12 février 2012
La Grèce, toujours et encore. Le Parlement hellène a donc finalement voté les mesures draconiennes d’ajustement structurel, dictées par les “16 parents en colère” [de l’Eurogroupe], comme titrait le Wall Street Journal hier. Dans cette chambre monocamérale composée de 300 membres, 199 députés de la majorité et de l’opposition ont adopté des mesures d’austérité, en contrepartie du déblocage de la prochaine tranche des 130 milliards € de prêts, qui était requis avant le 20 mars, afin d'éviter la cessation de paiement, et de 100 milliards € d’abandon pur et simple de créances.
Mais la Grèce n’est pas juste en proie à une crise de liquidité. Avec un montant de dettes proche d’entre 160 et 200% de son PIB selon les décomptes, la Grèce ne sortira pas de l’ornière grâce à l’accord intervenu « aujourd’hui avant minuit », comme l’appelait de ses vœux le Premier ministre, afin que les bourses puissent rouvrir en hausse, lundi matin, à commencer par Tokyo.
Le Parlement s’est couché mais la rue, elle est en furie. Cent mille personnes ont manifesté contre l’abaissement du salaire minimum de 20%, contre la réduction des pensions de retraite, les 15.000 suppressions de postes de fonctionnaires et d’autres économies budgétaires drastiques.
Des scènes de guérilla urbaine ont été montrées à la télévision mais sans décodage. En France, entre la vague de froid et le dopage au Tour de France, les madias dépeignent la colère des Grecs, avec une fatalité raciste (« ces Grecs sont des fainéants) ou une mise de côté (« Chacun ses problèmes ») ; cette distance préalable au « consentement meurtrier » dont parle le philosophe Marc Crépon, qui permet de faire un tri entre les victimes. Aux Etats-Unis, ce dimanche, la tv pleure des témoignages après l’annonce de la mort de Whitney Houston. Quelques heures avant la cérémonie des Grammy Awards, entre deux pauses publicitaires, la chaine de l’info en continu revient d’Aretha Franklin à Cindy Lauper sur la chanteuse retrouvée sans vie dans la baignoire d’une chambre d’hôtel de Beverly Hills. Le fil de l’actualité hollywoodienne éclipse les images ahurissantes de la Bibliothèque Nationale d’Athènes en proie aux flammes des cocktails Molotov. L’entertainement c’est de l’info et vice-versa.
Tant a été écrit sur la Grèce qu’il est difficile de même capter l’intérêt des lecteurs de nouveau. Au moment où une faim africaine (si, si !) est en train de s’abattre à quelques encablures de Venise, il convient de revenir sur la genèse de la dette grecque.
Le documentaire Deptocratie raconte l’histoire de cette classe politique corrompue, ayant perdu tout sens de l’intérêt général et ayant obéré l’avenir de toute la population contre quelques pots de vin. On peut trouver que la retraite à 55 ans et la fraude fiscale sont le luxe des seuls milliardaires, le réquisitoire du documentaire est implacable.
Si la dette est « odieuse », c’est à dire inique, illégitime et donc illégale, comme en font la démonstration les réalisateurs dans le documentaire, on comprend alors que les responsables aux manettes dans l’Eurogroupe et en Grèce n’ont pas l’intérêt général européen (et encore moins grec) à cœur mais l’extraction du maximum de ces contrats signés sous cape, avec la complicité des marchands de canons et de métros et la collusion des banquiers qui finançaient ces châteaux en Grèce, tout en sachant advienne que pourra.
Les partis politiques dominants en Grèce n’ont pas non plus particulièrement envie de donner suite à l’exigence d’un audit des finances publiques grecques, réclamé par la population qui découvre que sa classe politique l’a vendue en esclavage pour les 30 prochaines années, et qui viserait à établir comment on en est arrivé là. Les responsables du pillage seraient directement mis en cause, tous partis confondus.
En définitive, la Grèce ne fera pas faillite, bien que cela serait le plus court chemin pour s’en sortir dans la situation actuelle, (encore une fois, je me réfère ici au documentaire, cette fois dans la partie qui traite de la dette de l’Equateur), parce que sa souveraineté est tellement obérée qu’on ne laissera pas le peuple hellène décider. M. Sarkozy propose donc un référendum dans son pays sur les fraudeurs du Pôle Emploi, mais on vendra par appartement le pays d’autrui et la population de cette république est invitée à continuer de passer la serpillère.
Plusieurs intellectuels ont assisté au vote aujourd’hui, perchés dans le poulailler du public, dont Mikis Theodorakis. Ironie des ironies, le compositeur grec de 85 ans avait écrit la musique de ‘France Socialiste’ en 1977, à la veille de la victoire de François Mitterrand. Celui qui n’a pas pu assister à la scène est l’auteur du « Regard d’Ulysse » et de « l’Eternité et un jour », fauché par un véhicule il y a quelques semaines. La thématique du retour vers un pays qui change s’était toujours mêlée à une certaine description du tragique chez Theo Angelopoulos ; sauf que dans ses films, la Grèce se montrait indifférente à l’urgence humanitaire sous ses fenêtres, des réfugiés de Bosnie qui grimpaient aux grillages pour passer la frontière dans le brouillard, aux enfants des rues d’Albanie, laveurs de carreaux aux carrefours d’Athènes. C’est peut-être ça, plus que la potion amère, la punition suprême du peuple grec, le consentement meurtrier retourné.
Gabrielle Durana
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire