26 septembre 2011
Un. La bourse de New York a beau remonter de 2,53% aujourd’hui et repasser au dessus de l’entresol psychologique des 11.000 points, les semaines se suivent et se ressemblent dans leur volatilité et leur cortège de nouvelles décevantes. La dernière était la plus mauvaise depuis octobre 2008.
La crise grecque dure. Même par égoïsme bien compris, les Européens n’arrivent pas à mettre fin à leurs atermoiements Les banques, en particulier françaises sont de plus en plus fragilisées et les solutions collectives coûtent de plus en plus cher. De son côté c’est officiel, de chômage et de froidure, l’économie américaine s’enfonce dans une récession « en un double v »[1]. La Fed annonçait le 21 septembre : « Par ailleurs, il existe des risques significatifs de perspectives économiques négatives, y compris des tensions dans les marchés financiers internationaux. » et comme s’il s’agissait d’un scoop, la Bourse cédait en fin de séance 5%. Ce même jeudi, la Fed annonçait que puisque les taux à court terme sont déjà à des niveaux presque tangentiels de zéro, elle se mettrait désormais à acheter des bons du Trésor à plus long terme, afin de soutenir l’économie ; la politique monétaire hétérodoxe est une drogue dure.
A la veille d’un sommet du Fonds Monétaire International, Pascal Lamy, le dirigeant de l’Organisation Mondiale du Commerce résumait : « Nous sommes dans une zone rouge. […] Nous risquons de répéter le scenario de 2008 pour des raisons différentes mais toujours via le même canal, des marchés financiers qui se brisent ».
Deux. Dans ce contexte de fin des temps économiques, l’or, valeur refuge a perdu 5,6% vendredi 23 septembre, sa plus grosse chute depuis 1983 et 9,67% en une semaine. L’argent a aussi dévissé de 18%, en une seule séance, son pire record depuis 1987. Ces variations à la baisse et aussi brutales peuvent surprendre. Généralement face à la peur, les investisseurs se ruent vers les métaux précieux.
Cette chute s’explique par la combinaison de trois mécanismes : le portefeuille, l’effet de levier, l’appel de marge.
La notion de portefeuille signifie qu’un investisseur institutionnel, ou sachant chasser sans son zinzin ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Il investit au moins dans deux voire trois classes d’actifs (par exemple des actions, des obligations, ou des devises, des matières premières).
L’effet de levier c’est la possibilité d’investir en ne mettant qu’une petite partie de la mise sur la table. Avant la faillite de Lehman Brothers, les banques avaient des effets de levier de 30 à 70. Cela veut dire qu’avec 10$, elles pouvaient en emprunter 70$ et ensuite jouer au casino avec 80$. Avec un tel système, on peut gagner beaucoup, mais vraiment beaucoup, ou on peut rater son coup. Dans le domaine des matières premières (commodities) dont les métaux font partie, l’effet de levier était jusqu’à il y a peu de 90. C'est-à-dire que pour acheter une once à 1900$, il fallait seulement débourser 190$ en cash et qu’on pouvait emprunter le reste auprès de son intermédiaire financier. Supposons que l’or baisse de 5% en un jour, comme vendredi dernier, vous avez donc perdu 50% de votre mise de départ. Encore une baisse de 5% et vous avez tout perdu. Vous devez toujours 1710$ à la banque. C’est alors que vous recevez un coup de fil de celle-ci (appel de marge), qui vous demande de rajouter du cash ou elle procèdera immédiatement à la vente. Comme vous espérez vous refaire, vous déliez votre bourse de nouveau.
Depuis août, l’or recule et il a baissé brutalement vendredi. Evidemment, il avait d’abord beaucoup augmenté. Ainsi son prix a été multiplié par six en dix ans. Il cotait 1592$ l’once ce soir à la clôture.
Parce que les autres classes d’actifs ont pris un tel coup dernièrement, les investisseurs sont obligés de vendre leurs actifs les plus lucratifs dans leur portefeuille, dont l’or et l’argent, afin de couvrir les appels de marge sur les actions ou les obligations. Mais comme ce type de vente est lui-même très fortement effectuée à crédit la moindre variation à la baisse a des conséquences amplifiées, voire catastrophiques pour les spéculateurs triomphateurs, que personne n’ira pleurer, mais aussi pour les consommateurs et les producteurs qui ont besoin de visibilité à moyen terme et qui utilisent les instruments de couverture.
Trois. L’opérateur du marché s’autorégule,... tu parles. Le 11 août, puis le 24 et enfin de nouveau ce week-end, la bourse des matières premières, le Comex a décidé d’augmenter les dépôts de garanties obligatoires sur l’or et l’argent. Les montants varient selon qu’on soit spéculateur ou partie intéressée pour des raisons industrielles ou commerciales.
Prenons un exemple avec l’argent et appliquons les nouvelles règles. Pour un contrat de 5000 onces à terme, il vous faudra désormais débourser 24.875$ si vous êtes spéculateur pour la beauté du gain quotidien ; mais seulement 18.500$, si vous voulez tenir la position d’un jour sur l’autre en tant que spéculateur « régulier ». Comme l’once d’argent cotait 30$ vendredi, cela signifie qu’avec 18.500$ vous avez en réalité pris des positions à hauteur de 150.000$ (30X5000), soit un effet de levier de 1 pour 8 (150.000$ : 18.500$). Quant à l’or, les nouvelles règles de dépôts de garanties obligatoires plafonnent l’effet de levier à … 19,43. C’est un progrès par rapport à 1 pour 90. Mais l’effet de levier est une fronde qui vous revient en pleine figure lorsque vous vous êtes trompé de côté, ou que le reste de votre portefeuille tangue parce l’économie est aux abois.
Quatre. Aujourd’hui, les bourses étaient si jolies parce que les Européens auraient parait-il enfin décidé d’un grand plan de recapitalisation de leurs banques, malgré les stress tests de juillet qui mentaient-vrai. Ils se seraient aussi mis d’accord pour que le Fonds Européen de Stabilisation Financière augmente sensiblement ses capacités de prêt de plusieurs milliers de milliards. Comment ? En utilisant les obligations décotées de l’Etat grec comme collatéral de manière à moins immobiliser de fonds.
L’effet de levier est le principe d’Archimède des financiers. Ce que l’Histoire ne dit pas c’est que le mathématicien grec mourut pendant le sac de Syracuse quand un soldat romain marcha sur ses figures géométriques dessinées dans le sable. « Ne dérange pas mes cercles ! » s’exclama Archimède. Le soldat de l’occire.
Gabrielle Durana
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[1] En anglais, “double dip”. L’expression vient des sauces froides pour crudités de type guacamole etc. Il est très mal poli de tremper (to dip) deux fois de suite la même chip. Par extension, on parle d’une « récession en w », quand la reprise « cale » et qu’une économie s’enfonce une seconde fois dans la crise.
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