21 octobre 2011
Un. Une cinquantaine de manifestants d’Occupy San Francisco ont campé pendant deux jours, sur la place Justin Herman en face du Ferry Building. La bien nommée, en l’honneur du chef de l’agence locale de redéveloppement urbain, qui, dans les années 60, déclarait : « sans logement social, les critiques auront raison de condamner la rénovation du centre ville comme un accaparement de la terre par les riches et un effort pour chasser les pauvres et les non-Blancs », la place, tout au bout de Market street, louche vers la succursale couronnée d’arcades de la Réserve fédérale.
Aux abords du parvis, entre la fontaine décrépite de Vaillancourt et la Chiffonière de Dubuffet, là où une fois par an se déroule une bataille de polochons, dont les plumes répandent dans le quartier et finissent dans la Baie, la police attend. Dimanche dernier, elle est intervenue pour faire évacuer les lieux et a arrêté cinq personnes. Lundi, matin, sous le bruit obsédant des hélicoptères, les manifestants étaient revenus dénoncer l’impasse du futur avec une farandole de pancartes.
Aujourd’hui, à Oakland, le petit-neveu du légendaire syndicaliste paysan, Cesar Chavez (1927-1993), qui s’est battu pour que les travailleurs agricoles chicanos aient des droits et une dignité, se mariait à la mairie. La mariée et Matheo ont estimé que le cortège des campeurs à l’entrée constituait un beau symbole, qui rappelle que « le sacrifice est le pilier sur lequel repose le progrès ».
Pourtant, depuis deux jours, des participants ont aussi témoigné que le village de tentes, semé de paille et qui observe le tri sélectif était en train de virer au chaos. Des SDF se seraient joints au groupe « transformant quelque chose de magnifique et d’organisé en une scène tirée de ‘Sa majesté des Mouches’ ». La violence a éclaté faisant s’éloigner les étudiants. Les théoriciens du complot et les vieux militants du mouvement des droits civiques sont convaincus que des agents du FBI se sont infiltrés pour décrédibiliser les occupants. Ce soir, la municipalité a ordonné l’évacuation pour raisons sanitaires, invoquant la présence de rats.
A San Jose, capitale de la Silicon Valley, une trentaine de manifestants aussi campent devant la mairie. Aux nouvelles de 22h00, ils arborent leurs actes de désobéissance civile avec un sourire tranquille.
Deux. Le mouvement Occupy Wall Street passera-t-il l’hiver ? Si on est conservateur, comme les pages d’opinion du Wall Street Journal, la peur de l’anarchie vous fait taxer les manifestants de squatters. Ainsi dans l’article paru le 20 octobre, Daniel Henniger compare-t-il le campement new yorkais, aux effluves de cannabis, à la zone de non-droit de Lower Manhattan, si bien dépeinte dans le film sur la vie de Jean-Michel Basquiat[1] ; une sorte de paysage de Mad Max urbain.
La référence à ‘Sa Majesté des Mouches’, le roman de William Golding écrit en 1954 revient souvent dans les médias grand public, ceux qui manufacturent le consensus. C’est l’histoire d’un groupe de jeunes garçons de milieu privilégié dont l’avion s’écrase sur une île déserte et tous les adultes sont tués sur le coup. Petit à petit, la civilisation se désagrège et la violence fait rage jusqu’au chaos.
Jamais il n’est fait mention dans les médias que le mouvement s’est enfin doté d’un manifeste, collaboratif, comme Wikipedia ou les Google docs, dite Déclaration des 99%. C’est dommage, car le document avance un certain nombre de revendications politiques progressistes parfaitement claires.
Trois. Dans la Baie de San Francisco, les hivers sont doux. Ici, tout le monde se souvient des « embrasseurs d’arbres » (tree huggers) de 2008, qui ont vécu comme le Baron perché pendant dix-huit mois à l’orée du campus de Berkeley pour empêcher qu’on abatte des chênes à l’emplacement prévu d’un nouveau stade.
L’appréciation des passants, informés par des flashs et les articles partagés par leurs amis sur Facebook, oscille entre le folklore amusé mais triste par la crainte d’être déçu si le mouvement meurt, l’indignation profonde mais inattentive à cause des soucis, et le sentiment que le mouvement est trop hétéroclite pour déboucher sur un programme politique : Josh Fattal, Shane Bauer et Sarah Shourd, étudiants de Berkeley et anciens otages iraniens pendant deux ans, pour avoir traversé la frontière sans autorisation, ont prononcé un discours lundi devant l’assemblée d’Occupy Oakland dans lequel ils dénonçaient les conditions de détention des prisonniers californiens.
L’association MoveOn.org, à la gauche du parti démocrate essaie de surfer sur le mouvement et de convaincre la jeunesse qui avait fait campagne pour Obama en 2008 que la révolte doit être canalisée par les urnes. En 2012, Obama a peu de chances d’être battu par un quelconque Républicain. Bien qu’aimé, les Américains le rendent responsable de la paralysie politique.
Gabrielle Durana
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