mardi 6 janvier 2009

Chronique # 56: Réglons nos montres

Hershey Park,( Pennsylvanie)


5 janvier 2009

Joyeux nouveau président ! Heureux euro qui fête ses dix ans. Comment ça va? Comme un lundi avec une Guerre au Moyen-Orient. Et la bourse qui après la reprise du Père Noël (ou Santa’s rally) a perdu 0,91% aujourd’hui. Elle repasse donc sous la barre psychologique des 9000 points qu’elle avait atteinte le 2 janvier sans réussir à la clouer, pour en faire un plancher.

Certes l’année se termine en vol piqué pour la finance de la planète. Wall Street à l’ancienne avec ses banques d’investissement et ses bonus mirifiques pour les profits d’il y a un quart d’heure vont devenir deux panneaux pédagogiques, au Musée d’histoire financière, un peu plus bas dans la rue. La chute ne fut pas létale mais elle dépasse les pires souvenirs de toute personne âgée de moins de 70 ans.

Shanghaï gît en bas dans le canyon après -65,2%, suivie de Mumbaï, vertigineuse glissade de -52,1%, le Port Parfumé avec une baisse de 48,8% lance des SOS. En Europe, en moyenne la chute fut de 46% ; la France -42%, l’Angleterre -32%. En 2008, les indices des principaux pays de la Triade, le Japon, l’Allemagne et les Etats-Unis ont respectivement perdu 42,1%, 40,4% et 34,7% de leur valeur.

Les journaux télévisés ne montrent pas de vidéo amateur de badauds voyant tomber les banquiers ruinés par la fenêtre. Mais quelques jours après l’éclatement de l’affaire Madoff, le Wall Street Journal a fait ses gros titres sur le suicide de Thierry de la Villehuchet, gestionnaire de hedge fund qui avait placé sa réputation et 1,5 milliards de $ dans le fonds de fonds de l’ancien Président du Nasdaq. Dans le San Francisco Chronicle d’hier, un long article qui démarrait en première page cherchait à faire de la prévention et à sensibiliser les proches, après le suicide d’un autre manager avec une passé clinique dépressif et qui s’en voulait que son fond ait perdu 40% sur un an.

Pourtant, le VIX, le baromètre de la peur ne remonte plus au dessus de 40. En un mois, le Dow Jones a repris 3,68%, le Nasdaq presque 8%, les bourses européennes 12 à 13% ; même le Micex de Moscou a rebondi de +10,17%. A l’exception de Shanghaï, en baisse de 4,4%, le reste des places asiatiques ont toutes trampoliné de 15%. En Océanie, Sidney s’est ressaisie avec +7,64%. En Amérique, le Bovespa, la Bolsa ou l’indice canadien ont tous suivi la reprise de 15%.

Les marchés des capitaux, ce que j’ai appelé la tuyauterie de l’économie ont recommencé à fonctionner, je n’ai pas dit normalement. Le Ted-spread à 3 mois (la différence entre le prix auquel les banques sont disposées à se prêter entre elles, sans garantie, et le rendement des bons du Trésor, qui ne présentent aucun risque) est à 134 points de base (soit 1,34%).

Certains élucubrent que les masses de liquidités injectées par les banques centrales vont répandre l’hyperinflation sur toute la planète mais ceux-là ne savent pas lire un bilan de banque, sinon ils sauraient que les banquiers centraux sont en train de recycler une bonne partie de l’argent que des banques rétives sont enchantées de leur ramener sous forme de réserves non-obligatoires contre une modique rémunération.

Le deleveraging n’est pas arrivé à son terme ; on n’a pas fini de purger. Ensuite, le credit crunch est encore une désagréable réalité. Essayez d’emprunter pour passer le tsunami ou même pour faire des travaux, la fourmi était banquière, si vous ne le saviez pas.

Plus inquiétante, la spéculation sur les matières premières semble repartir. En deux semaines, le baril est remonté de 37%. Les devises sont elles aussi d’une volatilité qui désorganise toute firme qui travaille à l’export, tout investisseur qui a des fonds placés à l’étranger. Le dollar a perdu 13% face à l’euro en quinze jours avant de remonter.

Encore plus effrayante est la perspective d’un chômage à 11%, sans tenir compte des manipulations des statistiques. Comptez le nombre de personnes autour de vous qui ont perdu leur gagne-pain, celles qui craignent pour leur emploi. Ce n’est pas la soupe populaire, McDonald’s vous fournit des hamburgers à partir de 1$.

Vous continuez tout droit et vous êtes presqu’arrivé à Amityville où les gens ne peuvent plus rembourser leur emprunt, ils perdent leur maison portant un coût à celle des voisins, qui se déprécie, parce que sérieusement : qui voudrait déménager à Amityville ?

Dans les bourses de tous les pays, rappelez-vous que la bourse ce n’est pas l’Empire du Mal, c’est la plomberie générale de l’économie, son marché des capitaux, les acteurs se posent ce que j’appelle la Question Bleue d’ Adjani : Where Is the Bottom? (=avons-nous touché le fond ?).

Si la crise actuelle était une pièce de théâtre, le premier acte se jouait en aout 2007 avec l’explosion de la bulle spéculative des subprimes. Le deuxième, de janvier à août 2008, avec une série de faillites in crescendo, dont la plus remarquée fut Bear Stearns et la plus effrayante celles aussi évitées de Fannie Mae et Freddie Mac, les réassureurs des prêts hypothécaires.

L’acte III s’ouvre sur un coup de théâtre, la faillite inconcevable de la banque des frères Lehman. Comment une institution vieille de 130 ans et qui avait réchappé à la crise de 1929 pouvait-elle mourir ? Les temps changent, Madame. On a crée les prions de la finance et on a envoyé se promener le patient zéro.

Puis c’est la descente aux enfers, panique sur panique, comme dans l’opéra d’Igor Stranvinsky ‘The Rake’s progress’ ; que Lyon avait justement traduit par « La cavale du golden boy » (rake veut dire pente). On arrive au 10 octobre de triste mémoire : la capitulation (climatic sale), totale, profonde, comme la dépression qui s’en suit.

On fait le yo-yo pendant un mois et le 10 novembre, les clous volent des lattes et le plancher s’écroule. Tombez, tombez donc encore un peu. En termes techniques on dit que la bourse retestait la capitulation du 10 octobre (retested the lows of the climatic sale). Le 15 décembre 2008, la Fed sort l’empire contrattaque et cloue les taux d’intérêts à zéro %, annonce que l’argent est désormais gratuit et qu’elle en prêtera autant qu’il faudra. Osez défier Ben Bernanke.

Nous sommes au début de l’acte IV. Arrive Saint Obama porteur de la bonne nouvelle d’un paquet magique, « le stimulus package », aussi appelé relance au cube.
Le reste de la pièce n’est pas encore écrit.
Demain : où va l’Europe ?

Gabrielle Durana

Chroniques du tsunami financier-all rights reserved

Courrier des lecteurs :

A propos de la chronique sur Madoff et du « trading desk » avec plein d’écrans, un lecteur de Boston me répond : « Ce genre de station est au cœur de mon travail (human systems engineering). Je suis entièrement d'accord avec Marlène: utiliser ce genre de système est une hérésie... mais ces systèmes existent et sont (partiellement et incorrectement) utilisés, à la fois dans le trading (supervision) ou dans les systèmes militaires (air operation center, command and control). Mon travail consiste à intégrer toute l'info qui apparait sur ces 40 moniteurs et à développer des interfaces beaucoup plus simples à utiliser. »

Toujours Madoff, un lecteur de Chicago me demande si en restreignant les possibilités de rédemptions c'est-à-dire en refusant de rendre leur argent aux investisseurs les hedge funds ne se comportent pas comme d’autres Madoff.

La première différence entre un HF et une chaine d'argent est entre des gains non réalisés (les gains ne deviennent réels que quand on vend les actifs, avant ils sont virtuels) et des gains fictifs (j’invente de toutes pièces les relevés trimestriels de mes clients). Mais la différence fondamentale est ailleurs; dans un HF, les rédemptions ou les intérêts versés aux investisseurs sont payés à partir de profits alors que dans un « Ponzi scheme », vous prenez le capital (principal) d'un nouveau membre et vous le donnez à un membre plus ancien. Comme ici, justement, il n'y a pas de nouveaux membres, puisque tout le monde retire de l'argent en même temps, en fait, l'argent frais utilisé pour désintéresser les investisseurs provient de la fortune personnelle des managers qui dans les HF sont toujours salariés mais aussi associés et qui ont donc intérêt à ne pas vendre à la sauvette (fire sale price, littéralement vente après un incendie). La différence est subtile mais notable. Toutefois, comme tout est dérégulé, il est très facile que se développe une fraude car personne n'est là pour vérifier d'où vient l'argent et où il va. Les HF sont des spéculateurs sans aucune ambition stratégique pour les entreprises dans lesquelles ils investissent, ce qui est suffisamment toxique pour qu'il n'y ait pas besoin de chercher à les taxer de malfrats. Ce n''est pas la raison principale pour laquelle il faut qu'ils soient mieux surveillés. C'est peut-être la seule raison qui importe aux plus riches, qui sont les seuls à pouvoir investir dans ce genre de fonds, mais pour le reste d’entre nous, y compris les entreprises et leurs salariés, c’est le caractère mercenaire et myope des HF qui pose problème. En guise d’exemple, le prix du pétrole vient de réaugmenter de 37% en deux semaines...

A propos de « La trêve des confiseurs » où je parlais du prix des Tesla, ces voitures électriques conçues dans la Silicon Valley, d’ abord un erratum : le chiffre de 21.587$ correspond au salaire médian américain en … 2000. Le dernier recensement indique un salaire médian en 2006 de 32.000 $ ; soit deux ans de salaire médian pour acheter la Tesla de base (sic).

Ensuite, une lectrice de Berkeley me demande : quelle est la différence entre salaire et revenu ?

Le salaire est la rémunération du facteur TRAVAIL. La rémunération est pour le commun des mortels majoritairement composée du salaire, mais pour une minorité, elle comprend aussi la rémunération du CAPITAL soit des intérêts, des dividendes ou une rente. Il serait donc plus correct de faire des comparaisons basées sur le REVENU MEDIAN, même si le chiffre le plus facile à trouver est celui du SALAIRE MEDIAN. Rappel : salaire MEDIAN : 50% de la population gagne moins, 50% de la population gagne plus. Salaire MOYEN : Steve Jobs, le fondateur d’Apple et sa femme de ménage ajoutent leurs salaires et divisent par deux. Dernière remarque: les vraies inégalités sont liées aux écarts de PATRIMOINE.

Enfin, à propos de cette même chronique, un lecteur juché sur les hauteurs d’Istres réagit :
« L'innovation est liée à un terreau fertile et à des personnalités. Dans un passionnant numéro d'alternatives éco consacré à "l'entreprise", je lis aussi que ce qui pénalise le développement des entreprises françaises, c'est d'une part :- le manque de business angels capables de prodiguer des conseils et d'investir dans les projets hasardeux mais ambitieux (ce que ne feront jamais les banques) des jeunes entrepreneurs. - le manque d'esprit d'entreprise parmi les élèves grandes écoles commerciales françaises. Ecoles qui arrivent tout juste à être le cabinet de recrutement des principales entreprises du CAC 40. Mais ne forment pas de légions d'entrepreneurs schumpetériens animés par le gout du risque. »

Très juste. Une simple précision : il faut distinguer les bailleurs en capital risque (venture capitalists, ou VC) et les investisseurs providentiels (business angels ou angel investors). Les premiers sont ceux qui prennent vraiment des risques. Ils financent 50 projets en espérant qu’il y en ait un qui décolle. Les seconds arrivent quand la start up a déjà développé son produit, a quelques clients et a besoin d’un dernier coup de pouce avant l’introduction en bourse (Initial Public Offering, ou IPO) ; à cette étape-là, il n’y a plus vraiment beaucoup de risque. Cette distinction n’est pas qu’une différence de vocabulaire. D’ une part les VC sont des groupes d’investisseurs qui créent un « pool » d’argent, alors que les angel investors sont le plus souvent des individus fortunés. D’autre part et c’est le plus important, les VC ne payent que quelques centimes les actions (penny stocks) de l’entreprise dans laquelle ils investissent ; alors que quand l’investisseur providentiel arrive pour la dernière ligne droite, le prix des actions sera passé à 20 ou 30 $. Une fois que l’entreprise sera cotée en bourse, le cours de cette même action peut monter à plusieurs centaines de dollars. Le profit du VC peut alors paraître disproportionné mais il faut se rappeler qu’il a assumé un très grand risque, parfois pendant plusieurs années et que de tels gains sont la motivation qui contrebalance les pertes sur les 49 autres projets qui n’ont rien donné.

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