mardi 9 août 2011

A Wall Street, le jugement dernier a lieu tous les jours (122ème épisode)



8 août 2011

Un. Au 55 Water Street, entre Coenties Slip et Old Slip, le verdict est tombé, vendredi après la clôture de la Bourse : l’agence de notation Standard & Poor’s a osé écrire qu’avec 14 trillions $ de dettes, (aucune mention des 14 millions de chômeurs), les Etats-Unis ne méritaient plus leur note triple-A. Aussitôt, Timothy Geithner, le ministre des Finances a éclaté de colère, accusant l’agence de s’être trompée dans ses calculs de 2 trillions $. Robert Reich, ancien ministre du Travail de Clinton a dénoncé l’ingérence dans les affaires intérieures d’un organisme complice dans la préméditation de la crise. Ce sont bien leurs notes triple-A, comme un curé donne l’hostie qui ont permis de distribuer des tranches de subprime dans tout le système financier[1]. Puis, le week-end a suspendu le temps bancaire, dans une rêverie de mauvais carnage, si les Etats-Unis étaient dégradés, serait-ce bientôt le tour de la France et l’Angleterre ?, jusqu’à dimanche, quand les places du Moyen Orient et d’Asie ont recommencé à ouvrir et à khracher.

Aujourd’hui, l’effet d'opprobre est passé au second plan, même si elle brûle, quand la dégradation a causé une chute de 634 points au Dow Jones, et de 9% des indices américains sur trois jours. Elle avait été précédée jeudi par une chute de 512 points sur fonds d’attaques spéculatives contre les dettes hispano-italiennes. Au gré des fuseaux horaires, elle a commencé à se répercuter sur toutes les places du monde ouvertes: -3,79% à Shanghai, -2,18% à Tokyo, -3,82% à Séoul, -3,39% à Londres, -5,02% à Francfort, -4,68% à Paris, -2,43% à Rome et -4,38% à Amsterdam. Paradoxalement, maintenant que les T-bills ne méritent plus qu’une note double-A, tout le monde s’est rué sur l’or -le cours a grimpé de 69$ en une séance, atteignant 1720$ l’once- et les bons du Trésor ; ce qui a eu pour conséquence d’abaisser leur coût pour le Grand Argentier ; qui venait pourtant d’être menacé par l’agence pour son côté dépensier. Les bons du Trésor chinois font des progrès et sont cotés A+ mais l’opacité du régime semble rebuter les épargnants.

Dans l’après-midi, sur CNBC, Maria Bartoromo interrogeait le Président de Standard & Poor’s sur le manque de crédibilité de l’agence suite à l’affaire des subprimes. Daven Sherma a répondu qu’il s’agissait d’un autre département de la firme (sic) et que leurs analyses s’appuyaient sur des données fournies par le Fonds Monétaire International. On aurait aimé être dans un western et qu’arrive le shérif pour le pendre par les pieds.

Deux. La dégradation d’un cran de sa dette publique est une humiliation qu’avaient déjà essuyée le Canada, l’Australie et le Japon. Ils ont mis en moyenne entre 9 et 18 ans à en effacer la souillure. Elle ne signifie pas que les Etats-Unis vont faire faillite et arrêter de rembourser les épargnants Chinois et Japonais. Le risque de monétisation de la dette et de retour de l’inflation est bien plus sérieux à moyen terme.

Trois. En l’absence de débouchés productifs et de cadre réglementaire fort, la finance court à notre perte. Le plus préoccupant dans toute cette affaire est que l’oligopole des hedge funds est fort, il représente 60% du volume des échanges quotidiens et qu’il n’est intéressé que par ses bénéfices de court terme. Ce n’est pas un hasard si les George Soros, les Carl Icahn et autres Stanley Druckenmiller ferment la porte à de nouveaux entrants ou rendent des milliards aux derniers arrivés ; ils ne ferment pas boutique, ils espèrent au contraire s’exonérer de la nouvelle législation Dodd-Frank et continuer leur manège infiniment lucratif. Quant aux banques, encore gorgées de subprimes, pourquoi financeraient-elles l’économie réelle, si elles peuvent emprunter auprès de la Fed à 0% et prêter à 10 ans au Trésor pour un rapport de 2,38% ?

Quatre. Ce qui affaiblit le plus les Etats désunis, des deux côtés de l’Atlantique, outre l’ardoise laissée par les banques à nos enfants et à nos petits-enfants, ce n’est pas la crise de leadership, mais la crise de consensus. Règle d’or, assènent les conservateurs, fiscalité, rétorquent les progressistes. La population n’a pas fait dix ans d’études d’économie et ne sait pas, ne comprend pas qui dit vrai, qui défend quels intérêts.

« J’installerai donc mon verre auprès du vôtre ». Puis-je, monsieur vous proposer mes services, sans risquer d’être importun? Je crains que vous ne sachiez vous faire entendre de l’estimable gorille qui préside aux destinées de cet établissement. Et en vous versant ce verre à moitié plein, je vous dis que c’est bien la concentration extrême de la richesse qui va nous faire choir.

Gabrielle Durana

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