William Kentridge, “History of the Main Complaint” (1996)
9 juillet 2010
Pendant que le reste de la blogosphère francophone se demande si l’affaire Woerth-Bettencourt ira jusqu’au Watergate, j’attendais la liste de banques européennes admises aux tests de résistance (stress tests).
Sa publication est intervenue il y a deux jours. L’auteur en est le Comité européen des Contrôleurs Bancaires ou CEBS, « un comité de niveau 3 du secteur bancaire agissant dans le cadre du processus Lamfalussy »[1]. Sérieux, venez me rendre visite dans mon univers parallèle, ça vous changera de la canicule et des soldes.
Il était une fois M. le Baron Alexandre de Lamfalussy, né en 1929. Il quitta sa Hongrie communiste à l’âge de 20 ans et alla étudier à Louvain, puis Oxford. Bien des années plus tard, devenu banquier central au Royaume de Belgique, il constata que l’Union Européenne était composée de législations financières dépareillées. Après avoir consulté plusieurs grimoires, il arriva à la conclusion que la seule façon de les unifier était de faire préparer la pâte à gaufres d’une autre manière : d’une part que l’Union Européenne, via le Parlement, parce qu’il-le-faut-bien, et la Commission, parce que ces-gens-là-savent-ce-qui-est-bon-pour-le-marché-unique proposent une nouvelle machine ; de l’autre que les institutions bancaires infranationales via leurs régulateurs et leurs représentations professionnelles fassent remonter leurs vues et leurs besoins sur la recette. Dans une ronde bureaucratico-démocratique, on associerait tous les intérêts (stakeholders) à la création de la meilleure législation financière possible.
Je me soucie de Lamfalussy, parce que quand les Etats-Unis avaient conduit leurs stress tests sur leur système bancaire, au printemps 2009, c’étaient les services de Tim Geithner[2], ministre des finances qui avaient apposé les électrodes. Dans le cas européen, ce ne seront pas les services d’une gouvernance économique commune encore à inventer, ou la Banque Centrale Européenne, mais « le niveau 3 du processus de Lamfalussy », c'est-à-dire les régulateurs nationaux réunis en conclave. Cliquez ici[3] pour voir le 3eme niveau, et après, redescendons au texte.
Le document est en anglais[4] et vaut son pesant de thé. Par touches clairsemées, les deux pages font allusion à deux scenarios pour 2010-2011 ; le premier dit « de référence » (baseline) et le second « défavorable » (adverse), où la croissance en UE serait de 3% inférieure à celle de la première version. Nous apprenons qu’il s’agit d’évaluer la résistance de chaque banque et du système tout entier à différents chocs ; le seul cité est un pays entrant en cessation de paiement (lequel ?), et la résilience face à un sevrage de l’aide publique. Les critères « étendus » de l’audit ne sont jamais énumérés de manière exhaustive.
Ensuite la liste. Publiée en annexe, elle ne reflète pas une présélection des suspects mais un échantillonnage (qui sont les acteurs dans cette branche de l’économie ?), d’au moins 50% du secteur bancaire de chaque Etat membre, évalué en fonction de la taille des actifs. Au niveau européen, 91 groupes (soit 65% du secteur) ont été retenus. La longueur de la liste par pays est une illustration de la concentration du secteur. La France compte quatre noms (BNP, Crédit Agricole, Banques Populaires Caisse d’Epargne, et la Société Générale), l’Espagne, vingt-huit, l’Allemagne, quatorze, l’Angleterre, quatre aussi.
Les résultats des tests seront publiés le 23 juillet même si les banques dans le vert sont déjà en train de lancer des fuites dans la presse. Effectués par les autorités de régulation nationales, en « coopération étroite avec la Banque Centrale Européenne », ils sont censés calmer les marchés.
On peut douter que l’objectif soit atteint. Moins parce que les critères sont opaques, les scenarios de Geithner étaient clairs mais finalement assez peu stressants, que parce que la recapitalisation s’avèrera impérative et impossible ; s’agissant de banques mutualistes et régionales pour beaucoup d’entre elles, et pour les autres, celles qui ont accès aux marchés des capitaux, d’une crise concomitante de la crédibilité du bilan et du hors-bilan des banques et de la solidité des finances publiques.
Le salut ne pourra donc venir que de Mars, d’Allemagne, des Pays-Bas, très peu endettés, de la Chine ou de la déflation ; l’austérité ne suffira pas. Il y aurait bien aussi l’inflation, mais il faudra passer sur le corps d’Angela Merkel.
Depuis le 10 mai, la Banque Centrale Européenne fait donc de la réanimation. Elle a acquis dans l’open market 60 milliards d’euros de dette grecque et d’autres pays vulnérables, comme le Portugal. Par ailleurs, mardi 5 juillet, 151 banques ont sollicité et obtenu des liquidités en mettant des actifs en gage, pendant 7 jours, pour un montant de 229 milliards d’euros ; du jamais vu depuis juin 2009 que le programme a été institué. Les économistes estiment que le phénomène s’explique par le fait que la semaine dernière, les banques avaient dû rembourser 442 milliards d’euros arrivant à expiration au même créancier, la BCE. En quelque sorte, vous venez de recommencer le mois et vous êtes déjà à découvert.
Certes l’euro est remonté à 1,26$, mais quand l’Allemagne va, le reste de l’UE va-t-il ?
De plus, on peut douter que les autorités de régulation nationales au sein du CEBS, qui étaient censées détecter les problèmes chez elles pendant leur conception se déjugent en auscultant les bilans des banques et qu’elles diagnostiquent : « ce malade a un cancer ! ». Certes, il y a les autorités de régulation des voisins, surtout celles des potentiels payeurs. On s’achemine donc vers une demi-collection, seulement, de banques zombies.
Enfin, les Européens trainant des pieds pour reréguler les marchés financiers, dans un jeu non coopératif à somme négative, et faute de croissance réelle, les spéculateurs ont encore de beaux jours devant eux.
Comme on est moins malheureux à plusieurs, on fera bientôt le plein dans le Golfe du Mexique avec de l’eau de mer.
Gabrielle Durana
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[1] Définition tirée du site de l’Association Française des Banques.
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