vendredi 30 septembre 2011

En allemand dans le texte (128ème épisode)



30 septembre 2011

Un. Après les Autrichiens, les Slovènes et les Finlandais, le Bundestag vient d’adopter le principe de l’expansion du cautionnement solidaire de l’Allemagne au Fonds Européen de Stabilité Financière. Il ne s’agissait pas de sauver la Grèce mais l’euro. Ce vote porte la participation de l’Allemagne au FESF à 211 milliards d’euros.

Des trois pays sous assistance financière transeuropéenne, l’Allemagne a absorbé 22% des 110 milliards d’euros octroyés à la Grèce en mai 2010, 13% des 85 milliards € facilités à l’Irlande en novembre 2010, et 18,4% des 78 milliards € consentis au Portugal en mai 2011.

Les autres pays, sous perfusion d’austérité –l’Irlande, l’Italie, l’Espagne, et bien sûr la Grèce-, ou déjà touchés par la peste financière – la France, la Belgique- avaient précédé ; le Sénat français ouvrant la marche le 8 septembre. Seul le Luxembourg dans un acte d’européanisme calculé, car la petite taille a ses avantages a voté les crédits tout en avertissant que c’était la dernière des dernières fois.

Chypre a suivi et l’Estonie aussi, elle qui n’avait même pas un an d’ancienneté dans la monnaie unique. Doivent encore acquiescer leur écot, Malte et les Pays-Bas la semaine prochaine, et le Portugal fin octobre. La Slovaquie rentrera-t-elle dans le rang ? Le niveau de vie des Grecs étant supérieur au sien, les vitupérations fusent.

Si le renflouement est accepté par les dix-sept pays de l’Euroland, les capacités de prêt du FESF passeront de 250 milliards € à 440 milliards €. Cette nouvelle taille permettrait un défaut « ordonné » de la Grèce et devrait arrêter les attaques spéculatives contre le marché obligataire des différents pays de l’UE. En outre, à partir de 2013, le FESF serait remplacé par un Mécanisme Permanent de Stabilité.

Depuis le premier accord du 25 mars 2010, censé mettre fin au niveau européen à la crise grecque, on a le droit de demeurer sceptique. Mais les Européens s’y reprendront à mille fois si nécessaire, parce l’Europe est l’euro et l’euro est l’Europe, avec verrues et malfaçons. Le problème est pour le reste des économes qui sont prises en otage ; y compris la Grèce. Cette dernière, plus la potion est amère et plus elle aurait intérêt à sortir de l’euro et à faire défaut ; l’Argentine a connu une faim et un pillage africains mais son gouvernement a finalement pu regagner le contrôle du destin national.

Deux. Comment la chancelière allemande a-t-elle réussi à obtenir 523 votes[1] en faveur d’un alourdissement de la solidarité financière de son pays dans le FESF soit 4 de plus que nécessaires pour ne pas avoir à recourir aux voix de l’opposition ? Tout le monde craignait qu’Angela Merkel soit lâchée par le petit parti dans sa coalition et que le processus de renflouement du fesF échoue.

Ce n’est certainement pas en expliquant à sa population que l’Allemagne s’était mariée avec l’UE pour l’aimer dans le bonheur ou dans les épreuves, et que ses vœux maritaux excluaient la dissolution. Ni en rappelant que l’Allemagne aussi avait été très mauvaise payeuse, après le Traité de Versailles[2].

Quand Mme Merkel est allée sur un plateau de télévision dimanche dernier, et qu’elle a martelé que l’Allemagne s’était beaucoup endettée, elle faisait allusion à l’histoire de la réunification des deux Allemagnes. Une étude de l’institut de recherches IWH de 2009 confirme que les transferts de l’Ouest vers l’Est sur vingt ans se sont élevés en total à 1300 milliards €, pour un PIB de 2.500 milliards €. Mais le discours d’Angela Merkel sous-entend en creux qu’à la différence de la Grèce, l’UE n’est pas venue en aide financièrement à l’Allemagne dans ses moments difficiles. Or c’est faux.

L’Allemagne a bénéficié des fonds structurels et des programmes de cohésion dans sa partie orientale (par exemple de 2000 à 2006 pour un montant de 34,6 milliards €).

Mme Merkel a aussi insisté sur le fait que les pays membres qui ne respectaient pas les critères du Pacte de Stabilité « doivent être traduits devant la Cour de Justice de l’Union Européenne et les fautifs mis sous tutelle » («Souveränität aufgeben »). Enfin, elle a ajouté que des « freins automatiques à la dépense, comme en Allemagne (« Schulenbremsen, wie in Deutschland ») devraient être institués dans les procédures budgétaires des pays dépensiers ».

Que ces dispositions ne relèvent pas du droit positif européen mais de la rhétorique de veille de vote, pas si enflammée que cela d’ailleurs, car Mme Merkel ne dit pas que l’Allemagne va occuper les mauvais payeurs, il y a quelque chose qui vous tombe sur la tête comme une cloche fêlée dans les propos de Mme Merkel.

Pourrait-on imaginer le gouverneur assurant aux Texans que la Californie devrait être mise sous tutelle, car la note de Moody’s sur ses finances publiques est aussi mauvaise que celle du Khazakstan et … meilleure que celle de la Grèce ? Peut-on concevoir que Rick Perry déclare que « ça suffit de payer pour toute cette bande de fainéants et de tricheurs qui peuplent la Louisiane » ? Mme Merkel dépasse d’autant plus les bornes que l’UE n’est pas un Etat fédéral. Peut-être que personne ne s’en rend compte parce qu’elle le dit en allemand. Peut-être que cela fait tellement longtemps que l’abus dure que c’est l’ancienne et la nouvelle version du normal.

Gabrielle Durana

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[1] 85 voix contre et 3 abstentions sur 611.

[2] Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, l’Allemagne avait éte condamnée à payer des réparation d’un montant de 260 milliards de marks-or (l’équivalent de 100.000 tonnes d’or pur), soit 785 milliards $ de 2011. Cf : FAREED ZAKARIA, sur CNN le 3 octobre 2010. Voir lien: http://transcripts.cnn.com/TRANSCRIPTS/1010/03/fzgps.01.html

mardi 27 septembre 2011

L’or de toutes les chutes (127ème épisode)

26 septembre 2011

Un. La bourse de New York a beau remonter de 2,53% aujourd’hui et repasser au dessus de l’entresol psychologique des 11.000 points, les semaines se suivent et se ressemblent dans leur volatilité et leur cortège de nouvelles décevantes. La dernière était la plus mauvaise depuis octobre 2008.

La crise grecque dure. Même par égoïsme bien compris, les Européens n’arrivent pas à mettre fin à leurs atermoiements Les banques, en particulier françaises sont de plus en plus fragilisées et les solutions collectives coûtent de plus en plus cher. De son côté c’est officiel, de chômage et de froidure, l’économie américaine s’enfonce dans une récession « en un double v »[1]. La Fed annonçait le 21 septembre : « Par ailleurs, il existe des risques significatifs de perspectives économiques négatives, y compris des tensions dans les marchés financiers internationaux. » et comme s’il s’agissait d’un scoop, la Bourse cédait en fin de séance 5%. Ce même jeudi, la Fed annonçait que puisque les taux à court terme sont déjà à des niveaux presque tangentiels de zéro, elle se mettrait désormais à acheter des bons du Trésor à plus long terme, afin de soutenir l’économie ; la politique monétaire hétérodoxe est une drogue dure.

A la veille d’un sommet du Fonds Monétaire International, Pascal Lamy, le dirigeant de l’Organisation Mondiale du Commerce résumait : « Nous sommes dans une zone rouge. […] Nous risquons de répéter le scenario de 2008 pour des raisons différentes mais toujours via le même canal, des marchés financiers qui se brisent ».

Deux. Dans ce contexte de fin des temps économiques, l’or, valeur refuge a perdu 5,6% vendredi 23 septembre, sa plus grosse chute depuis 1983 et 9,67% en une semaine. L’argent a aussi dévissé de 18%, en une seule séance, son pire record depuis 1987. Ces variations à la baisse et aussi brutales peuvent surprendre. Généralement face à la peur, les investisseurs se ruent vers les métaux précieux.

Cette chute s’explique par la combinaison de trois mécanismes : le portefeuille, l’effet de levier, l’appel de marge.

La notion de portefeuille signifie qu’un investisseur institutionnel, ou sachant chasser sans son zinzin ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Il investit au moins dans deux voire trois classes d’actifs (par exemple des actions, des obligations, ou des devises, des matières premières).

L’effet de levier c’est la possibilité d’investir en ne mettant qu’une petite partie de la mise sur la table. Avant la faillite de Lehman Brothers, les banques avaient des effets de levier de 30 à 70. Cela veut dire qu’avec 10$, elles pouvaient en emprunter 70$ et ensuite jouer au casino avec 80$. Avec un tel système, on peut gagner beaucoup, mais vraiment beaucoup, ou on peut rater son coup. Dans le domaine des matières premières (commodities) dont les métaux font partie, l’effet de levier était jusqu’à il y a peu de 90. C'est-à-dire que pour acheter une once à 1900$, il fallait seulement débourser 190$ en cash et qu’on pouvait emprunter le reste auprès de son intermédiaire financier. Supposons que l’or baisse de 5% en un jour, comme vendredi dernier, vous avez donc perdu 50% de votre mise de départ. Encore une baisse de 5% et vous avez tout perdu. Vous devez toujours 1710$ à la banque. C’est alors que vous recevez un coup de fil de celle-ci (appel de marge), qui vous demande de rajouter du cash ou elle procèdera immédiatement à la vente. Comme vous espérez vous refaire, vous déliez votre bourse de nouveau.

Depuis août, l’or recule et il a baissé brutalement vendredi. Evidemment, il avait d’abord beaucoup augmenté. Ainsi son prix a été multiplié par six en dix ans. Il cotait 1592$ l’once ce soir à la clôture.

Parce que les autres classes d’actifs ont pris un tel coup dernièrement, les investisseurs sont obligés de vendre leurs actifs les plus lucratifs dans leur portefeuille, dont l’or et l’argent, afin de couvrir les appels de marge sur les actions ou les obligations. Mais comme ce type de vente est lui-même très fortement effectuée à crédit la moindre variation à la baisse a des conséquences amplifiées, voire catastrophiques pour les spéculateurs triomphateurs, que personne n’ira pleurer, mais aussi pour les consommateurs et les producteurs qui ont besoin de visibilité à moyen terme et qui utilisent les instruments de couverture.

Trois. L’opérateur du marché s’autorégule,... tu parles. Le 11 août, puis le 24 et enfin de nouveau ce week-end, la bourse des matières premières, le Comex a décidé d’augmenter les dépôts de garanties obligatoires sur l’or et l’argent. Les montants varient selon qu’on soit spéculateur ou partie intéressée pour des raisons industrielles ou commerciales.

Prenons un exemple avec l’argent et appliquons les nouvelles règles. Pour un contrat de 5000 onces à terme, il vous faudra désormais débourser 24.875$ si vous êtes spéculateur pour la beauté du gain quotidien ; mais seulement 18.500$, si vous voulez tenir la position d’un jour sur l’autre en tant que spéculateur « régulier ». Comme l’once d’argent cotait 30$ vendredi, cela signifie qu’avec 18.500$ vous avez en réalité pris des positions à hauteur de 150.000$ (30X5000), soit un effet de levier de 1 pour 8 (150.000$ : 18.500$). Quant à l’or, les nouvelles règles de dépôts de garanties obligatoires plafonnent l’effet de levier à … 19,43. C’est un progrès par rapport à 1 pour 90. Mais l’effet de levier est une fronde qui vous revient en pleine figure lorsque vous vous êtes trompé de côté, ou que le reste de votre portefeuille tangue parce l’économie est aux abois.

Quatre. Aujourd’hui, les bourses étaient si jolies parce que les Européens auraient parait-il enfin décidé d’un grand plan de recapitalisation de leurs banques, malgré les stress tests de juillet qui mentaient-vrai. Ils se seraient aussi mis d’accord pour que le Fonds Européen de Stabilisation Financière augmente sensiblement ses capacités de prêt de plusieurs milliers de milliards. Comment ? En utilisant les obligations décotées de l’Etat grec comme collatéral de manière à moins immobiliser de fonds.

L’effet de levier est le principe d’Archimède des financiers. Ce que l’Histoire ne dit pas c’est que le mathématicien grec mourut pendant le sac de Syracuse quand un soldat romain marcha sur ses figures géométriques dessinées dans le sable. « Ne dérange pas mes cercles ! » s’exclama Archimède. Le soldat de l’occire.

Gabrielle Durana

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[1] En anglais, “double dip”. L’expression vient des sauces froides pour crudités de type guacamole etc. Il est très mal poli de tremper (to dip) deux fois de suite la même chip. Par extension, on parle d’une « récession en w », quand la reprise « cale » et qu’une économie s’enfonce une seconde fois dans la crise.

dimanche 18 septembre 2011

Un miroir qui valait deux milliards (126ème épisode)

18 septembre 2011

UN. Kweku Adoboli a été arrêté dans la nuit de jeudi à vendredi à son domicile londonien pour avoir fait perdre à son employeur, l’Union des Banques Suisses, 2,3 milliards de $ dans des opérations boursières non autorisées. L’enquête révèle qu’elles duraient depuis octobre 2008. Le trader fautif de 31 ans, fils d’un diplomate des Nations-Unies à la retraite, rejoint la compagnie des Jérôme Kerviel, 6,7 milliards de pertes pour la Société Générale et Nick Leeson - 1 milliard $ « seulement » de bêtises, mais la Barings a fait faillite. Contrairement à l’image souvent véhiculée, les traders sont des fanatiques des probabilités et prennent des risques calculés, seulement guidés par l’appât du gain et la peur de la chute. Comment un trader voyou (‘rogue trader’) a pu opérer furtivement pendant aussi longtemps restera un cas d’école pour les futures formations des responsables en gestion des risques. Le PDG d’UBS se déclare « responsable mais pas coupable ». Le régulateur était-il endormi, et d’abord qui est le régulateur ?

Les banques étrangères opèrent dans un pays tiers sous deux formes juridiques distinctes. Soit elles ouvrent une filiale (‘subsidiary’) et tombent sous le joug du régulateur du pays où elles s’installent, soit elles préfèrent n’avoir qu’une succursale (‘branch’), auquel cas, leur régulateur national garde un œil sur ces opérations à l’étranger. D’après la porte-parole de la Financial Services Authority, le gendarme de la City, UBS avait crée les deux, ce qui complique la tâche de tout régulateur se donnant un mal de chien, ô combien pour chasser le risque systémique.

DEUX. La réponse est toujours la même, « grâce aux produits dérivés financiers », quelle est la question ? A tous les instruments exotiques que la crise a rendu célèbres, les CDS, les CDO, il faudra désormais ajouter les ETF synthétiques.

Comme les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM ou ‘mutual funds’ en anglais), les fonds indiciels négociables en bourse (‘exchange traded funds’ ou ETF) permettent de diversifier un portefeuille, quand on ne connait pas grand chose à la Bourse. Ils suivent souvent des indices, comme le CAC 40 ou le Russell 2000, se spécialisent dans un secteur d’activité (le solaire, le bancaire…), ou dans une matière première (l’or, le blé…).

Ils coutent moins chers aux clients (environ 2% de moins) que les OPCVM, en particulier parce qu’une fois que le fonds est crée, son contenu est fixe. Aucun gestionnaire de portefeuille ne le manage sur une base régulière pour recalibrer le panier de valeurs mobilières, qu’il faudrait payer.

Autre avantage, chaque ETF se négocie comme une action, facile à acheter ou à vendre. Dans la section C du Wall Street Journal du vendredi 16 septembre, parmi les 12 titres les plus « actifs », on trouvait six ETF, dont SPDR (prononcez Spider comme dans ‘Spiderman’) S&500 qui porte sur l’indice Standard & Poor’s des 500 entreprises les plus importantes de Wall Street et dont le symbole est SPY (les financiers sont de grands aventuriers).

Selon Deutsche Bank, les ETF représentent aujourd’hui 1400 milliards $ d’actifs et le chiffre d’affaire croît de 40% par an depuis dix ans.

TROIS. Les ETF étaient peu suspects de devenir des armes de destruction massive, pour reprendre la célèbre expression de Warren Buffet au sujet des produits dérivés financiers. En effet, les fonds sont propriétaires des valeurs sous-jacentes.

C’est sans compter sur la passion des financiers pour les effets de levier. Achetez une action Apple et vous immobilisez 400$ au 16 septembre. Avec des options (des puts, si je pense que « ça va descendre », ou des calls, si « ça va monter »), je peux démultiplier mes gains en misant un dixième de la somme. Maintenant vous ajoutez tout un indice boursier et vous obtenez un ETF synthétique. Du coup, l’ETF n’est plus l’indice mais le reflet de l’indice, car il ne possède pas les valeurs sous-jacentes. L’avantage c’est qu’il faut beaucoup moins d’argent, l’inconvénient c’est que ca peut se terminer très mal, à cause de l’effet de levier. Kweku Adoboli a joué au miroir du mécano financier avec trois indices et non pas un : le Standard & Poor’s 500 des 500 entreprises américaines, le DAX allemand et l’indice qui regroupe toutes les bourses européennes, l’EuroStoxx.

Derrière chaque transaction il y a une contrepartie : si vous vendez, celui qui achète et vice-versa. Dans un ETF normal, il n’y a pas de risque systémique car via le fonds vous êtes vraiment propriétaire des valeurs sous-jacentes. Au pire, vous perdez votre argent, Dans un ETF synthétique, les pertes tendent vers l’infini et touchent la contrepartie, si vous ne pouvez pas honorer vos dettes. En Europe, 45% des ETF sont synthétiques.

Gabrielle Durana

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