Barack Obama appose sa signature en bas de la nouvelle loi de réforme financière.
31 juillet 2010
Sans fleur ni couronne, nous fêterons le 9 août prochain les trois ans du début de la crise des « subprimes ». Un emballement de plusieurs types de nouveaux produits financiers, censés au départ diluer le risque, échangés, de gré à gré sans ‘chambre de compensation’ [1] qui garantisse la solvabilité de la contrepartie, et adossés à une bulle spéculative dans le secteur de l'immobilier ont conduit à la plus grande catastrophe financière en 70 ans. Plusieurs millions d’emplois, dont 7,9 millions aux Etats-Unis [2] ont été détruits, et l’Union Européenne a connu sa première expérience aux frontières de la mort.
Les Etats-Unis, le Japon, l’Australie ont réagi en élisant un Président Noir, un Premier ministre plébéien [3] et une femme [4] comme dirigeante de l’ancienne colonie pénitentiaire, tous trois hors du moule, sociaux-démocrates et pragmatiques. En Europe, la crise a ramené les conservateurs au pouvoir là où ils n’y étaient pas déjà. Quant aux anciens pays de l’Est, le tsunami social a réveillé une insoutenable nostalgie de l’ère soviétique. [5]
Même si la conflagration a été arrêtée par une intervention coordonnée des banques centrales, qui ont continué à alimenter l’économie en liquidités quand les marchés décentralisés de capitaux se sont disloqués, si donc la nécrose a pu être en grande partie évitée, qui aurait conduit à des taux de chômage de 30%, le réamorçage de la pompe, lui, s’avère beaucoup plus difficile.
A l’automne 2008, le camp du ‘laissez-faire’ était disqualifié par l’Histoire. La puissance publique était de retour. Il n’a pas fallu longtemps pour comprendre que ce ne serait pas la résurrection de l’Etat-opérateur ou du rêve énarchique de l’Etat-stratège. L’Etat-pompier, chèque-à-papa, l’Etat-client, soutien de la demande globale, l’Etat rhéteur, d’accord. Et un peu excusez-le, l’Etat-employeur et même l’Etat à votre bon cœur, ah, ces Rsasistes et ces chômeurs… Mais les caisses sont vides, donc que nenni de l’Etat-bâtisseur encore moins de l’Etat-découvreur.
Sauf aux Etats-Unis, où pourtant Bush avait vendu l’argenterie dans le but de financer deux guerres et les ristournes fiscales des riches.
Dix-huit mois plus tard, un désaccord total sépare les deux rives de l’Atlantique sur la meilleure manière de renouer avec la croissance. En EU, en proie à une menace de raid sur les dettes souveraines, l’Allemagne au non des autres préconise l’austérité. Les Etats-Unis sont convaincus que la reprise viendra de la consommation, mais en économie ouverte, avertissent-ils, les fuites dans le circuit nécessitent une relance concertée.
Dans le marché des capitaux, la barrière idéologique aussi est tombée. Tout le monde préconise la rerégulation ; même si les instances pour aboutir à ce cadre commun divergent. Il faudrait passer par le G20, le G8, le FMI, rétablir le Glass–Steagall Act [6], instaurer la « règle de Volker »[7]. Les produits financiers sont des armes de destruction massive et les banquiers des inconscients, les gouvernements doivent donc imposer des règles, au nom de l’intérêt général. Bien sûr dire que les marchés de capitaux sont un bien public, comme l’air et l’eau qui appartiennent à tout le monde ne décrit pas la réalité, puisque les agios payés par les petits servent souvent à offrir des cadeaux aux clients les plus fortunés et que dans certains pays, une frange de la population active n’a pas accès à une banque.
Aux Etats-Unis, la loi HR 4173 [8] portant rerégulation financière, adoptée le 15 juillet et promulguée le 21 juillet constitue une réponse certes incomplète, mais tout de même la plus ambitieuse depuis les années 30. Son sous-titre indique le champ de ses ambitions : [elle] « vise à fournir une réforme de la régulation financière, protéger les consommateurs et les investisseurs, améliorer la compréhension de l’Etat fédéral des questions d’assurance [9], réglementer les marchés de gré à gré des produits financiers dérivés, et d’autres buts »[10]. Il faudra bien sûr attendre la publication des décrets d’application pour connaître le détail.
Lundi de cette semaine, les régulateurs du comité de Bâle sont aussi tombés d’accord sur de nouveaux critères prudentiels plus stricts. Cela concerne la définition de la notion des fonds propres, qui ne pourra pas être composée de plus de 15% d’autres choses que de capital et de réserves [11], mais aussi sur des ratios de liquidité et de la mise au point d’un ratio d’effet de levier.
Ces nouvelles règles sont beaucoup plus sévères que celles de Bâle II mais n’entreront en vigueur qu’en… 2018.
Il est vrai qu’on se croirait un peu dans un film de Madmax. Le ratio de net de financement stable (« net stable finding ratio ») qui se justifiait par la frontière de plus en plus floue entre le « portefeuille des prêts » (banking book) et le « portefeuille des titres » (trading book), lui, a la splendeur d'un enterrement de première classe, d'un enterrement de première classe. Si la mesure avait été adoptée, les banques auraient dû se recapitaliser de plus de 4 trillions €.
L’autre mesure post-apocalyptique était le % de risque alloué à chaque type de dette ; ce qu’en économie, on appelle le calibrage ou pondération (calibration) et là aussi, le comité de Bâle a préféré surseoir sine die.
Trois ans après l’éclatement de la crise, nous pouvons soulever le verre et le trouver à moitié fêlé ou en voie de se remplir. Mais adopter de nouvelles lois, a fortiori de bonnes lois, suffira-t-il à reréguler la finance ?
Une étude très intéressante rédigée par José Viñals et Jonathan Fiechter en mai 2010 et intitulée « Comment fabriquer de la bonne supervision : apprendre à dire « non » » [12] insiste sur la notion de bonne supervision. En autres termes, il faut que le cadre réglementaire soit bon (une bonne régulation), mais ce qui compte encore davantage c’est l’application des règles, la ‘compliance’, comme on l’appelle, qui trop souvent dans les banques rime en réalité avec …complaisance.
Le terme de compliance d’origine médicale désigne la rigueur avec laquelle le malade suit les prescriptions du médecin. Dans leur étude, Viñals et Fiechter constatent que la banque est certainement le secteur au monde le plus régulé, suivi par l’aviation et l’énergie nucléaire, mais que ces règles restent trop souvent lettre morte.
Leur étude statistique est saisissante sur l’application des principes de base de Bâle 2. Elle montre que certaines règles ne sont pas suivies d’effet, parfois par 70% des institutions. Voici deux tableaux. Les bâtonnets bleus désignent le % de banques qui violent les règles ou ne les appliquent pas, tel que constaté lors des audits sur place.
Les raisons de cet échec tombent selon les auteurs dans deux catégories : la capacité de superviser et la volonté de le faire.
Avoir les moyens d’agir requiert un personnel très qualifié, suffisamment nombreux pour conduire des audits sur place (les audits sur pièces sont très faciles à manipuler), et suffisamment bien payé pour bannir le pantouflage ; qui ne saurait conduire qu’à des situations de conflits d’intérêts intertemporels, et plus généralement à une capture des régulateurs par les acteurs.
La volonté de superviser (‘will to act’) est à développer de concert avec les conseils de surveillance, dont le devoir de loyauté (fiduciary duty) des administrateurs vis-à-vis à actionnaires devrait être mieux pris au sérieux grâce à la sanction des juges.
Selon Viñals et Fiechter, la bonne supervision est « intrusive, sceptique, proactive, exhaustive, adaptative et jusqu’au-boutiste ». Voilà de quoi faire cesser l’impuissance des régulateurs et donner aux politiques qui voudraient vouloir une liste de mariage.
Oh, timide! Oh, mort-né!
Gabrielle Durana
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[1] Organisme réunissant les établissements ou intermédiaires financiers effectuant quotidiennement de nombreuses opérations réciproques, notamment dans le fonctionnement bancaire et sur les marchés des capitaux, afin d'échanger les dettes et créances qui en résultent et en faciliter ainsi le règlement en limitant les déplacements d'argent ou de titres. Par exemple, si un client signe un chèque et le donne à un client de la
[2] depuis décembre 2007
[3] Pour un portrait de Naoto Kan., lire ici : http://www.guardian.co.uk/world/2010/jun/04/naoto-kan-japan-prime-minister Cet article st plus intéressant que le portrait sans épaisseur du Monde que voilà : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/06/04/naoto-kan-futur-premier-ministre-japonais_1367550_3216.html
[4] Julia Gillard, lire sur sa vie : http://www.pm.gov.au/Meet_the_PM/About_the_PM
[5] “Rate Swings Sting Europe's Borrowers”, Wall Street Journal 27 juillet 2010, article en première page.
[6] Le ‘Banking Act’ de 1933 est plus connu sous le nom de ses auteurs, Carter Glass et Henry Steagall. Il est la réponse réglementaire de l’ère Roosevelt au krach de 1929. Une des mesures principales était d’interdire aux banques de dépôt d’investir l’argent de leurs clients à la Bourse. Cette interdiction a été levée aux Etats-Unis en 1999. En Europe, aussi, on a assisté à la généralisation du mouvement venu d’Allemagne de la Banquassurance.
[7] Du nom de l’ancien gouverneur de la Réserve Fédérale de 1979 à 1987. Paul Volker préconise de ne pas laisser les banques de détail faire des opérations boursières pour compte propre. Une comparaison entre les deux législations est présentée dans l’article de Louis Uchitelle paru le 22 janvier 2010 dans le The New York Times : http://economix.blogs.nytimes.com/2010/01/22/glass-steagall-vs-the-volcker-rule/
[8] http://docs.house.gov/rules/finserv/111_hr_finsrv.pdf
[9] Les assurances relèvent de la compétence des Etats et étaient donc surveillées par une myriade d’agences qui ne se parlaient pas.
[10] ‘To provide for financial regulatory reform, to protect consumers and investors, to enhance Federal understanding of insurance issues, to regulate the over-the-counter derivatives markets, and for other purposes’.
[11] Etaient visées en particulier les impôts différés, les frais de perception des prêts hypothécaires et les participations minoritaires.
[12] “The Making of Good Supervision: Learning to Say “No””, Monetary and Capital Markets Department, International Monetery Fund, 18 mai 2010. Texte integral: http://www.imf.org/external/pubs/ft/spn/2010/spn1008.pdf
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