dimanche 12 octobre 2008

Chronique n°15 Pire encore que le short selling, le naked short selling...

Devinez quelle est la Bourse qui a le mieux tiré son épingle du jeu cette semaine ? L’Afrique du Sud, moins 9,22% en cinq jours ? Israël, -8,42% ? Non, l’ Irak, +20%. Il faut dire qu’avec un excédent budgétaire de 90 milliards de dollars, un coût mensuel de 10 milliards de dollars pour la guerre payé par le contribuable américain et l’une des plus vastes réserves de pétrole au monde, les investisseurs ont senti le parfum délicieux du profit.

Plus personne n’annulerait son abonnement à Libération aujourd’hui, parce que le journal publie les résultats de la Bourse. Toutefois dans la sémantique d’un monde post-marxiste, il existe une savante gradation du petit épargnant, à l’épargnant, à l’investisseur, du boursicoteur au spéculateur, au profiteur, au flambeur.

Un jour de mars de cette année, la femme de ménage de la galerie dans laquelle je travaillais se plaint du prix des tortillas, ces crêpes de maïs qui sont aux gens d’Amérique Centrale ce qu’est le pain pour un Français, un aliment de base qui fait à notre joie de vivre. Elles ont augmenté de presque 50% en quelques mois, m’explique-t-elle en espagnol. Et elle continue: à cause des prix du pétrole, les gens se sont mis à fabriquer du carburant avec le maïs. J’étais assez impressionnée par son raisonnement économique. Elle me raconte que le pasteur, dans son sermon, dimanche, leur a expliqué que ce n’était pas Dieu qui augmentait les tortillas.

Que des gens s’enrichissent en faisant monter les prix des denrées n’est pas nouveau. En revanche, je vous surprendrai peut-être en vous apprenant que certains continuent de gagner de l’argent quand les prix des matières premières baissent, café ou chocolat, ou quand les marchés dégringolent. Cela s’appelle le short selling.

Un… voyons comment vais-je l’appeler, spéculateur? Un agent économique va emprunter une action à un autre investisseur, la vendre en espérant que son cours va baisser. Puis, une fois qu’elle a baissé, il pourra la racheter à un cours plus bas et la rendre à la personne qui la lui a prêtée.

Par exemple, il emprunte une action Morgan Stanley lundi dernier, son cours est à 22 dollars. Il la vend. Il récupère 22$. Vendredi, l’ action ne coûte plus que 9,68 dollars. Il avait vu juste, l’action s’est cassée la figure. Il en rachète une et la rend au prêteur. Il empoche 12,32 dollars de bénéfice moins le prix de la location de l’ action.

En fait cet exemple est totalement fictif car depuis le 19 septembre, la pratique de la vente à découvert (c’est son nom français) était interdite par la SEC, le gendarme de la bourse américaine.

Cette interdiction a été adoptée à la suite d’une série de quasi-faillites de plusieurs banques depuis début septembre. Elle ne concernait d’abord que les institutions financières mais la violence des raids des traders a bientôt convaincu les autorités de surveillance de la Bourse d’inclure dans sa liste près de 1.000 actions. Les Bourses britannique, allemande et française ont interdit le short selling aussi.

Faisons-nous l’avocat du diable : les vendeurs à découvert disent que par leur comportement, ils indiquent leur défiance face à une entreprise qui a des difficultés. En quelque sorte, ils sont les messagers qui portent les mauvaises nouvelles à la connaissance de la communauté des investisseurs. Ils sont des aiguillons. Ils ne sont pas le ballon percé. Ils n’ont pas créé les problèmes de Lehman Brothers; ils n’ ont fait que les révéler.

Là où cela se complique c’est que les raids ont redoublé de vigueur au moment où les cours du pétrole étaient en train de tomber à vitesse grand V. Ils avaient tellement augmenté, il faut dire, atteignant près de 150 dollars du baril, et certains analystes annonçaient 200 dollars pour l’ été. Finalement, étranglée par le cours, la demande en Europe, malgré l’euro fort, et aux Etats-Unis, malgré les voitures pétroliques, se mettait à baisser. On liquide tout, on prend sa mise et on va spéculer ailleurs.

C’est alors que les raids sur les banques ont commencé. Bon, je sens que je n’extirperai pas beaucoup de compassion de vous.

La différence fondamentale entre un spéculateur et un investisseur c’est la ligne d’horizon temporelle. Un investisseur achète une action dans l’optique de la garder un certain temps, un cycle économique, par exemple. Une fiscalité bien faite sur l’épargne punit le spéculateur en lui taxant son profit immédiat et crée des motivations pour l’épargnant à demeurer un investisseur stable; l’entreprise a besoin de temps pour récolter le fruit de ses investissements.

Le métier de short seller est un peu braconnier, un peu pirate. Vous faites courir des fausses rumeurs, en prenant des précautions pour qu’on ne puisse pas vous identifier. Si vous êtes malin, vous vendez les actions sans les avoir empruntées, puisque vous avez trois jours pour régler vos opérations. Comme cela vous vous vous économisez le prix de la location. La pratique du naked short selling (littéralement la vente à découvert non couverte) est interdite mais ainsi vont les choses dans le poulailler quand le fermier a le dos tourné.

Pendant les jours précédant la faillite de Lehman Brothers, le volume des ventes de certains titres dépassait le total des actions existantes. Comme la SEC ne pouvait pas contrôler chaque opération, elle a totalement interdit la vente à découvert.

Cette interdiction a expiré jeudi dernier. Depuis, la SEC a recommandé aux mutuals funds de ne pas prêter ou louer leurs actions afin de calmer le jeu. La spéculation va-t-elle redoubler?

Le short selling est un parfait exemple des problèmes causés par la dérégulation. Il existait une règle instaurée après la crise de 1929 qui interdisait de procéder à une opération de vente à découvert tant que le prix d’une action n’avait pas augmenté. Il faut que le prix fasse tic vers le haut pour qu’il puisse faire tac vers le bas. Elle fonctionnait comme un fusible en cas de rumeur ou de tentative de manipulation. Cette règle appelée uptick rule ne s’appliquait qu’aux ventes à découvert. Personne ne vous empêche de vendre votre action si vous en êtes propriétaire. Mais dans son zèle dérégulateur, la SEC avait aboli la règle en 2007.

L’interdiction de la vente à découvert reste en place sur les marchés français jusqu’ au 22 décembre 2008 et sur les marchés britanniques jusqu’ au 22 janvier 2009. Plutôt que d’interdire le short selling, peut-être faudrait-il rétablir la règle du disjoncteur.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

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