7 décembre 2011
Un spectre hante l'Europe : le spectre de la désunion de plus en plus étroite entre les peuples. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont donné rendez-vous demain à Bruxelles pour convaincre le reste du monde que sa crise qui dure depuis 18 mois et qui maintenant menace de briser l’euro, trouvera une conclusion constructive, à défaut d’heureuse.
Deux plans de sauvetage de la monnaie unique s’affrontent et aucun ne mettra fin à la spirale sécessionniste.
D’abord, le plan Merkel-Sarkozy. Il vise à mettre les gouvernements dispendieux sous tutelle des autres Etats et à les faire se repentir de leurs déficits par des politiques d’austérité. C’est l’image de la société : si les pays sont responsables indéfiniment et solidairement des engagements budgétaires des autres « associés », alors il est normal que collectivement ils aient le droit de contrôler les engagements financiers causés par les autres. Qu’est ce qu’un Etat cigale ? Celui qui ne tient pas son déficit sous le seuil des 3%.
Dans ce cadre, la Banque Centrale Européenne n’intervient pas sur le marché primaire de la dette publique des pays membres. En clair, s’ils émettent de la dette, elle ne s’en portera pas acquéreur. En revanche, lorsque les investisseurs institutionnels recycleront des bons du Trésor sur le marché secondaire, elle pourra en acheter. A ce stade, la différence tient au volume de l’intervention plus qu’à sa nature, mais c’est une différence de taille.
Finalement, les Etats mauvais élèves qui ne respecteraient pas la règle d’or inscrite dans la Constitution de leur pays sont sanctionnés. La justice sera rendue par un sommet de chef d’Etats ; car dans cette solution, il n’est pas question d’avancer vers du fédéralisme (les européens parlent du « niveau communautaire », parce que « fédéralisme » est un gros mot). Le mécanisme relève de l’intergouvernemental, mais mâtiné d’une très forte super majorité (85%). Attention, ce n’est pas « un Etat, une voix ». Chacun voterait en fonction de son poids d’actionnaire dans le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), rebaptisé car refondu en un Mécanisme Européen de Stabilité (MES).
Une seule concession à Sarkozy : les investisseurs privés ne contribueront pas aux pertes futures. Tout sera épongé par le contributable.
Maintenant examinons le deuxième plan proposé cette fois par le président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy. Sa principale discordance par rapport au premier tient à la proposition faite d’émettre des bons d’un « Trésor européen ». Il a beau déplaire des deux côtés du Rhin, le reste des pays adorent.
Deux plans vers nulle part
Le plan Merkel Sarkozy ne marchera pas. En effet, la plupart des pays de la zone euro en délicatesse avec les marchés aujourd’hui avaient des déficits… de moins de 3% avant le début de la crise. L’Italie vote un budget en excédent depuis 1992. [La France est une exception, qui n’a pas voté un budget en équilibre après 1974.].
Le plan Van Rompuy est supérieur mais ne rend pas à la BCE les manettes de la politique de monétaire, puisque seul levier qui marche dans la salle des machines est celui qui garde l’inflation en dessous de 2%, ni de sa politique de change. Il est donc insuffisant.
La croissance ou la l’agonie de la dette
Le problème c’est la dette accumulée dans le passé, et celle accumulée depuis le déclenchement de la crise par les Etats qui ont volé au secours des banques. Sans croissance, la première ne part pas. Sans liquidation partielle ou totale des actionnaires qui ont joué et perdu, la deuxième sera transmise à nos petits enfants.
De plus, le plan Merkel Sarkozy ne prend pas en compte les intérêts vitaux des autres pays de la zone euro. Sans croissance, les excédents commerciaux allemands sont les déficits des autres ...
Entre la peur et le pire
Pourquoi ces derniers coopéreraient-ils dans une négociation au cours de laquelle ils voient leur opinion bafouée, passe encore mais leur possibilité de croissance future annihilée ? Parce qu’ils n’ont pas le choix ? Parce que la sortie de l’euro amènerait le chaos ? Mais le chaos pour qui ? C’est déjà le chaos en Grèce !
Il faudrait écrire un papier sur la nouvelle variante de politiques d’ajustements structurel sans dévaluation, en étudiant les cas irlandais et grecs, par opposition à celui de l’Islande. Il serait aussi intéressant de construire une analyse du coût de la sortie de l’euro en distinguant les effets selon qu’on est un petit ou un grand pays (c'est-à-dire que la dynamique interne est susceptible d’impacter les autres ou pas).
Bien sûr, ces analyses ne sont pas des outils de la prise de décision des politiques, justement parce que l’euro a beau avoir abouti à une impasse économique et à un krach démocratique, il reste une obsession. On ne change pas l’ADN d’une génération.
Merkel et Sarkozy proposent de passer outre les récalcitrants dans le groupe des 27, et de promouvoir la coopération renforcée des 17 membres de la zone euro, voire des six pays les plus forts.
L’Angleterre a prévenu à plusieurs reprises ces derniers jours qu'elle lierait la révision des traités à des concessions en matière de répartition de compétences entre Londres de Bruxelles, sur le sujet hautement litigieux de la régulation des services financiers.
Le troisième plan
Le sommet de Bruxelles s’ouvre sur un rapport de force où les deux leaders n’ont pas les moyens de mettre au pas les autres membres et où les marchés s’impatientent de l’absurdité de l’impasse politique.
En effet, un troisième plan est possible dont parlent des économistes des deux bords de l’Atlantique, parce que c’est le seul qui fait sens dans la situation actuelle : changer les traités et donner à la BCE la plénitude des attributions d’une banque centrale. Cette situation s’impose comme une évidence parce qu’à l’heure actuelle le BCE est la seule institution fédérale, pardon, « communautaire » qui fonctionne, et parce qu’elle seule, par définition, dispose de la force de frappe ; c’est le rôle d’une banque centrale de pouvoir créer de la monnaie « ex nihilo » autant que de besoin.
La naissance d’une banque centrale de plein exercice aux Etats-Unis a été bien laborieuse. L’étude de son histoire sert à excuser les errements actuels de l’UE. En effet, depuis la fondation de la First Bank of the United States, d’une durée limitée à 20 ans, par Alexander Hamilton en 1791, jusqu’à la création de la Réserve Fédérale en 1913, l’histoire financière américaine est maculée de crises, d’escroqueries et de reculades retentissantes. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard qu’elle ne s’appelle pas « Banque Centrale Américaine » ; car dans la négociation fut âpre entre les Etats et Washington. A la fin, la Fed naquit de la mise en commun des réserves de 12 Regional Federal Reserve Banks et c’est la combinaison de ces 12 banques qui, ensemble donne la Réserve Fédérale.
La zone euro peut encore durer longtemps dans la récession. Au bout d’un moment, elle finira bien par arriver au fédéralisme budgétaire et monétaire intégrés, parce que c’est le meilleur modèle pour la stabilité des prix et la croissance. Il serait juste dommage pour les deux générations à venir que cela prenne soixante dix-ans.
Gabrielle Durana
1 commentaire:
J'ai trouvé ce commentaire de l'historien P. Gaxotte:
"Mais quand l'Etat plie sous le poids d'une dette trop lourde, il lui faut bien s'alleger d'une façon ou d'une autre car il serair deraisonnablede croire que les generations se transmetront d'âge en âge, le boulet qui a écrasé leur parent.
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