lundi 16 mars 2009

Chronique # 72: hormis notre propre peur

16 mars 2009

Aujourd’hui, nous ne fêtons pas le premier anniversaire de la fusion-sauvetage de Bear Sterns avec JP Morgan Chase ; la répétition générale de la faillite de Lehman Brothers. Oui, qui a le cœur à la fête ? Bernard Madoff est en prison. Les ruinés riches et les naufragés pauvres, tout le monde est accroché au même radeau, déshydraté, épuisé, et vogue la crise.

Je me suis arrêtée d’écrire il y a presque deux semaines, sans comprendre tout à fait pourquoi. Une lectrice du Mali m’a aidé à prendre conscience de ce qui m’arrivait. Le 12 mars, elle m’écrit : « j'admire énormément ta constance quant à l'écriture de tes chroniques et à la richesse de tes propos... mais je dois t'avouer que je les lis une fois sur deux car le tsunami financier m'effraie. » Elle ajoute : « Je nous trouve trop dépendant du phénomène, alors que bien des comportements pourraient nous en désolidariser. Je ne sais comment développer ma pensée. Je te propose de la comprendre par le biais d'une chanson “Gagnants Perdants” de Noir Désir. »
En lisant sa lettre je me revois le vendredi 6 mars fixant le boulevard Saint-Germain par la fenêtre de la garçonnière que j’avais louée pour le week-end et sentant l’effroi se répandre du titre de l’article du Wall Street Journal sur mon écran : « Le Dow Jones à 5000 points de base ?».


L’indice avait perdu 25% depuis le 1er janvier et semblait ne plus vouloir s’arrêter. On ne jouait plus à se faire peur. Petite apocalypse, longue agonie, pléonasme, pessimisme exubérant. Comme disait Hélène, j’étais pétrifiée.

J’ai donc fermé les yeux et ma plume en espérant, ce verbe qui en espagnol veut dire attendre et avoir espoir que le système financier touche le fond et que Geithner communique enfin son plan pour purger les actifs pourris des bilans des banques. [Pour l’instant, on continue de les faire courir sur un tapis roulant pour savoir lesquelles auront une crise cardiaque, c’est ce que l’on appelle les stress tests].

Depuis quatre jours, la Bourse a recommencé à monter. Nous sommes même repassés au-dessus du plancher psychologique des 7000 points. Aujourd’hui, sans surprise, le Dow Jones a terminé en léger recul, en baisse de 7 points à 7216. Cela s’appelle prendre ses bénéfices. En une semaine, le cours de Citigroup est passé de 95 centimes à 2 dollars. Ce sont des bénéfices de mulot. Mais si vous en avez acheté des millions la semaine dernière et que vous les avez vendus aujourd’hui, vous avez doublé votre argent.

J’attends aussi autre chose de la part du gouvernement : qu’il rétablisse la règle de l’uptick dont je parlais déjà en octobre, en plein tsunami (cf : tout à la fin de la chronique http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n15-pire-encore-que-le-short.html).Keynes avait raison de dire que « le marché peut demeurer irrationnel plus longtemps que je ne pourrais rester solvable ». C’est pourquoi le retour de la règle de l’uptick couperait l’herbe sous les pieds aux spéculateurs, qui en ce moment jouent la politique du pire en misant sur la baisse d’actions que d’autres possèdent, pas eux. C’est un peu comme si je priais le petit Jésus pour que vous soyez cambriolé et que je passais à la MAIF signer un contrat et que je lançais un appel d’offres : « Qui veut aller cambrioler cette maison ? Qui veut aller cambrioler cette maison ? Une fois, deux fois. Ne vos bâtez pas. Merci ! »

Peut-être le plus inquiétant mais aussi le plus rassurant est que notre sort à tous est lié dans cette crise. L’Europe fait la leçon aux Etats-Unis sur les subprimes, mais nos banques n’ont pas démérité dans la catégorie junk à l’Est de l’Oder. La Chine fait la leçon aux Etats-Unis sur la qualité de sa dette et sur l’assainissement de ses déficits, mais ma fortune, inspecteur Chen est votre vice. Le 27 février, dix pays de l’ANSEAN, le Japon, la Corée et la Chine ont créé un pool de devises de 120 milliards pour stabiliser leurs monnaies et leur commerce intra-zone ; ce qui fait aussi 120 milliards de raisons de vendre ses yens et qui donne quelqu’ espoir au Japon qu’ il pourra recommencer à exporter un jour. La création d’un AMF (Asian Monetary Fund) est un vieux rêve nippon, qui si il fonctionnait devrait arrimer toutes les monnaies de la zone et protéger leurs économies, comme au temps du serpent monétaire européen.
L’Amérique Latine et l’Inde et l’Afrique, entre matières premières, baisse des mandats des migrants et développement du marché intérieur se demandent combien de temps elles vont pouvoir rester à la périphérie d’un des trois épicentres. Le pétrole a augmenté de 30 % en un mois. Le Venezuela respire, l’Inde se serre la ceinture.
Le G22 se réunira à partir du 2 avril à Londres pour sommetiser la réponse à la crise.
Aujourd’hui Barack Obama et Timothy Geithner s’occupaient du credit crunch. Désormais les institutions financières qui acceptent l’argent public vont devoir faire du chiffre c'est-à-dire montrer chaque mois combien des prêts elles ont accordé aux PME.
En tous les cas, quelque chose est en train de bouger en matière de salaire au mérite dans la finance. Alors que l’assureur AIG qui a pris en otage le système financier mondial et dont le contribuable américain payera pendant des années l’incurie s’apprêtait à distribuer 165 millions de bonus pour « garder ses talents » au sein du département des Financial Products, le même qui a gorgé la terre entière de CDS (credit default swaps) et obligé le gouvernement américain à injecter 170… milliards pour éviter l’implosion, donc au moment où AIG s’apprêtait à récompenser l’incompétence, Barack Obama a dit non.

Pas avec notre argent.
« C’est que nous sommes obligés par contrat », a répondu la voix assurée.
« Non », a clos le Président.
Ce jour une lettre est partie du bureau du procureur général de l’Etat de New York, Andrew Cuomo. Elle est adressée à Edward M. Liddy, PDG d’American International Group, Inc., au 70 Pine Street à New York, New York. Elle lui demande le nom des salariés qui ont si bien servi la Trésor Public. Elle exige un rapport détaillé sur leur performance.

Jeremy Bentham disait à propos de l’architecture des prisons que sous l’œil public, les plus retors peuvent devenir vertueux. Vous avez le bonjour de Madoff dans son Panopticon de Manhattan.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier
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