mercredi 16 décembre 2009

Effet d’éviction (89ème épisode)

Un soldat américain patrouille dans la province de Farah, dans le Sud-ouest de l’Afghanistan, une fleur de pavot accrochée au casque.

Erratum : au sujet de l’épisode précédent, un lecteur corse de Kiev me signale que les dindes sont consommées pour Thanksgiving, pas les oies. Par ailleurs, la Corse a été achetée "à réméré" à la République de Gênes et non à un Duc. C’était en 1768.

Le courrier des lecteurs est à la fin.

17 décembre 2009

Barack Obama fêtera bientôt ses un an à la Maison Blanche. Honoré par le Prix Nobel de la Paix, il doit finir deux guerres, éviter par la rhétorique d’assumer les drones avec le Pakistan, sauver l’économie, la banquise, donner un médecin à chaque Américain. Reste la diplomatie pour l’Iran, Hillary Clinton à la relance du dialogue israélo-palestinien. Et un 1,4 milliards de Chinois.

Suffit-il de vouloir vouloir ? Le 1er décembre, Obama annonçait à West Point sa nouvelle stratégie en Afghanistan. Si cela avait été McCaïn, Sarah Palin aurait demandé un micro et le parterre d’officiers aurait eu droit à grand « déferlement »[i]. Qui sait si l’ancien pilote qui passa six ans en captivité [ii] n’eût pas annoncé le rétablissement du service militaire ?

A West Point, le Président s’est lancé dans un réquisitoire de l’après 11 septembre. Il a rappelé comment en moins de deux ans, Bush avait réussi à dilapider la sympathie intergalactique (« Nous sommes tous Américains ») ; comment une guerre préventive dans le pays erroné avait permis la retirade de Ben Laden ; comment l’armée en sous-effectifs, desservie par des alliances abimées, distendue sur deux fronts aux limites poreuses avait laissé aux forces d’Al Qaeda la possibilité de se regrouper en nouveaux bastions au Pakistan. Il a martelé que son objectif était de « déranger, démanteler et détruire » (Disrupt, Dismantle and Defeat, parfois le dernier terme etait remplacé par Distroy) Al Qaeda. A la fin, il a annoncé qu’il rajoutait 30.000 troupes, pour mieux se retirer mon enfant, et sans appeler l’opération « un [petit] déferlement ». A aucun moment, il n’a parlé d’une guerre conventionnelle ingagnable, ou d’une solution politique, ni du pavot ; le nerf des clans.

Entre deux guerres au loin et un tsunami livré à domicile, il n’est pas facile de dire « qui trop embrasse mal étreint » ; aucune de ces crises ne peut être révoquée. Mais l’effort est-il soutenable ?

Certes dans son discours Obama a rendu hommage au coût humain : “Je suis allé voir nos courageux soldats blessés à Walter Reed. J’ai voyagé jusqu’à Douvres[iii] pour accueillir les cercueils couverts du drapeau de 18 Américains qui revenaient au pays pour leur repos final »[iv].


Cercueils de soldats américains en provenance d’Irak. Base aérienne dans le Delaware. Depuis l’élection d’Obama, ce genre d’image n’est plus censuré.


Il a aussi abordé la question du coût financier : « Ayant récemment vécu la pire crise économique depuis les années 30, le peuple américain est logiquement centré sur la reconstruction de son économie et la lutte contre le chômage, ici sur notre sol [v]».


La guerre c’est le sang des autres mais l’argent du contribuable. Voici un tableau tiré de l’émission de Rachel Maddow [vi] indiquant l’évolution du volume des troupes américaines déployées en Afghanistan depuis 2001 :


En abscisses, l’année. En ordonnées, le nombre de soldats.

D’après le Center for Strategic & Budgetary Assessment [Vii], un groupe de recherche indépendant basé à Washington, du fait des deux guerres, le budget de l’Etat est exsangue. Entre 2004 et 2009, un soldat en Afghanistan aura coûté 1,1 millions de $ par an ; contre 556.000$ pour son collègue déployé en Irak. En tout, plus d’un trillion de $.

A acheminer, l’essence revient par exemple entre 25$ et 45$ le « gallon »[viii], contre 3$ à la pompe de San Francisco. Chaque soldat en Afghanistan (ou en Irak) en « consomme » 8000 gallons par an. Soit 360.000 $ rien qu’en carburant.


C’est sans compter des décennies de dépenses médicales et de pensions militaires pour les anciens combattants.


A priori, on pourrait penser que l’argent dépensé pour l’entretien de 30.000 soldats supplémentaires à l’étranger aurait profité davantage à l’économie américaine s’il avait été affecté à la dépense intérieure, notamment sous forme d’investissement. D’un autre côté, l'armée américaine vit de façon largement autarcique et ses dépenses à l'étranger sont pour une large part des dépenses sur le marché intérieur, aéroportées.


John Murtha, représentant de la Pennsylvanie au Congrès et Président de la sous-commission des dépenses de l’armée craint le retour de l’inflation : « Nous n’avons pas payé la facture de la Guerre du Vietnam et nous en avons payé le prix ! »[ix]


D’autres élus exigent un impôt de guerre pour absorber le coût et rendre la guerre visible, donc impopulaire, dans le porte-monnaie pas juste à la télévision. Par exemple David Obey explique que faute de ressource nouvelle le coût à long terme du conflit en Afghanistan pourrait « dévorer toute autre priorité posée par le Président ou n’importe quel autre élu au Congrès »[x].

Combien de temps les Américains continueront-ils à accepter de verser au bout du monde du temps et de l’argent ?

Elizabeth Warren, professeur à Harvard voit le spectre de la paupérisation planer sur les Etats-Unis. Que deviendrait « une Amérique sans classe moyenne »[xi] ?

« Aujourd’hui, un Américain sur cinq est sans emploi ou en chômage partiel. Une famille sur neuf ne peut pas payer le minimum sur ses factures. Un prêt immobilier sur huit est en souffrance. Un Américain sur huit mange grâce aux bons alimentaires. Plus de 120.000 familles se déclarent en faillite civile chaque mois. La crise a détruit 5 trillions d’économies ou d’épargne retraite et 10 millions d’accédants à la propriété pourraient se retrouver à la rue »[xii].

En somme, la guerre ou la reprise, il faut choisir.


La comparaison avec les années 40-45 est intéressante. Six millions d’emplois crées ! Entre 1941 et 1945, le déficit budgétaire américain a été multiplié par 5, pour atteindre environ 17% du PIB. Ce déficit était soutenable dans la mesure où il était financé par l'épargne intérieure ; comme c'est le cas typiquement dans toute économie de guerre.



Musée de la Bourse (New York)


De plus, beaucoup d’or avait afflué de l’autre côté de l’Atlantique. Il n’y avait donc pas de déficit extérieur ; par définition égal à l’écart entre l’investissement national et l’épargne nationale.


Actuellement, le déficit est d’ampleur comparable (13% en 2009), mais l’épargne intérieure ne permet plus de le financer car les Américains n’épargnent plus. En outre, l’augmentation des dépenses courantes de l’Etat mange l’épargne nationale. C’est ce qu’on appelle un effet d’éviction. Le résultat est un déficit extérieur ; financé par les non-résidents qui acceptent d’investir en dollars US. La situation est donc soutenable.


Mais les étrangers continueront-ils à accepter d’investir en bons du Trésor dans une monnaie qui se déprécie ? Obama regarde la bombe de la dette qui fait tic-tic. Il a déclaré vouloir réduire le déficit à 3% en 2013, au lieu de 13%.


25 décembre 2009

Un jeune homme de famille aisée et d’origine nigériane met le feu à ses sous-vêtements gorgés d’explosifs. Des voyageurs interviennent et le neutralisent. L’avion se pose à Détroit.

Six jours plus tard, la prison de Guantanamo devait fermer.

Nous sommes le 27 janvier, les prisonniers n’ont toujours pas reçu de lettre ni d’indemnité d’éviction.




[i] La stratégie décidée par le Général Petraeus en Irak à partir de 2007 s’appelait « The surge » ; qui se traduit par l’élan ou le déferlement de violence. En Irak, elle a visé et réussi grâce à un débarquement massif des troupes (passées à 160.000) à submerger l’ennemi.

[ii] En 1967, l’avion du futur sénateur de l’Arizona fut abattu et il fut fait prisonnier par les Vietnamiens du Nord. Il demeura en captivité jusqu’en 1973. Il fut victime de torture à plusieurs reprises.

[iii] Dover dans le Delaware. http://www.dover.af.mil/

[iv] I visited our courageous wounded warriors at Walter Reed. I've traveled to Dover to meet the flag-draped caskets of 18 Americans returning home to their final resting place.”


[v] "Having just experienced the worst economic crisis since the Great Depression, the American people are understandably focused on rebuilding our economy and putting people at work here at home"

[Vi] MSNBC, 2 décembre 2009



[viii] Presque 4 litres.

[ix] “We didn’t pay for the Vietnam War and we paid a heavy price,”

[x] “ The longer-term costs of continuing conflict in the Afghanistan region could devour virtually any other priorities that the president or anyone in Congress [has],”

[xii]Today, one in five Americans is unemployed, underemployed or just plain out of work. One in nine families can't make the minimum payment on their credit cards. One in eight mortgages is in default or foreclosure. One in eight Americans is on food stamps. More than 120,000 families are filing for bankruptcy every month. The economic crisis has wiped more than $5 trillion from pensions and savings, has left family balance sheets upside down, and threatens to put ten million homeowners out on the street.”


Courrier des lecteurs :

Depuis Luxembourg

“Bonjour Gabrielle,

Que peut-on penser des dernières déclarations d'Obama sur les banques et leurs profits "obscènes" ?

Crois-tu vraiment qu'il ne s'agisse que d'un contre-feu pour faire passer la réforme du système de santé ?

Si oui, jusqu'où serait-il prêt, quelles concessions sur les nouvelles règles de régulation (encore relativement vagues) pourrait-il faire ?

Vivement l'épisode...91 ! :-))

A bientôt.

P.S. : joli photo...

Stéphane. »

NDLR : Nous écouterons le discours sur « l’état de l’Union » demain pour comprendre.

Aucun commentaire: