William Kentridge
Image pour le film « Stereoscope ».
Ce weekend le milliardaire Warren Buffet, l’oracle d’Omaha, (c’est dans le Nebraska, si jamais vous partez sans votre guide du Routard), expliquait aux actionnaires de Berkshire Hathaway comment il voyait l’avenir financier du monde : (« It’s hard to know when the economy will reconver »[i]) . Il faillait aussi justifier pourquoi l’action était passée de 140.000$ pièce à seulement 94.000$. Un ange passe. Puis on se déplace avec les ombrelles et des robes à crinoline pour le rendez-vous le plus important de l’année : la course du Kentucky Derby.
Deux minutes plus tard, le cheval Mine that Bird[ii], côté 50 contre 1, remportait la course. Je retournais à mon dimanche. La demande de subvention FLAM (Français Langue Maternelle), bercée par le bruit de fond de l’histoire incroyable du gars qui conduit toute la nuit, crève en route, arrive et bat tous les étalons d’Arabie. Cela fait deux mois que je travaille à organiser les familles de la Baie de San Francisco pour que 247 enfants de la région, qui fréquentent l’école publique américaine puissent faire du Français après l’école, grâce à la bienveillance de l’AEFE et la générosité sans conscience du contribuable de Bourg-en-Brest.
L’émail, comme la carte de crédit dématérialise l’acte. Lundi, j’imprime les 28 pages du dossier, les 10 pages d’annexes financières et la lettre à Mme la Directrice un peu fée, un peu bureaucrate sous couvert, je glisse le gâteau d’anniversaire dans une enveloppe FedEx que je porte de chez moi au bureau de l’attaché culturel.
Puis je file au musée d’art moderne de San Francisco voir une exposition de William Kentridge, un Sud-Africain qui a inventé l’art de l’arrêt sur image. Il dessine des pastels de la même scène en mouvement. Le soir, j’apprends au Rachel Maddow show, une sorte de Michel Polac qui présenterait le 20h00, que la moitié du cheval-oiseau appartient en fait au fils d’un Sénateur d’Alaska, déchu de ses fonctions, je parle du père, pour couvrir la corruption de toute la famille. Taisez-vous et laissez-moi croire aux contes de cheval !
Aujourd’hui, je vais enfin chez le médecin pour cette laryngite que je traîne depuis une semaine. D’abord obtenir un rendez-vous. Quand vous toussez par ces temps de grippe porcine, pardon de virus A/H1N1, haro sur les martiens pas sur les côtelettes !, il n’est pas facile d’être prise pour une patiente. Non, je ne crache pas de sang, dis-je d’une voix cassée, à huit heures du matin, tandis que Ben Bernanke, sur Wall Street TV annonce la reprise, lente mais certaine vers la fin de l’année 2009. Après 20 minutes de Mozart, je coupe le son et j’exige un rendez-vous. En fait, redevenir parisienne marche. Quinze heures ?
Quatorze heures cinquante, je débarque à l’hôpital de Kaiser. Les pubs à la télé sont ce que je préfère de mon organisme de soins. A la différence de l’hôpital de San José où j’ ai visité avec l’attaché culturel adjoint la semaine dernière des survivants d’un accident d’autocar de touristes français, ici, tous les patients ne portent pas des masques de chirurgien. Je présente ma carte d’assuré, mon permis de conduire et mon American Express. Je signe avec mon propre stylo. Les Américains sont des maniaques des germes, sauf pour les stylos et les télécommandes dans les chambres d’hôtel. Je vais m’asseoir avec quatre autres personnes. Je range mon reçu. J’attends, je tousse. Je n’ose pas lever les yeux du Wall Street Journal. Non, je n’ai pas le virus extra-terrestre. Un homme noir à coté de moi me tend quelque chose. J’ai déjà un kleenex dans le creux de la main. C’est un bonbon ricola. Je le remercie. Après un retard qui dans un aéroport n’en serait pas un, on appelle mon nom.
J’avais oublié qu’on vous pèse dans le couloir. J’ai une laryngite, aboie-je. L’agent me demande si je veux qu’on me prenne ma tension. Si je veux ? Pour moi ce sera un latte. En fait, je veux mon médecin de la rue Broca, une gentille dame de droite, cinq enfants, qui facture 25 euros la consultation et vous demande comment va votre canari. On vous conduit dans ces espèces de confessionnels sans grille et avant de se retirer, on vous tend une robe de chambre en papier. Mon médecin et sa remplaçante sont des femmes, et même si c’était un homme… Je continue mon article sur les traders qui regardent des DVD dans une salle de la corbeille, maintenant qu’il y a des ordinateurs. La remplaçante arrive et repart. Sur un présentoir, se tiennent fermés des magazines. Finalement, c’est mon tour. Je répète mes symptômes depuis une semaine. « Laryngite est un juste un mot. Vos poumons sont magnifiques. C’est un rhume. » Je lui explique que j’ai du mal à dormir à cause de la toux. Elle me propose des somnifères.
La consultation a duré 120 secondes ; un trois quart de dollar de la seconde.
Barack Obama a été élu pour réformer le système de santé. La droite américaine dénonce le projet en annonçant l’arrivée de la « médecine socialiste ». Aujourd’hui, 40 millions de personnes n’ont pas d’assurance santé aux Etats-Unis. Trop chère pour les patients, pas assez rentable, sauf si vous êtes jeune et sans histoire pour les assureurs. Les entreprises de soins sont cotées sur le bas de l’écran de Wall Street TV. Cela rapporte entre 500$ et 700$ par mois de couvrir une famille de quatre personnes. Avec le chômage, beaucoup perdent leur gagne-pain et leur couverture en cas de grippe porcine.
La deshumanisation du système de soins américain pour ceux qui ne portent pas de robes à crinoline –à Stanford, une journée d’hospitalisation coûte 20.000$-, a atteint un point qu’un Européen ne peut pas imaginer dans un cauchemar. La semaine dernière, à San José, une des touristes blessées, originaire d’une petite ville dans le Nord, éjectée de l’autocar –ici, pas de ceinture de sécurité post Beaune et les enfants brûlés–, tombée du haut d’un pont puis amputée du bras gauche s’est vue dire dans une langue qu’elle ne comprenait pas par le médecin : « she was ready to go home »[iii]. Quand l’attaché culturel adjoint et moi sommes allés nous enquérir auprès de l’infirmière-chef, elle nous a parlé de l’assurance. Personne n’avait appelé de son assurance ! Ils avaient procédé aux soins les plus urgents. Monsieur Questin a montré à la responsable de l’étage que la patiente était chez Inter-mutuelle assistance. Elle a dit qu’elle pouvait rester un jour de plus, jusqu’ à être rapatriée.
L’école, la santé, en quelques jours j’ai été rappelée aux eaux froides de la banquise où les renards mangent les pingouins d’Alaska, et ce n’est une production Disney.
Gabrielle Durana
5 mai 2009, anniversaire de la mort de Napoléon et de la raclée donnée par les Mexicains à l’autre Napoléon. A tout prendre, je garde l’ouverture des Etats Généraux.
[i] “Il est difficile de dire quand l’économie repartira”
[ii] Littéralement, « cet oiseau est à moi »
[iii] “Elle était fin prête pour rentrer à la maison”.
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