Un. Voilà un mois que le mouvement « Occupy Wall Street » a démarré, à quelques pâtés de maison de l’ancienne barricade érigée par Peter Stuyesant, le gouverneur général de la Compagnie des Indes Orientales, en 1653, en plein Manhattan, pour protéger les colons hollandais contre les incursions autochtones. Sur une place rebaptisée « Liberty square », des jeunes et d’anciens soixante-huitards campent jour et nuit sur le modèle du mouvement des Indignés espagnol. Avec pancartes et journal (l’« Occupied Wall Street Journal »), ils dénoncent la rapacité des banques et leur réclament qu’elles leur rendent une part de rêve américain.
Au début le mouvement était présenté par les médias comme une bande d’enfants mal peignés et énervés dont il fallait laisser se répandre le trop plein d’énergie. En particulier l’expression récurrente était celle d’une « Romper Room Revolution », une allitération en R, et une allusion à la série télévisée des années 70, « Romper Room », qui visait à occuper les enfants de cinq ans, en leur faisant faire de l’activité physique devant le petit écran, pour laisser leur mère souffler une demi-heure.
Maintenant que le mouvement s’est étendu à 25 autres villes, et qu’il dure toujours, les nouvelles de 22h00 et le vrai Wall Street Journal en parlent.
Deux. Comme le démontre l’admirable livre "The Art of Moral Protest - Culture, Biography and Creativity in Social Movements" de James M. Jasper, les périodes de révolte sociale donnent lieu à un maelstrom où se perd l’individualisme et nait une génération. Les slogans souvent emprunts d’humour sont alors de l’or en mot pour les sociologues qui essaient de saisir le moment.
Trois ans après le tsunami financier, que porte le mouvement Occupy Wall Street ?
Il y a autant de formules que de cerveaux en ébullition. « Wall St is the Problem” est la réponse de la bergère au berger Reagan, qui avait lancé en 1980 : « Governement is not the solution, government is the problem » (=l’Etat n’est pas la solution, l’Etat est le problème).
La thématique des banquiers voleurs (« banksters ») revient très souvent même si « End corporate greed » (=arrêtez l’avarice des entreprises) relève plutôt de l’angélisme. On trouve des appels à la régulation (« Chairman Bernanke–Regulate Your Damn Banks! » ou ‘Gouverneur, régulez vos satanées banques !’), autour de l’équité (« End Welfare for the Rich! » ou ‘Assez d’assistanat fait aux riches’) On lit aussi des revendications concernant la politique souhaitable de sortie de crise : « Paychecks not credit card bills » (=des salaires, pas des factures de carte bleue), ou “Stimulus not corporate welfare” (=la relance, pas l’assistanat d’entreprises), ou encore « Procyclical monetary and fiscal policies in a Depression are stupid! » (=les politiques monétaires et budgétaires pro-cycliques dans une crise sont une stupidité !) pour les keynésiens assermentés. « End the Fed » (=fermez la banque centrale) rappelle des cris de ralliement du Tea Party.
Le slogan le plus connu est devenu : « We are the 99% », « nous représentons 99% des gens » ; et une variation autour de ce dernier : « Banks for the 99%!”
Trois. Le mouvement Occupy Wall Street est une réponse tardive, une alternative de gauche au Tea Party. Il constitue une prise de conscience de l’oppression d’une classe d’ « über-riches », qui pait moins d’impôts qu’une secrétaire et vit comme des nababs, sur une classe moyenne appauvrie et dépouillée de sa dignité car incapable de subvenir aux besoins de sa famille ou d’en fonder une, grâce au fruit de son travail.
Nancy Pelosi, élue de San Francisco et dirigeante de la minorité démocrate au Congrès voit dans le mouvement « la quintessence des valeurs américaines de justice [procédurale] (« fairness »).
Naomi Klein et Michael Moore se pincent pour y croire car jamais depuis Karl Marx il n’y a eu de mouvement ouvrier aux Etats-Unis.
Les rangs des « occupants » sont clairsemés mais leurs slogans délient les langues de 99% des passants. De la capacité des révoltés à influencer les 98% qui n’envient pas les riches, pour qu’ils exigent de leurs représentants une loi qui revienne au taux d’imposition de l’ère clintonienne, dépend la mesure du succès d’un mouvement qui se veut sans Dieu ni maitre. Il est vrai que 1% de la population détient aujourd’hui 40% de la richesse états-unienne, une concentration inédite depuis Gatsby le Magnifique.
Gabrielle Durana
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