mercredi 26 octobre 2011

Les banques qui souffrent (131eme épisode)


40, 50 ou 60% de réduction, non ce n’est pas les soldes, mais l’effort de décote demandé aux banques européennes, singulièrement françaises, et autres créanciers privés, sur la valeur nominale de leurs bons du trésor grecs. Evidemment si vous étiez banquier petit, gros, paisible, assureur à tout prendre ou investisseur intentionnel irréprochable, au lieu des 21%, annoncés lors de l’accord du 19 juillet 2011, cela vous fait tout drôle. De mémoire de rentier européen, on n’avait pas vu pareil revers depuis les emprunts russes, unilatéralement répudiés par les Bolcheviques.

La conversation est d'autant plus déplaisante qu'il ne suffit pas aux Etats d'imposer la solution de faillite partielle de la Grèce à leurs banques nationales : il est aussi impératif de les faire adhérer au plan « de leur plein gré ». La casuistique bancaire est très claire : la décote ne doit surtout pas être interprétée comme un défaut de paiement.

Vive la « restructuration » !

D’une part un défaut de paiement entrainerait une interdiction automatique opposée à la Grèce de se refinancer auprès de la Banque Centrale Européenne ; en quelque sorte, elle serait guérie de la péritonite mais ne recevrait plus d’oxygène. Le problème n’est pas la Grèce à qui les autres ont fait boire la ciguë, après le procès. La dette de la Grèce est maintenant devenue le problème clair, connexe, créé de toutes pièces de la Banque Centrale Européenne : des bons du trésor hellènes, la BCE en a reçu en gage, pour 330 milliards d’euros, quand elle a refinancé la dette grossissante du petit pays ; tandis que les autres membres de la famille européenne répétaient pendant 18 mois : « cet enfant n’est pas le mien ». Aux mêmes causes, les mêmes effets sur l’Italie, le Portugal et l’Espagne, dont le bilan de la BCE est gorgé. Essayez un peu pour voir, si la question de la solvabilité de la BCE ne serait pas vite posée.

Trop interconnectées pour faire faillite

L’autre raison pour choisir ses mots est que le dit événement déclencherait le paiement de tous les CDS sur la Grèce, un type de produits dérivés destinés à couvrir les risques de faillite. A la météo des ennuis, cela rapporte 5,97 millions € par an d’assurer 10 millions € de dette publique grecque à cinq ans. Or si leur déclenchement n'a pas lieu malgré une décote de 50% des titres, le marché des CDS sera sérieusement disloqué, car à quoi cela sert-il de s’assurer contre le cyclone, si si lorsqu'il trombe, un Etat sort de sa neutralité pour vous interdire de collecter l’aumône d’autres banques. Décidément, quand l’économie réelle ne produit pas assez de profits et que le régulateur est envoyé à Cayenne, l’effet domino de grande échelle est toujours et partout un phénomène financier.

De quoi je me mêle ?

Il n’y a pas que M. Geithner et Obama, vous et moi qui trouvons que cela commence à faire. Le week-end dernier, notre président M. Sarkozy l’a rappelé à David Cameron sans ambages. Or « les pays non membres de la zone euro craignent, légitimement, une issue négative de la crise de la dette, à savoir une sortie de la Grèce de la zone euro. Dans ce cas, il faudrait geler tous les comptes des créanciers de la Grèce et contrôler les capitaux pour éviter une fuite. Cela entraînerait une profonde remise en cause des règles financières et de libre-échange de l'Union européenne", explique Michel Aglietta, professeur spécialiste d’économie monétaire à l'Université de Paris-X Nanterre.

Patriotisme bancaire de mauvais aloi

Un accord devait être trouvé le week-end dernier, puis aujourd’hui, puis demain, puis avant le sommet du G20 des 3-4 novembre 2011 à Cannes. L’Allemagne exige que la recapitalisation des banques, inévitable suite aux pertes imminentes au bilan des banques (ex : 37 milliards € de bons du trésor grec pour la BNP) soit payée par chacun des Etats ; tandis que la France essaie de socialiser les pertes, via le Fonds Européen de Stabilisation Financière tout en préservant au minimum la maudite décote.

L'évolution du Fonds Européen de Stabilisation financière est devenue la pierre d'achoppement des négociations européennes. Le FESF est très bien noté (AAA) par les agences de notation. Cela lui permet d'emprunter à moindre coût, et de prêter aux pays en difficulté à des taux inférieurs à ceux des marchés. Mais avant la fin des temps, il faut bien que quelqu’un paye. Faut-il faire du FESF un prêteur en dernier ressort ? Le transformer en banque qui pourrait se refinancer auprès de la BCE ? L’unité se lézarde.

Ce qui se joue ces jours-ci est bien une nouvelle distribution du pouvoir politique au sein de l’UE. L’ancien compromis est rompu. Jean Monnet se meurt. « Renonce aussi à cet empire. Renonce aussi aux couleurs. Cela t'égare encore, cela te retarde. Tu ne peux plus t'attarder, tu ne peux plus t'arrêter, tu ne dois pas. » (Ionesco).

Gabrielle Durana

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