vendredi 14 août 2009

Chronique # 86 : La mort, la maladie, l’argent et le tsunami

Le poster “Hope” signé Shepard Fairey, artiste des rues,
aux côtés de la photo de Mannie Garcia qui l’a inspiré, dans une galerie de Chelsea à New York.
Vendredi 14 août 2009

Que faire d’un vendredi si vous n’êtes pas musulman ? Wall Street TV était très déprimante, -141 points au réveil. Impossible de se rendormir à cause du soleil. J’ai coupé le son et je suis allée répondre à mes mails. Puis j’ai petit déjeuné en regardant la mer. Ira, ira pas ? Je pourrais rester à lire le Wall Street Journal d’hier encore repassé, le San Francisco Chronicle de ce matin, déplié, à travailler, à écrire. Ma conscience civique me fait m’habiller pour ma visite impromptue à la Sénatrice Dianne Feinstein. Si vous avez vu le film « Milk » (2008) avec Sean Penn, quand Dan White, le Blanc-shooté-aux-barres-chocolatées avait tué le maire de San Francisco, George Moscone, et Harvey Milk sans préméditation-en-passant-par-la-fenêtre, c’est elle qui annonce la nouvelle et qui devient maire par intérim. Trente et un ans après, elle est la sénatrice ainée (Senior Senator) pour l’Etat de Californie à Washington. Elle représente 17,5 millions d’habitants à elle toute seule. Barbara Boxer, la sénatrice cadette (Junior Senator), originaire de Brooklyn mais depuis longtemps adoptée par le Comté de Marin, quand on traverse le Golden Gate, elle, est chargée de vouloir pour l’autre moitié des Californiens. Deux femmes de la région de la Baie à la chambre haute, la présidente de la chambre basse (Speaker of the House), Nancy Pelosi, est aussi de San Francisco. En échange les gouverneurs de l’Etat, Arnold Schwarzenegger ne fait pas exception montent à Sacramento depuis la Californie du Sud.

En fait, ma spontanéité a été aiguisée par un email que j’ai reçu lundi. Il était signé d’Organizing for America, le groupement qui a permis la victoire d’Obama en mobilisant des millions de simples citoyens ou de métèques, au sens grec du terme c'est-à-dire de non-citoyens, des étrangers comme moi ayant une conscience mais pas de passeport américain. Le message disait : d’après votre code postal, vous habitez juste à côté du bureau de votre Sénateur. Si vous croyez dans la réforme de l’assurance maladie et dans l’introduction d’une couverture publique pour forcer les assurances à but lucratif à baisser leurs primes, cliquez ici. Suivait un planning où on pouvait s’inscrire pour aller rendre visite à son voisin de sénateur et un plan de Google pour vous repérer. Le message n’était pas absolument clair si on était attendu ou non. C’est devenu évident, mercredi matin, quand j’ai reçu une piqure de rappel que je ne l’étais pas.
Si on regarde par sa grande lucarne en plasma, il semble que tout le pays se soit levé contre le plan Obama de réforme de l’assurance maladie. Moi qui vivais en Irlande quand Alain Juppé, alors premier ministre essayait de réformer le système français, pour en maitriser les coûts, j’ai un sens de l’ironie dans le huis-clos de mon souvenir et comme toute Française une haute tolérance pour la manifestation. La télévision montre tous les soirs des gens qui hurlent, qui traitent Obama de nazi, qui s'agitent à l’entrée des town hall meetings, la version américaine de la rencontre sous les préaux, sauf qu’ici, l’élu en plus de parler, écoute. Je dirai même plus ma chère Ségolène, ils écoutent deux fois plus qu’ils ne parlent. Et apparemment ça vocifère.

Je ne fais pas que regarder Wall Street TV toute la journée sans le son. A 20h00, du lundi au vendredi, sur la chaine du Milliardaire, MSNBC, je ne rate jamais le show de Rachel Maddow. Mon chéri et moi nous racontons notre journée au moment de la pub. C’est la meilleure émission d’informations que j’aie jamais vu à une heure décente ; le nombre de bonnes émissions à des heures où les travailleurs intellectuels ou manuels reconstituent leurs forces se rallonge même à la télévision américaine, de Charlie Rose à Meet the Press ; malheurseusement la journée n’a que 24 heures, magnétoscope numérique ou pas. Comme si un Michel Pollack de 38 ans avait été promu présentateur des nouvelles du soir, tous les soirs, Cabu en moins et la courtoisie en plus. Depuis le début des vacances parlementaires, Rachel Maddow fait un travail d’investigation quotidien pour montrer que les manifestations sont soit l’objet de citoyens mal informés : le projet d’Obama n’a pas pour but d’euthanasier les enfants trisomiques ou le 4eme âge, ou des gens comme Stephen Hawkins, astrophysicien auteur d’Une certaine histoire du temps qu’ Obama vient de décorer de l’équivalent de la Légion d’Honneur (la Medal of Freedom) accordée aussi à titre posthume à Harvey Milk et que le National Healthcare System britannique devrait utiliser dans ses pubs pour faire savoir tout le bien qu’il fait, nonobstant ses critiques. Rachel Maddow remonte le fil de l’argent : qui paye les bus qui louvoient de salle communale en gymnase ? Ou les spots télévisés démoniaques qui montrent des parents en train de se désoler que le plan Obama remboursera l’IVG de votre petite sœur mais pas l’opération de la hanche de la mémé de Caroline du Sud ? Surprise, surprise, des lobbies pharmaceutiques et des assurances privées.
Aujourd’hui, Obama rencontrait dans le Montana une assemblée de citoyens qui posaient avec déférence leurs inquiétudes sur la manière dont il allait bien pouvoir assurer 46 millions de personnes supplémentaires, sans compter les 20 millions qui sont mal couvertes, sans augmenter les impôts à la mode suédoise. « Je ne vais pas vous répondre que cela va être gratuit ». Il posait sa veste sur la chaise. Deux tiers de la somme nécessaire pourraient être trouvés dans l’informatisation et la chasse au gaspi et le tiers qui manque, explique-t-il, en supprimant le bouclier fiscal en faveur des ultras riches, institué par George W Bush tout au long de huit ans de présidence. J’ai écouté la réponse avec tendresse. Si seulement c’était si simple ! Mais je préfère qu’on laisse filer les déficits pour soigner des épileptiques que pour continuer la guerre en Irak. En fait, je préfère qu’on ne laisse pas filer les déficits mais la médecine à but lucratif est à la médecine ce que la justice militaire est à la justice.

En bas du gratte-ciel où Mme Feinstein a ses bureaux, nous étions une quarantaine à avoir répondu à l’appel de la plage de 10h00. Les agents de sécurité nous demandent toutes les cinq minutes de parler moins fort. Nous ne vociférions pas. L’homme est soit Républicain, n’a pas le sens de l’humour, exerce sa profession. Au bout de vingt minutes arrive l’assistant parlementaire qui nous reçoit dans le hall. Des profs, des retraités, des chômeurs, des artistes, des dirigeants de PME qui souhaitent fournir une couverture maladie à leurs salariés mais qui ne le peuvent pas. Chacun dit ce qu’il a sur le cœur. Je pense que ça va durer dix minutes. L’assistant prend des notes, répond en une phrase, redistribue la parole. Une fois, dix fois, vingt fois, les citoyens inquiets répètent qu’ils souhaitent une assurance publique et fédérale. En Californie, qui émet sa propre monnaie (les IOU[i]) et sabre dans les programmes sociaux au lieu de lever l’impôt pour équilibrer le budget, le salut viendra de Washington, pas de Sacramento. L’assurance devra être facultative –nous sommes au pays de la liberté de porter des armes- mais il ne faut pas qu’elle soit de témoignage : ils la veulent « robuste », il faut « qu’elle ait des dents » pour mordre, pas les patients mais dans les frais médicaux. L’assistant assentit. Un monsieur âgé qui est très content de son Medicare, l’assurance publique des plus de 65 ans, demande si la sénatrice soutient le principe du guichet unique (single payer), c'est-à-dire qu’ au lieu d’avoir des milliers d’assurances avec chacune sa bureaucratie, sa nomenclature, et son réseau de médecins, on rationaliserait le système ce qui permettrait de faire des économies et incidemment de comparer entre assureurs des produits standardisés. L’assistant avale sa salive. « Il y a plusieurs projets de loi. La sénatrice ne s’est pas encore prononcée sur la question ».

Samedi dernier, le Wall Street Journal expliquait que les chiens en Grande-Bretagne sont mieux lotis que leurs maîtres, puisqu’ils sont libres de choisir leur vétérinaire. La veille, en première page, un article par ailleurs assez bien écrit racontait le cas d’une mère française qui avait accouché dans l’ambulance parce que la petite maternité près de chez elle avait été fermée par souci d’économie. Quand j’étais en prep-ENA, il y a 10 ans, l’Inspecteur général aux affaires sanitaires et sociales que j’avais apostrophé sur la fermeture des maternités en zone rurale m’avait convaincue que les services qui effectuaient moins de 300 accouchements par an, soit nettement moins d’un accouchement par jour, donnaient un faux sens de sécurité aux mères et aux pères. En réalité, expliquait-il, leurs praticiens perdent la main à force de ne pas pratiquer les gestes suffisamment souvent. Quand un cas un peu compliqué se produit, ce qui arrive tout le temps, les nourrissons souffrent à la naissance.

Tous les technocrates ne sont pas dénués de sensibilité et tous les éditoriaux du Wall Street Journal ne sont pas inspirés par Robert Murdoch, même si la plupart le sont. A 11h30, je me suis éclipsée en me disant que le tsunami avait sacrément renversé les pièces sur l’échiquier. Obama et ses conseillers, tous formés sous Clinton avaient-ils étudié la partie jouée et perdue en 1993 ? Pourvu qu’ils ne roquent pas l’assurance publique contre la réélection en novembre 2010.

La mère de Barack Obama est morte pendue au téléphone avec son assurance qui ne voulait pas lui rembourser le traitement de sa phase terminale de cancer.

Gabrielle Durana
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[i] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/07/chronique-81-lepave-economique.html

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