Il n'y a pas que les tsunamis dans la vie, il y a aussi la Palestine. Une lectrice de La Haye me demande ce que j’en pense. Le 22 décembre dernier, un lecteur de Haïfa me racontait que son fils avait été licencié d’une agence de location de voitures et était au chômage depuis trois mois. « A part ça, m’écrivait-il, l'accalmie relative de deux mois sur le Sud-ouest du pays a été rompue jeudi soir et c'est une pluie de rockets tirés depuis le territoire de Gaza qui s'est abattue sur le Néguev jouxtant ce territoire et notamment sur les villes de Sderot et d'Ashkelon. Par miracle, il n'y a eu que des blessés mais cela a semé la panique dans la population, surtout chez les enfants. Ceci n'est pas soutenable et je crains fort qu'une fois de plus ne recommence le cycle infernal de la violence. » Trois jours plus tard, les tirs israéliens frappaient les fiefs du Hamas et dans les décombres des civils palestiniens on trouvait un chef du Hamas. Aujourd'hui, Israël a franchi la Bande de Gaza.
Bilan temporaire : 440 morts et 2200 blessés, côté palestinien ; 3 civils et un soldat tués, côté israélien.
Tout d'abord, je voudrais raconter que je dois d'être en vie à des Juifs anonymes qui nous ont cachés mes parents et moi -j'avais cinq ans- pendant la dictature militaire argentine (1976-1983). Quand une partie de notre famille nous fermait la porte au nez avec gêne en nous expliquant que vraiment ils ne pouvaient pas, des juifs nous ont ouvert la leur en murmurant : « On se souvient quand on était à votre place ».
Je sais que je vais parler d’un sujet saturé de rancœur et de vengeance. Le plus prudent serait de lever le pied pour ne pas marcher dans la flaque de sang et faire une pirouette technocratique du type je ne suis pas experte en relations internationales, donc veuillez ne pas remarquer mon silence toussif.
Mais si je m’aventure dans le champ miné du conflit israélo-palestinien avec la naïveté du Petit Chaperon rouge c’est pour mieux avoir le courage de poser des questions qui dérangent.
L'une des difficultés pour développer un point de vue juste, ce qui ne veut pas dire équidistant dans ce conflit est qu'il faut avoir une connaissance de l'histoire du Proche-Orient et de la Guerre Froide qui n’est donnée qu’à quelques spécialistes. Sinon, on est vulnérable à la manipulation de « l’arrêt sur image » : que pensez-vous de la dernière offensive, de la dernière réponse, du prochain bain de sang ?
L'historiographie, comme l’expliquait Paul Veyne est une entreprise sélective et auto-justificative ; elle sert ses maîtres. Par exemple, quand j’ai étudié l’histoire de l’art au Prado, j’ai découvert sur les tableaux de Goya les atrocités des troupes de Napoléon dont on ne m’avait jamais parlé au collège. Vous me direz, la guerre c’est toujours le sang des autres.
Que reste-t-ils des idéaux des massacrés de l'Holocauste ? Leur idéal n'était pas juste un Etat, mais aussi un humanisme et un socialisme dont les kibboutz étaient une sympathique utopie.
Harold Pinter, le dramaturge britannique, mort cette veille de Noël demandait à propos de Bush, Cheney et Rumsfeld : « How many people do you have to kill before you qualify as a mass murderer? » (=Combien faut-il tuer de personnes avant d'être qualifié d' « auteur de massacre ?»)
Quand la différence entre les conditions de vie dans les territoires occupés d' une part avec leurs incessantes vexations, l'impossibilité de vivre de son travail et de se construire un futur et les conditions de vie dans le Ghetto de Varsovie d' autre part cesse-t-elle d' être une différence de nature et devient -elle une différence de degré ?
Si le Hamas n'existait-pas, faudrait-il l'inventer ou l'Etat d'Israël accepterait-il la solution des deux Etats ? (Côté palestinien, la question était réglée après l'aggiornamento de l'OPL par Yasser Arafat). Pourquoi arrivions-nous à distinguer en 2003 le fait que Saddam Hussein était un tyran sanguinaire du fait que l'invasion de l'Irak par George W Bush était un scandale ? Parce que le 11 septembre est passé par-là, disions-nous à Bush quand il agitait le chiffon vert du terrorisme, cela ne vous donne pas tous les droits.
Pourquoi n'arrivons-nous pas aujourd'hui à essuyer la buée sur nos rétroviseurs et à voir que le Hamas est l'enfant de la politique jusqu'au-boutiste israélienne, après l’assassinat d’ Yitzhak Rabin ? Qui a marginalisé le Fatah de Yasser Arafat qui était un parti laïc ? Faut-il se rappeler l'eau, l'électricité coupées dans le bâtiment officiel de la présidence de l'Autorité Palestinienne ? Pourquoi n'arrivons-nous pas à nous rendre compte qu'on nous agite aujourd'hui le même chiffon vert et que cette fois nous sommes les dupes?
Définition : «prépondérance politique et direction des opérations militaires exercée par une cité dans un groupement fédératif ». Le dictionnaire de l’Académie illustre ensuite par un exemple : Athènes et Sparte. Par extension : « Suprématie politique et militaire d’une ville, d’un Etat, d’un peuple sur d’autres. Etc. »
Je suis l’hégémonie. Pourquoi pouvons-nous mobiliser le concept quand la Chine prend les terres des Tibétains et la donne à ses colons ? Pourquoi souffrons-nous d’une impossibilité ontologique quand le gouvernement de Shimon Peres fait la même chose en Palestine ? La réponse non-violente des bouddhistes rend elle la politique du fait accompli plus révoltante, le vol plus illégal ? Evidemment, ce n’est pas en jetant un vieil homme en fauteuil roulant par-dessus l’Achille Lauro, comme l’ avait fait l’OLP en 1985, que vous obtiendrez de la sympathie envers la cause palestinienne. Et aujourd’hui, le Hamas dessert la cause aussi. Mais pourquoi ne pouvons-pas dire à Ehud Olmert que sa politique hégémonique n’est pas acceptable ?
Parce qu’elle est acceptable. Le peuple palestinien est redevenu le jouet et le dommage collatéral, cette fois-ci non plus de la Guerre Froide mais de la Guerre contre le Terrorisme.
Primo Lévi avait refusé de pardonner aux Allemands à cause, disait-il, de l’absence de sincère repentir. Vladimir Jankélévitch, qui voulait tellement appartenir à la nation française qu’il insistait pour qu’on prononçât la première syllabe de son nom de « jean », a longuement écrit sur la réconciliation et le pardon. Dans L’imprescriptible, il explique qu’à cause du crime métaphysique de tous les gens qui n’ont rien fait devant un peuple en danger « le pardon est mort dans les camps de la mort ». Le reste de sa vie, il refusera d’ouvrir un livre ou une partition allemandes.
Avec 64 ans de recul depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, je ne peux m’empêcher de me demander quel est le dommage qui s’est produit dans la genèse de l’inconscient collectif israélien et qui justifie que tant d’horreurs soient perpétrées par les descendants des survivants de l’Holocauste ? Pour avoir rencontré et parlé avec des survivants, je sais que ce qui les a sauvés c’était cette part d’humanité qui était cachée au fond d’eux et que les Nazis ne pouvaient pas saisir. Donc la réponse ne peut pas être que l’humanisme est mort dans les camps de la mort. Pourtant, Primo Lévi a confessé que toute sa vie il avait continué à chercher des miettes de pain par terre et il finira par se défenestrer.
Je suis l’hégémonie et telle Médée, je dévore mes enfants. Malheureusement, on ne peut pas forcer les mythes ni les chefs d’Etat à aller en thérapie.
En revanche, les hommes politiques comprennent les rapports de force. Contrairement à la plupart des analyses que j’ai lues, je ne crois pas que cet abcès de violence-ci soit un nouveau départ, comme en 40 vers les hostilités. Au contraire, il me semble qu’Ehud Olmert joue un script comme si les faucons Bush et Cheney étaient encore aux commandes « pour 100 ans », comme avait dit MacCain au sujet de la présence, si nécessaire, des Américains en Irak, et que le terrorisme islamiste était à jamais l’alibi qui absout tout, ne vous demande de justifier de rien.
Dans l’interrègne, avant que Barack Obama ne devienne officiellement le 44ème président des Etats-Unis le 20 janvier, oui tout est permis. Et comme Bush en 2004, Ehud Olmert a bien compris que la meilleure façon d’étouffer les colombes est de forcer l’union sacrée jusqu’ aux prochaines élections, le 10 février 2009. Après, il sera toujours temps de négocier avec la nouvelle ministre des affaires étrangères, Mme Clinton, en étant maître chez soi. Mais justement, Clinton et Obama ont promis de rendre ses lettres d’efficacité à la diplomatie. La diplomatie, ce n’est pas cause toujours, tu peux faire ce que tu veux. La diplomatie est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Malheureusement, elle ne ressuscite pas les morts.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved
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L'une des meilleures histoires de la Question Palestinienne que je connaisse, une histoire forcément longue est dispensée par Henry Laurens au Collège de France et vous pouvez la télécharger gratuitement sur votre baladeur MP3 ici : http://www.college-de-france.fr/default/EN/all/his_ara/cours_et_seminaires_anterieurs.htm
1 commentaire:
Bonjour
Mes amies Françoise Gaspard et Claude ServanScreiber m'ont parlé de ton article. Françoise vient de me l'envoyer je l'ai lu avec beaucoup d'attention !! Je te remcercie de ta lucidité et ton objectivité. Sarko n'est pas à la hauteur et sil est allée en Israel pour faire de la comm' c'est vraiment contre productif!! je pense que proposer une conférence internationale si Obama le veut
bien c'est une solution mais ..Cela se prépare. L'échec est interdit.
Amitiés socialistes
Nora HUSSON
Conseillère municiplae PS à Dreux
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