lundi 3 novembre 2008

Chronique # 32 : le FMI et le tsunami



Erratum : pour qu’octobre 2008 ait été aussi mauvais qu’octobre 1987, le Dow Jones aurait dû dégringoler de -22,6%. Grâce à la bonne tenue de la séance de vendredi, la baisse totale de 14,1% n’égale que la performance du mois d’août 1998. Merci au lecteur vigilant madrilène.

Dimanche 2 novembre 2008

Dans « Le Maître et Marguerite », Mikhaïl Boulgakov imagine que le Diable prend le pouvoir à Moscou en 1938 et fait tout ce qu'on attend de Dieu. Il punit les profiteurs, protège les amoureux, ridiculise les bureaucrates, sauve un roman des flammes et fait pleuvoir de l'argent du toit des théâtres. Le Fonds Monétaire International débarquant à Kiev ou à Islamabad pour soulager les victimes d'un tsunami financier, voilà qui revêt un caractère surréaliste.

Traditionnellement quand les pays avaient recours aux Fonds, c'était parce qu'il ne leur restait plus d'espoir ; ce que traduisait l'acronyme du FMI en anglais, IMF ou I'M Finished (=je suis au bout du rouleau) ou I 'M F… (=je suis foutu).
Les prêts ont toujours été conditionnés à la mise en place de Politiques d'Ajustement Structurel (les PAS). Il s'agit de lutter contre les déficits, contre la corruption et de favoriser une meilleure « gouvernance ». Au passage, si vous voulez de l'aide, il faudra trancher dans les politiques sociales, boire la potion de l'austérité et privatiser jusqu' à la dernière petite cuiller. Au lieu de traduire les anciens responsables devant une cour des comptes internationale et de les condamner pour avoir ruiné leur pays, soit par incompétence, soit par prévarication, les populations, soumises à de terribles sacrifices étaient punies une deuxième fois.
En août 2004, l'ancien directeur général, l'Espagnol Rodrigo de Rato en visite à Buenos Aires avait été précédé par la réputation du FMI. Alors qu'il s'apprêtait à annoncer que le FMI ferait preuve de flexibilité, comprenez de pragmatisme, les tags, les manifestations, les voitures brûlées lui rappelaient qu'il était honni ; il est vrai que l'Argentine dans ses provinces venait de connaître des famines africaines. Après la crise asiatique de 1997, l'application des mesures imposées par le FMI avait provoqué des révoltes de la faim en Indonésie qui avaient fait tomber la dictature de Suharto. De même la Confédération des Syndicats Autonomes du Sénégal attribue une lourde responsabilité aux PAS dans la paupérisation de l'Afrique en général et dans la dégradation des services de santé et d'éducation de la Cote d' Ivoire et du Sénégal en particulier.
Le Diable, dans son rôle de père fouettard, c’est l’image traditionnelle du FMI. Une photo jaunie en fait, car depuis un certain nombre d’années le FMI ne prête plus. Voilà le problème ! Les pays semblent avoir oublié qu’il est de bon ton, de temps en temps, d’avoir des problèmes de balance des paiements, et de faire appel au Diable.
Drame dans l’institution, même si on ne le clame pas haut et fort. D’ailleurs, les grandes douleurs sont muettes. Mais le fait demeure : plus de prêts, plus de revenus, c’est aussi simple que cela. Ah la Turquie, le brave, le gentil pays ! L’UE ne vous aime, pas ? Nous, nous vous aimons pour deux. Dernier gros emprunteur du FMI, objet de toutes les attentions et les sollicitudes. Surtout ne pas dire du mal des Turcs, c’est le mot d’ordre dans les couloirs du Fonds ; sinon, ils risquent de se braquer et de rembourser par anticipation. Qu’on se le dise : tout va bien avec les Turcs ; « the program is definitely on track » (=le programme suit son cours normalement).
Si on ne prête plus, comment assurer la pérennité de l’institution ? Il faudrait trouver autre chose : de nouvelles ressources (le « new income model » : placement des réserves, vente d’une partie de l’or), et une nouvelle raison d’être : la surveillance.
Le « new income model » ? Cela demanderait de modifier les statuts du Fonds, de persuader le Congrès américain que le FMI c’est autre chose qu’un machin qui coûte de l’argent aux contribuables. Déjà qu’on n’arrive pas à les convaincre de l’utilité de l’ONU dont la mission est beaucoup plus intelligible… Bref, on n’est pas rendus. Quant à la surveillance ? Pas simple… Comment transformer les bataillons fmistes, bardés de diplômes de macro-économie en experts des marchés financiers ? La tâche (pardon, le chantier) qui s’ouvrait devant Strauss Kahn aurait donné le vertige à Maurice Herzog et à Reinhold Messner.
Mais voilà, l’Histoire va plus vite que les commissions sur l’avenir du FMI. Surtout, elle a rappelé une vérité essentielle : le FMI, comme le Diable, prospère sur les malheurs du monde. Ce n’est pas de sa faute, il est construit comme ça. C’est génétique chez lui. Tel Yves Montand dans une mémorable émission de télé de 1982, au FMI on dit « Vive la crise !».
Que s’est-il passé en fait ? Depuis le déclenchement du tsunami, les grandes banques centrales ont agi de concert en abaissant leurs taux et en s'offrant mutuellement des swaps illimités de devises : je te prête des dollars, tu me prêtes des euros, je te prête des yens, tu me prêtes des livres, on fera les comptes quand on sera sorti de l'auberge. La BCE a aussi institué des swaps avec des pays hors de la zone euro, comme le Danemark (12 milliards d'euros) et la Fed s est mise à faire la même chose la semaine dernière, à hauteur de 30 milliards pour le Brésil, la Corée du Sud, le Mexique et Singapour. Mais si vous ne faites pas partie du club, qui vous aide ? Le FMI bien sûr, car qui dit swap de devises, dit emprunts en devises. Et qui dit emprunts en devises, dit financement de la balance des paiements.


Entrent Woland et sa troupe hétéroclite. Rassurez-vous les 2 milliards avancés à la Biélorussie, les 16,5 milliards prêtés à l'Ukraine et les 25 milliards pour la Hongrie auront bien un goût de potion écœurante. Il va falloir que ces pays remettent de l'ordre dans leurs finances publiques, comme le prescrivait un FMI à l'ancienne, coupent leurs subventions aux produits de première nécessité et ouvrent leurs marchés aux importations.

Le Short Term Liquidity Facility n'est pas pour eux. Le programme vise comme le nom l'indique à offrir des facilités de caisse à des pays qui seraient illiquides mais pas insolvables sans aucune des conditions désagréables de d' habitude.


Dominique Strauss-Kahn qui parle cinq langues déclarait : « Exceptional times call for an exceptional response » (=A circonstances exceptionnelles, réponse exceptionnelle »). Il ajoutait : "We are offering some countries substantial resources, with conditions based only on measures absolutely necessary to get past the crisis and to restore a viable external position"(=nous offrons à certains pays de substantiels moyens, basés sur les mesures nécessaires pour sortir de la crise et pour restaurer un équilibre viable vis à vis de l'extérieur).

Qui sont les « certains pays » ?
Publier une liste conduirait à marquer au fer rouge ceux qui n'y figureraient pas ; l'imagination et le Wall Street Journal devront donc remplir les pointillés. En fait, le système marche un peu comme le discount window de la Fed où les banques peuvent venir chercher des crédits de court-terme sans clairon ni trompette.
Le FMI dispose d'un budget de 200 milliards de $ qui provient des contributions de ses différents membres, ce qu'on appelle les quotas et de ses réserves d'or. Dans le nouveau programme, les Etats pourraient emprunter à trois mois jusqu' à cinq fois le montant de leurs quotas, soit par exemple 23,6 milliards pour le Mexique, 22,6 milliards pour le Brésil, 10 milliards pour la Pologne, 21,8 milliards pour la Corée du Sud. Mais on voit déjà que le prêt consenti à l'Islande représente 1100% de son quota, et celui accordé à l'Ukraine 800%. Le malheur est une denrée qui se perd, pragmatisme donc.
Au total le FMI est bien en train d'offrir 100 milliards de $ de prêts sans condition. Ce montant paraît minuscule par rapport à un Plan Paulson de 700 milliards de $, mais il faut se rendre compte que le geste est totalement inusité. Le maximum atteint au plus fort de la crise asiatique de septembre 1997 à septembre 1998 avait été de 30 milliards de $ sur une période d'un an (le FMI prête par tranches, comme quand les parents ne donnent pas tout l'argent de poche en début de mois). En 2003, il avait prêté sur deux ans 40 milliards de $ à l'Argentine au Brésil, à l'Uruguay et à la Turquie.
Vous me direz on ne prête qu'aux riches. Certes le Pakistan a bien essayé de décrocher un prêt de la Chine mais quand il a lu les conditions, il s'est rabattu sur le FMI. On ne prête surtout qu'aux alliés des Etats-Unis ; et sauf Singapour on ne prête qu'à des démocraties. La Russie a beau faire partie du G8, les affaires sont la continuation de la politique par d'autres moyens, elle est donc allée trouver la Chine pour lui vendre des ressources naturelles.
Avec ou sans effet d'annonces, certains pays riches mais en difficulté, comme la Corée ne se résoudront pas à l'humiliation de retourner emprunter auprès du FMI. Cela rappelle trop de mauvais souvenirs. Il est probable que le Brésil non plus ne veuille pas manger avec le Diable.
Les fonds souverains ne sont pas une option acceptable parce que symboliquement cela voudrait dire se placer en situation de vassal vis à vis d'une puissance étrangère. Les Etats-Unis ne pensent pas en ces termes quand ils font financer leur dette publique par la Chine, ni la Barclays quand elle préfère l'argent du Quatar plutôt que celui de M. Gordon. Mais chacun ses longues cuillers.
En fait ces pays illiquides mais solvables ont des alternatives auprès des institutions régionales ou les banques centrales émettrices de monnaies fortes. Avant le Diable avait un monopole… Quant à ceux à qui Dieu ne prête plus, le MD (=managing director, ou directeur général) expliquait : « We have to limit the pain for the citizens of the countries as possible to what is absolutely needed for the sucess of the program » (=Nous devons limiter la douleur infligée aux populations au strict nécessaire au succès du programme).
Certains disent qu'avec un budget de 200 milliards de dollar le FMI n'a pas les moyens de ses ambitions. En effet, les pays émergents comptent 1,3 trillions de dette externe à court terme, dont 800 milliards détenus par les banques. C'est faire peu cas de la capacité de persuasion du Fonds auprès d'autres institutions, à commencer par la Banque Mondiale mais aussi les grandes banques multinationales. Mais il est vrai que si la crise se prolonge, le Fonds aura besoin de plus de ressources.
Justement, le FMI pourrait avoir un vrai rôle d'intermédiation entre les pays riches en monnaies sonnantes et trébuchantes, yen, euros et dollars, comme la Chine ou l'Inde. Mais pour cela, ce sera du donnant-donnant et le droit de véto des Etats-Unis qui ne représente pourtant que 17% des parts devra être aboli. Hum, un sujet qui fâche… Passons, donc passons.

Le FMI n'est pas le Diable qui fait tout ce qu'on attend de Dieu à Kiev ou à Djakarta. Mais il semble que ce ne soit plus le Diable qui fait tout ce qu'on attend du Diable non plus. Les temps changent vite. Sur sa carte de visite, maintenant on lit : « firefighter, builder, architect » (=pompier, maçon, architecte). Que restera-t-il à décider lors de la rencontre du G20 le 15 novembre ? Si on ne peut pas parler des sujets qui fâchent… Ah, si ! Tomber d’ accord pour inviter l’Espagne, la prochaine fois !
Gabrielle Durana

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