Un jour Pedro Almodovar était à la Residencia de Estudiantes[1], qui comme son nom ne l’indique pas n’a rien à voir avec le Resto U, pour parler de ses débuts de cinéaste. Le patati de ses sœurs couturières avait servi de gisement. Avec ses premiers salaires chez Telefónica, il s’était acheté une caméra 8mm et il était parti forer l’inconscient de la Movida. Que l’argent vienne à manquer, il serait apparu sur le nitrate de cellulose et le camphre pour raconter les dernières scènes.
J’apparais pour vous raconter les deux épisodes qui dans la chaine de production auraient dû venir avant : le premier, courtoisie de British Petroleum, dédié à l’éruption dans le Golfe du Mexique, depuis 53 jours, d’un Tchernobyl sous la mer. Le second, consacré au ‘moisversaire’ du « flash krakh », né le 6 mai 2010.
Je fais une avance rapide et nous tombons vendredi dernier sous la barre des 10.000 points, l’euro à 1,19$, et le baril à 71,51 $, avec tout ce qui se déverse. La veille, l’exécutif hongrois frais des urnes avait déclaré : « Il n’y a plus que le gouvernement précédent pour soutenir que le déficit budgétaire s’élèvera à 3,8% du PIB en 2010. » Il annonçait un trou de 7,5%. Lundi 7 juin, la devise européenne cotait 1,18$, bien que le florin ne fasse pas partie de l’Euroland, et 108.83 yens, son plus bas niveau en huit ans. Le Dow Jones dévissait de 115.48 points, à 9.869.49, soit encore plus bas que les 9.869,62 atteints le jour du « flash krakh ».
Depuis le début de la crise grecque, les Allemands donnent un « la », qui choque les tympans des autres Européens. La sortie du tsunami viendra de la rigueur, toujours la rigueur, encore plus de Sparpolitik. En attendant l’évaporation de la volatilité, et le retour de la croissance régurgitée par la rigueur, Angela Merkel a interdit depuis le 18 mai le ‘shortselling’[2]sur trois types d’actifs : les bons du Trésor libellés en euros, les CDS[3] dérivés portant sur la dette des Etats de l’UE, et les actions des dix plus grandes institutions financières du pays. Agacé par l’unilatéralisme, le gouvernement Sarkozy néanmoins se rallie. Hier, le couple franco-allemand appelait de ses vœux une interdiction dans toute l’UE de la vente de titres à découvert.
Comme quand de janvier à mars 2009 on attendait les détails du plan Geithner[4] qui visait à détoxifier les institutions financières américaines, via une ‘mauvaise banque’ ou un ‘grillage’, l’incertitude face au plan européen de sauvetage des finances publiques a servi à auto-justifier la spéculation. Tous les pays de la zone euro en ont pâti, en particulier l’Espagne.
Vers la fin du mois mai, la prophétie s’était auto-réalisée : l'agence de notation Fitch a abaissé d'un cran la note sur la qualité de la dette publique ibérique, estimant que les perspectives de croissance seraient affectées par l’endettement privé –la bulle immobilière que l’on voyait s’enfler, s’empâter, bouffir a fini par voler en éclats-, et ce malgré les efforts de Zapatero pour réduire les déficits publics. La moustache en accent circonflexe, José-María Aznar pouvait sortir de la mort politique dans laquelle l’avait plongé son mensonge d’Etat au lendemain des attentats terroristes du 11 mars 2004[5], pour donner sur la Chaine du Maire[6] des leçons de gouvernance économique ; lui qui avait dirigé le pays[7] de la fécondation à l’adolescence de la bulle de pierre.
Mais revenons à lundi de cette semaine. Les ministres des finances de l’Euroland portent à la connaissance des marchés, ce partitif de spéculateurs, investisseurs institutionnels, petits porteurs et fonds souverains- et des contribuables-électeurs les modalités du plan de sauvetage solidaire des finances publiques de l’UE. Il ne s’appellera pas Fonds Monétaire Européen, à l’instar de son homologue basé à Washington, mais Fonds Européen de Stabilisation Financière. C’est une SARL (limited liability company) au capital maximal de 440 milliards € basée à Luxembourg. Les actionnaires seront les Etats membres de l’Euroland. Le Special Vehicle Purpose (SPV), terme savant pour dire institution ‘ad hoc’ empruntera avec la garantie des seize pays de la zone euro dans le but d'avoir le financement le moins cher possible.
Le gros avantage de la comptabilité hors bilan, pour les politiques, est de pouvoir se dispenser (sic) de l’aval des parlements nationaux, chaque fois qu’un pays y aura recours. On voit bien que l’efficacité a été privilégiée sur la délibération démocratique et s’agissant d’un fonds de crise, cela peut se justifier. Mais l’inconvénient de la comptabilité hors bilan est son opacité, alors même que le SPV a pour but de remédier à la dégradation des comptes publics.
L’enveloppe pourra être utilisée jusqu'au 30 juin 2013 au bénéfice des Etats qui en auraient besoin pour consentir des prêts ou des avances et procéder à des rachats d'obligations. Chaque Etat s'est engagé à garantir 120% de sa quote-part au capital de la BCE, soit 0,4 milliards € pour Malte, 11,4 MM€ pour le Portugal, 53,9 MM€ pour l’Espagne et 92,3 MM€ pour la France et 122,9 MM€ pour l’Allemagne.
L’étape suivante est la mise sous tutelle des budgets nationaux qui devront être approuvés par les cautions-solidaires. Ecrivant depuis la Californie, qui est en cessation de paiement permanente, je vois bien la différence toutefois. En effet, le fonctionnement d’un Etat fédéral ne conduit pas de ce côté-ci de l’Atlantique à ce que Washington (ou la réunion des gouverneurs des 50 Etats) revoie et contresigne la copie d’Arnold Schwarzenegger. Ainsi la « coordination des politiques budgétaires européennes » ressemble moins à du fédéralisme qu’à une centralisation.
Justement tous les pays européens sont en train d’adopter des plans de rigueur pour plaire aux cautions solidaires, lesquelles veulent apaiser les marchés, lesquels cherchent la faille comme Gary Kasparov la diagonale du fou.
Tous, sauf la France. Le Monde titrait aujourd’hui que « l’inaction budgétaire française inquiète les marchés ». Vu d’Amérique où le plan de relance adopté par Obama a permis de réamorcer la pompe à investissement et à consommation, on aurait tendance à tancer le Président français de ne pas en faire assez du côté du déficit. Mais dans un pays où le tissu industriel est dévasté par un positionnement en termes d’exportations, axé sur le prix alors que l’euro est fort, où le taux des prélèvements obligatoires est trop élevé et les circuits bancaires trop frileux pour inciter à créer des petites entreprises et où le chômage pousse les jeunes à vouloir devenir fonctionnaires non par esprit civique mais pour échapper au chômage, il est toujours urgent d’emprunter de l’argent mais pour acheter une autre pompe.
Quant au cadre financier 2007-2013 du budget de l'Union, il corsète les dépenses communautaires à 1,05% du PNB européen. Ces limites devaient impérativement être revues pour faire face à l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. L’Europe semble avancer vers une union sans cesse plus étroite entre les problèmes.
Gabrielle Durana
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[1] Berceau de la vie intellectuelle espagnole, de Buñuel à Garcia Lorca, de Keynes à Manuel de Falla, la Residencia de Estudiantes à Madrid avait été fermée par le franquisme pour cause de subversion. Elle a rouvert ses portes au début des années 80. Elle offre le toit et le couvert à de jeunes artistes, musiciens, écrivains et des chercheurs pour une durée de 3 ans. Elle est rattachée à l’équivalent espagnol du CNRS. http://www.residencia.csic.es/
[2] Le short selling, ou vente à découvert c’est quand pensant que le cours d’une action va baisser, on emprunte un titre, on le vend, puis on en achète un autre trois jours plus tard pour le rendre, au nouveau cours, et qu’on empoche la différence. Le naked short selling, c’est quand on fait la même chose sans avoir emprunté l’action au préalable. Normalement, la deuxième pratique est interdite. Quant à la première, elle est légale mais parfois temporairement suspendue.
[3] Sur les Credit Default Swaps, lire : http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n28-les-prions-de-la-finance.html et la suite.
[5] José Maria Aznar avait attribué la responsabilité des 5 bombes qui avaient éclaté à Madrid à quelques jours des élections législatives de 2004 au mouvement indépendantiste basque, ETA or il s’était rapidement avéré qu’Al Qaeda avait perpétré les attentats, en représailles au soutien de l’Espagne à la guerre en Irak, mais le gouvernement a essayé de ralentir la diffusion de la nouvelle.
[6] Le maire de New York est aussi propriétaire de la chaîne d’informations financières Bloomberg TV.
[7] José-María Aznar a été Premier ministre de l’Espagne de 1996 à 2004.
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