Wall Street, le 20 janvier 2008
22 janvier 2008
Au moment où les Obamas posaient leurs manteaux au 1600 Pennsylvania avenue, tout le monde applaudissait à Wall Street. Le Dow Jones avait encore connu une journée inénarrable, avec -336,59 points de base soit 4% de baisse. Les milieux d’affaires regretteraient-ils déjà le bon Bush ? En fait, pendant que les petites mains dans les salles de bal installaient les lampions, le système bancaire britannique s’écroulait.
Le lundi 19 janvier, la Royal Bank of Scotland avait annoncé que ses pertes pour 2008 allaient probablement atteindre 28 milliards £, soit 31 milliards €, soit 41 milliards $. Stop- envoyer argent-stop Pour adoucir la nouvelle, elle expliquait que ce chiffre calamiteux s’expliquait par des dépréciations d’actifs sur sa participation dans la banque ABN Amro, le mammouth néerlandais qu’elle avait racheté en 2007, en partenariat avec la belge Fortis et l’espagnole Banco Santander.
Un peu de plomberie de quand ça ne fuit pas : lorsque Google veut mettre la main sur Yahoo, Mountain View téléphone à Synnyvale et dit : « ton action aujourd’hui cote 18$, je t’en offre 22$ ». Avant même que les papiers soient faxés, le cours de l’action Yahoo va monter. Si vous êtes actionnaire et que vous êtes logique (les gens détiennent aussi des actions pour des raisons sentimentales, de mode, d’habitude etc.), vous vendez tout de suite ; car avant que les pourparlers ne se terminent, nous arriverons à Pâques ou à la Trinité et en attendant, votre argent peut faire des petits ailleurs. Là, ce fut la même chose : Royal Bank of Scotland, Santander et Fortis offrirent aux actionnaires d’ABN Amro une belle prime sur le cours, et empruntèrent pour financer l’acquisition.
Tout se passe comme dans un rêve de banquier : les vendeurs sont désintéressés et les bilans des trois partenaires désormais garnis de belles actions ABN Amro ont gonflé.
Maintenant ça siphone. Au lieu de s’apprécier, les actions d’ABN Amro s’écroulent parce que le tsunami, les subprimes et tutti quanti. Les bilans du triumvirat se perforent. Ils sont forcés de reconnaitre des pertes, liées à l’écart entre le prix d’acquisition et la nouvelle cotation de plus en plus abyssale des actions d’ABN Amro.
Pour éviter l’insolvabilité, qui ferait l’effet d’une chute d’astéroïde, le gouvernement britannique en octobre promet de l’argent frais, si les actionnaires privés mettent la main au portefeuille aussi. Aide-toi, le gouvernement t’aidera. La date limite arrive. Les actionnaires privés ne veulent pas recapitaliser. Le gouvernement se dédit et acquiert 58% de RBS. Arrive la fin du trimestre, la vérole n’est pas passée. Les écarts d’acquisition (goodwill impairment charge) s’élèvent à 15 ou 20 milliards de £, les pertes totales avoisinent les 28 milliards £. C’était la syphilis.
Heureusement, le gouverneur de la Banque d’Angleterre n’avait pas appris la nouvelle par la chaine Bloomberg. Pour amortir le choc, il avait prévu d’annoncer une batterie de mesures le même jour destinées à colmater le système bancaire et l’aider à se relever. A l’adresse de RBS, le gouvernement acceptait de modifier les termes de l’accord et resignait un chèque. La super-nationalisation poussait la part de l’Etat à 70% du capital.
Immédiatement, la Barclay’s et la Lloyd’s sont attaquées aussi. Ce jour-là, l’action RSB perd 66% de sa valeur. L’indice Dow Jones Stoxx qui suit la cote de 600 valeurs européennes enregistre une baisse de 2,1%.
Voici les cours du surlendemain pour les trois banques. Comme vous pouvez le constater, la chute est libre mais pas gratuite.
Ne vous laissez pas méprendre par les pourcentages. Si la RBS remonte de 21,4% le lendemain, cela ne représente que 12,5 pence. (Dans les années 80, Thatcher avait privatisé un grand nombre d’entreprises et pour impulser l’actionnariat populaire, les actions furent cotées en centimes ; vous savez c’est comme quand vous étiez petit et que vous échangiez votre pièce de 1 franc contre des pièces jaunes pour augmenter votre sentiment de richesse). Par comparaison, le 13 octobre 2008, le jour où le gouvernement britannique était intervenu pour éviter la faillite, la même action cotait encore 200 pence, soit deux livres.
Quelques heures après la cata de la City, les gens de Harlem à Chicago, de San Antonio à Boston enroulaient leurs écharpes, chaussaient leurs bottes et le New York Stock Exchange commençait une autre séance.
La rumeur glaciale que le secteur bancaire mondial est techniquement insolvable se répand. Le vent mauvais arrivait d’Angleterre mais quand State Street, un dépositaire de fonds de placements (funds custodian) qui boursicote à ses heures annonce des pertes pour 2008 à hauteur de 9,1 milliards, l’agence de notation Moody’s baisse sa note d’un cran et le cours de l’action s’effondre :-59% en une seule séance. Pourquoi tant d’émoi ? Imaginez que vous ayez confié votre petit cochon à votre voisine, une petite grand-mère et que la chaine Bloomberg annonce que la gentille mémé a perdu mille fois votre petit cochon. Les deux informations ne sont pas connectées mais votre cœur se soulève : je croyais que mes actions étaient dans une maison en pierre.
La rumeur de l’insolvabilité monte. JP Morgan Chase, le nouveau donneur de leçons s’étouffe. Le cours de Citigroup abandonne 20%, celui de Wellsfargo 24%. Bank of America qui au lendemain de la faillite de Lehman Brothers avait acquis Merrill Lynch a de plus en plus de mal à digérer et perd aussi 29%.
La rumeur est fondée même si les estimations divergent. Les pertes des banques américaines dans les 12 à 18 prochains mois pourraient s’élever à 1 trillion, or comme leur capitalisation boursière (valeur de toutes les actions multipliées par le nombre d’actions) en ce moment s’élève à 1,5 trillion de $, la recapitalisation s’impose. Ou alors c’est la banqueroute.
Le venin dans le corps de Mithridate ne le tue pas. Mais il y a pire pour un banquier : le nom que l’on n’invoque pas en vain, le mot qui commence par un N. Le 44ème Président s’essuyait les pieds sur son paillasson, une heure après, la séance était sonnée avec -336.59 points.
Le lendemain, Geithner lors de son audition par le Sénat afin d’être confirmé comme ministre des finances déclare que seule une « solution globale » (a comprehensive plan) qui excise les actifs pourris des bilans des banques, qui les recapitalise (il ne dit pas nationalise), et qui aide les emprunteurs à ne pas perdre leur maison alors que les prix de l’immobilier fondent, seule une « solution globale » donc peut assainir le système financier. Sinon, les banques zombies vont hanter la place de New York pendant des années. Il fait écho à Paul Krugman, le prix Nobel d’économie qui déclarait que l’économie de l’incantation (« vodoo economics ») qui consiste à faire du saupoudrage en pensant que les agents économiques vont être rassurés et que tout va rentrer dans l’ordre ne marchera pas. La pensée magique croit mais n’agit pas.
Le parler-vrai de Geithner dut plaire à la belle, car le Dow Jones remontait de 279 points, soit 3,5%. Les actions de Bank of America trampolinaient de 31%, du jamais vu depuis 1980, après son PDG et cinq membres du conseil d’administration dépensaient leur propre argent pour racheter des actions de leur banque. Vous voyez que j’y crois… Citigroup et JP Morgan augmentaient aussi de 25% chacune, après d’autres rachats par leurs dirigeants. Mais, on partait de si bas, que le pourcentage vous faisait éclater de rire. Pour couronner la journée de répit, Barack Obama venait de signer l’ordre qui mettra plusieurs mois à sortir du rêve : le démantèlement et la fermeture définitive de Guantanamo, le camp de concentration off shore.
Le lendemain, quand j’arrivai à l’aéroport pour m’envoler vers Paris, le Dow Jones avait reperdu -105 points.
Justement la prochaine fois, je vous parle du Dow Jones qui descend, qui descend, qui descend.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved
PENDANT MON SEJOUR A PARIS, LE TSUNAMI NE S’ARRETE PAS, MAIS SA NARRATION DEVIENT PLUS SPORADIQUE.
PENDANT MON SEJOUR A PARIS, LE TSUNAMI NE S’ARRETE PAS, MAIS SA NARRATION DEVIENT PLUS SPORADIQUE.
Courrier des lecteurs : à propos de la défaite en 40 dont je parlais dans « L’étrange tsunami », un lecteur de Bruxelles m’écrit : « Je confirme la teneur de ton erratum, le 3ème mari de ma mère décédé il y a bientôt 10 ans, Centralien officier dans les chars en 1939 et donc capitaine de blindés s’est retrouvé au combat direct (dont un lourd blindé français anéanti avec ses hommes tués et les 2 ? autres neutralisés par l’ennemi) avec des unités de panzers sur le front (très provisoire) de l’Oise en mai/juin 1940 après la percée allemande à travers les Ardennes belges et françaises du 10 mai 1940. Il a été fait prisonnier dans un OFLAG d’où il s’est finalement évadé […] Chaque fois que nous en discutions, il n’avait pas du tout l’impression de ne pas s’être battu mais plutôt d’avoir été mal préparé au combat avec des unités blindées insuffisamment concentrées et équipées au plan logistique et matériel en général (les blindages de son char étaient semble-t-il plus épais et plus solides que ceux des panzers allemands en 1940 mais ceux-ci plus légers et mieux motorisés et en plus grand nombre avaient une plus grande force de percussion globale sans oublier le support aérien…cela s’est inversé bien évidemment dans la suite du conflit notamment avec la 2nde bataille de France en juin/juillet/août 1944 […] »
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