jeudi 27 janvier 2011

111e chronique : la 3eme année à la Maison Blanche

Barack Obama prononce son discours sur l’état de l’Union le 25 janvier 2010 au Capitol.

26 janvier 2011

Un siège vide. Des rubans noirs et blancs accrochés aux vêtements. Des Républicains et des Démocrates avaient décidé en s’asseyant côte à côte de faire montre de solidarité envers Gabrielle Giffords, leur collègue atteinte par une balle à la tête à Tucson le 8 janvier. Le héros, un stagiaire qui a sauvé la parlementaire d’un geste, les proches de l’une des victimes, âgée de 9 ans, et née le 11 septembre 2001, avaient aussi été conviés à la tribune d’honneur. L’année dernière, en plein hémicycle, Joe Wilson, un élu de Caroline du Sud avait crié à Obama : « Vous mentez ! ». Puis en novembre, les Revenants étaient revenus avec le Tea Party en cortège. Il allait y avoir du sang. La fusillade de l’Arizona a rendu son sens propre au cri de guerre et complètement transformé le climat de l’adresse annuelle.

Il y aurait beaucoup à dire sur un homme noir qui préside à l’Union dans une capitale située en territoire sudiste, bâtie en grande partie avec de la main d’œuvre esclave dont on rémunérait les maîtres, et où les tracés furent calculés par Benjamin Banneker, un astronome noir et libre. Barack et Michele Obama habitent dans la demeure qui a abrité Abraham et Mary Lincoln. Avant eux, douze présidents avaient possédé des esclaves. Et la moitié en déménageant, en avait ramené à la Maison Blanche. Derrière Obama, se tenaient un vice-président Joe Biden et un président de la Chambre des représentants John Boehner, tous deux issus de la classe ouvrière et le deuxième à la larme sentimentale. Nancy Pelosi avait occupé le poste jusqu’en novembre dernier ; les femmes et les Latinos sont entrés à la Cour Suprême, les gays peuvent s’enrôler dans l’armée. San Francisco et Oakland ont des maires d’origine chinoise et celui de Los Angeles est de langue maternelle espagnole. Certes, le massacre de Tucson est le remake numéro 231 de celui de Columbine. Mais le verre de l’Union s’est bien rempli depuis l’adoption du 13eme amendement, en 1865, portant suppression de la mention[1] qu’un Noir ne valait que les 3/5e d’un Blanc.

La gageure n’était pas tant d’unir le pays, sonné par la tragédie que de le convaincre deux ans et demi après le tsunami, qu’Obama a un plan pour repartir à la conquête du futur. « Il y un demi-siècle, quand les Soviétiques nous ont battus pour lancer le satellite Sputnik, nous n’avions pas la moindre idée de comment nous les doublerions pour arriver les premiers sur la lune. Nous n’avions même pas les connaissances scientifiques. La NASA n’existait pas encore. Après avoir investi dans les domaines de la recherche et de l’éducation, nous n’avons pas simplement dépassé les Soviétiques ; nous avons lancé un cycle d’innovations qui a crée de nouveaux secteurs d’activité et des millions d’emplois. Aujourd’hui, nous vivons le moment Sputnik de notre génération ».

Obama a aussi défendu son bilan et prononcé le mot véto même si le Sénat lui reste fidèle. La rhétorique est faite pour plaire, émouvoir et convaincre. Aussi a-t-il parlé de ces Américains « ordinaires extraordinaires » (à chaque fois gros plan de la caméra), qui par leur détermination et leur ‘ingenuity’, un mélange de créativité et de regard neuf, avec un peu d’aide de la puissance publique avaient été capables de se réinventer et d’être utiles au reste de la société. La chômeuse de 55 ans qui préparait son diplôme d’ingénieure, les glaciers de Santa Cruz, l’inventeur, Brandon Fisher dont l'excavateur "T 130" a servi de "Plan B", pour délivrer les mineurs chiliens, coincés pendant 37 jours, en forant 702 m en ligne droite. « Nous avons prouvé qu’à Littlerock, nous sommes une petite PME mais que nous pouvons réaliser de grandes choses ».

Bourdieu dirait que l’existence sociale de la structure de classe et les relations de classe elles-mêmes ne sont pas remises en question grâce à quelques beaux exemples de réussite, qu’ils ne sont que des exceptions et que leur existence permet de conforter le status quo, en faussant la distinction entre règle et exception. Si on est hégélien, on avancera que la ruse de la Raison consiste à faire que celui qui délivre la parole illusoire soit sincère. Pourtant la grande prospérité n’a pas été une illusion aux Etats-Unis. Une grande partie de la population, immigrée, a pu accéder au paradis consumériste des banlieues de classe moyenne. Malgré ses contradictions budgétaires (on gèle les déficits mais voici de l’argent pour l’éducation, la recherche, les infrastructures et l’innovation), tout économiste trouvera Obama convaincant quand il explique les fondements de la théorie de la croissance endogène sans jamais citer après Barro, Lucas et Romer.

Hier soir, Obama a montré au peuple américain le chemin de l’espoir, la sortie par le haut. « Aux Etats-Unis, l’innovation ne fait pas que changer nos vies. C’est la manière de gagner notre vie. » Kennedy n’a jamais eu à gagner sa vie mais le peuple américain a cru à sa nouvelle frontière. « Nous pouvons réaliser de grandes choses » a répété Obama en partageant la couleur de ses rêves. Que le cycle économique bénisse les Etats-Unis d’Amérique.

Gabrielle Durana



[1] Datant de 1787

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