jeudi 21 mai 2009

Chronique # 80: la stabilisation à tâtons

Le long d’un canal à Venise (2009)
L’amour de la langue française et le désir de faire quelque chose de concret en faveur des familles de la classe moyenne, frappées par le tsunami social et économique longuement analysé dans ces pages ont conduit l’auteur de ces chroniques à s’engager dans un projet associatif en y assumant un rôle très actif (www.efba.us , le site est en construction). Le rythme des chroniques s’en est trouvé sensiblement altéré. Des lecteurs ont même écrit pour s’étonner de leur interruption. L’auteur présente ici ses excuses et espère reprendre une narration plus étoffée dans un avenir proche.
Le courrier est à la fin.

Jeudi 21 mai 2009

La nouvelle est tombée à New York peu après 10 heures. L’agence Standard & Poor’s pourrait revoir à la baisse sa note sur la qualité de la dette de l’Angleterre. En quelques instants, les secousses ont été ressenties de Mexico à Sao Paolo, de Toronto à Wall Street. En effet, S&P estime que les nationalisations minute, les recapitalisations bancaires, sans oublier la baisse des rentrées fiscales, pourraient pousser l’endettement de l’Angleterre au-delà des 100% de PIB en 2013, contre 49% actuellement. Il y a 5 mois, la même agence escomptait que les mêmes causes ne provoqueraient que 83% d’endettement rapporté au PIB, en 2013. A15h34, la réplique arriva sur Wall Street TV. Bill Gross, le dirigeant de Pimco et pape du marché obligataire se mit à hululer qu’après l’Angleterre, viendrait l’Amérique « mais les marchés étaient mieux placés que les agences de notation pour s’en apercevoir »[i]. Le Dow Jones terminait la séance en recul de 1,54%, à 8292 points. Quand le reste du monde se réveillera, les aiguilles de leurs sismographes se mettront à valser.

Une « perspective de notation » (rating outlook) ne doit pas être confondue avec un abaissement de la note (rating downgrade). La première fonctionne comme un avertissement, une sorte de courriel public, annonçant comment, sur une période de 12 à 24 mois, l’agence entrevoit l’avenir de la solvabilité (en anglais, creditworthiness, littéralement la dignité qu’on vous fasse crédit) d’un pays, d’une entreprise, ou d’une entité comme la Californie. Une perspective n’est pas toujours suivie d’un abaissement.

Ce soir, certains accusaient Bill Gross d’avoir fait du short selling[ii] en mars et trois mois plus tard d’avoir utilisé son pouvoir de prophète pour couvrir les positions qui arrivaient à terme.

La paille dans l’œil du spéculateur est toujours plus facile à appuyer quand elle est dans l’œil d’autrui. Par exemple, la demande de pétrole demeure faible et Barack Obama se lance dans les technologies vertes pour sevrer son pays de ses amours maléfiques avec l’Arabie saoudite, mais comme le cours du dollar baisse pour cause d’anticipation de retour de l’inflation, -justifiée sur la longue période, imaginaire à court terme- et bien, le prix du pétrole remonte à 61$ le baril, soit +9,2% en une semaine. La devise américaine dans laquelle sont libellées la plupart des contrats de brut, s’échange en effet à son cours le plus bas depuis le 5 janvier : 1.3926$ pour un euro.
Si on ne peut plus gagner sa vie en vendant des vérines empoisonnées[iii] ou en en jouant aux fermiers généraux, on va vendre de l’apocalypse monétaire et faire des allers-retours en plumant les nigauds qui s’aventureront à tremper l’orteil.
Heureusement, il nous reste les introductions en bourse (Initial Public Offering ou IPO). Prenez celle d’Open Table, septième de l’année, conduite ce jour de main de maître par quatre organismes placiers, avec en tête Merrill Lynch. Cette start-up de San Francisco[iv] permet de faire des réservations gratuites dans près de 10.000 restaurants des Etats-Unis ; ce sont les restaurateurs qui reversent une petite quote-part au site web. On a beau compter les restaurants qui ont fermé, Rubicon, Anjou, Myth, Scott Howard, Frisson, pour ne rester que dans le périmètre du downtown de San Francisco, ceux dans lesquels vous obtenez désormais une table, à commercer par Chez Panisse d’Alice Waters, l’Einstein de la Cuisine Naturelle[v] et tous ceux dans lesquels vous pouvez arriver sans vous annoncer, de Boulevard à The Slanted Door, l’action d’Open Table offerte à 20$ est pourtant montée à 35$ lors de sa première séance.
Elle a clôturé à 31$ ; en hausse de 59%.

La même semaine, lundi, la Bourse de Mumbaï saluait la victoire aux élections de Manmohan Singh, l’héritier de Gandhi à la tête du Parti du Congrès. Ce n’était pas de l’euphorie, ni de l’exubérance, mais de l’héroïne mélangée avec des anabolisants qui fit sauter les fusibles du Sensex. La cotation a dû être suspendue quand l’indice a dépassé les +17%.
Le plus intéressant dans les événements présents n’est pas la spéculation, elle est l’écume des jours.
Alors que Timothy Geithner s’efforce de calmer le jeu et de persuader les marchés que la stabilisation de l’économie est en train de se produire sous leurs yeux, alors que les chiffres du chômage continuent de se dégrader et que certains économistes essayent d’inventer une nouvelle théorie économie « l’insupportable légèreté de la reprise », les flux et les reflux de la bourse rappellent la question fondamentale de la marge du pouvoir politique face au Mur d’Argent.
En 1924, pour la première fois au XXème siècle et dix ans après l’assassinat de Jaurès, la gauche non-communiste arrivait au pouvoir en France. Le Cartel des Gauches conduit par Edouard Herriot rencontra aussitôt une hostilité assassine de la part des milieux d’affaires. Les régents de la Banque de France, incarnation des intérêts de « deux cents familles » car elle n’avait pas encore été nationalisée (il faudra attendre 1936) organisèrent une belle panique monétaire et financière qui fit tomber le gouvernement.
Herriot n’était pas confronté à la pire économique en 70 ans mais la question de la fermeture du camp de concentration de Guantanamo, à deux encablures de Miami et de l’usage de la torture par l’administration Bush dans la lutte contre Al Qu’aida pourraient être comparés dans leur intensité à la guerre idéologique liées à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, tandis que la question des réparations avec l’Allemagne fait penser au problème du coût de la Guerre en Irak. En fait l’analogie n’a pas besoin d’être parfaite pour convaincre. Il suffit de comprendre que les gouvernements progressistes doivent amadouer les marchés des capitaux sous peine de mort subite, tout en satisfaisant leur base électorale sous peine d’impuissance politique. Chaque jour, Obama arrache un lambeau de l’autorégulation, de Reagan à Clinton pour la remplacer par une législation plus juste et plus efficace pour le bien du plus grand nombre. Lundi, c’était les niches fiscales sur les assurances-décès souscrites par les entreprises pour quelques affidés. Hier, les frais abusifs sur les cartes de crédit. Aujourd’hui, c’était le retour de l’Etat de droit avec la réitération de la promesse de fermer Guantanamo d’ici au 1er janvier 2010. Demain ce sera la couverture médicale universelle, l’idée que tout ne s’achète pas. Obama et son équipe marchent sur le mur haut de leur popularité. D’en bas, les Républicains leur lancent des sachets de thé en espérant qu’ils perdent l’équilibre et que les eaux froides du calcul égoïste emportent leur charogne vers le passé qui revient.

Gabrielle Durana
All rights reserved.
Au prochain épisode : Le stress des banques européennes
Courrier :

Un lecteur de San Francisco écrit : « Le gouvernement a mis près de $1T en « preferred stocks » dans les banques… que Mr. Geithner parle maintenant de convertir en « common stock »… Common stock? Quel est l’intérêt du Gouvernement dans la conversion si l’on suppose – ce que je crois- que le gouvernement ne veut pas réellement contrôler les banques (en fait je pense qu’il s’agit plutôt du contraire, mais c’est une autre histoire)? L’idée est que les common shares sont tradeables, autant dit on peut en vendre de temps en temps. Maintenant supposons que grâce à une politique pro-bancaire (du genre empruntez de l’argent à 1% et prêtez-le à 4% (maintenant) ou 6% (un peu plus tard)… même un banquier peut faire du profit dans ces conditions)… les banques deviennent profitables… et donc le prix de leurs actions augmente. Cela peut permettre au gouvernement dans quelques années (disons vers 2012) de réaliser un profit considérable (de l’ordre de $1T avec un doublement des prix ce qui n’est pas en dehors de possibilités (voir le graphe de XLF, ETF bancaire [un ETF, ou Exchange Traded Fund est une sorte d’indice boursier taillé sur mesure, ndlr])… Mr. Obama pourra annoncer avec fierté que le déficit est réduit de $1T… moitié! C’est beau la compta, et le fait que cela arrive juste avant les élections n’est pas tout à fait un hasard. Conclusion: j’ai déjà acheté du XLF… et je vais placer quelques “Bull Put Spreads” (options) dès que les “leaps” seront stabilisés J Life is good!
---------------------
[i] [The United States will face a downgrade in] "at least three to four years, if that, but the market will recognize the problems before the rating services -- just like it did today.”
[ii] Pour une révision sur le « short selling », http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n15-pire-encore-que-le-short.html
[iii] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n28-les-prions-de-la-finance.html et la suite.
[iv] http://www.opentable.com/start.aspx?m=4
[v] http://www.chezpanisse.com/

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour vos articles passionnants.
Ils sont drôlement bien écrits et les références culturelles que vous y mettez sont très enrichissantes.

Félicitations pour votre engagement dans cette nouvelle association.

J'espère que vous continuerez tout de même votre blog.