dimanche 24 janvier 2010

le triangle de Wall Street (90eme épisode)

Valentin Popov, Looking into (2009)

24 janvier 2010

La semaine a commencé par une défaite des Démocrates à une élection partielle dans le Massachussetts. Elle s’est poursuivie avec une décision[i] de la Cour Suprême (« Citizen's United v. Federal Election Commission ») étendant aux personnes morales la liberté d’expression reconnue aux personnes physiques ; et donc le droit de dépenser leur argent sans limite pour dire ce qui leur plaira, par exemple qu’Hillary Clinton est une politicienne retors, ou qu’une réforme de la couverture médicale nuit gravement à la santé ou que les gaz à effet de serre ne réchauffent pas la planète, ça va pas la tête ; L’incertitude de Google en Chine et des résultats trimestriels médiocres n’ont pas fait jurer la reprise. La semaine s’est achevée sur une chute des marchés financiers de 4,1%, la pire depuis le 6 mars de l’année dernière.

Il y a quatre jours, le Dow Jones avait ouvert la séance à 10720 points de base. Tout à coup, Ben Bernanke, le gouverneur de la Fed n’était plus sûr d’être reconduit pour un deuxième mandat, car à dix mois des élections de mi-mandat, l’aile gauche du Parti Démocrate déclarait qu’il ne suffit pas de dire que des têtes vont tomber, il faut dire lesquelles et les faire rouler.-1,14%. Obama annonce que la curée est finie et qu’il va rétablir le cordon sanitaire[ii] qui existait de 1933 à 1999, aboli par un Parlement aux mains des Républicains, entre les banques d’affaires (investment bank) et les banques de détail (commercial banks), entre les activités spéculatives et la banque du bon père de famille. Si vous voulez que le contribuable vous tire d’affaire, il va falloir arrêter de jouer au casino. Si vous voulez jouer au casino, dans les hedge funds[iii] et autres private equity firms[iv], jouez tant que vous voudrez mais n’appelez plus le contribuable, quand la bise sera venue. -2,01%. Puis, -2,09%. Vendredi, l’indice effectuait un vol piqué à 10172.

Les banques d’affaires, toutes devenues banques de dépôt depuis le tsunami financier défendent qu’investir leur argent aux côtés de celui de leurs clients est une manière d’aligner leurs intérêts sur ceux de leurs clients, d’être éthiques. Elles hurlent qu’on les empêche de faire leur métier, c'est-à-dire gagner de l’argent avec de l’argent. Au centre de la polémique, le proprietary trading, les opérations d’aller-retour pour le compte propre de la banque. D’ailleurs ne représentent-elles pas entre 0,025% du chiffre d’affaires de Wells Fargo et 10% chez Goldman Sachs. Alors pourquoi tant de haine ?

En réalité, les opérations d’aller-retour pour le compte de la banque et celles avec l’argent des clients ne voyagent pas à la même vitesse. Le mercredi 13 janvier, Mary Schapiro, la nouvelle présidente de la Securities Exchange Commission, le gendarme de la bourse, avait annoncé son intention d’interdire deux pratiques douteuses : d’une part le naked short selling et de l’autre le high speed trading ou flash-trading. Le short selling, ou vente à découvert c’est quand pensant que le cours va baisser, on emprunte une action, on la vend, puis on en achète une autre trois jours plus tard pour la rendre, au nouveau cours, et qu’on empoche la différence. Le naked short selling, c’est quand on fait la même chose sans avoir emprunté l’action au préalable[v]. La pratique est interdite [vi] mais représente 38% du volume quotidien des opérations, contre 9% en 2005[vii]. Mais que fait la police ?

Avec des ordinateurs surpuissants, un trade, c’est à dire un aller et un retour s’effectue en 250 à 350 microsecondes, soit deux fois plus vite que quand un courtier vous prête ses actions et sa canalisation (550 à 750 microsecondes) pour arriver jusqu’au marché. Une microseconde correspond à un millionième de seconde. Pour courir après les braconniers, la police dispose de ZX81 et de Commodores.

Maintenant mélangez le naked short selling et le flash trading et vous obtenez la recette pour potentiellement manipuler le marché. Potentiellement, car dans le conte de fées de fées de Wall Street, un spéculateur est un gentil qui donne de la liquidité au marché. Il est l’huile qui fait tourner les rouages, toujours prêt à acheter ou à vendre avec pour signal le prix. C’est seulement lorsqu’on ajoute la troisième composante, les opérations pour compte propre (proprietary trading) que le conflit d’intérêt devient évident. On peut alors influencer le marché à la marge et à son profit, à condition de laisser l’argent des moutons ronronner dans la bergerie.

Ayant perdu sa super majorité au Sénat, Obama a décidé de monnayer son dosage de régulation contre le passage de son plan de santé. Il lève la dime et exige que les banques s’assurent contre un futur risque systémique. Les banques sauvées des eaux ne sont pas reconnaissantes et elles ont choisi de l’exprimer. Gare !

(A la prochaine livraison, je finis l’épisode 89).



[ii] Présenté par le sénateur démocrate Carter Glass, de Virginie et l’élu de la chambre basse Henry Steagall, lui aussi démocrate, originaire de l’Alabama, le Banking Act de 1933 avait pour vocation d’empêcher que la Crise de 1929 ne se reproduise. Il proposait une garantie des dépôts par la FDIC en échange de l’étanchéité entre les institutions qui spéculent et celles qui transforment les dépôts en crédits.

[iii] Les fonds spéculatifs prennent des positions de court terme, voire de très court terme avec des instruments de couverture (hedge).

[iv] Les sociétés de financement par capitaux propres investissent l’argent de leurs clients fortunés en même que celui des associés dans des entreprises non cotées mais lucratives.

[v] Vous vous souvenez peut-être sinon vous pouvez réviser ici : http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n15-pire-encore-que-le-short.html

[vi] Regulation SHO (http://www.sec.gov/rules/final/34-50103.pdf) en vigueur depuis 2005.

[vii] Source : Aite Group



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