mercredi 18 mars 2009

Chroniques # 73 : la franchise d’AIG

M. Liddy, PDG de la Compagnie d’assurances American International Group
prête serment devant la commission d’enquête parlementaire de la House of Representatives.

18 mars 2009

Si vous étiez M. Liddy, auriez-vous renoncé à votre retraite de chez Allstate pour revenir gagner un salaire annuel de 1$ et sauver AIG ? En tous les cas, hier Andrew Cuomo avait écrit à l’Honorable Barney Frank, le Chairman, de la House Committee on Financial Services[i] pour s’étonner du versement autorisé par M. Liddy dans la soirée du samedi 15 mars de 160 millions de bonus destinés à retenir les talents de ceux-là même qui ont si bien contribué à la chute, rattrapée in extremis du premier assureur mondial. Dans un langage de procureur général, le fils ainé de Mario Cuomo, l’ancien gouverneur de New York exprimait son écœurement: « La semaine dernière, AIG a fait plus 73 millionnaires au département qui a perdu tellement d’argent que l’entreprise a dû être secourue par le contribuable. Il y a quelque chose de profondément erroné dans cette issue. J’espère que la commission se saisira de la question de manière frontale. »[ii]

Les bonus incriminés n’étaient pas destinés à récompenser (sic) la performance. Il s’agissait de primes pour que les personnes restent dans l’entreprise après son implosion et qu’elles aident au démêlage (unwinding) de la grosse bobine des produits dérivés dont les plus connus sont les CDS (Credit Default Swaps). Là, où la ligne de défense se tord et se brise c’est que treize des individus qui ont touché tant d’argent samedi soir… ont quitté AIG.

M. Liddy était attendu aujourd’hui par la House Committee on Financial Services. Il avait préparé un témoignage écrit dans lequel il taxait ces commissions de « dégoûtantes » (distasteful) mais disait-il avec une improbable ADN d’assureur, un contrat est un contrat et vous devez l’honorer.

La rédaction des contrats ne permettait pas de reprendre l’argent, si la personne n’exécutait pas son obligation (si elle partait quand même !). Ils ne contenaient pas ce qu’en anglais on appelle de manière très descriptive une clause de reprise avec les serres (claw-back clause). De plus, les paiements auraient lieu en espèces sonnantes et par virement électronique, et non en actions, comme c’est normalement le cas.

Je sens votre indignation sourdre comme un karcher. Entre temps, les parlementaires avaient trouvé une parade. Ils introduiraient dans la prochaine loi de finances (appropriation law) une disposition pour taxer à 100% les bonus versés par les entreprises dont le capital est détenu par l’Etat à plus de 79,9%. La question de la rétroactivité de la loi fiscale avait été tranchée dans une décision de la Cour Suprême des Etats-Unis : United States vs. Carlton (1994). Elle peut être résumée par l’avis du juge Scalia : « Le raisonnement utilisé par la Cour pour confirmer la loi dans cet arrêt de principe garantit que toutes les lois fiscales rétroactives seront désormais constitutionnelles »[iii].

Ce matin, la droite en exil essayait d’inverser les rôles et brocardait Timothy Geithner, le Treasure Secretary pour n’avoir pas empêché le versement des sommes litigieuses. Barack Obama est venu défendre son ministre des finances : « Il fait tout ce qu’il faut faire étant donné la mauvaise pioche qu’il a reçue »[iv]. Il ajoutait : « Nous croyons dans l’économie de marché, dans le capitalisme, dans l’enrichissement des gens en fonction de leur mérite »[v]. Il appelait à canaliser la colère de manière constructive. « Ces bonus sont le symptôme d’une culture de rapacité (greed) qui produit de la richesse sur le papier (« paper wealth ») mais pas de la vraie richesse pour le pays. Il faut investir dans l’éducation, la recherche, les infrastructures ». Tout est dans tout et d’ailleurs concluait-il, « il faut en finir avec la mentalité « Crise, krach, boom » (the bubble and bust mentality) et investir dans une croissance de long terme ».

Entre M.Liddy dans la salle de la House Committee. Les appareils crépitent. Au fond se lèvent deux pancartes roses fluo réclamant la démission de Geithner en leur qualité « d’honnête contribuable indigné ».

Le président de séance tape du marteau et ordonne aux « dames en rose » de ranger leur matériel (« signs down ! »), si elles ne veulent pas être expulsées.

M.Liddy est rose comme un petit cochon. L’humeur n’est pas à la surenchère populiste. M. Liddy n’a pas de bonus, ni de stock-options et touche 1$ symbolique de salaire. Il n’a que sa réputation et son désir de servir. Avant d’accepter le poste de PDG d’AIG en octobre, à la demande pressante d’Hank Paulson, M. Liddy jouait avec ses petits-enfants. Depuis, sa famille et lui ont reçu des menaces de mort.

Le PDG d’AIG annonce tout de go qu’il a demandé aux personnes concernées de rendre au moins 50% de leur bonus, voire 100% pour les plus hauts responsables.

« Pourquoi n’avez-vous pas plutôt refusé de payer les bonus et défié les salariés mécontents de vous faire un procès ? » demande un élu. Avec un frémissement du nez, M. Liddy répond : « nous avons jugé que les bonus n’étaient pas un prix trop cher payé pour empêcher le système financier d’imploser ». Il explique que la Financial Products Unit avait un portefeuille de 2,7 trillions de $ de produits dérivés à désamorcer ; ce qui grâce à ces salariés qui connaissaient bien le domaine a déjà été fait à hauteur d’un tiers et « dans l’ordre ».

Un autre élu lui demande pourquoi il n’a pas renégocié avec les salariés. « Ils auraient peut-être rendu leur bonus en l’accompagnant de leur démission ».

M. Barney Frank demande les noms des mercenaires pour qu’ils soient convoqués par la commission. M. Liddy refuse de les donner pour ne pas mettre ses salariés et leurs enfants en danger. Le président de la commission dit qu’il fera le nécessaire auprès de la police mais qu’avec des raisonnements pareils, personne ne viendrait jamais rendre des comptes.

Demain je vous parle de la franchise de Ben Bernanke, le gouverneur de la Fed qui déclarait dimanche dernier dans l’émission « 60 minutes » sur la chaine CBS qu’il allait agir « agressivement » et qui vient de faire un tabac en annonçant les premières mesures « d’assouplissement monétaire quantitatif ». Pour vous c’est du Sanskrit, pour les marchés financiers, c’est du yoga anti-stress rajeunissant.

La Bourse avait ouvert la séance à -100. Elle termine en hausse de 1,23%, elle caresse les 7500 points de base. Le Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques affiche +1,99%. On arrête de s’asphyxier.

Vendredi, arrivent les bonus de Freddie Mac et Fannie Mae.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier,
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[i] La sous-commission bancaire de la House of Representatives, l’équivalent américain de l’Assemblée Nationale
[ii] “Last week, AIG made more than 73 millionaires in the unit which lost so much money that it brought the firm to its knees, forcing ~ taxpayer bailout. Something is deeply wrong with this outcome. I hope the Committee will address it head on”.
[iii] “The reasoning the Court applies to uphold the statute in this case guarantees that all retroactive tax laws will henceforth be valid”.
[iv] “He is making all the right moves playing a bad hand”.
[v] “We believe in free market, capitalism, and in people getting rich based on performance”.

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