mardi 26 juillet 2011

Le jugement de Salomon (120ème épisode)


26 juillet 2011

La perfusion européenne ne résout rien et coûtera cher mais au moins le malade est toujours malade, il n’est pas mort. De ce côté-ci de l’Atlantique, les jours s’étirent pour essayer de durer le plus possible jusqu'au 2 aout 2011, le jour où si tout se passe mal, les Etats-Unis entreront en cessation de paiement. Une minorité du Tea Party a confisqué la raison officielle du Parti Républicain et refuse mordicus la moindre augmentation d’impôt. Par ses temps si difficiles, il ne faudrait pas léser les plus riches.

Les « überrich » comme on les appelle parfois aux Etats-Unis sont une race de sous-contribuables, qui s’estime surtaxée : du temps de la réélection de Bush face à Kerry, quand je travaillais à la galerie, un célèbre –mais sans visage- artiste de voix « off » se plaignait, en essayant de nous convaincre de livrer ses estampes dans un autre état[i] : « je paye déjà autant d’impôts que 10.000 personnes ». Un article paru dans le San Francisco Chronicle le 20 juillet 2011 résume bien la situation absurde et extrême dans laquelle est jetée le pays : il suffirait de changer deux virgules dans le Code fédéral des Impôts pour faire entrer des milliards $ de recettes supplémentaires, versées par 25 contribuables qui ont gagné 22 milliards de $ en 2010 et qui bénéficient d’un abattement fiscal.

Il est facile d’opposer la richesse d’un inventeur génial comme Steve Jobs ou Serguei Brin à l’obscénité des gains sans utilité sociale de 25 gérants de fonds speculatifs (hedge fund managers), car si l’argent est fongible, toutes les fortunes ne sont pas créés égales. Nous supposons que les Etats-Unis perdent subitement leurs cinquante premiers chefs d’entreprise, leurs cinquante premiers chercheurs, leurs cinquante premiers industriels. Comme ces hommes et ces femmes sont les Américains, souvent d’origine immigrée, les plus essentiellement producteurs, ceux qui donnent les produits les plus importants, ceux qui dirigent les travaux les plus utiles à la nation, il faudrait aux Etats-Unis au moins une demi-génération, compte-tenu de l’immigration, pour réparer ce malheur. Mais si on taxait 25 hedge fund managers, il n’y aurait pas mort d’homme.

Coupons, coupons gaiement dans les programmes sociaux et affamons la bête immonde étatique. Les Républicains attendent que les Démocrates décident de leur céder le pays pour ne pas le voir tomber en lambeaux. Les marchés se pincent. Ce serait un comble que la fête qui était si jolie soit ruinée à cause d’un conventicule qui n’a pas plus de génie qu’une mouche. On dit officieusement que la vraie date où le plafond s’effondrera, s’il n’est pas colmaté, est le 10 aout. Ce serait antipatriotique de faire des opérations baissières contre le Trésor de son propre pays. Le Wall Street Journal pourrait publier votre photo en plein page.

Gabrielle Durana

All rights reserved.



[i] Pour échapper à la sales tax californienne (8,75%), il suffit de ne pas habiter dans l’état, ou d’avoir une résidence secondaire dans un autre état et de feindre que c’est votre résidence principale.

Le jugement de Salomon (120ème épisode)


26 juillet 2011

La perfusion européenne ne résout rien et coûtera cher mais au moins le malade est toujours malade, il n’est pas mort. De ce côté-ci de l’Atlantique, les jours s’étirent pour essayer de durer le plus possible jusqu'au 2 aout 2011, le jour où si tout se passe mal, les Etats-Unis entreront en cessation de paiement. Une minorité du Tea Party a confisqué la raison officielle du Parti Républicain et refuse mordicus la moindre augmentation d’impôt. Par ses temps si difficiles, il ne faudrait pas léser les plus riches.

Les « überrich » comme on les appelle parfois aux Etats-Unis sont une race de sous-contribuables, qui s’estime surtaxée : du temps de la réélection de Bush face à Kerry, quand je travaillais à la galerie, un célèbre –mais sans visage- artiste de voix « off » se plaignait, en essayant de nous convaincre de livrer ses estampes dans un autre état[i] : « je paye déjà autant d’impôts que 10.000 personnes ». Un article paru dans le San Francisco Chronicle le 20 juillet 2011 résume bien la situation absurde et extrême dans laquelle est jetée le pays : il suffirait de changer deux virgules dans le Code fédéral des Impôts pour faire entrer des milliards $ de recettes supplémentaires, versées par 25 contribuables qui ont gagné 22 milliards de $ en 2010 et qui bénéficient d’un abattement fiscal.

Il est facile d’opposer la richesse d’un inventeur génial comme Steve Jobs ou Serguei Brin à l’obscénité des gains sans utilité sociale de 25 gérants de fonds spéculatifs (hedge fund managers), car si l’argent est fongible, toutes les fortunes ne sont pas créés égales. Nous supposons que les Etats-Unis perdent subitement leurs cinquante premiers chefs d’entreprise, leurs cinquante premiers chercheurs, leurs cinquante premiers industriels. Comme ces hommes et ces femmes sont les Américains, souvent d’origine immigrée, les plus essentiellement producteurs, ceux qui donnent les produits les plus importants, ceux qui dirigent les travaux les plus utiles à la nation, il faudrait aux Etats-Unis au moins une demi-génération, compte-tenu de l’immigration, pour réparer ce malheur. Mais si on taxait 25 hedge fund managers, il n’y aurait pas mort d’homme.

Coupons, coupons gaiement dans les programmes sociaux et affamons la bête immonde étatique. Les Républicains attendent que les Démocrates décident de leur céder le pays pour ne pas le voir tomber en lambeaux. Les marchés se pincent. Ce serait un comble que la fête qui était si jolie soit ruinée à cause d’un conventicule qui n’a pas plus de génie qu’une mouche. On dit officieusement que la vraie date où le plafond s’effondrera, s’il n’est pas colmaté, est le 10 aout. Ce serait antipatriotique de faire des opérations baissières contre le Trésor de son propre pays. Le Wall Street Journal pourrait publier votre photo en plein page.

Gabrielle Durana

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[i] Pour échapper à la sales tax californienne (8,75%), il suffit de ne pas habiter dans l’état, ou d’avoir une résidence secondaire dans un autre état et de feindre que c’est votre résidence principale.

samedi 16 juillet 2011

L’Europe et le renard (119e épisode)


16 juillet 2011

Un. On croit rêver. Toute la semaine, les investisseurs institutionnels ont couvert leurs positions européennes ou les ont allégées, parce qu'une catastrophe du type de la faillite de Lehman Brothers ou d'AIG est perçue comme possible, tandis que l’eurogroupe n'arrive pas à se coordonner pour boucler un 2eme plan d’aide à la Grèce. Pourtant, les tests de résistance de l’Autorité Bancaire Européenne publiés vendredi 15 juillet nous expliquent qu’il ne manque que 2,5 milliards d’euros répartis entre huit banques européennes pour leur permettre de faire face si la situation économique empirait.

Dans d’autres circonstances, j’aurais pris le temps d’analyser ces résultats en détail, mais dans le contexte de juillet 2011, cela m’apparaît comme une perte de temps. Il y a un an, les premiers tests de résistance sur les banques européennes étaient rendus publics ; et déjà le caractère laxiste des hypothèses retenues ne les rendait pas très crédibles[1]. A la différence des vérifications américaines[2], pratiquées au printemps 2009 et suivies d’opérations de recapitalisation obligatoires, les Etats de l’UE ont préféré continuer à vivre sur la fiction d'un système bancaire suffisamment capitalisé s’il devait affronter d'autres chocs. Un an plus tard, la zone euro est au bord de l’implosion, mais les banques européennes vont bien, merci.

D’ailleurs, les établissements qui ont réussi leur bac de justesse seront placés sur une liste de surveillance particulière dans le cas où leur situation continuerait à se détériorer et ils auront jusqu'à fin 2012 pour se recapitaliser, par leurs propres moyens ou avec l’aide de leur autorité de tutelle. Où les Etats trouveront-ils les fonds pour recapitaliser leurs banques ? Mystère.

Deux. Passent les jours et passent les semaines, pourquoi l'Eurogroupe n'arrive-t-il pas à sortir de l’impasse ? La lourdeur du processus décisionnel y compris de l’enclenchement du fonds européen de stabilité financière peut être attribuée à des facteurs bureaucratiques, mais comme l’ont prouvé l’adoption subite du plan d’austérité de 40 milliards d’€ par le gouvernement Berlusconi en une semaine, et les coupes massives dans le budget grec avant la date buttoir du 30 juin, l’urgence soulève des volontés politiques.

Si on met de côté l’hypothèse d’une médiocrité généralisée, l’incapacité des dirigeants européens à sortir du blocage s’explique par leur rationalité limitée. La rationalité individuelle des dirigeants européens est limitée par les habitudes et les réflexes, les valeurs, la perception du contexte, la conception des objectifs à atteindre. Toute la génération des Pères et des Mères de l’Europe avait connu l’expérience de mort imminente (near-death experience) lors de la Seconde Guerre Mondiale puis les heures chaudes de la Guerre Froide. Même Jacques Delors est né en 1925. Les dirigeants actuels n’arrivent pas à dépasser leur égoïsme parce que leur patriotisme a éclot à l’ombre de la CEE. En particulier, la vision du monde d’Angela Merkel a été forgée par l’expérience de la réunification allemande, de son coût pour la nation allemande et de son caractère inachevé. Aux autres européens, elle déclare et elle le croit : « nous avons déjà beaucoup donné ».

Trois. Le lièvre dit au renard : « Fais-tu réellement beaucoup de profits, et peux-tu dire pourquoi on t’appelle le « profiteur? » — Si tu en doutes, répondit le renard, viens chez moi, je t’offre à dîner, » Le lièvre le suivit. Or à l’intérieur le renard n’avait rien à dîner que le lièvre. Le lièvre lui dit : « J’apprends pour mon malheur, mais enfin j’apprends d’où te vient ton nom : ce n’est pas de tes gains, mais de tes ruses. » (Esope).

Le lièvre enlève la pate du collet et détale.

Pour endiguer la contagion, l’Europe doit sortir de sa mélancolie et reprendre, le fusil à l’épaule, le contrôle de sa politique économique. Le grand compromis pourrait venir d’une constatation de leurs pertes par les banques en échange de l’émission d’euro-obligations pour refinancer les dettes apurées.

Gabrielle Durana

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[2] L’extase des raboteurs de plancher, dédié aux stress tests américains (8 mai 2009)