18 février 2012
Sommes-nous entrés dans une dystopsie, ce récit inspiré de la science fiction dépeignant une société organisée de façon telle qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur? Avant de répondre, attendez mardi 21 février, que les parlementaires français se prononcent sur la ratification du Mécanisme Européen de Stabilité.
Le 11 juillet 2011, puis le 2 février 2012, le traité portant « Mécanisme Européen de Stabilité » a été signé deux fois par les ministres de la zone euro. Officiellement, il s’agit de remplacer le Fonds Européen de Stabilité Financière, voué à disparaître en juillet 2013 par un pare feu permanent, plus haut et plus fort. Avec un capital de 700 milliards d’euros, le MES devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2012. Les deux organismes cohabiteront pendant un an.
Un traité peut en cacher un autre.
Jusque là, tout va bien. Là où cela se gâte, c’est que pour bénéficier de la protection de la Grande Muraille anti-tsunami financiers, les Etats Européens devront avoir ratifié un second traité, portant « Stabilité, coordination et gouvernance dans l’Union Economique et Monétaire. ».
Le contenu de ce second traité est encore en cours de négociation mais on sait déjà qu’il aboutira à la mise sous tutelle des pays tombés dans le besoin. Autrement dit, tant que vous arrivez à vous en sortir tous seuls, on ne viendra pas enfreindre votre souveraineté budgétaire. Mais, si par malheur ou par négligence, vous étiez rendu à quémander, le MES prendra possession de votre maison et vous la remettrez en ordre, sous les ordres de ses fonctionnaires, protégés contre toute intrusion du politique bruxellois, du juge luxembourgeois ou strasbourgeois.
Ça ne vous rappelle rien ? Les us et coutumes du Diable, appelé au bon secours dans le Désert de la Mort !
Le MSE de son vrai nom, le FME
Le mécanisme des droits de tirage spécial pour alimenter le capital de la banque, les politiques d’austérité drastiques, la nature des critères d’assainissement (le maximum de déficit structurel autorisé devra passer sous la barre de 0,5% au lieu des 3% dans le Pacte de Stabilité ; quand on ne tenait pas compte du service de la dette), la bonne gouvernance, l’immunité des personnels, tout, absolument tout rappelle l’institution de Washington.
Alors, voilà la deuxième génération des pères fondateurs de l’UE, Mrs. Delors, Kohl, Mitterrand avait rêvé que la monnaie unique accoucherait de l’Europe intégrée. Mais, sans régulation politique digne de ce nom, la bureaucratie et les marchés ont jeté le projet européen dans le ravin.
Au fédéralisme de gauche – l’intégration par la mutualisation des dettes, par la création d’un vrai impôt européen-- s’oppose désormais une contre-utopie, le Fonds Monétaire Européen, l’intégration par la rigueur et les larmes.
Le fédéralisme et la guerre.
Il avait fallu une guerre entre l’Union et la Confédération pour que les Yankees puissent mettre au pas les Sudistes, et qu’à la suite de la bataille de Gettysburg en 1863, les Etats-Unis marchent vers un Etat fédéral.
L’utopie européenne consistait à croire qu’on pouvait avancer dans une union sans cesse plus étroite entre les peuples, juste en créant une solidarité de fait et en se parlant entre Grands d’un même continent, ensanglanté par la guerre. Malheureusement, la paix éternelle vous rend amnésique.
Bien sûr, au temps de Lincoln, les Nordistes étaient les antiesclavagistes et leur usage de la violence servait le progrès social. Aujourd’hui, il est tout aussi certain que le traité du MES est l’instrument d’une grande régression, d’une grande déconstruction. Désormais, l’Europe se traîne dans une union budgétaire à marche forcée.
Mais au moins la route ne sera pas abreuvée par le sang de 600.000 cadavres de jeunes hommes morts pour l’intégration fédérale dans sa version néolibérale. Au lieu de mourir, ils seront peut-être au chômage, ou ils émigreront. Certainement en bien plus grand nombre que les morts de la Guerre de Sécession, mais au moins ils sont vivants, ma bonne dame. Ne parlez pas de génocide social, comme vous y allez !
Les Européens se sont trompés tant de fois sur leur destin collectif.
Un autre chemin était possible qui aurait conduit à une Europe plus unie et plus démocratique, avec l’émission d’euro-obligations et une mutualisation des dettes, mais il aurait fallu une autre équipe dirigeante, à la tête de l’Europe et dans plusieurs pays clefs ; des équipes dirigeantes que les peuples européens se sont choisies, au moins jusque récemment, avant qu’on ne suspende à certains endroits leur capacité à « mal choisir ».
Les historiens parlent de « chemin dépendant » (‘path dependency’) quand certains événements entrainent des conséquences irréversibles. L’élargissement de l’UE, trop rapide et trop vaste, fut une erreur, sur laquelle on ne peut plus revenir. Le vote du traité portant MES, mardi prochain, en sera une autre. Schuman, Spaak, Gasperi, Adenaueur, Bech et Beyen se retournent dans leur tombe. A moins que d’ici à juin, au moins deux Parlements, représentant plus de 10% du capital du MES, disent non au droit des peuples à poursuivre leur malheur.
Gabrielle Durana
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