lundi 23 mars 2009

74eme chronique: le petit sachet d’argent déchiqueté

La Federal Reserve Bank à Washington
La Federal Reserve Bank de San Francisco


20 mars 2009

A la conférence de notre ambassadeur Pierre Vimont l’autre jour au World Affairs Council, j’ai fait la connaissance d’un couple très sympa. Elle, est la présidente de la French Heritage Society, une association d’Américains qui donnent sans compter pour rénover nos châteaux de la Loire. Lui donne à Chenonceau. Aujourd’hui, les deux m’avaient invitée à la Federal Reserve Bank de San Francisco, l’une des douze banques qui composent le système de la Federal Reserve, dont Ben Bernanke est le gouverneur en chef depuis Washington. Dick m’avait dit qu’il essaierait d’obtenir une visite des coffres


Au pied des gratte-ciels, rue Drumm, mot qui veut dire « tambour » en anglais, entre le Starbucks qui est notre bureau de vote depuis le Congrès de Reims, et l’hôtel Haytt, nom qui en arabe veut dire la vie, vous passez les mendiants attrape-touriste et la bouche du BART et vous tombez sur Market Street, l’artère de la ville, des Champs Elysées qui mènent à la mer. Devant le monument dédié aux machinistes du cable car, d’autres SDF vous rappellent la condition humaine. Vous traversez les quatre voies de Market, en dehors des passages cloutés comme une Parisienne qui se respecte, presto ma con dolcezza, pour ne pas laisser un talon au fond d’un rail. Vous êtes maintenant du côté impair. Le numéro 101 est une sorte d’empilement de cubes aux vitres teintées. C’est là qu’au sous-sol sont détruits tous les jours 56 millions de dollars. Pour entrer, il faut ne pas avoir d’appareil photo, même sur votre téléphone.


Les pièces sont frappées non loin, sur Harrison Street, à l’Hôtel des Monnaies et les billets, tirés sur l’imprimante (la planche c’était bon pour l’éoque des diligences) au Bureau of Engraving and Printing, situé soit à Washington, soit plus proche de nous, à Fort Worth au Texas. La Federal Reserve de San Francisco réceptionne, nomenclature, inscrit sur son bilan, stocke et redistribue les petites et les grandes coupures (100$ maximum), mais l’essentiel des 800 milliards que la banque centrale américaine a injectés ces sept derniers mois dans l’économie est venu de jeux d’écriture sur le bilan consolidé des 12 banques régionales.


Visiblement c’est une explication moins attrayante que le mètre cube de billets sous verre qui d’après le panonceau dans le hall valent 3,2 millions de dollars.


Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les billets. La conférencière en jeans (le vendredi, c’est dress down !) nous emmène admirer la plus grande collection de billets américains au monde, depuis la Guerre d’Indépendance. Nous apprenons que les bank notes sont devenus verts au lendemain de la Guerre Civile (c’était la couleur de l’argent des Nordistes). Avant, ils étaient rouges, bleus ou ocres. Je découvre même qu’il existe des billets de deux dollars (des vrais !). S’ils ne circulent pas c’est parce que les gens préfèrent les regarder. Vous apprendrez même à reconnaître sur quel bilan figurent ceux que vous avez dans la poche. A1, c’est de l’argent de Boston dans le Massachussetts, B2 vient de New York, C3. Philadelphie, etc.…F6 Atlanta, G7 Chicago, L12 c’est de la monnaie de San Francisco. Je n’invente pas, c’est imprimé dessus. Vous commencez seulement à comprendre le système des douze banques régionales qui forment la banque centrale.


Le vendredi, les visites au coffre sont suspendues.


Vous pouvez en revanche jouer au chairman de la Fed sur un jeu vidéo (http://www.frbsf.org/education/activities/chairman/index.html). C’est plus dur que Pacman. Si vous krachez l’économie, vous serez démis de vos fonctions. A la fin de la visite, la conférencière remet à chacun de la chiffonnade d’argent usagé dans un petit sachet.


Vous rangez votre souvenir et vous montez au troisième étage avec d’autres gens en costume gris. Vous n’êtes pas à Paris, les femmes, il y en a quelques unes ne portent pas de carré Hermès, plié comme un bijou.


Dans la salle de réunion, une soixantaine de macro-économistes et d’humains d’affaires se sont réunis pour répondre à la question : « la politique économique triomphera-t-elle du pessimisme ? [i] ».


Pendant quarante minutes, Chris Varavares, Président de la National Association of Business Economics donne sa version souriante de la sortie de la crise. Avec des graphiques, il joue au météorologiste néo-keynésien : risque déflationniste, « contraction de la production jusqu’à la mi-2009, croissance forte mais sous-optimale en 2010. »[ii]


Le moins que l’on puisse dire est que le public reste sceptique. Sur Wall Street TV ce matin, les monétaristes étaient repus : nous allions finir comme la République de Weimar, l’Argentine ou le Zimbabwe.


L’intervenant cite Ben Bernanke à l’émission « 60 minutes » : « Nous sommes prêts à tout, pour sortir de cette crise »[iii]. On n’a laissé et on ne laissera aucune banque faire faillite. On a baissé tout ce qu’on a pu les taux d’intérêt ; pour inciter les banques à emprunter auprès de la Fed et recommencer à prêter. Comme je l’expliquais dans une chronique, depuis décembre, la Fed a rapatrié en son sein une bonne partie du marché des capitaux à court terme (à moins de deux ans), ce qu’on appelle le marché monétaire.



« Prêts à tout pour sortir de la crise », depuis mercredi cela veut aussi dire acheter des bons du Trésor à long terme, de deux à dix ans. A quoi cela sert-il ? Et pourquoi est-ce considéré comme une hérésie annonciatrice d’hyperinflation ?


D’abord, il faut se rappeler que la banque centrale est le banquier de l’économie et que le Trésor est la personnification financière de l’Etat. Comme les économies de marché ne sont pas des économies étatiques, la banque centrale et le Trésor ne se confondent pas. Il est généralement admis que quand les deux institutions n’étaient pas distinctes, l’Etat finissait toujours par donner des ordres à la banque centrale d’augmenter l’argent disponible (abus du droit de seigneuriage), jadis pour financer les guerres, puis pour financer les divers déficits publics. A long terme, cela causait une tendance inflationniste, [sauf si votre monnaie est aussi une monnaie internationale et donc vous avez de vastes quantités de votre devise qui sortent du circuit national et n’y retournent jamais ; comme cela a été le cas pour le dollar pendant très longtemps].


En France, la banque centrale est indépendante depuis la loi du 4 août 1993. La Banque Centrale Européenne, héritière de la Bundesbank a d’emblée été conçue comme une banque indépendante ne pouvant recevoir d’ordres des gouvernements. La Federal Reserve Bank aussi est indépendante depuis sa création en 1913.


Alors que la BCE a pour mission de préserver la stabilité de la monnaie, c’est à dire de lutter contre l’inflation, la Fed doit aussi promouvoir la croissance, voire réconcilier les deux objectifs, lorsqu’ ils sont contradictoires.


Pour préserver la valeur de la monnaie, il est important de créer des liquidités si et seulement si il y a de la richesse supplémentaire qui est créée. Cela veut dire que la vraie richesse, même au sens économique ce n’est pas l’argent mais ce que l’argent permet d’acheter : des biens, des services, de la terre, des usines, des veaux, vaches, cochons, jeux videos. On dit que la monnaie est un voile. Au 16ème siècle, quand les Conquistadors pillèrent tout l’or des Indiens et le ramenèrent dans la péninsule ibérique, cela n’eut pas pour effet d’enrichir l’Espagne parce qu’il n’y avait pas davantage de la terre, veaux, vaches, et pas de jeux videos. Ce que cette injection de liquidité provoqua fut la plus grande inflation de l’ère moderne.


Normalement la banque centrale mesure la masse monétaire à partir d’une auscultation méticuleuse de l’agrégat monétaire M3 (revoyez cette chronique pour vous rafraichir la mémoire :http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n14-trois-petits-cercles-et.html) et elle utilise le trébuchet du taux de base directeur pour restreindre ou lâcher du lest dans l’économie.


Quand la Fed vend des bons du Trésor (treasury bills ou T-bills) aux banques, la Fed prend du cash des mains des banques. Comme leurs prêts sont fonction des liquidités dont elles disposent elles peuvent moins prêter (diviseur du crédit). Les taux d’intérêt offerts aux clients montent. Inversement, quand la Fed achète des bons du Trésor aux banques, la Fed donne du cash aux banques. Ayant plus de liquidités, elles sont susceptibles de prêter davantage (multiplicateur du crédit). Les taux d’intérêt offerts aux clients baissent.


Maintenant revenons à l’annonce du mercredi 18 mars. Le Comité des Opérations d’Open Market de la Fed a annoncé qu’il allait acheter pour 300 milliards de bons du Trésor à long terme. Logiquement, cela veut dire que la Fed va donner du cash aux détenteurs de ces bons qui pourront faire plus de prêts et donc les taux d’intérêt à long terme, par exemple dans l’immobilier devraient baisser. Ceci à son tour permet aux emprunteurs de refinancer leur prêt immobilier pour moins cher. La baisse des mensualités leur donne un surcroit de pouvoir d’achat, voire leur permet de continuer à rembourser leur emprunt au lieu de perdre la maison.


Mis à part l’abaissement du crédit immobilier, quel est le but recherché par la Fed en se lançant dans ce genre de mesures peu orthodoxes ?


Il s’ agit d’abord et avant tout d’inciter les investisseurs à quitter les bons du Trésor en les rendant moins attractifs car moins rémunérateurs et de les pousser à aller investir leur argent dans l’économie.


Mais en l’absence d’un plan de stabilisation du système financier par Timothy Geithner, on écope une barque percée. Quinze trillions de $ de richesse matérielle ont été détruites aux Etats-Unis par le tsunami, mais sur soixante-deux trillions comptabilisés, ce pays n’est pas fini. L’argent attend derrière les digues que l’eau se retire. En vocabulaire économique, on dit que l’épargne est thésaurisée.


La Fed a donc décidé de suppléer au financement privé jusqu’ à ce que la confiance revienne. Elle a aussi décidé de contribuer à la stabilisation des prix de l’immobilier. Mais le tripatouillage des taux d’intérêt à long terme fait craindre que l’Etat ne prenne ses aises et fasse du déficit budgétaire à gogo.


La crainte est que quand l’économie sera sortie de l’ornière, la masse monétaire explosera parce que le but recherché sera précisément atteint et que tout l’argent thésaurisé sera revenu dans le circuit économique. Il s’ajoutera alors à l’argent injecté momentanément la Fed, en l’absence d’argent du secteur privé, pour graisser les rouages de l’économie. A ce moment-là, la remontée des taux d’intérêt par la banque centrale, le moyen traditionnel de calmer l’inflation buterait sur l’énorme masse de bons du Trésor à long terme. Le contribuable devrait rembourser une dette publique obèse, qui plus est à un tôt relevé.


Y a-t-il un scénario alternatif à l’hyperinflation ? Imaginer un Armageddon de dollars s’abattant sur le monde en proie au chaos. C’est vendeur.


Quelle est donc la stratégie de la Fed ? D’ abord, l’hyperinflation est un choléra seulement si vous n’êtes pas d’abord décédé de la déflation bubonique. Ensuite, il faut comprendre qu’un bilan est toujours équilibré par construction. Quand la Fed donne 10 milliards à Citigroup (au passif), elle achète des actions Citigroup à 3,5$ pièce (à l’actif). Si le cours de l’action remonte à 10 $, (il était à 45$ avant le tsunami et cotait 2,62$ aujourd’hui), elle peut vendre les actions et tripler son argent. Quand l’économie repart, l’Etat recevra des impôts et pourra racheter et donc détruire des bons du Trésor ; leur valeur remontera et ceux qui figurent à l’actif du bilan de la Fed s’apprécieront aussi. De même, si les marchés des capitaux de dégèlent, la Fed pourra vendre certains des titres qu’elle a acceptés comme couverture en échange pour ses prêts à l’économie. Enfin, tant que l’argent est gratuit parce que le taux de base directeur est à zéro (ce que j’appelle la planète ZIRP, zero interest rate policy), les acteurs économiques sont incités à emprunter mais dès que la Fed remonte les taux, ces mêmes individus sont incités à rembourser leurs prêts ; ce qui déchiquètera des milliards au passif du bilan de la Fed. Ben Bernanke a donc fait le pari tout seul, sans recevoir d’ordres du gouvernement qu’il aura la main leste et saura jouer des différents boutons, pour après avoir évité à l’économie de kracher, empêcher qu’il faille aller faire ses courses avec des brouettes.


La politique économique n’est pas de la science-fiction. Elle consiste en se basant sur une connaissance de l’histoire monétaire et financière à oser agir devant des situations inédites, dans l’intérêt matériel du plus grand nombre.


Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved.



[i] “Can policy overcome pessimism?”
[ii] “Contracting output through middle 2009, robust (but subpar) growth in 2010”.
[iii] “We will do whatever it takes to turn back the US economy’s deep recession.”



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