grecque, c'est-à-dire que Monsieur Junker aille devant le Parlement européen demander un plan de renflouement de 700 milliards d’euros. Pour le président de l'Eurogroupe, la Grèce est responsable de sa crise. "De 1999 à 2010, les salaires ont augmenté de 106,6% alors même que l'économie ne se développait pas au même rythme. La politique des revenus était totalement hors de contrôle et ne reposait en rien sur [les gains de] productivité."
Cinq. L’annulation d’une partie de la dette constituerait un « événement de crédit » au sens de la Banque Centrale Européenne. Il se traduirait par un arrêt immédiat de l’acceptation des bons du Trésor grec par la BCE comme garantie et possibilité de refinancement. Alors que M. Trichet l’a dit et répété, quelle sera la posture de son successeur ? Le FMI est « preferred creditor », cela ne veut pas dire qu’il est le créancier favori des pays tombés dans le besoin, mais qu’il exige toujours d’être remboursé en premier. Tôt ou tard, les Etats européens vont devoir arriver à la conclusion que la dette grecque est là pour rester leur problème trimestriel.
Gabrielle Durana
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[i] Cf : L’expression a été forgée dans un article paru le 24 mars 1986 dans le Wall Street Journal par Carol Hymowitz et Timothy Schellhardt. Elle désigne une barrière autre que le niveau de qualifications ou d’expérience, donc officieuse (« invisible »), empêchant des groupes entiers de personnes, en particulier des femmes d’accéder à des opportunités dans une organisation ou une entreprise.
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