mardi 7 juillet 2009

Chronique # 81: l’épave économique


L’ancien basketteur de haut niveau Magic Johnson prêtait son image en avril dernier aux services payants de déclaration d’impôts qui offrent aussi des crédits pour fins de mois difficiles.


Cette chronique est dédiée à la mémoire de Pierre Aubéry, historien (Le Havre 1920-Oakland 2009).


Mardi 07 juillet 2009

Les mauvaises nouvelles se suivent mais ne se ressemblent pas quand on prête attention. A partir de jeudi, l’Etat de Californie s’acquittera de certaines de ses dettes avec des traites à échéance du 2 octobre et qui rapportent 3,75% en rythme annuel. On les appelle des IOU (prononcez « Aille-eau-you »). De votre main, vous écrivez « je te dois » (I owe you) et le montant, ajouté des intérêts ; la personne range le papier dans sa poche et vous tend un sac de pièces. Dans l’univers incroyable de la Californie, Arnold Schwartzenegger imprime donc sa propre monnaie, des « individual registered warrants » et garde ses dollars pour payer les créditeurs de premier rang et le superprivilège des salaires. Mais dire que l’Etat est en faillite c’est ne rien comprendre.

Au jeu des départements français, la préfecture est toujours une grande ville. Ici, quand on vous demande la capitale d’un Etat c’est toujours une petite ville ; non parce qu’il fallait multiplier les centres urbains (comme quand on a créé Evry ou Créteil pour l’Essonne ou la Val de Marne) mais parce que dans le débat entre Jefferson et Hamilton, aux premiers temps de la République, c’est le premier qui l’a emporté. Il s’est agi de reléguer le small government le plus loin possible de la vie des affaires. Ce serait Carson City pour le Nevada, Tallahassee et pas Miami, Springfield et surtout pas Chicago. Pour la Californie, Sacramento se trouve à 151 kilomètres du Golden Gate Bridge. Imaginez l’influence avant la construction de l’autoroute. Là, sous un Capitol qui ressemble à une Notre Dame des Clochettes, se sous-gouverne la 6eme puissance économique mondiale. Visitez l’Alliance Française locale et vous aurez tout compris. Depuis 25 ans, le budget n’est pas voté à temps. La majorité des deux tiers n’est jamais réunie, à croire qu’on l’ait voulu ainsi.

Les finances publiques étaient donc exsangues avant mon ami le tsunami. Le gouverneur républicain refuse d’augmenter les impôts des millionnaires du Comté d’Orange (rares sont ceux de la Silicon Valley qui votent pour lui), car trop c’est trop. Les démocrates refusent d’augmenter les impôts sur les classes moyennes ; elles ont déjà été dévalisées par la crise. Arnold Schwarzenegger, stoïque sabre dans les dépenses d’éducation, de santé et dans les dotations aux collectivités territoriales, qui à leur tour licencient maîtres et pompiers. Elles ferment les bibliothèques le week-end et augmentent les tarifs des transports en commun.

L’Etat de Californie n’est pas le seul à chercher comment payer ses créanciers chirographaires (ceux qui n’ont aucune priorité à être payés) autrement qu’avec des dollars. Dans le Midwest, le gouverneur de l’Ohio est en sursis jusqu’à ce soir minuit. Celui de l’Indiana a déjà promis que la police et les prisons assureraient la continuité du service public. Pour ce qui n’est pas essentiel, il faudra se serrer la ceinture. Ici, personne ne parle d’augmenter les impôts des millionnaires, à croire que Monsieur Ford n’a pas réussi dans l’automobile. Comme si dans la région de Lille n’avaient vécu que des filandières, sans les propriétaires des usines. On n’achève pas les espèces rares.

Heureusement depuis la planète Krypton, un plan de relance de 700 milliards de dollars arrive. A pied, ou en rollers, il n’y a que 10% qui soient partis à destination.

L’épave économique n’est pas à la même place. Les chiffres du chômage continuent d’augmenter. Tandis qu’en France, depuis avril 2009, se détruisent 1500 emplois par jour, notez qu’aucun chiffre récent n’est disponible sur le site de l’INSEE (officiellement 8,7% au premier trimestre :
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=99&ref_id=CMRSOS03311), ici le taux de chômage indemnisé atteint 9,5% (chiffre entouré en rouge sur le tableau ci-dessous). Si l’on ajoute le sous-emploi, c'est-à-dire les personnes qui souhaiteraient travailler à temps plein mais qui ne le peuvent pas, le taux de sous-utilisation du facteur travail s’élève aux Etats-Unis à 16,5% (cf : http://www.bls.gov/news.release/empsit.t12.htm) en date du 2 juillet 2009 - chiffre entouré en jaune.


Plan de relance ou absence de plan de relance, est-ce la même chose ? Not quite. De fait, même Monsieur Sarkozy se lance dans l’emprunt d’Etat (premier discours devant le Congrès d’un président depuis 1848 le 22 juin 2009, contenu et périmètre encore à définir dans une rhétorique moirée de généralités). De plus, Joe Biden, le vice-président américain réfléchit à voix haute à un deuxième plan de relance, plus axé sur la demande tant la consommation est faible pour cause de chômage. Laura Tyson, l’ancienne conseillère de Clinton aux affaires économiques réclame elle aussi un soutien de la demande.
Les gardiens des grands équilibres dénoncent le lobby gauchiste de Berkeley. D’ailleurs, au lendemain de son adoption, début février, Robert Reich, lui aussi prof à Berkeley, avant et après avoir servi comme ministre du travail de Clinton avait déjà souligné l’erreur qui consistait à alléger le plan passé de 1,2 trillions à 700 milliards et à le délester d’un tiers de baisses d’impôts. Depuis sa chaire de Princeton, Paul Krugman, le prix Nobel d’Economie qui éduque par milliers les lecteurs du New York Times avait tiré les mêmes avertissements.

Comment réagissent les marchés financiers à la dégradation des indicateurs ? Nous les avions quittés le 21 mai avec un Dow Jones à 8292 points de base. Un mois plus tard, le vendredi 19 juin, arrivaient à expiration le même jour 1) les contrats à terme sur indice boursier (stock index futures), 2) les options sur indice (stock index options) et 3) les options sur achats d’options (stock options), c'est-à-dire pour simplifier tous les contrats passés un trimestre plus tôt et qui reflétaient les anticipations des agents. Le phénomène connu sous le nom de « triple witching » (« the witching hour » sonne au douzième coup de minuit) est une sorte d’éclipse boursière qui se produit quatre fois par an. Les agents doivent alors fermer leurs positions, la volatilité ce jour-là est maximale et le volume la dernière heure très élevé. Le 19 juin, la Bourse finissait comme elle avait commencé : le Dow Jones à 8,539.73 (-0,19%) et l’indice des valeurs technologiques, le Nasdaq à 1827 points (+1,09%). Les agents avaient donc anticipé une prophétie auto-réalisatrice (self-fullfilling prophesy) de hausse. Un trimestre plus tard, le pouls de l’économie réelle n’ayant pas recommencé à battre, le Dow Jones cette semaine-là reculait de 2,95%, le Nasdaq de 1,69%, l’indice des 500 valeurs de Standard & Poor de 2,64% et l’indice Russel 2000 qui reflète l’évolution de presque toute la place (2000 valeurs) rendait 2,68%.

Publiez le chiffre du chômage et vous avez un marché « oursier » (bearish market) qui rugit sur toute la pente depuis deux semaines. Aujourd’hui, le Dow Jones dégringolait de -1,9% à 8163 points, son plus bas niveau depuis fin avril. Pour la première fois depuis le 23 juin, le Vix, l’indice de la volatilité sur la place de Chicago repassait au-dessus de 30, en hausse de 6,4%. Les fondamentaux de l’économie ne sont pas sains. Et les anticipations empreintes de pessimisme. Si vous êtes devenus insensible aux indices, vous pouvez toujours changer de Wall Street TV à la chaîne de l’instant. On y pleure sur télécommande. Michael Jackson recevait toute la journée un enterrement papal, au Centre Staples de Los Angeles, baptisé du nom d’une marque de fournitures de bureau, celui-là même où il répétait la veille de sa mort, pour son come-back. Bernard Madoff depuis sa prison regarde surement CNN. Il a l’éternité et 150 ans pour rire de son bon tour. Ses louis d’or se sont transformés en citrouille. Ruth lui manque.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier
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