27 octobre 2009
On peut faire tout dire à une photo de gens qui font la queue. Du temps où j’étais enfant, TF1 montrait les longues files d’attente pour acheter du pain en France, diffusées à la télévision polonaise. Yves Mourousi n’exsudait pas que l’anticommunisme primaire. Il officiait la messe du 13h00, après la libéralisation des médias par la Gauche et avant l’arrivée de l’émission « Arrêt sur images » ; puis sa suppression en 2007. Il incarnait une forme de journalisme irrévérencieux qui devrait être un pléonasme mais cela dépend des pays. Nos concitoyens ne le croient pas, mais leur PAF est un quatrième pouvoir en toc par rapport aux Etats-Unis ; pays où CNN matraquait en 2003 « A bas le tyran, vive la Guerre ! » et qui a inventé Citizen Kane ; mais où les forces du marché rendent possibles des programmes comme « See it now » d’Edward Murrow, qui contribua à faire trébucher le sénateur McCarthy dans ses propres déclarations, où un Président dut démissionner suite à des révélations parues dans le Washington Post (quand a-t-on vu l’un des nôtres inquiété par des fuites dans le Canard enchainé ?), et où de nos jours, Rachel Maddow, une sorte de Michel Polac de 37 ans présente les nouvelles tous les soirs en prime time, sur la chaine de Bill Gates.
Le week-end dernier, tandis que je séparais le San Francisco Chronicle de l’ivraie publicitaire et que derrière le double vitrage, les voitures reprenaient possession de l’Embarcadero après le cross de Nike, je découvre sur la première page une photo d’une foire aux ménages surendettés. Quatre mille personnes encadrées par des bénévoles en tee-shirt jaune venues renégocier leurs prêts immobiliers sur des maisons dépréciées mais qui tiennent debout.
Nous avons longé l’océan et nous nous sommes enfoncés dans le brouillard, tacheté de paravoiles, toujours plus au sud grâce au GPS. Arrivés au hangar du Palais de la Vache, une foule jeune, drue, vieille, bigarrée, boursoufflée par deux nuits sur le parking s’étirait sur plusieurs centaines de mètres. Les plaques d’immatriculations formaient un jeu de miroirs des rêves fragmentés, des paysans mexicains immigrés en Californie du Centre, des maçons de banlieue, des femmes de chambre de Las Vegas. Tous ces morceaux de vie diversement découpés et colorés produisaient de nouvelles figures à chaque secousse, reçue par la queue. Elles attendaient avec la discipline des Anglo-Saxons et la patience du besoin. Nous n’avons pas pu nous garer.
J’ai repensé à un autre stade couvert, le Superdome de la Nouvelle Orléans, pendant l’ouragan Katrina. Etait-ce l’esthétique de la destruction sur des kilomètres carrés[i], l’abandon des victimes par les services d’urgence ou le fait que cinq années après les événements, les vestiges excitent encore la terreur et la pitié ? A quoi reconnait-on une tragédie ?
Vingt-six mois depuis l’éclatement des subprimes, la crise immobilière aux Etats-Unis n’est plus le problème exclusif de ceux qui ne savaient pas lire un contrat en anglais ou de ceux qui ont eu le revers de fortune plus grand que l’épargne. Tout le monde sur conseil de son banquier avait pris sa maison pour une tirelire. La faillite rattrapée in extremis des réassureurs Fanny Mae et Freddy Mac a annihilé le marché de la vente de titres obligataires adossés aux crédits immobiliers. Le credit crunch a terminé de bloquer la situation en renchérissant les emprunts à taux variable. Au fur et à mesure que passaient les mois, pourrissaient les emprunts qui contenaient une clause à retardement. D’après la base de données http://www.foreclosuredata.com/ , aux Etats-Unis, au 27 octobre 2009, 1,2 millions de logements sont à divers stades de la saisie bancaire.
En même temps que Geithner sa lançait dans le chantier du nettoyage du bilan des banques, Shaun Donovan, Ministre du logement mettait en œuvre la politique d’Obama, le Home Affordable Modification Program, annoncé en mars 2009. La première idée est d’inciter par des mécanismes gagnant-gagnant les prêteurs à ajuster le montant des emprunts à la valeur dépréciée des biens. La deuxième est de n’aider que les personnes qui occupent leur logement et qui ont fait preuve de bonne foi en tant qu’emprunteur. Les quatre banques ayant bénéficié le plus de la largesse du contribuable, JP Morgan, Wells Fargo, Bank of America et Citigroup, (via sa filiale CitiMortgage) sont ou représentent les créanciers de 65% des 2.7 millions de prêts immobiliers, susceptibles de bénéficier du dispositif. Mais seule une minorité l’a été, souvent de manière symbolique, ce qui a entraîné des rechutes quelques mois après.
Voici un tableau qui reflète la résistance des institutions financières à revoir les termes des prêts :
La première colonne représente le pourcentage des prêts pour lesquels la banque propose une modification sur le total des prêts qui pourraient l’être au titre de la loi. Par exemple, Wells Fargo ne propose qu’à 10% de ses emprunteurs en grande difficulté et qui réunissent les conditions, d’envisager une novation de leur contrat de prêt.
La deuxième colonne représente le pourcentage de prêts pour lesquels la négociation s’engage. La troisième montre qu’à l’exception de Bank of America, un nombre très élevé des dossiers ouverts aboutissent. Mais le tableau ne montre pas à quel pourcentage de la valeur du bien immobilier, le montant du prêt est ramené. Ni si le prêt nové ne connait plus d’incident.
Si l’argent du contribuable a pu éviter la mort par nécrose du système financier, dont les banquiers de Wall Street, disait Barney Frank, le président de la commission des finances[ii] au Congrès, de temps de Hank Paulson, alors l’argent du TARP doit aussi servir à secourir les familles en proie au tsunami immobilier. Les Démocrates sont aux responsabilités depuis dix mois et les 50 milliards du TARP pour les ménages surendettés ont été chassés par une tâche encore plus grandiose et urgente, la réforme de la protection sociale. Maintenant que le chômage est repassé au dessus de 10% et le Dow Jones à 10.000 points, comment ne pas parler de désillusion ?
Un autre programme du Fed, le TALF a lui été élargi en mai pour relancer la titrisation en se disant que les obligations d’hier sont les problèmes d’aujourd’hui et que les banques ne recommenceront pas à prêter ou à refinancer tant qu’elles n’auront pas pu se débarrasser de leurs actifs toxiques. C’est un peu comme si on disait aux chômeurs que leurs problèmes seront résolus si les ennuis de leurs anciens employeurs disparaissent. Ce n’est pas faux dans l’absolu mais pourquoi ne pas commencer par eux ?
La nouveauté depuis la fin de l’été, c’est l’industrialisation du processus de renégociation des prêts. Une autre queue, la même foule ? Dans d’autres halles de rodéo, 8000 patients en sept jours sont traités par du personnel médical bénévole. La location du stade provient des dons des Démocrates de gauche (les liberals, les autres s’autodéfinissent comme « moderates »). Ils ont compris que ces images au journal de 20h00 valent dix manifestations. Fondé en 2001, le Mouvement National pour les Cliniques Gratuites[iii] a des dispensaires dans tout le pays, mais il se concentre en ce moment dans les Etats dont les Sénateurs s’opposent à la création d’une couverture médicale publique.
Gabrielle Durana
Gabrielle Durana
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[i] http://www.metmuseum.org/special/new_orleans/images.asp Robert Polidori a publié un livre de cette exposition : “After the flood”.
[ii] Son titre officiel est “Chairperson of the House Financial Services Committee”
[iii] http://www.freeclinics.us/events.php Si vous voulez soutenir une bonne cause, votez avec votre carte de crédit.
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